dimanche 10 février 2019

La classe inversée ou la fable de la grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf !

La classe inversée est une approche d’enseignement en vogue. Elle est régulièrement présentée comme innovante, performante et motivante pour les élèves. De nombreux enseignants dans le secondaire, à travers la formation continuée ou initiale, par des conférences, des reportages dans la presse ou télévisés y sont sensibilisés. Ils sont invités, parfois incités par la direction de leur établissement, à adopter ce modèle et à se convertir à la classe inversée. L’enjeu, tel que cela peut leur être présenté, serait pour eux de sortir d’un enseignement traditionnel souvent qualifié de sclérosé. Cette approche du siècle dernier ne conviendrait plus à une génération d’élèves baignés depuis leur plus tendre enfance dans les technologies numériques.


(photographie : J. Daniel Hud)


Mais quelle est la validité réelle de cette approche ?



Modèle de la classe inversée 


La classe inversée se définit dans ses fondements par une opposition à un modèle d’enseignement traditionnel présenté comme rétrograde. Celui-ci ne serait vu qu’à travers la lunette du réductionnisme, sous un format purement magistral. Cela ne correspond guère à une réalité de l’enseignement.

Dans cette vision fantasmée de l’enseignement traditionnel :
  1. Le discours de l’enseignant serait de nature essentiellement magistrale en classe
  2. Le rôle des élèves serait réduit en classe à celui de récepteur passif d’un contenu scolaire
  3. Les élèves ne réaliseraient des exercices d’application et des tâches d’élaboration à domicile que dans un second temps
. La classe inversée se définit à travers un paradigme opposé, alternant :
  • Une formation préalable des élèves en dehors de la classe, c’est-à-dire chez eux. Ce travail préparatoire a pour but la compréhension et l’acquisition de nouvelles notions : 
    1. Les élèves travaillent en amont la nouvelle matière, en regardant à domicile des capsules vidéos, voire des diaporamas ou des animations multimédias.
    2. D’autres tâches peuvent remplacer ou compléter celles-ci, par exemple une recherche documentaire ou des lectures de documents, ou d’un manuel.
    3. Ces tâches effectuées à domicile peuvent également s’accompagner de la réponse à un questionnaire ou à un quiz rapide.
  • Une formation postérieure en classe sous la supervision de l’enseignant :
    1. Lorsqu’ils arrivent en classe, les élèves posent des questions à propos de ce qu’ils n’ont pas compris. L’enseignant vérifie leur compréhension.
    2. Le temps passé à l’école est ensuite utilisé par les élèves pour acquérir et approfondir les concepts abordés au sein des vidéos. Ils peuvent par exemple résoudre un ensemble de problèmes, discuter entre eux dans un travail de groupe, appliquer les connaissances vues, tenir des débats, etc. L’enseignant leur propose de pratiquer les nouvelles notions et il encadre ces activités. 
    3. L’enseignant n’ayant plus à présenter la matière gagne en disponibilité pour différencier et aider les élèves à faire face à leurs difficultés et à mieux apprendre. Les élèves peuvent, de leur côté, collaborer et échanger entre eux plus naturellement.



Références théoriques


Plaçant l’élève au centre, visant sa mise en activité et son autonomie, la classe inversée s’inscrit dans une approche épistémologique d’essence plus subjectiviste.

Les fondements théoriques de la classe inversée sont légers, flous, peu définis et incohérents comme le montre André Tricot. Ils font feu de tout bois entre constructivisme, apprentissage actif, théorie de l’autodétermination ou révolution numérique.

Se parant parfois sous les atours de la pédagogie inversée, le principe de la classe inversée se réduit plutôt à un dispositif ou une posture. Cela fait de la classe inversée surtout une microstratégie polymorphe, une pratique occasionnelle plus qu’une démarche de fond.



Une innovation ?


Si le terme de classe inversée est relativement récent, son concept ne l’est pas vraiment. Tout enseignant finit à un moment ou un autre par demander à ses élèves de préparer, de lire ou de consulter un document ou des notes pour gagner du temps dans un cours à venir.

L’idée clé de la classe inversée qui est celle de capsules vidéos peut répondre à des besoins spécifiques 
  1. L’existence de capsules vidéos d’enseignement pour les élèves absents (maladies, compétitions sportives, etc.) est très précieuse. Les élèves recherchent très naturellement une vidéo sur internet lorsqu’un concept n’a pas été compris en classe. C’est d’ailleurs dans ce cadre que le concept est né comme le relate André Tricot. Deux enseignants américains de physique dans le secondaire, Jonathan Bergmann et Aaron Sams, avaient commencé à réaliser des capsules vidéos sur YouTube. Leur but était de présenter des expériences et des contenus à des élèves régulièrement absents des cours dans leur lycée du Colorado. Cette démarche leur a apporté beaucoup d’échos positifs d’élèves ou de collègues d’autres établissements qui se sont mis à les utiliser également.
  2. Certains temps d’enseignement particulièrement peu interactifs peuvent bénéficier d’un prétraitement hors classe, par exemple tout ce qui est visionnage de documentaires, de films, des lectures d’articles ou de livres. 



Une production de contenu multimédia


Le changement de posture exigé dans le cadre de la classe inversée impose que l’enseignant acquière des compétences en production de contenu multimédia.

Il est amené à concevoir, enregistrer et monter, durant la phase de préparation de son cours, des capsules vidéos. Celles-ci illustrent et expliquent les notions, règles, savoirs et procédures de son programme.

Nous pouvons nous interroger sur les capacités des enseignants en tant que producteurs de ressources multimédias de qualité, indépendamment de leur expertise sur le contenu.

Nous pouvons également nous interroger sur l’impact que cela représente en matière de temps de travail, même si ces capsules sont susceptibles de réutilisations multiples.

Tout cela suppose de disposer du matériel nécessaire, caméra, microphone, visualiseur, logiciel de montage, disponibilité d’un site internet pour l’hébergement. 

L’alternative consiste à faire appel à des capsules existantes pour l’enseignement de ses contenus, développées par d’autres enseignants et partagées. Se pose alors la question de l’existence de capsules entièrement adaptées. Il est très aisé d’imaginer de voir un jour des éditeurs scolaires s’engouffrer dans ce marché.

Nous pouvons donc nous interroger sur deux limitations évidentes :
  1. Les compétences de l’enseignant dans la réalisation de capsules de qualité.
  2. L’adéquation entre des capsules universelles ou empruntées, les spécificités du contexte scolaire dans lequel évoluent l’enseignant et ses choix pédagogiques.  
André Tricot note que la complémentarité et la synchronisation entre ce que dit l’enseignant et ce qui est montré à l’écran dans la capsule vidéo, est une condition cruciale pour faciliter et permettre l’apprentissage. Des capsules de qualité moyenne risquent de ne pas permettre un apprentissage efficace. 



Contraintes extrascolaires


Les élèves regardent ces capsules à la maison via internet sur ordinateur, tablette ou smartphone.
  • Nous pouvons nous interroger sur le présupposé de la classe inversée qui concerne l’accès des élèves aux capsules vidéos à domicile. 
    • Que se passe-t-il lorsque l’un ou l’autre élève dans une classe ne dispose pas d’un accès stable et aisé à internet chez lui ? Que ce soit pour des raisons économiques, des raisons de choix de mode de vie des parents ou des raisons de partage de ressources entre membres de la famille ?
    • La classe inversée présente un coût caché pour les familles en matière d’organisation et peut accentuer des inégalités, voire les stigmatiser. 
  • Que se passe-t-il quand plusieurs enseignants choisissent le modèle de classe inversée ? Le temps que l’élève va devoir passer devant l’écran va augmenter en durée de manière conséquente. 
  • Nous pouvons nous interroger sur le niveau d’attention des élèves ! Les élèves disposent-ils encore des capacités nécessaires à une attention soutenue qu’exigent des informations nouvelles sachant que cette étape va se passer essentiellement en soirée. 



Contraintes cognitives


En remplaçant, toute une partie des devoirs par le visionnage de capsules sur de nouveaux contenus théoriques, nous perdons l’effet de consolidation, de mémorisation, d’automatisation et d’espacement des devoirs sur les apprentissages. 

Nous pouvons avancer l’argument qu’augmenter le temps de travail en classe permet de faire des exercices de plus haute qualité cognitive que des devoirs, en accentuant sur l’entremêlement et l’élaboration. Mais il est à parier que les élèves rencontrant plus de difficultés vont moins en profiter de la réalisation d’exercices que ceux qui ont plus de facilités. Cela pourrait se traduire par un besoin de travail supplémentaire à domicile centré sur une compensation des retards, plutôt que d’un renforcement des apprentissages.

Une autre question est de savoir dans quelle mesure un visionnage passif de séquences vidéos ne correspond pas à une intensification des pratiques de relecture dont l’inefficacité est établie. La faiblesse de ce type d’approche est qu’elle génère des illusions de connaissance. Est-ce que les élèves ne vont pas être tentés de revoir les capsules vidéos afin de se préparer à une évaluation, plutôt que de s’investir dans des pratiques de récupération ?



Contraintes d’engagement


Nous pouvons postuler que l’engagement de l’élève est plus facile à obtenir par l’enseignant au sein de sa classe qu’à domicile. Le cadre de la classe et de la gestion est un facteur extrinsèque très favorable à l’engagement des élèves dans la compréhension. 

Le niveau d’engagement nécessaire à domicile pour se concentrer et comprendre des contenus par une capsule est plus élevé que celui nécessaire pour faire des devoirs qui requièrent de faire appel à ces compétences déjà exercées en classe.

Ainsi, au-delà d’un intérêt situationnel transitoire pour le format vidéo, il y a moins de chances qu’un élève s’investisse de façon sérieuse dans le visionnage de capsule que dans la réalisation de devoirs.  

En outre, le non-visionnage engagé des capsules a des conséquences défavorables plus élevées que la non-réalisation de devoirs. Même si l’enseignant répond à des questions en classe, à moins d’annihiler le bénéfice de la classe inversée, il ne peut reprendre tout l’enseignement.

Les élèves qui n’ont pas visionné les capsules vont beaucoup moins profiter des cours parce qu’ils ne seront pas à même de poser des questions pertinentes. En ce sens, la classe inversée risque d’accentuer les inégalités.

À l’opposé, certains élèves disposant d’un environnement familial plus au courant de la culture scolaire vont être soutenus dans l’assimilation de leurs apprentissages à domicile, les parents jouant le rôle de relais de l’enseignant. Ces élèves pourraient même progresser plus vite grâce à cette valeur ajoutée et augmenter les différences. Ils risquent aussi de monopoliser plus l’attention de l’enseignant puisqu’ils seront plus à même de définir des questions et de s’investir dans les tâches demandées en classe.



Qualité du modelage


Les capsules vues par l’élève à domicile remplacent le modelage généralement fait en classe dans le cadre d’un enseignement explicite. Si nous comparons le visionnage et la réalisation de capsules au modelage tel qu’il est conçu en enseignement explicite, nous percevons assez facilement différentes limites à la démarche.

1) Stricto sensu, la capsule est un pur retour à l’enseignement magistral dans ce qu’il a de plus unidirectionnel et rébarbatif. En fait, tout se passe comme si la classe inversée dénonçait un enseignement traditionnel/magistral qui aurait lieu en classe, mais simplement pour le transposer tel quel au domicile de l’élève. Avec des capsules, il y a l’absence d’interaction sociale : l’enseignant transmet son savoir une fois pour toutes, à l’élève de répéter la vidéo autant de fois qu’il veut pour réécouter et comprendre mieux. Dans un sens, grâce aux capsules, l’enseignant n’a plus à être interrompu par des questions d’élèves distraits ou inattentifs.

2) Revoir quelque chose que nous n’avons pas compris est-il une garantie de succès ? Que se passe-t-il si l’élève comprend mal une notion, regarde la capsule plusieurs fois et fixe cette conception erronée ? Quel travail d’inhibition sera-t-il nécessaire par la suite pour la corriger ?

3) Il n’y a plus de vérification de la compréhension possible de l’enseignant durant le temps réservé à l’explicitation des contenus. 

4) Il n’y a plus de rétroaction directe de l’enseignant durant cette phase pour corriger rapidement une erreur de compréhension.

5) Les contenus sont vus par blocs de taille conséquente et non plus par petits pas. En effet, il faut voir un volume de matière suffisamment conséquent pour alimenter la pratique en classe. 

6) Il n’y a plus d’intégration possible entre une pratique guidée et un modelage par l’enseignant. Ces deux temps sont séparés.  

Dans la pratique de la classe inversée, l’enseignant ne passe plus du temps à expliciter la matière devant les élèves. Il le fait en voix off de manière beaucoup plus neutre par une vidéo et sans vérification de la compréhension et sans questions possibles en direct des élèves.

Il y a un réel appauvrissement de l’enseignement qui va revêtir une dimension beaucoup plus floue pour les élèves. L’élève, seul devant l’écran, va moins bien saisir les objectifs et s’en faire sa propre interprétation. Il se crée un réel décalage entre une vidéo qui propose une démonstration scénarisée et formatée d’une pratique et le modelage explicite que peut proposer un enseignant en mettant un haut-parleur sur sa pensée.

Au-delà même d’une comparaison avec l’enseignement explicite, une capsule vidéo n’est déjà pas aussi performante qu’un cours magistral. Même magistralement, l’interaction entre l’enseignant et les élèves reste importante et féconde. L’enseignant utilise un langage non verbal en classe, utilise des gestes, module son expression en fonction de l’attention des élèves et s’assure de leur engagement. Les élèves même silencieux peuvent envoyer un message qui informe l’enseignant sur leur niveau de compréhension ou d’engagement et il peut s’adapter en fonction.

L’élève sera moins à même d’imiter et d’intégrer ce qu’il voit passivement en vidéo. Cela marche nettement mieux lorsqu’il voit l’enseignant faire et répète juste après, sous sa supervision.



Qualité de la pratique guidée et de la pratique autonome


En classe, l’enseignant n’enseigne plus les contenus. Il propose des activités qui appliquent les notions visionnées par les élèves dans ces capsules. Celles-ci sont structurées sous forme de projets, de travaux, d’exercices ou de problèmes.

Libéré du besoin d’enseigner, l’enseignant est plus disponible pour soutenir les élèves et apporter des explications à ceux qui n’ont pas tout compris. La pratique en classe est donc maximisée, même si nous l’avons vu l’imbrication entre modelage et pratique guidée n’est plus possible.

Théoriquement, en classe inversée, l’enseignant va disposer de plus de temps pour la pratique. Mais il a une grande divergence avec l’enseignement explicite. C’est que la conséquence des capsules vidéos est qu’à l’entame de la pratique en classe les différences de niveaux entre élèves sont plus importantes avec le visionnage de capsules qu’avec un modelage explicite. 

Nous pouvons postuler qu’à partir du moment où la classe inversée se veut égalitaire, une partie conséquente du temps de l’enseignant risque d’être absorbée par certains élèves. Il s’agira de ceux qui soit ne se sont pas engagés suffisamment dans le visionnage des capsules, soit n’ont pas compris grand-chose.

Ces élèves qui ont besoin d’un support supplémentaire et spécifique sur la matière non compris vont par voie de conséquence, moins s’investir dans les exercices, applications et problèmes. Cela peut mener chez eux à un apprentissage plus superficiel. 

Il est probable que l’enseignant devra revenir en classe sur tout ou sur une partie de la matière contenue dans les capsules vidéos pour une partie des élèves. Cela suppose que le temps en classe se conçoit dans la perspective d’une différenciation des parcours plutôt que celle d’une pratique guidée.

Ces élèves pourraient monopoliser les explications et les efforts de l’enseignant. Pour permettre à chacun d’avancer à son rythme, l’enseignant va être poussé à mettre en place des procédures de différenciation. 



L’écueil de la différenciation


Dans la pratique des exercices, l’enseignant va être amené à différencier les élèves en fonction de leur compréhension sous forme d’îlots de travail. Comme cela, il peut aider spécifiquement les groupes d’élèves en fonction de leurs besoins. Les élèves les plus avancés n’auront pas les mêmes questions que les intermédiaires ou les plus faibles. S’il regroupe les élèves en fonction de leur niveau, il maximise l’efficacité de ses interventions. 

S’il choisit l’alternative qui consiste à former des groupes équilibrés, il peut mettre en place des interactions bénéfiques de tutorat. Mais celles-ci ne résorberont pas les écarts.  

Le problème est que les écarts vont s’accentuer. Les élèves les plus avancés vont s’épauler mutuellement pour avancer encore plus vite. Ils vont également bénéficier de l’aide qu’ils apportent aux autres. Cela favorise leur propre apprentissage par un processus d’élaboration. Les élèves ayant le plus de difficultés ne vont finalement qu’avoir manifesté un rendement faible puisque leur collaboration et la valeur ajoutée de leur temps de classe seront moins riches.

Ce faisant, l’enseignant crée rapidement une hiérarchie d’élèves dans sa classe qui aura tôt fait de sédimenter : les affinités s’installant, les rôles et positions se définissant et les écarts s’intensifiant. Les élèves se retrouvent piégés dans une telle structure et peuvent difficilement progresser au fil du temps.

La mise en place d’une pratique guidée demanderait à l’enseignant de revenir sur les éléments de contenu, ce qui ferait perdre le bénéfice supposé de la classe inversée. Si l’enseignant commence à délivrer en classe une pratique guidée selon les principes de l’enseignement explicite cela peut signer la fin du dispositif. Lorsque celle-ci est finement imbriquée au modelage et visant un taux de succès élevé, les élèves remarqueraient assez vite que le visionnage des capsules peut devenir optionnel. 

Si le temps de travail à domicile est réservé à de la compréhension, il est moins disponible pour les devoirs. Ceux-ci sont, dans l’optique de la classe inversée, réalisés en classe. Nous perdons du coup le principal intérêt des devoirs qui est celui d’une consolidation améliorée grâce à un effet d’espacement.

En effet, le bénéfice des devoirs se trouve dans la pratique de tâches qui ont déjà été travaillées en classe. L’élève dispose pour celles-ci d’un niveau de réussite élevée. Pour celles-ci, la présence rapprochée de l’enseignant n’est plus nécessaire.

Si nous réservons le temps normalement alloué aux devoirs, à la pratique en classe, celui-ci se trouve fusionné à la pratique autonome. Étant donné le principe de la différenciation de la classe inversée, bon nombre d’élèves ne vont se trouver en réelle pratique autonome que peu de temps. Leur pratique guidée risque d’être fortement allongée, en raison de leurs besoins d’explications. Ce faisant, ils vont perdre le bénéfice de la consolidation et ne générer que des connaissances et compétences superficielles.



Un cheval de Troie


  • La classe inversée bénéficie d’un effet de mode, car elle surfe sur la vague de l’introduction des technologies numériques dans les pratiques enseignantes, pour laquelle elle semble être une voie aisée.
  • Elle joue sur une idée claire, simple et alléchante : écouter un enseignant donner un cours magistral c’est ennuyeux, rendre les élèves actifs, investis, en projet est plus motivant pour eux. Cela ressemble à du simple bon sens. La recherche en éducation a montré que ça n’était pas si simple.
  • La classe inversée est un atout publicitaire pour les écoles favorisées qui ont les moyens de produire des capsules et de fournir un site internet de niveau professionnel pour servir d’interface. 



Intérêt situationnel et absence de vérification des prérequis


Le choix du format de la classe inversée ne semble pas le plus adéquat pour un cours d’introduction sur une matière tel que ceux pratiqués dans le primaire ou le secondaire pour trois raisons : 

1) Les étudiants qui suivent un cours d’introduction n’ont que rarement un intérêt individuel (solide et prolongé) pour le sujet concerné et plus souvent un intérêt situationnel (fragile et temporaire) :
  • Ils peuvent ressentir de la frustration lorsqu’ils rencontrent des tâches d’apprentissage ou des capsules qui ne sont pas clairement définies ou optimales face à leurs besoins. 
  • Ils sont plus susceptibles de procrastiner ou de se désengager en cas de difficulté dans leurs pratiques autonomes. 
  • Cet engagement est plus facile à obtenir par l’enseignant en classe dans le cadre d’un modelage. 
  • Lorsqu’il s’agit d’un cours de spécialisation, les étudiants sont plus susceptibles de persister face aux difficultés et de prendre des initiatives personnelles pour les surmonter. Ils vont se poser des questions, retrouver les réponses et élaborer de manière autonome.

2) Dans le secondaire ou le primaire, l’enseignant ne peut avoir aucune certitude sur les connaissances antérieures de ses élèves.
  • Si celles-ci datent de l’année précédente, l’oubli peut avoir rendu ces informations moins récupérables. De même, peut-être que certaines connaissances n’ont pas été suffisamment consolidées. 
  • Si l’élève voit la matière par lui-même sans le support de l’enseignant, il y a de grandes chances que l’efficacité soit faible. 
  • Si c’est l’enseignant qui voit la matière en classe, il peut en continu vérifier la compréhension des élèves et procéder à des ajustements immédiats.  
  • L’alternative pourrait être de fournir aux élèves également des capsules sur les prérequis, mais ça reviendrait pour les élèves à faire de la relecture, pratique inefficace. 

3) L’élève qui suit des capsules est avant tout passif. Un enseignant explicite en classe multipliera les questions et utilisera des pratiques de récupération et d’élaboration auprès de ses élèves qui favoriseront bien mieux l’apprentissage.



Que dit la recherche ? 


Avant de l’adopter ou même de se former à cette approche, l’éthique professionnelle impose de vérifier de quelle manière elle est validée par la recherche empirique.

La plupart des publications sur les classes inversées la défendent sur des arguments d’opinion, des témoignages et des retours d’expérience qualitatifs et subjectifs. Cela n’a pas valeur de preuve.

Qu’en est-il des données probantes, c’est-à-dire celles validées par une certaine forme de preuve scientifique ?

Steve Bissonnette et Clermont Gauthier ont réalisé une revue des publications sur le sujet entre 2005 et 2013 et ont été incapables de trouver des études à la fois rigoureuses et probantes sur le sujet.

Une autre revue plus récente a fait le point en 2017 (Lo, 2017), pour le primaire et le secondaire. Parmi les 15 analysées (ce qui constitue un nombre particulièrement réduit et nombre d’entre elles montrent des limites dans leur méthodologie), certaines montrent quelques résultats positifs face à un enseignement traditionnel et d’autres ne montrent aucun avantage.

Il semble donc que quand le contexte s’y prête bien, l’approche inversée peut présenter un intérêt, mais qu’on ne sait pas si elle peut, ni à quelles conditions, fonctionner comme approche pédagogique générale efficace. Les résultats concernant l’attitude des élèves à l’égard de l’approche de la classe inversée sont mitigés. 

Ces recherches tendent à conseiller de limiter l’utilisation de la classe inversée auprès des étudiants des cycles supérieurs de l’enseignement et spécifiquement pour des cours de spécialisation. 

Actuellement, il n’existe pas de données probantes qui montrent une efficacité manifeste de la classe inversée dans le primaire et le secondaire. D’autres approches pédagogiques disposent par contre d’une validation sérieuse.

André Tricot fait dans son ouvrage référence à des recherches sur l’utilisation de vidéos comme supports d’apprentissage qui montrent que pour rencontrer une certaine efficacité, celles-ci doivent être interactives. L’élève doit pouvoir les arrêter, revenir en arrière et aller de l’avant. On peut se poser des questions sur la maturité des élèves du primaire et du secondaire quant à une prise en charge aussi active du visionnage.

En outre, ces recherches montrent que ces vidéos sont plus utiles lorsqu’elles sont utilisées après l’enseignement plutôt qu’avant, ce qui est en contradiction avec le modèle de la classe inversée. De même, ce domaine de recherche montre que les vidéos ne permettent pas de mieux apprendre qu’en classe.

Autre élément troublant, le fait de lire un texte plutôt que de visionner une vidéo permet d’avancer deux à trois fois plus rapidement. La lecture permet à l’élève de réguler beaucoup plus facilement sa vitesse en fonction du niveau de difficulté. Le texte étant un support permanent, il peut de même et à tout moment retourner immédiatement vers un passage mal compris, ce que ne permet pas la vidéo.



En conclusion


Un bon apprentissage nécessite de bons enseignants qui savent s’adapter à leurs élèves. Nous ne pouvons pas l’obtenir en envoyant les élèves visionner des vidéos.

Le modèle de la classe inversée ne bénéficie pas pour l’instant de données probantes sur son efficacité et sur les conditions éventuelles de celle-ci. De fait, il est difficile d’un point de vue éthique de justifier son adoption à grande échelle pour des élèves.  

Nous pouvons donc recommander par prudence aux enseignants de ne pas s’investir outre mesure dans une perspective de classe inversée si leur objectif est de favoriser l’apprentissage de leurs élèves. L’idée de faire travailler des ressources par les élèves en amont du cours peut toutefois se révéler pertinente à certains moments, dans certaines conditions, pour certains profils d’élèves, mais pas de manière habituelle et générale.

L’intérêt de la classe inversée se limite aux situations où le matériel pédagogique est facile à comprendre sans l’intervention de l’enseignant. Si ce n’est pas le cas, l’enseignant risque de devoir par la suite passer la majeure partie de son temps, non pas à approfondir ce qui a été appris ailleurs, mais à enseigner. De fait, nous perdons alors tout l’intérêt de la classe inversée.

La classe inversée peut toutefois présenter un intérêt dans des démarches d’émancipation, d’orientation ou de citoyenneté où la part subjective prend plus d’importance, là où le parcours gagne à être individualisé. S’il y a un élément pertinent à garder dans l’idée de la classe inverse, c’est finalement la réflexion liée à une utilisation optimale et efficace du temps passé en classe.


Mis à jour, le 18/01/2023

Bibliographie


Bissonnette S. et Gauthier C. (2012), Faire la classe à l’endroit ou à l’envers ? Formation et profession, n° 20 (1) : http://formation-profession.org/files/numeros/1/v20_n01_173.pdf

Alain Beitone et Margaux Osenda, La pédagogie inversée : une pédagogie archaïque, 2017, http://skhole.fr/la-pedagogie-inversee-une-pedagogie-archaique-par-alain-beitone-et-margaux-osenda

Lo, Chung Kwan and Khe Foon Timothy Hew. “A critical review of flipped classroom challenges in K-12 education: possible solutions and recommendations for future research.” Research and Practice in Technology Enhanced Learning 12 (2017).

Clark, Kevin. (2015). The Effects of the Flipped Model of Instruction on Student Engagement and Performance in the Secondary Mathematics Classroom. The Journal of Educators Online. 12. 10.9743/JEO.2015.1.5.

Tricot, André (2017). L’innovation pédagogique. Retz

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