(Photographie : Joakim Eneroth)
Pour une mise à jour de ce premier paragraphe, j’intègre ci-dessous le commentaire très éclairant d’un lecteur posté sous l’article :
Pour info, l’article 8 (et 6) du Décret Missions ont été totalement revus !Désormais et dès le premier sept 2020 : Article 1.4.1-2 « Les savoirs, les savoir-faire et les compétences sont placés dans la perspective de ces missions prioritaires. Ils assurent l’acquisition de connaissances constitutives d’une culture commune, de clés de compréhension et d’actions sur le monde, d’aptitudes et de savoir-être citoyens ».Le commentaire des articles éclaire sur la volonté du législateur :Cette disposition reprend l’article 8 du décret « missions », tout en y apportant plusieurs changements.Son premier alinéa stipule que les savoirs, les savoir-faire, au même titre que les compétences, sont placés « dans la perspective de ces missions prioritaires » et non plus dans la perspective unique de l’acquisition de compétences. Conformément aux préconisations du Pacte pour un Enseignement d’excellence, l’articulation entre savoirs et compétences doit permettre de revaloriser globalement la place des savoirs disciplinaires et culturels fondamentaux. Cette revalorisation se justifie par le caractère émancipateur intrinsèque des savoirs, fondateurs d’une culture citoyenne partagée et socles de l’exercice d’un esprit critique. Les savoirs ne se réduisent pas au seul statut de « ressources » au service de l’acquisition de compétences. Il s’agit en particulier de veiller à ce que l’évaluation des connaissances disciplinaires en tant que telles soit possible, voire encouragée, dans toutes les disciplines, par-delà l’évaluation des seuls savoirs procéduraux ou métacognitifs. Dans cette perspective, les savoirs à acquérir ne le sont pas uniquement dans la perspective de la résolution de situations problèmes ou de l’exercice d’une compétence. Il s’agit d’un objet de connaissance en tant que tel dont la maîtrise est évaluable.
Il suffit d’un bref coup d’œil sur la page Wikipédia consacrée à la pédagogie. Son histoire particulièrement dans le dernier siècle qui voit l’avènement d’une scolarisation de masse n’est pas un long fleuve tranquille. Rien ne semble la cristalliser plus actuellement que la dissension entre deux approches. D’un côté, nous avons une approche pour laquelle prime la découverte, l’émancipation ou la coopération, défendue par les champs du constructivisme et de l’Éducation nouvelle. De l’autre, nous avons l’approche instructionniste ou cognitiviste défendue par l’enseignement explicite ou les sciences cognitives. Celle-ci dure depuis plus de cinquante ans et sans doute depuis bien plus longtemps encore. Probablement depuis « Émile ou De l’éducation » de Jean-Jacques Rousseau en 1762.
Depuis longtemps, le constructivisme est le courant dominant dans les pays francophones et a complètement marqué ma propre formation d’enseignant au tournant des années 2000. J’ai été littéralement endoctriné dans la mouvance socioconstructiviste avant de ressentir pleinement le décalage en découvrant la réalité du terrain. Mon parcours d’enseignant en classe m’a rapidement fait prendre conscience de la difficulté de telle approche. Bien que belles sur le papier, elles se révèlent difficilement réalisables en classe, du moins si l’intention est de permettre à la majorité des élèves de rencontrer les conditions d’un apprentissage efficace.
Il faut bien appeler cette expérience, un choc de réalité. Elle amène à se déplacer dans la pratique vers des approches plus traditionnelles. En outre, certaines lectures m’ont rapidement fait douter pleinement du bien-fondé de ma formation initiale. Elle reposait sur du sable avec une dimension à la fois romantique et idéalisée, mais culpabilisante par son inadéquation au terrain. Une troisième voie s’est ouverte à moi, celle d’une éducation informée par la recherche.
J’ai donc entamé peu à peu de façon de plus en plus convaincue une transition vers l’enseignement explicite. Parmi ces lectures et découvertes qui ont jalonné ce chemin, l’une d’entre elles a été un tournant. C’est le « Why minimal guidance during instruction does not work: An analysis of the failure of constructivist, discovery, problem-based, experiential, and inquiry-based teaching » de Kirschner, Sweller et Clark (en 2006). Sa lecture a d’emblée amorcé un profond changement de perspective et remisé bon nombre d’ouvrage de référence datant de ma formation initiale directement aux oubliettes.
Par conséquent, j’ai eu envie, à travers ce blog, de revenir sur ce texte et sur les portes qu’il m’a ouvertes pour revisiter et mettre en perspective son argumentation brillante et sans concessions.
Une premier pas important est de distinguer clairement ce que nous entendons par d’un côté l’approche par découverte et de le l’autre par l’enseignement explicite.
Distinguer approche par découverte et enseignement explicite
Caractéristiques de l’approche par découverte
L’approche par découverte existe sous différentes formes qui conjuguent la notion de pédagogie active avec une approche minimalement guidée. Ce sont entre autres :
- L’apprentissage basé sur la résolution de problèmes
- L’apprentissage par l’enquête
- L’apprentissage par situation problème
- L’apprentissage par la découverte pure
- L’apprentissage par l’expérience
- La pédagogie de projet
- La pédagogie constructiviste.
- Etc.
Par défaut l'approche par découverte est. considérée comme découverte pure pour la distinguée de la découverte guidée qui s'intègre à un enseignement explicite.
Voici quelques caractéristiques communes à ces approches :
- L’orientation pédagogique propose et intègre des stratégies d’apprentissage comme le conflit cognitif ou la mise en projet de recherche dans le cadre de l’enseignement. Ces stratégies activent et mobilisent les processus naturels par lesquels les apprenants tirent parti à la fois de leurs expériences antérieures et de leurs propres styles d’apprentissage. Le but est pour les apprenants de se construire de nouvelles connaissances qui leur permettront d’atteindre leurs objectifs.
- Les enseignants mettent les apprenants au défi de résoudre des problèmes ou des tâches complexes authentiques. Les élèves sont appelées à acquérir, essentiellement par leur initiative, des connaissances complexes dans des contextes riches en informations, sous forme de situations d’apprentissage appelées aussi situations problèmes.
- Le meilleur moyen d’acquérir des connaissances est l’expérience fondée sur les procédures de la discipline. Ces approches considèrent le contenu pédagogique de l’expérience d’apprentissage comme identique aux méthodes et processus ou à l’épistémologie de la discipline étudiée. Par exemple pour l’apprentissage en sciences, nous allons privilégier la démarche scientifique. Pour l’apprentissage en langues modernes étrangères, nous allons privilégier la conversation et la lecture de textes dans la langue cible en évitant tout usage de la langue d’origine.
- Les apprenants découvrent ou déduisent l’information essentielle par eux-mêmes.
- L’apprentissage est plus efficace dans un environnement non guidé ou peu guidé.
- Les apprenants construisent leurs propres apprentissages.
- De grandes quantités de guidage sont susceptibles de produire de bonnes performances pendant la pratique. Cependant, ce trop-plein de guidage peut nuire à la performance ultérieure en ne générant que des connaissances superficielles et déconnectées, et en ne contribuant pas au développement des compétences générales qui sont le vrai enjeu de l’éducation.
- L’enseignant fournit de l’étayage de manière à maintenir l’élève dans sa zone proximale de développement (ZPD).
Caractéristiques de l’enseignement explicite
L’enseignement explicite est apparu dans le sillage de recherches effectuées aux États-Unis sur l’enseignement efficace :
- Les apprenants novices doivent recevoir un guidage pédagogique direct qui fournit des informations qui expliquent pleinement les concepts et les procédures requises par une discipline particulière.
- Les apprenants ne doivent pas être laissés à eux-mêmes pour découvrir ces procédures et concepts.
- L’enseignement explicite s’accompagne de stratégies d’apprentissage compatibles avec l’architecture cognitive humaine.
- L’apprentissage est défini comme un changement dans la mémoire à long terme.
- L’enseignant guide les élèves, étape par étape, en stimulant l’apprentissage des élèves.
- Les problèmes et les projets en petits groupes ou en autonomie peuvent être efficaces, non pas comme moyen de faire des découvertes, mais comme un moyen de mettre en pratique le contenu et les compétences récemment acquises.
Erreurs d'interprétation et de conception de la pédagogie constructiviste
Trois errances de la pédagogie constructiviste
Une première errance de l’approche constructiviste ou liée à l’Éducation nouvelle est de négliger la dimension cognitive de l’apprentissage. Plus particulièrement, elle laisse de côté la pertinence des principes mis en avant par la science de l’apprentissage et la théorie de la charge cognitive :
- Quand nous nous intéressons aux principes fondamentaux de la cognition, il apparait bien vite qu’un enseignement minimalement guidé, tel que prôné, est susceptible d’être inefficace. Il sera beaucoup moins efficace et efficient qu’un enseignement fournissant un guidage conçu spécifiquement pour soutenir le traitement cognitif nécessaire à l’apprentissage, tout en tenant compte des limites de l’architecture de notre mémoire.
- Toute procédure d’enseignement qui ignore les structures qui constituent l’architecture cognitive humaine n’est pas susceptible d’être efficace. Un enseignement proposant un guidage minimum semble se dérouler sans référence aux caractéristiques fondamentales de la mémoire de travail, de la mémoire à long terme ou des relations complexes qui se jouent entre elles.
Une deuxième errance de l’approche constructiviste ou liée à l’Éducation nouvelle est de négliger tout ce que révèle la recherche sur l’établissement et les caractéristiques de l’expertise :
- La pédagogie constructiviste part du postulat que toutes les personnes, novices comme experts, apprennent mieux lorsqu’elles reçoivent un enseignement qui contient des contenus partiellement ou non guidés.
- Cela va à l’encontre de ce que la recherche sur l’expertise a montré. En effet, les environnements d’apprentissage idéaux pour les experts et les novices diffèrent radicalement :
- Les experts prospèrent souvent sans beaucoup de conseils dans leurs domaines de prédilection, ils n’ont pas besoin de guidage et se lancent efficacement dans la résolution de problèmes appartenant à leur domaine.
- Presque tous les autres apprenants, plus particulièrement les novices prospèrent dans leurs apprentissages que lorsqu’ils reçoivent des conseils pédagogiques complets, explicites et sont instruits de manière segmentée ou séquentielle.
- Par conséquent, pour les novices (catégorie à laquelle appartiennent quasiment tous nos élèves pour nos matières), l’enseignement direct et explicite est plus efficace et plus efficient qu’une approche non guidée. Lorsqu’ils enseignent de nouveaux contenus et visent le développement de compétences chez des novices, les enseignants sont plus efficaces quand ils fournissent une orientation explicite accompagnée de pratique et de rétroaction. À l’opposé s’ils demandaient aux élèves de découvrir plusieurs aspects de ce qu’ils doivent apprendre, les résultats d’apprentissage obtenus avec un enseignement explicite ne seraient pas au rendez-vous.
Une troisième errance de l’approche constructiviste ou liée à l’Éducation nouvelle est de négliger tout ce qui concerne l’apprentissage de la résolution de problèmes :
- Imaginons un cours de mathématiques dans lequel un enseignant veut apprendre à ses élèves comment résoudre un nouveau type de problème. L’enseignant peut commencer par montrer aux élèves comment résoudre le problème à partir de problèmes résolus (tel que le défend la théorie de la charge cognitive avec de larges données probantes à l’appui).
- Il leur explique en détail le pourquoi et le comment des mathématiques impliqués. Autrement dit, il procède à un modelage .
- Durant les problèmes suivants, dans le cadre d’une pratique guidée ou autonome, les explications étape par étape peuvent être graduellement effacées ou retirées.
- Grâce à la pratique, guidée puis autonome, à la vérification et à la rétroaction qui les accompagnent, les élèves apprennent à résoudre cette gamme de problèmes de manière indépendante et en développent la maîtrise.
- Avant d’essayer de résoudre un problème par eux-mêmes, les élèves auront déjà été initiés à la fois à la procédure et aux concepts qui permettent la résolution. Ils auront acquis les stratégies et connaissances nécessaires.
- En revanche, les enseignants dont les leçons sont conçues pour offrir une orientation pédagogique partielle ou minimale n’ont pas les mêmes attentes. Ils comptent sur le fait que leurs élèves découvrent par eux-mêmes ou au sein de groupes coopératifs, le tout ou une partie des concepts et des compétences qu’ils sont censés apprendre.
- Ensuite, il peut y avoir une discussion en classe sur les solutions des différents groupes, et il peut s’écouler un certain temps avant que l’enseignant indique quelle solution est correcte.
- En essayant de résoudre le problème et en discutant des solutions des différents élèves, chaque élève est censé découvrir les mathématiques pertinentes.
- Dans certaines approches plus modérées, les enseignants utilisent l’enseignement explicite de la solution comme méthode de secours pour les élèves qui n’ont pas fait les découvertes nécessaires et qui ont été confus pendant la discussion en classe.
- Ces démarches sont susceptibles d’avoir un effet négatif sur la motivation des élèves et beaucoup de temps est perdu inutilement.
La source de ces errances vient de deux négligences de taille assumées par la pédagogie constructiviste ou l’Éducation nouvelle :
- Le refus de la validité d’une recherche empirique comparant l’efficacité de différentes approches pédagogiques.
- Les apports de la recherche en sciences cognitives sur la manière dont les individus apprennent
Dans une étude très importante menée par Klahr (2004), les chercheurs ont vérifié que des élèves apprennent beaucoup plus par un enseignement explicite en sciences. En outre, les rares élèves talentueux qui apprenaient avec succès avec un enseignement peu guidé n’ont montré aucun signe d’une qualité d’apprentissage ou d’un transfert supérieur.
De manière assez paradoxale, lorsqu’un courant constructiviste commence à prendre en compte les apports des sciences cognitives et se teinte de cognitivisme, il tend vers le modèle de l’enseignement explicite. Nous citerons par exemple le Gradual release of responsibility (1983), le Cognitive Apprenticeship (1989) ou plus généralement la découverte guidée largement explorée dans ce blog. (voir article)
Cinq sources d’inefficacité de l’approche constructiviste
Premièrement, seuls les élèves les plus brillants et les mieux préparés sont à même de profiter pleinement d’une pédagogie peu guidée telle que la promeut le constructivisme.
- Soit :
- Ils se désengagent et font autre chose.
- Ils tentent d’imiter ce que font les élèves les plus brillants.
- Dans les deux cas, ils restent en décalage avec les apprentissages escomptés. Ces derniers leur échappent. Un temps précieux est perdu.
- Un point de matière peut être enseigné directement lors d’un modelage et d’une pratique guidée de 20 minutes. Il peut être suivi de 20 minutes de pratique autonome, indépendante ou coopérative, avec une rétroaction formative de la part d’un enseignant.
- Le même point de matière est susceptible de prendre plusieurs périodes de cours, par le biais de projets guidés de façon minimale, de situations problèmes ou à travers la résolution de problèmes. De nombreux faux départs ont lieu, dans lesquels les élèves poursuivent de mauvaises hypothèses mal guidées.
- D’un côté, l’élève tente de résoudre une tâche qui lui est confiée à l’aide de la stratégie moyens et fins [qui est déjà moins performante que l’étude de problèmes résolus].
- D’un autre, il apprend ou déduit de ses observations une règle ou un principe qui est le résultat d’apprentissage escompté.
- Nous lui demandons par conséquent de résoudre un problème et d’apprendre un concept ou une règle en même temps. La deuxième tâche est d’autant plus difficile et improbable que la première est plus difficile et va monopoliser ses ressources cognitives.
Un attrait de la pédagogie constructiviste source d'écarts de performance
Un accroissement des écarts en pédagogie constructiviste
L’enseignement explicite tend à réduire les écarts dus aux contextes socio-économiques des élèves. Par contre l’enseignement guidé de façon minimale et très susceptible d’accroître l’écart de rendement d’apprentissage entre élèves.
Clark et ses collègues (2012) rapportent qu’un examen d’environ 70 études, portant sur une variété d’élèves plus ou moins qualifiés ainsi que sur un éventail d’enseignement plus ou moins guidé, a révélé ce qui suit :
- Les élèves les plus talentueux ont tendance à apprendre davantage avec un enseignement moins guidé, mais les élèves qui rencontrent le plus de difficultés ont tendance à apprendre davantage avec un enseignement plus guidé.
- Les élèves qui rencontrent le plus de difficultés qui ont choisi ou ont été assignés à un enseignement moins bien guidé ont obtenu des résultats beaucoup plus faibles aux post-tests qu’aux prétests. Pour ces élèves relativement faibles, l’incapacité de fournir un soutien pédagogique solide a entraîné une perte d’apprentissage mesurable. Littéralement, ils ont régressé.
Une préférence naturelle des élèves régulièrement trompeuse
Nous pouvons faire l’expérience de demander à des élèves de choisir entre une version plus ou moins guidée d’un même cours. En général, les élèves qui ont moins de facilité et de connaissances dans le domaine privilégient l’approche moins guidée ont tendance à l’apprécier même s’ils en retirent un apprentissage moindre.
L’enseignement guidé aide les élèves moins doués en leur délivrant des stratégies d’apprentissage spécifiques et appropriées aux tâches données. Cependant, ces stratégies exigent des élèves qu’ils s’engagent dans des efforts explicites et axés sur l’attention. Ils ont donc tendance à ne pas les apprécier parce qu’ils représentent des difficultés pour eux, même si elles sont désirables, car utiles à leurs apprentissages.
De même, les élèves les plus doués qui choisissent la version la plus guidée d’un cours ont tendance à l’apprécier même s’ils peuvent avoir aussi choisi l’environnement dans lequel ils apprennent moins.
Il y a une raison pour laquelle plus d’orientation tend à être moins efficace avec ce profil d’élèves. Parfois, ils ont déjà acquis des stratégies d’apprentissage spécifiques et ont déjà une bonne base de connaissances préalables dans le domaine concerné. L’usage direct de ces connaissances et stratégies est possible, voire recommandé pour eux, mais elles restent pertinentes lorsqu’elles sont intégrées dans la version plus guidée du cours. Il existe juste le risque pour ces élèves d’un effet d’inversion de l’expertise dans le cadre de la théorie de la charge cognitive si le cours ne va pas assez vite pour eux. Toutefois, certaines données suggèrent qu’ils restent susceptibles d’aimer plus de guidage parce qu’ils croient qu’ils obtiendront l’apprentissage requis avec un minimum d’effort. Le confort et la certitude de la maîtrise peuvent l’emporter sur les défis et la prise de risque qui les accompagnent dans le cadre d’une pédagogie de la découverte.
Une confusion entre théorie de l’apprentissage et pratique pédagogique
Comme le rapporte Richard E. Mayer (2004), de nombreux enseignants et pédagogues adeptes d’une pédagogie constructiviste s’engagent dans une confusion fondamentale. Ils assimilent le constructivisme, qui est une théorie de la façon dont nous apprenons et voyons le monde, avec une prescription sur la façon d’enseigner.
Dans le domaine des sciences cognitives, le constructivisme est une théorie de l’apprentissage largement acceptée. Cette théorie affirme que les élèves doivent construire des représentations mentales du monde en participant à un traitement cognitif actif.
Les élèves construisent des schémas cognitifs avec lesquels le nouvel apprentissage doit interagir, soit pour s’intégrer à un schéma actuel, soit pour le changer. Cet apprentissage a lieu, que les élèves apprennent s’ils découvrent par eux-mêmes ou reçoivent une instruction de l’enseignant.
Le constructivisme s’intéresse à la manière dont nous interprétons et percevons le monde qui nous entoure. Cela signifie que chacun interprète le monde différemment. C’est un fait, mais ce n’est pas une théorie de l’apprentissage et encore moins de l’enseignement.
Malheureusement, cette hypothèse est à la fois répandue et erronée pour deux raisons immédiates :
- L’activité cognitive est susceptible de se produire avec ou sans activité comportementale.
- L’activité comportementale ne garantit en aucune façon une activité cognitive pertinente pour l’apprentissage.
Des visées et des sensibilités différentes
Comme l’écrit Greg Ashman (2020), dans l’enseignement, il y a deux concepts à distinguer :
- L’ensemble des connaissances et des compétences que nous souhaitons enseigner à nos élèves.
- Le fait d’enseigner qui peut être plus ou moins guidé par l’enseignant.
Ces deux notions sont en théorie séparables, pratiquement elles sont imbriquées et s’entrecroisent. Nous pouvons imaginer une combinaison des deux. Un enseignement guidé ou une approche de la découverte peuvent privilégier des connaissances spécifiques ou des compétences générales. De ce fait, nous pouvons imaginer que différentes formes de pédagogie peuvent mener à la même finalité.
L’enseignement des sciences tend parfois à privilégier la découverte et la mise en situation des élèves, pour aboutir à un corpus de connaissances spécifiques. À l’opposé, l’enseignement explicite des stratégies de compréhension de la lecture est une approche guidée de l’acquisition de compétences générales.
Toutefois, il est établi que l’enseignement explicite est particulièrement efficace pour transmettre des connaissances d’une personne (un enseignant) à une autre (un élève ou un groupe d’élèves).
Ce constat cache deux tendances :
- Certains enseignants veulent que leurs élèves acquièrent un ensemble spécifique de connaissances. Ils ont tendance à être attirés ou séduits une approche d’enseignement explicite. Il est difficile de s’accrocher à l’idée de transmettre un ensemble spécifique de connaissances tout en s’engageant à suivre les contours des différents intérêts des enfants et des expériences qui peuvent être conçues pour les poursuivre.
- D’autres enseignants rejettent un enseignement trop direct, souvent qualifié de béhavioriste, vont privilégier des approches qui mettent en avant l’expérience sensible de l’élève. De plus, ils vont avoir tendance à soutenir que la transmission d’un ensemble de connaissances n’est pas le but ultime de l’éducation, qui est plutôt d’émanciper. De fait, ils vont avoir tendance à privilégier des compétences générales telles que la pensée critique, et favoriser la coopération.
[mise à jour le 14/12/21]
Bibliographie
Kirschner, P. A., Sweller, J., & Clark, R. E. [2006]. Why minimal guidance during instruction does not work: An analysis of the failure of constructivist, discovery, problem—based, experiential, and inquiry-based teaching. Educational psychologist, 41 [2], 75–86.
Clark, Richard & Kirschner, Paul & Sweller, J. [2012]. Putting students on the path to learning: The case for fully guided instruction. American Educator. 36. 6–11.
Klahr, D. and Nigam, M. [2004] “The equivalence of learning paths in early science instruction: effects of direct instruction and discovery learning,” Psychological Science 15 [10] pp. 661–667.
Greg Ashman, p. 22 Ouroboros [2016]
Paul A. Kirschner, Luce Claessens & Steven Raaijmakers, Op de schouders van reuzen, 2018, p 24-27
Mayer, R. (2004). Should there be a three—strikes rule against pure discovery learning? The case for guided methods of instruction. American Psychologist, 59(1), 14–19.
Greg Ashman, The Power of Explicit Teaching and Direct Instruction, 2020
Pour info, l'article 8 (et 6) du Décret Missions ont été totalement revus !
RépondreSupprimerDésormais et dès le premier sept 2020 : Article 1.4.1-2 "Les savoirs, les savoir-faire et les compétences sont placés dans la perspective de ces missions prioritaires. Ils assurent l’acquisition de connaissances constitutives d’une culture commune, de clés de compréhension et d’actions sur le monde, d’aptitudes et de savoir-être citoyens.
Le commentaire des articles éclaire sur la volonté du législateur :
Cette disposition reprend l’article 8 du décret « missions », tout en y apportant plusieurs changements.
Son premier alinéa stipule que les savoirs, les savoirfaire, au même titre que les compétences, sont placés « dans la perspective de ces missions prioritaires » et non plus dans la perspective unique de l’acquisition de compétences. Conformément aux préconisations du Pacte pour un Enseignement d’excellence, l’articulation entre savoirs et compétences doit permettre de revaloriser globalement la place des savoirs disciplinaires et culturels fondamentaux. Cette revalorisation se justifie par le caractère émancipateur intrinsèque des savoirs, fondateurs d’une culture citoyenne partagée et socles de l’exercice d’un esprit critique. Les savoirs ne se réduisent pas au seul statut de « ressources » au service de l’acquisition de compétences. Il s’agit en particulier de veiller à ce que l’évaluation des connaissances disciplinaires en tant que telles soit possible, voire encouragée, dans toutes les disciplines, par-delà l’évaluation des seuls savoirs procéduraux ou métacognitifs. Dans cette perspective, les savoirs à acquérir ne le sont pas uniquement dans la perspective de la résolution de situations problèmes ou de l’exercice d’une compétence. Il s’agit d’un objet de connaissance en tant que tel dont la maitrise est évaluable.
Bonjour. Votre analyse est très intéressante, mais elle fait l'impasse sur toute la recherche en didactique francophone sur le sujet (les situations adidactiques de Brousseau par exemple). D'autre part je pense que "enseignement explicite" et "enseignement direct" (au sens anglosaxon) ce n'est pas tout à fait la même chose. L'enseignement explicite pour moi renvoie au travaux de Bautier, Goigoux... et pour résumer revient à lever les implicites dans les intentions d'apprentissages pour favoriser la métacognition des élèves. L'enseignement direct c'est plutôt "je vous montre comment faire et vous reproduisez ce que je fais" autrement dit, c'est plutôt magistral comme enseignement. Pour moi enseignement explicite et démarche d'investigation ne s'opposent pas: il faut être explicite sur les objectifs d'apprentissage dans une démarche d'investigation, c'est essentiel. D'autre part, il faut aussi un étayage: on ne laisse pas les élèves travailler tous seuls sans intervenir. Il y a un temps commun de synthèse et d'institutionnalisation des apprentissages. Enfin, si on ne fait jamais de démarche d'investigation, cela veut dire qu'on se contente de faire des exercices techniques, répétitifs, mécaniques sans jamais proposer aux élèves de situations ouvertes avec prises d'initiative, et donc on ne pourrait jamais développer leurs compétences (on en resterait au savoir-faire). Mais bien entendu, il ne faut pas faire des apprentissages par découverte en permanence! Les deux approches (directe et par découverte) se complètent en réalité.
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