dimanche 20 janvier 2019

Conditions éducatives favorables à un enseignement explicite

Dans quel cas est-il opportun de sélectionner l’enseignement explicite comme option pédagogique par la valeur ajoutée qu’il apporte en matière d’apprentissage ?

Dans quels cas n’est-il pas opportun ou indispensable d’opter pour un enseignement explicite ?


(photographie : Guillem Vidal)



Une double mission entre enseignement et éducation


Certains ont parfois tendance à réduire les pratiques enseignantes selon une simple dichotomie entre une gestion de la classe et une gestion de l’enseignement qui seraient indépendantes. D’autres tendent à réduire de gestion de classe à une mesure de la capacité de l’enseignant à captiver ses élèves. Dans cette perspective, l’enseignant devrait gagner, susciter et entretenir l’intérêt de ses élèves qui se comporteraient adéquatement par la suite.

Cependant, comme la recherche en éducation l’a montré, ces deux réalités que sont l’enseignement et la gestion de la classe sont complètement imbriquées. Elles vont de pair, sans que l’une prenne réellement le dessus sur l’autre, toutes deux étant indispensables.

La gestion de la classe peut être divisée entre des démarches de prévention et d’intervention face aux écarts potentiels de comportement. L’enseignement lui-même ne se résume pas exclusivement à un simple facteur de transmission et d’apprentissage de compétences scolaires spécifiques. 



Une double mission d’instruction et d’émancipation


Nous avons déjà des quatre fonctions majeures de l’enseignement, comme décrites par Jere Brophy en 1988. Nous ne saurions négliger aucun de ces aspects avant de poser un regard sur la nature et les finalités de pédagogies différentes. 

À côté de l’éducation et du transfert de connaissances, l’école a également une mission d’émancipation sociale. Elle doit répondre à des exigences supplémentaires tout aussi nécessaires au futur de ses élèves. Cela se passe par des activités liées à l’orientation, à la citoyenneté, à la confiance en soi, au développement de l’autonomie et à la capacité d’intégration dans la société.

Si ces exigences répondent moins à celles d’un savoir codifié, elles en émanent toutefois et sont rendues possibles à travers lui. Nous ne saurions par exemple guider et conseiller efficacement un élève dans les démarches entreprises dans le cadre d’une approche orientante sans lui enseigner explicitement certains savoirs et principes. Ces derniers sont liés à l’organisation de l’enseignement et aux réalités socio-économiques. De même, un élève a besoin d’être guidé dans le développement de ses stratégies de recherche d’information et d’analyse critique. Il a besoin d’être accompagné dans la prise en compte des différents facteurs pertinents, afin de mieux nourrir et guider ses propres choix à venir.



L’idée d’un continuum


Nous avons déjà abordé, dans le cadre d’une comparaison des stratégies centrées sur l’élève et de celles centrées sur l’enseignant, l’hypothèse de l’existence d’un continuum de pratiques. Celui-ci a été défini en matière de niveau de soutien pédagogique par Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard dans leur livre « Enseignement explicite et réussite des élèves ». C’est une idée qu’ils vont chercher chez Douglas Carnine et qu’ils développent à leur tour.

(Source : Marie Bocquillon et coll., 2019)

Quatre éléments pour ces auteurs concourent à favoriser l’approche guidée lorsque :
  • Les élèves sont novices dans un domaine plutôt qu’experts : 
    • Plus l’enseignant a affaire à des débutants, plus l’étayage (scaffolding) doit être important. 
      • Les tâches enseignées gagnent à être découpées et simples d’accès, basées sur des habiletés spécifiques et dirigées par l’enseignant. 
      • L’élève doit être guidé dans le cadre de la résolution de problèmes et des exemples de résolution doivent lui être fournis. 
    • Lorsque la compétence des élèves augmente au fur et à mesure de l’apprentissage, le besoin d’étayage et de guidage diminue proportionnellement. 
      • Les tâches proposées deviennent complexes et intègrent des savoirs et savoir-faire de plus en plus intégrés et organisés. 
      • L’élève gagne en autonomie et prend des initiatives. L’enseignement devient plus centré sur l’apprentissage propre à l’élève. 
      • L’enseignement explicite laisse la place à une découverte guidée.
      • Les situations présentées peuvent devenir plus authentiques, moins définies et explicites et correspondre à des cas réels.  
  • La complexité des tâches est élevée
    • Au plus la complexité des tâches est élevée, au plus la charge cognitive devient importante, au plus elle risque de rendre impossible ou de ralentir fortement l’apprentissage. 
      • Dans ce cas, un apprentissage dirigé par l’enseignant devient plus pertinent. 
      • L’enseignant peut garder la charge cognitive à laquelle est soumis l’élève sous contrôle. 
      • L’enseignant ordonne les tâches et en allant du simple vers le complexe, le temps que certaines compétences s’installent et deviennent automatisées. 
  • Le temps disponible est limité
    • Un apprentissage dirigé par l’enseignant est plus rapide :
      • Il ne laisse pas de temps mort où l’élève recherche, tâtonne ou s’égare. 
      • L’enseignement explicite propose un découpage et une structuration optimisée pour un apprentissage progressif et efficace. L’enseignant accélère ou ralentit en fonction de la compréhension et de la réussite de ses élèves en classe.    
  • Les contenus regroupent des idées maîtresses
    • Des idées maîtresses sont des savoirs et des savoir-faire qui seront par la suite mobilisés régulièrement par les élèves dans le cadre de chapitres et d’années scolaires ultérieures. 
      • Ces idées maîtresses doivent être solidement acquises, consolidées et automatisées, ce sont les connaissances essentielles propres à chaque matière. 
      • Lorsqu’elles ne sont pas acquises durablement, elles risquent de diminuer le niveau de réussite des élèves à long terme. 
      • L’enseignant doit donc s’assurer d’un apprentissage bien ancré de celles-ci chez chacun de ses élèves. Un enseignement explicite de celles-ci s’impose en lien avec une pratique cumulative et distribuée. 
    • L’enseignement explicite se prête bien aux parties des cours dont le contenu en connaissances est bien structuré. Si des parties sont plus floues et diffuses et ne sont pas portées par un ensemble structuré de connaissances, il est moins adapté.  
Ces quatre contraintes sont bien plus souvent la norme que l’exception dans l’enseignement obligatoire. Le curseur se retrouve ainsi régulièrement du côté d’un enseignement dirigé de type explicite.

L’apprentissage par la découverte correspond bien à des cours de spécialisation dans l’enseignement supérieur. Dans cette situation, les étudiants disposent déjà d’un large bagage de connaissances et compétences. De même, ils tendent à faire preuve d’un intérêt personnel marqué pour le sujet étudié.



L’idée d’un équilibre entre instruction et émancipation


Tom Sherrington (au sein de son livre « The Learning Rainforest ») développe la métaphore d’un tronc de la connaissance d’où émergerait une canopée, transformant les résultats de l’apprentissage en un épanouissement de l’apprenant.

Tom Sherrington introduit l’idée de deux modes dans l’enseignement :
  • Un mode A équivalent à l’enseignement dirigé ou explicite
  • Un mode B équivalent à une approche par la découverte plus ou moins guidée

Le mode A est d’influence instructionniste. Il comprend tous les éléments qui permettent de favoriser et stimuler l’apprentissage des élèves d’un point de vue cognitif, comportemental et motivationnel. Il s’agit avant tout d’un enseignement guidé par l’enseignant, explicite. Celui-ci déploie en fonction du contexte, différentes approches, outils et pratiques, ayant tous comme dénominateur commun un souci d’efficacité.

Le mode B de l’enseignement comprend les approches qui s’inscrivent dans une visée plus subjectiviste et personnelle, plus en lien avec les caractéristiques propres à l’élève. Il a pour visée d’explorer les possibilités du monde qui nous entoure et d’y trouver sa place. La pédagogie de projet, de même que tout ce qui est de l’ordre du développement personnel, par exemple, en font partie. Le mode B permet de donner des choix aux élèves, de se découvrir et de se tester. Il propose une plus grande diversité de cheminements possible en fonction des affinités propres. Il laisse les élèves explorer des idées de manière plus indépendante, il les confronte à des modèles qui peuvent ou non leur correspondre. Les élèves découvrent la spécificité d’approche ou essaient d’être créatifs. 




La lecture que fait Tom Sherrington de cette quasi-dichotomie, qui dans la réalité doit plus s’apparenter à une distribution bimodale, est intéressante. Cette vision permet de pointer une divergence des finalités qui révèle une complémentarité utile et enrichissante, au-delà d’une perceptible opposition.

Ainsi, l’enseignant en fonction de ses objectifs prioritaires et de ses ressources doit définir un équilibre optimal entre ces deux modes. 

Tom Sherrington refuse de donner une estimation définitive et propose une vision qui lui est propre en tant qu’ancien enseignant du secondaire en physique et en mathématiques. Il s’agit pour lui de conserver pour guide : au moins 80 % du temps en mode A et pas plus de 20 % en mode B. 

Il précise que ces proportions sont susceptibles d’être revues dans d’autres branches où les trois contraintes telles que définies plus haut sont moins sévères. Il s’agit simplement de bien séquencer et structurer l’enseignement pour que l’apprentissage s’appuie sur des bases solides.

Le mode A, celui d’un enseignement efficace et instructionniste semble d’emblée plus crucial pour les élèves que le mode B, celui d’un apprentissage autonome facilité et plus ou moins guidé par l’enseignant.

Nous pouvons supposer que ce mode A se traduit en un apprentissage efficace qui permet un accès plus égalitaire à l’autonomie. Identiquement, c’est un apprentissage dirigé qui permettra de libérer du temps de qualité pour poursuivre les différentes missions de l’école. 

En ce sens, la formation continuée des enseignants aurait tout intérêt à renforcer une forme d’enseignement guidé et efficace de qualité. À côté de cela, dans une approche complémentaire, elle doit également accompagner les enseignants pour le mode B. Il faut que les enseignants puissent soutenir les élèves dans l’exploration de leurs particularités, envies et qualité, dans leurs rencontres dans un cadre professionnel et leur récolte d’information en vue de définir des choix d’étude personnels. 





Mis à jour le 14/01/2023

Bibliographie


Gauthier, C., Bissonnette, S., & Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves. La gestion des apprentissages. Bruxelles : De Boeck. 

Tom Sherrington, « The Learning Rainforest », John Catt, 2017 (pp 142–143)

Tom Sherrington “Mode A + Mode B = Effective teaching and a rich enacted curriculum,” 2018, https://teacherhead.com/2018/04/22/mode-a-mode-b-effective-teaching-and-a-rich-enacted-curriculum/

Marie Bocquillon, Steve Bissonnette & Clermont Gauthier, Faut-il utiliser l’enseignement
explicite en tout temps ? Non… mais oui !, Apprendre et enseigner aujourd’hui, vol 8, n° 2, printemps 2019.

Tom Sherrington, Rosenshine’s principles in action, John Catt, 2019

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