L’objectif de la professionnalisation de l’enseignement rencontre des résistances et des difficultés de tout ordre dans sa concrétisation. Voici un état des lieux de cette question réalisé à travers une synthèse d’écrits de Maurice Tardif sur le sujet.
(Photographie : L. Patrick)
L’âge de la conception de l’enseignement en tant que profession est relativement récent. Même s’il s’enracine dans l’histoire des groupes professionnels au XXe siècle, ce n’est vraiment qu’à partir des années 1980 qu’il a été entamé.
Nous pouvons postuler que l’âge de la profession est encore en gestation, qu’il ne s’est pas encore traduit de manière manifeste et totale dans les faits et dans la vie courante. En outre, cette concrétisation ne se déroule pas dans le vide. Elle fait en concurrence face aux formes anciennes, que sont l’enseignement en tant que vocation ou en tant que métier, qui perdurent encore dans plusieurs pays et font écho au ressenti d’un nombre conséquent d’enseignants.
Cette persistance des notions de vocation et de métier peut pour une part non négligeable expliquer la faible importance accordée aux notions d’efficacité, d’expertise et de développement professionnel de qualité.
Un des grands objectifs du mouvement de professionnalisation est de rehausser le statut des enseignants dans l’opinion publique et dans la société. Il est de valoriser leur travail et leurs apports à la société dans la promotion de ses valeurs. Il est également d’accroître leur autonomie en rapport avec leurs responsabilités.
Idéalement, ce mouvement devrait s’accompagner de meilleures conditions de travail et d’une meilleure rémunération. Cela pourrait rapprocher l’enseignement des professions mieux établies, mais divers signes, les tendances et les indicateurs montrent qu’il ne s’agit pas de la direction prise.
Un autre phénomène qui bloque la professionnalisation est sans conteste l’évolution des systèmes scolaires à deux vitesses. Cela se traduit notamment par l’existence de réseaux séparés (privé et public), avec peu d’échanges et mis en concurrence. Localement, il existe des hiérarchies de niveau entre les écoles, avec d’un côté des établissements élitistes accueillant les meilleures franges d’élèves et de l’autre ceux accueillant un public qui rencontre plus de difficultés.
Cette évolution s’oppose clairement au processus de démocratisation scolaire mis en place dans les années 1950 partout dans le monde occidental, afin de créer une école plus égalitaire et inclusive.
Le principe à l’origine de la démocratisation scolaire va de soi. Tous les élèves doivent être considérés comme égaux devant l’école. Or, la réalité est plus amère. Certaines catégories d’élèves tendent à se concentrer dans les mêmes établissements. Ce sont les élèves de milieux socio-économiques défavorisés, ceux appartenant à des minorités ethniques ou de l’immigration, des quartiers populaires et ouvriers, des régions éloignées et rurales, les élèves en difficulté d’apprentissage ou de comportement. Cela a pour effet une concentration des difficultés, dès lors ces écoles se retrouvent par la force des choses à offrir des services éducatifs de moindre qualité.
Un système scolaire à deux vitesses entraîne forcément une fragmentation de la profession enseignante, voire sa division en deux catégories d’enseignants. Ceux œuvrant dans les zones difficiles et ceux travaillant dans les établissements de qualité supérieure.
Les acquis obtenus durant l’âge du métier (carrière, protection, stabilité d’emploi, retraite, etc.) sont parfois menacés. Ils tendent à être remplacés par une professionnalisation qui rime avec la compétition, l’imputabilité, le salaire au mérite, la précarité d’emploi et de statut. De fait, la professionnalisation semble se conjuguer aujourd’hui avec une prolétarisation d’une partie des enseignants. C’est pourquoi la transition entre l’âge du métier et l’âge de la profession suscite des résistances importantes chez les enseignants de la plupart des pays. Nous ne pouvons demander aux enseignants d’en faire plus si les moyens et les conditions de travail pour le permettre ne suivent pas.
L’égalité, qu’elle soit scolaire ou sociale, n’est pas un fait, mais une exigence qui doit être continuellement réaffirmée, défendue et réinventée.
L’uniformité (du traitement, des programmes, des règles, des agents, etc.) a représenté un certain temps une figure importante de l’égalité. Cette figure a peu à peu volé en morceaux avec la démocratisation scolaire, elle-même porteuse d’une hétérogénéité des populations scolaires, hétérogénéité fortement réfractaire à l’uniformité.
Un des principaux enjeux éducatifs actuels semble être de concilier une école qui se veut démocratique et inclusive, avec des traitements différenciés en fonction des publics d’élèves.
Tardif, Maurice « DE L’USAGE POLITIQUE DES DONNÉES SCIENTIFIQUES » (2017) http://plus.lapresse.ca/screens/a913a92c-9428-4b96-bc53-75bae0704f91%7C_0.html
L’absence de valorisation de la profession d’enseignant
Un des grands objectifs du mouvement de professionnalisation est de rehausser le statut des enseignants dans l’opinion publique et dans la société. Il est de valoriser leur travail et leurs apports à la société dans la promotion de ses valeurs. Il est également d’accroître leur autonomie en rapport avec leurs responsabilités.
Idéalement, ce mouvement devrait s’accompagner de meilleures conditions de travail et d’une meilleure rémunération. Cela pourrait rapprocher l’enseignement des professions mieux établies, mais divers signes, les tendances et les indicateurs montrent qu’il ne s’agit pas de la direction prise.
En réalité, l’enseignement représente pour l’essentiel un métier de classe moyenne et non pas une fonction apparentée aux professions libérales. Ce manque de reconnaissance peut lui-même expliquer ou refléter la faiblesse de certaines caractéristiques du professionnalisme des enseignants en rapport à d’autres domaines.
Nous observons également un affaiblissement du syndicalisme enseignant et donc du pouvoir de défense des enseignants. De nombreuses études témoignent régulièrement du malaise enseignant et de la souffrance des enseignants. Plus largement, elles mettent également en évidence les difficultés du travail et de la fonction.
Au sein de l’OCDE, toutes les études et recherches soulignent une tendance nette à l’alourdissement administratif, à la diversification et à la complexification du travail enseignant.
La professionnalisation de l’enseignement n’a, à ce jour, pas du tout apporté les résultats escomptés. Loin de voir leur statut rehaussé, les enseignants sont confrontés aujourd’hui à une détérioration de leurs conditions de travail et une hausse des exigences à leur égard.
Nous observons également un affaiblissement du syndicalisme enseignant et donc du pouvoir de défense des enseignants. De nombreuses études témoignent régulièrement du malaise enseignant et de la souffrance des enseignants. Plus largement, elles mettent également en évidence les difficultés du travail et de la fonction.
Au sein de l’OCDE, toutes les études et recherches soulignent une tendance nette à l’alourdissement administratif, à la diversification et à la complexification du travail enseignant.
La professionnalisation de l’enseignement n’a, à ce jour, pas du tout apporté les résultats escomptés. Loin de voir leur statut rehaussé, les enseignants sont confrontés aujourd’hui à une détérioration de leurs conditions de travail et une hausse des exigences à leur égard.
Comparé à l’âge du métier, l’âge de la profession semble tendre à vouloir placer le travail enseignant en régime d’insécurité et d’instabilité. Cela se traduit par certaines situations de pénurie et des changements de domaine de carrière d’enseignants qui partent vers d’autres horizons professionnels. Dans ce sens, la situation actuelle conserve certaines caractéristiques de l’âge de la vocation.
Aussi n’est-il pas étonnant de voir que la profession enseignante connaît un peu partout de graves problèmes d’attractivité, de pénurie et de rétention quand d’autres carrières professionnelles ont bien mieux à offrir.
La recherche met en lumière une tendance générale à l’intensification du travail des enseignants.
Cette intensification se caractérise par :
De plus, l’école dans son ensemble est vue comme un marché à conquérir par bon nombre d’entreprises. C’est le cas au niveau de l’équipement informatique, des logiciels, des manuels et supports numériques ou des formations à la validité scientifique souvent trop peu établie.
Nous en venons à nous poser certaines questions :
La mise en place de politiques de contrôle et d’exigence des résultats suggère l’existence d’une rupture du lien de confiance qui existait entre les enseignants et l’état lors de l’âge du métier.
De plus, les enseignants sont parfois présentés comme des travailleurs qui résistent au changement. Ils sont parfois caricaturés comme englués dans leurs routines et habitudes, reproduisant des archaïsmes.
Aussi n’est-il pas étonnant de voir que la profession enseignante connaît un peu partout de graves problèmes d’attractivité, de pénurie et de rétention quand d’autres carrières professionnelles ont bien mieux à offrir.
La question de l’autonomie des enseignants
La recherche met en lumière une tendance générale à l’intensification du travail des enseignants.
Cette intensification se caractérise par :
- L’injonction pour les enseignants d’en faire souvent plus, mais sans que les ressources suivent.
- Une diminution du temps passé avec les élèves au profit de tâches administratives.
- Une tendance à la diversification de leurs rôles. Les enseignants peuvent se retrouver à tour de rôle, enseignants, psychologues, policiers, coachs, mentors, parents, motivateurs, conseillers d’orientation, surveillants, etc.
- L’obligation du travail collectif et de la participation à la vie et au bon fonctionnement des établissements et aux conséquences d’une politique de plus en plus axée sur les résultats et leur amélioration.
- La gestion de plus en plus lourde de profils d’élèves en difficultés d’apprentissage ou comportementale, liée à l’inclusion scolaire, mais les aides suffisantes en matière d’accompagnement.
- Des exigences de plus en plus nombreuses des autorités politiques et publiques face aux enseignants. Ils sont censés se comporter comme les travailleurs industriels, c’est-à-dire agir comme une main-d’œuvre souple, performante et peu coûteuse. Ils ont des comptes à rendre à l’inspection, au niveau individuel ou au niveau collectif.
De plus, l’école dans son ensemble est vue comme un marché à conquérir par bon nombre d’entreprises. C’est le cas au niveau de l’équipement informatique, des logiciels, des manuels et supports numériques ou des formations à la validité scientifique souvent trop peu établie.
Nous en venons à nous poser certaines questions :
- À qui est-ce que les enseignants doivent-il légitimement rendre des comptes et en fonction de quels résultats ?
- Est-ce que les enseignants travaillent encore, comme c’était le cas à l’âge du métier, pour la société en fonction du bien commun ?
- Les enseignants se retrouvent-ils à travailler au contraire pour des secteurs, des groupes, des organisations, voire des individus qui cherchent à imposer, au sein même des pratiques pédagogiques, des intérêts privés ou idéologiquement orientés ?
La mise en place de politiques de contrôle et d’exigence des résultats suggère l’existence d’une rupture du lien de confiance qui existait entre les enseignants et l’état lors de l’âge du métier.
De plus, les enseignants sont parfois présentés comme des travailleurs qui résistent au changement. Ils sont parfois caricaturés comme englués dans leurs routines et habitudes, reproduisant des archaïsmes.
Dans cette vision, ils auraient des difficultés à s’adapter, progresser et adopter de nouveaux courants éducatifs. Ils montreraient des résistances à adhérer aux nouvelles tendances pédagogiques innovantes et à remettre en question leurs anciennes pratiques. Ils seraient peu performants, intouchables et dépositaires d’avantages indéniables (temps de travail supposément limité et longues vacances supposées) par une frange de la population.
Il y a une tendance à la culpabilisation des enseignants auxquels il est imputé fréquemment l’échec des réformes ou celui d’une part de leurs élèves. Si les élèves échouent, c’est que les enseignants ne seraient pas assez efficaces, assez performants, qu’ils ne soutiennent pas assez leurs élèves ou qu’ils n’utilisent pas assez les meilleures pratiques. En réalité, les causes sont plutôt à rechercher du côté du manque de ressources et de soutiens concrets alloués au développement du professionnalisme des enseignants.
Il y a une tendance à la culpabilisation des enseignants auxquels il est imputé fréquemment l’échec des réformes ou celui d’une part de leurs élèves. Si les élèves échouent, c’est que les enseignants ne seraient pas assez efficaces, assez performants, qu’ils ne soutiennent pas assez leurs élèves ou qu’ils n’utilisent pas assez les meilleures pratiques. En réalité, les causes sont plutôt à rechercher du côté du manque de ressources et de soutiens concrets alloués au développement du professionnalisme des enseignants.
Les inégalités du système scolaire
Cette évolution s’oppose clairement au processus de démocratisation scolaire mis en place dans les années 1950 partout dans le monde occidental, afin de créer une école plus égalitaire et inclusive.
Le principe à l’origine de la démocratisation scolaire va de soi. Tous les élèves doivent être considérés comme égaux devant l’école. Or, la réalité est plus amère. Certaines catégories d’élèves tendent à se concentrer dans les mêmes établissements. Ce sont les élèves de milieux socio-économiques défavorisés, ceux appartenant à des minorités ethniques ou de l’immigration, des quartiers populaires et ouvriers, des régions éloignées et rurales, les élèves en difficulté d’apprentissage ou de comportement. Cela a pour effet une concentration des difficultés, dès lors ces écoles se retrouvent par la force des choses à offrir des services éducatifs de moindre qualité.
Un système scolaire à deux vitesses entraîne forcément une fragmentation de la profession enseignante, voire sa division en deux catégories d’enseignants. Ceux œuvrant dans les zones difficiles et ceux travaillant dans les établissements de qualité supérieure.
Les acquis obtenus durant l’âge du métier (carrière, protection, stabilité d’emploi, retraite, etc.) sont parfois menacés. Ils tendent à être remplacés par une professionnalisation qui rime avec la compétition, l’imputabilité, le salaire au mérite, la précarité d’emploi et de statut. De fait, la professionnalisation semble se conjuguer aujourd’hui avec une prolétarisation d’une partie des enseignants. C’est pourquoi la transition entre l’âge du métier et l’âge de la profession suscite des résistances importantes chez les enseignants de la plupart des pays. Nous ne pouvons demander aux enseignants d’en faire plus si les moyens et les conditions de travail pour le permettre ne suivent pas.
L’égalité, qu’elle soit scolaire ou sociale, n’est pas un fait, mais une exigence qui doit être continuellement réaffirmée, défendue et réinventée.
L’uniformité (du traitement, des programmes, des règles, des agents, etc.) a représenté un certain temps une figure importante de l’égalité. Cette figure a peu à peu volé en morceaux avec la démocratisation scolaire, elle-même porteuse d’une hétérogénéité des populations scolaires, hétérogénéité fortement réfractaire à l’uniformité.
Un des principaux enjeux éducatifs actuels semble être de concilier une école qui se veut démocratique et inclusive, avec des traitements différenciés en fonction des publics d’élèves.
Mis à jour le 11/01/22
Bibliographie
Tardif, M. (2013). « Où s’en va la professionnalisation de l’enseignement ? ». Tréma, Revue internationale en sciences de l’éducation et didactique, Université de Montpellier, n° 40, décembre 2013, p. 43-60.
Tardif, Maurice « DE L’USAGE POLITIQUE DES DONNÉES SCIENTIFIQUES » (2017) http://plus.lapresse.ca/screens/a913a92c-9428-4b96-bc53-75bae0704f91%7C_0.html
Jarraud, François. Maurice Tardif : Résister à l’école à deux vitesses (2017) http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/11/1211MauriceTardif.aspx
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