mercredi 16 janvier 2019

L'utilisation de multiples exemples concrets : une stratégie d'enseignement efficace pour les concepts abstraits

Les idées abstraites peuvent être vagues et difficiles à saisir, à comprendre et à mémoriser. Les élèves sont plus à même de retenir des informations concrètes plutôt qu’abstraites.

(photographie : Gregory Crewdson)



Allier l’abstrait et le concret pour mieux apprendre


Il s’agit, lorsque nous étudions ou enseignons des concepts abstraits, de les illustrer d’exemples spécifiques afin qu’ils soient plus faciles à comprendre et à mémoriser.

L’élève étudie et retient l’exemple concret en parallèle avec le concept abstrait qu’il illustre. En se rappelant l’exemple concret par la suite, il récupère plus aisément le concept abstrait relié.

Les concepts abstraits sont difficiles à enseigner. Un certain nombre d’études indiquent la meilleure voie à suivre pour aider les élèves à comprendre ces concepts difficiles. Cette voie ne consiste pas à mettre l’accent sur l’abstrait ou sur le concret, mais plutôt à faire des allers-retours entre les exemples concrets et les principes abstraits, de préférence avec une grande variété d’exemples. 



L’accès à l’abstraction dans l’approche Direct Instruction


Comme l’écrit Kris Boulton (2019), Siegfried Engelmann et Douglas Carnine ont publié en 1982 le livre Theory of Instruction. Dans celui-ci, ils décrivent dans les moindres détails chaque facette de l’approche théorique liée à Direct Instruction.

Profondément influencé par le behaviorisme, avec Direct Instruction presque tout repose sur deux principes seulement :
  1. L’esprit humain possède la capacité de reconnaître un exemple particulier comme une instance d’un concept plus général et abstrait.
  2. L’esprit développe la généralisation abstraite après avoir été exposé à plus d’un exemple.

Par exemple, nous pouvons regarder un animal et comprendre qu’il s’agit d’un cas particulier du concept plus général et plus abstrait de chien.

Ensuite, après avoir vu suffisamment d’exemples de choses qui sont des chiens et de choses qui ne sont pas des chiens, notre esprit forme une généralisation abstraite à laquelle tous les futurs animaux seront comparés.

Le niveau de précision de la généralisation mentale va dépendre du degré de sophistication spécifique. Un faible niveau de sophistication peut permettre de distinguer le chien du chat, mais peut-être pas du loup, par exemple.




Le passage du concret à l’abstrait dans une perspective cognitive


Généralement, toutes les approches pédagogiques promeuvent l’idée qu’il est préférable de proposer d’abord quelque chose de concret ou de visuel aux élèves avant de passer à de nouvelles idées abstraites.

Un exemple classique est l’apprentissage du nombre quatre par un jeune enfant en trois étapes.
  1. L’enseignant commence par lui présenter quatre objets courants que l’enfant peut voir, identifier et dénombrer facilement.
  2. Il passe ensuite à une représentation schématique de quatre points.
  3. Il aboutit finalement au chiffre quatre.
Dans les grandes lignes, c’est de la même façon que nous allons aborder des notions plus complexes comme la dérivée ou le calcul intégral en mathématiques en fin de secondaire. La démarche fondamentale ne change pas.

Ces trois étapes peuvent prendre beaucoup de temps.

En travaillant de la sorte, nous allons optimiser les limites de la mémoire de travail. En effet, un élément connu, activé depuis la mémoire à long terme n’occupe pas de ressources dans la mémoire de travail.

En outre :
  • En passant par le concret, nous utilisons les biais de motivation liés aux connaissances primaires (comme le développe Geary)
  • Nous facilitons la connexion du nouveau concept à des connaissances préalables (comme le défend Ausubel)
  • Nous activons et développons des connaissances tacites (ce qui est particulièrement essentiel en sciences).




Le risque d’échec du passage du concret à l’abstrait


En tant qu’enseignant, fournir des exemples semble assez facile et c’est quelque chose que nous faisons assez naturellement lorsque nous enseignons.

Un problème potentiel est que les élèves peuvent très bien se souvenir de l’exemple par la suite, mais pas de l’idée abstraite dont il est une expression particulière et spécifique.

Deux raisons possibles :
  1. Les élèves peuvent mémoriser des détails de surface liés à l’exemple et ne pas se souvenir des liens vers le concept abstrait, qui était pourtant la cible de l’enseignant. Lorsqu’on leur fait la remarque, ils disent par exemple : « ah oui, c’était ça ! »
  2. Les élèves peuvent avoir compris l’exemple, mais pas les liens vers un concept abstrait dont la subtilité leur a échappé d’emblée et qui est source de confusion pour eux.



La difficile distinction entre les détails de surface et le sens profond


Le fait est que l’exemple concret est facile à retenir, mais que les liens vers le concept abstrait le sont moins :
  • Les détails de surface sont toujours plus faciles à retenir, car ils sont explicites et combinent un codage visuel et verbal (voir ici : théorie du double codage). 
  • Les éléments structurels de l’exemple qui soulignent le concept abstrait n’ont pas la même visibilité et l’élève peut les manquer. Ils ne bénéficient souvent que d’un codage verbal.

C’est une problématique que l’on retrouve couramment dans la résolution de problèmes en sciences ou en mathématiques par les élèves :
  • Les élèves focalisent leur attention sur des détails qui saturent inutilement leur mémoire de travail. 
  • Ils sont souvent incapables de distinguer les éléments saillants qui méritent un traitement plus en profondeur de ceux qui ne sont qu’anecdotiques ou contextuels.

L’explication de cette situation est simple :
  • Les élèves sont des novices, ils ne possèdent pas assez de connaissances en mémoire à long terme qui peuvent guider leur attention (focus attentionnel).
  • Ce problème ne se retrouve pas chez les enseignants qui, avec leur statut d’expert, peuvent beaucoup plus naturellement sélectionner les éléments pertinents dans l’énoncé d’un problème. Ils ont les schémas cognitifs qui leur permettent de discriminer les informations non pertinentes des informations pertinentes dans le cadre du problème ou de l’exemple. Ils peuvent alors procéder rapidement à un traitement significatif de l’information.

Nous pouvons en arriver à la situation paradoxale où un exemple concret qui devait devenir une aide pour retenir le concept abstrait sous-jacent devient quasiment un obstacle à la mémorisation ou au repérage de ce dernier.

L’élève n’est pas capable de traiter suffisamment l’exemple concret pour faire ou retrouver le lien. Il ne retient que les caractéristiques de surface de l’exemple concret.



La solution : de multiples exemples diversifiés


Fournir des exemples concrets peut aider les élèves à comprendre des idées abstraites. Lorsque les élèves ont peu de connaissances dans le domaine enseigné (ce qui est souvent le cas), alors l’enseignant court le risque que ceux-ci ne retiennent que les éléments de surface de l’exemple. La cible est qu’ils se souviennent et comprennent les idées abstraites elles-mêmes.

Le fait de se focaliser sur les éléments de surface rend très difficile, amoindrit la capacité de l’élève à remarquer ou à appliquer le concept abstrait dans un contexte de surface différent, malgré sa pertinence.

Une manière de contourner le problème est de fournir aux élèves de multiples exemples qui présentent des contextes différents, c’est-à-dire des détails de surface dissemblables.

Fournir de multiples exemples qui n’ont pas plus en commun que le lien avec le concept abstrait va rendre plus probable le fait que les élèves seront capables de distinguer au-delà des éléments de surface. Lorsque les élèves ont deux ou plusieurs exemples à comparer et à contraster, il leur est plus facile de choisir ce qui est similaire — les éléments structurels —, et donc important.

L’incapacité à donner des exemples multiples et à travers cela des explications plus claires peut égarer les élèves.

Mieux comprendre comment utiliser efficacement les exemples aide à appréhender certaines difficultés rencontrées par les élèves (confusion, incompréhension) et à les prévenir. Cela force également les enseignants à réfléchir attentivement aux principes, mécanismes, concepts, règles, et processus que l’on essaie d’enseigner.


Exemples :

1) Pour montrer la différence de sens entre les concepts de co-dominance et de dominance incomplète en génétique, il ne faut pas se contenter d’un seul exemple pour chacun. Il vaut mieux utiliser différents exemples de ces phénomènes, à la fois chez des animaux et des végétaux et pour des caractères à la fois visuels et physiologiques.

2) Pour illustrer les propriétés de la fonction sinusoïdale en mathématiques, nous pouvons utiliser par exemple des registres différents comme une onde sonore, une vague où le mouvement d’une grand-roue.




Le risque lié à une démonstration par des expériences


Cas de figure


Les exemples concrets n’améliorent pas toujours l’apprentissage. Dans certains cas, des exemples concrets comme des objets que nous demandons aux élèves de manipuler en mathématiques ou des expériences de laboratoire en sciences peuvent même rendre paradoxalement l’apprentissage moins accessible.

Cela peut avoir lieu lorsque la manipulation ou les contraintes expérimentales font qu’elles vont capturer la majorité de l’attention et n’en laisser que très peu pour l’objectif principal qui est de saisir les concepts abstraits. Alors même que ceux-ci sont censés être illustrés et mis en évidence de prime abord, ils se retrouvent hors contexte.

C’est là que nous retombons sur le paradoxe des approches pédagogiques qui favorisent la découverte et la mise en projet de l’élève dans des situations authentiques et concrètes. Celles-ci manquent régulièrement leur cible parce que les élèves n’ont pas les capacités d’accéder naturellement à la part d’abstrait si nous ne les guidons pas dans leur découverte.

Si nous voulons veut que ça marche, il faut de multiples expériences diverses et un guidage de l’enseignant qui mettent en évidence les similitudes et les concepts abstraits communs. 

Il est régulièrement suggéré de motiver les élèves par des exemples frappants, des situations qui sortent de l’ordinaire et stimulent leur intérêt. Le souci est que des exemples frappants peuvent réduire le transfert dans certains cas. Les élèves vont être tellement obnubilés par des caractéristiques spécifiques des exemples concrets qu’ils ne peuvent pas être en mesure de voir la connexion avec d’autres situations et donc le concept abstrait qui se cache derrière.



Implications


Cet aspect des exemples montre le manque d’intérêt pédagogique à démarrer un cours par une mise en situation pratique. De cette manière, nous pouvons faire sentir par l’action et la manipulation aux élèves les concepts qui seront développés par la suite.

De même, donner une présentation magistrale de courte durée, qui ressemble à un modelage express avec, peut-être avec quelques questions, après avoir laissé les élèves mariner sur une situation problème ne correspond pas au modèle d’enseignement efficace. Une telle démarche ne s’appuie pas sur des données probantes. Le principe de base est de ne pas laisser les élèves s’épuiser à comprendre par eux-mêmes.

Les exemples concrets gagnent en intérêt lorsqu’ils sont sélectionnés précisément pour illustrer les concepts abstraits au moment même de leur introduction, c’est-à-dire lors du modelage. Pour cela, ils doivent n’avoir en commun que les éléments de structure du concept abstrait et présenter des différences dans leurs éléments de surface.

Par contre, il devient judicieux de venir à des situations concrètes et authentiques, mais progressivement, lors de la mise en pratique (guidée puis autonome) des élèves. Il s’agit de les aider à développer les compétences que nous leur avons enseignées dans des domaines plus larges, en les aidant à discriminer. Ils doivent apprendre à focaliser peu à peu leur attention sur les éléments de structure plutôt que les détails de surface, ce qui permet un transfert, bien évidemment de situation proche en situation proche.




Recommandations liées à l’usage d’exemples concrets


1) Quand nous introduisons et expliquons un concept abstrait, il convient d’utiliser plus d’un exemple concret pour introduire l’idée. De préférence, ces exemples doivent être différents en matière d’éléments de surface et doivent avoir en commun les paramètres de structure correspondant au concept abstrait que l’on souhaite enseigner. Cela va aider les élèves à les discerner et à développer une compréhension générale du concept.

2) Il faut s’assurer que les élèves comprennent bien comment les exemples illustrent l’idée abstraite. Il s’agit de les aider à faire le lien et à isoler les éléments de surface de la structure profonde qui révèle le concept abstrait. Pour cela, il faut être explicite dans l’analyse de l’exemple et ne pas considérer que c’est d’emblée clair pour les élèves.

3) Il est pertinent de coupler à travers les exemples une dimension verbale et une dimension visuelle pour profiter également de l’effet du double codage.

4) Il faut aussi conseiller aux élèves de retenir des exemples pour faciliter la mémorisation de concepts abstraits. Des exemples qui les marquent, s’ils ont été bien introduits par l’enseignant, sont plus susceptibles de renforcer la mémorisation du concept abstrait qu’ils illustrent.



Mis à jour le 10/01/2023

Bibliographie


Yana Weinstein, Megan Sumeracki, Understand how we learn, David Fulton, 2019.

Althea Bauernschmidt, Two Examples Are Better Than One, 2017, www.learningscientists.org/blog/2017/5/30-1

Greg Ashman, Three things that are not explicit teaching, 2019, https://gregashman.wordpress.com/2019/04/10/three-things-that-are-not-explicit-teaching/

Kris Boulton, What was project follow through, 2019, in Explicit & Direct Instruction, John Catt

Willingham and Daniel, Teaching to What Students Have in Common, February 2012, Volume 69, Number 5, For Each to Excel Pages 16–21, Educational Leadership

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