mercredi 25 avril 2018

Effets néfastes et ancrage des croyances liées aux styles d’apprentissage

Adapter l’enseignement au style de l’élève l’aide-t-il vraiment ? La recherche en psychologie cognitive dit le contraire, pourtant de nombreux enseignants continuent d’y croire. 

Pourquoi les croyances liées aux styles d’apprentissage se maintiennent-elles dès lors chez de nombreux enseignants ? Quelles peuvent être les conséquences néfastes à l’adoption et à la mise en pratique des styles d’apprentissage en classe ?


(Photographie : Ahndraya Parlato)



La naïveté d’adapter l’enseignement aux styles d'apprentissage


« L’apprentissage pourrait être amélioré en faisant correspondre le mode d’enseignement au style d’apprentissage préféré de l’élève. »

« Si vous êtes visuel, vous devriez apprendre mieux avec une présentation visuelle de l’information qu’avec une présentation auditive. Si vous êtes auditif, vous devriez apprendre mieux avec du matériel auditif qu’avec du matériel visuel. »

Comme le rapporte Daniel Willingham (2018), les recherches qui ont testé ces prédictions ont échoué. De tels principes ne reposent pas sur un raisonnement valide. Il n’y a pas de preuve que changer le mode de présentation pour qu’il corresponde à leur style d’apprentissage peut aider les élèves à apprendre. Par conséquent, les ressources accordées à ce genre de démarches pourraient être mieux investies au bénéfice de l’élève.



L’ancrage des styles d’apprentissage


Nous pouvons nous demander pourquoi la croyance dans les styles d’apprentissage se maintient et persiste chez de nombreux enseignants. La raison est que l’ancrage de conceptions erronées est toujours complexe à faire évoluer, chez les élèves comme chez les enseignants.

Pour comprendre la force de cet ancrage et la difficulté de le traiter simplement, il faut bien comprendre sa nature et ses spécificités.

Nous allons donc méthodiquement analyser la question.



La confusion entre capacité et style


Là où la situation se corse, est lorsque ce premier constat commun s’additionne à une confusion entre la supposition de l’existence différents styles d’apprentissage et la variabilité naturelle des capacités intrinsèques des élèves :
  • Les capacités intellectuelles humaines varient d’un individu à l’autre, de sorte que certaines personnes présenteront de manière naturelle plus de capacités que d’autres dans des contextes d’apprentissage typiques comme ceux présents à l’école. 
  • Les théories des styles d’apprentissage posent comme prédiction que si nous favorisons le mode de traitement préféré d’un élève, cela conduira à une amélioration de l’apprentissage.
  • La faille de cette hypothèse est que les capacités intellectuelles sont indépendantes et non équivalentes en matière d’apprentissage. Par conséquent, nous ne pouvons pas utiliser notre mémoire visuelle éventuellement plus développée, pour compenser une mémoire verbale éventuellement plus faible afin par exemple d’étudier une définition. La même perspective peut être inversée lorsqu’il faut qu’un élève retienne un schéma de neurone par exemple. 
  • Les capacités ont un effet sur l’apprentissage et les apprentissages nécessitent de mobiliser des capacités spécifiques et non des styles d’apprentissage. Nous avons besoin de nos différentes capacités en fonction du contexte d’apprentissage et elles ne peuvent se substituer les unes aux autres.



Le sophisme de la différence


Une première partie des affirmations avancées dans le cadre des théories liées aux styles d’apprentissage est tout simplement vraie. Les élèves diffèrent les uns des autres et personne ne le conteste. Ces théories s’appuient par conséquent sur un bon sens que nous ne saurions contester. 
Une confusion est entretenue entre l’acceptation de l’existence des styles d’apprentissage et la reconnaissance de la valeur des apprenants au-delà de leurs différences :
  • Refuser l’existence des styles d’apprentissage pourrait être assimilé à un refus de reconnaître les différences entre élèves et leurs implications. 
  • C’est un fait que certains élèves apprennent plus lentement ou que d’autres consacrent moins d’efforts au travail scolaire. En réalité, nous pouvons y répondre plus aisément et plus efficacement en enseignant à leur rythme et en prenant soin de leur motivation plutôt qu’en tenant compte de leur style préféré d’apprentissage. 
  • Ce mode de raisonnement correspond à un sophisme dit Motte-and-bailey.



Le statut de savoir commun et de conception naïve


La théorie des styles d’apprentissage a réussi à devenir un savoir commun. Cela s’accompagne d’un phénomène cognitif appelé le biais de confirmation. Lorsque nous évaluons nos propres croyances, nous avons tendance à rechercher des informations qui les confirment et à ignorer les informations contraires, même lorsque nous les rencontrons de façon répétée. 
Il semble également que l’idée de découvrir quel type d’apprenant on est, à un attrait éternel et profond. Nous avons l’impression d’en apprendre un peu plus sur soi-même avec la promesse de s’améliorer. Or cette détermination est biaisée, subjective, arbitraire et ne tient pas en compte de la diversité des phénotypes.



La solution miracle


Il est attrayant de penser que toutes les personnes ont le potentiel d’apprendre efficacement et facilement si l’enseignement est adapté à leur style d’apprentissage individuel : 
  • Les adultes sont préoccupés par le fait qu’eux-mêmes et leurs enfants soient perçus et traités par les éducateurs comme des individus uniques. 
  • Si un individu ou son enfant ne réussit pas ou n’excelle pas à l’école comme espéré, il y a une recherche d’attribution. Il peut être plus confortable pour la personne de penser que le système éducatif, et non la personne ou l’enfant lui-même, est responsable. 
  • Il n’est pas facile d’attribuer son manque de réussite à un manque d’aptitudes ou d’efforts personnels. Il peut être plus attrayant de penser que la faute tient au fait que l’enseignement prodigué est mal adapté à son style d’apprentissage.
  • Par conséquent lorsqu’un enseignant tient compte du style d’apprentissage de chaque élève, tous peuvent apprendre aisément. Si l’élève n’apprend pas, c’est que l’enseignant ne prend pas assez en compte les besoins en matière de styles d’apprentissage.



Le poids de l’anecdote


L’attrait et la croyance des enseignants pour les styles d’apprentissage sont alimentés par des expériences personnelles qui tiennent de l’anecdote. Ils tiennent du fait qu’ils ont (correctement) remarqué que parfois un élève peut atteindre l’illumination à partir d’une approche qui semble inutile pour un autre élève.

Cependant, il s’agit de réponses hétérogènes, particulières et uniques aux manipulations pédagogiques. L’idée que les taxonomies de types d’élèves actuellement proposées offrent réellement une aide valable pour décider quel type d’enseignement offrir à chaque individu est d’un tout autre calibre.



La solution de facilité


Il y a une bonne raison pour laquelle certains enseignants (et de nombreux organismes de formation) s’accrochent à l’idée de tester les styles d’apprentissage. Il est pratique et aisé de le faire. De nombreux supports et exemples d’application existent. La démarche est des plus concrètes. Il est facile de trouver et faire passer un questionnaire sur la détermination du style d’apprentissage à une classe.
 
Abandonner complètement l’idée les obligerait à affronter le problème dans leur complexité contextuelle, sans la simplicité pratique qu’offre la théorie des styles d’apprentissage.



L’effet Rosenthal ou Pygmalion


Le ressenti des enseignants par rapport à l’efficacité des styles d’apprentissage est une forme de biais cognitif. C’est ce qu’on appelle l’effet Pygmalion ou l’effet Rosenthal où des attentes plus élevées entraînent une augmentation de la performance.
 
Rosenthal soutient que de telles attentes biaisées affectent la réalité et créent des prophéties qui se réalisent d’elles-mêmes.



Le renforcement des préjugés


Nous avons tendance à avoir des préjugés sur nos modes de pensée préférés, que nous pouvons assimiler à la proposition des styles d’apprentissage. Toutefois, cela ne les aide pas à mieux penser.
 
Introduire l’évaluation des styles d’apprentissage renforce une tendance à agir en fonction de nos préférences qui deviennent en outre déclarées. Nous pouvons avoir tendance à sélectionner ou à transformer, une tâche d’apprentissage pour pouvoir penser par exemple verbalement ou plus spécifiquement visuellement. Nous rencontrons mieux nos préférences naturelles. Cependant, cela ne signifie pas que le fait de changer une tâche pour l’adapter au style de préférence permet de mieux réfléchir.
 
L’appariement de la tâche aux styles d’apprentissage préférés des individus ne permet pas d’améliorer leur performance. Seule l’adéquation entre l’approche d’apprentissage et le contenu visé a un effet substantiel.




Dangers liés à la mise en œuvre des styles d’apprentissage


Un rejet de l’apport de l’éducation fondée sur des données probantes


L’attention portée aux styles d’apprentissage, pour lesquels aucune preuve n’a été trouvée, peut amener les enseignants à négliger la recherche sur l’apprentissage pour lequel il existe un solide soutien scientifique : 
  • Les sciences cognitives et la recherche en éducation n’ont pas réussi à trouver des preuves pour les styles d’apprentissage. 
  • Elles ont par contre mis en évidence de nombreuses connaissances sur le fonctionnement de la mémoire, sur l’efficacité de l’enseignement et sur différents facteurs qui favorisent l’apprentissage.
  • Développer des approches en lien avec les styles d’apprentissage est non seulement inefficace, mais nous coupe des apports de la science de l’apprentissage. 



Une perte d’efficience


Se former aux styles d’apprentissage et développer un cours qui en tient compte est non seulement inutile, mais coûteux. L’efficacité n’a jamais été mise formellement en évidence avec des essais randomisés contrôlés. Plus problématique : elle se fait surtout au détriment d’approches qui ont prouvé largement leur efficacité. 

La croyance que les gens ont leur propre style d’apprentissage a le potentiel de façonner et contraindre l’expérience que les élèves ont de leur attention en classe avec un impact négatif sur l’apprentissage. Si un élève croit qu’il est un apprenant visuel, il va se focaliser sur les supports visuels comme une présentation PowerPoint. Il pourrait prêter moins d’attention et se laisser distraire lorsque les explications sont purement orales alors qu’il devrait redoubler d’attention.



Un cheval de Troie pour d’autres approches


Les théories des styles d’apprentissage sont parfois présentées comme une raison d’inclure plus d’outils et de médias numériques dans la salle de classe. 

L’idée est que la variété dans les modes de présentation peut retenir l’attention et l’intérêt des élèves. Cependant, il n’est pas nécessaire de multiplier les canaux pour présenter strictement la même information. Il ne s’agit pas de montrer une vidéo pour engager les apprenants visuels et en même temps offrir des podcasts aux apprenants auditifs.
 
Nous devons surtout sélectionner les médias de façon à ce qu’ils conviennent au contenu que nous demandons aux élèves d’apprendre. Nous visons à favoriser le développement de leurs connaissances de base, leurs intérêts, leur capacité d’attention, et leur engagement et un traitement cognitif significatif.
 
Multiplier les canaux entraîne un effet de redondance mis en évidence dans le cadre de la théorie de la charge cognitive. Celui-ci est une source d’inefficacité.

Il n’est pas non plus certain que certaines personnes qui ont une meilleure mémoire visuelle que d’autres apprendront toujours mieux si nous présentons les contenus visuellement. Tout le monde profite en fait d’une présentation visuelle, pas uniquement les personnes qui ont une très bonne mémoire visuelle. De même, tout le monde profite d’explication orale ou de démarches de cognition incarnée.




Mis à jour le 20/11/21

Bibliographie


Dinham, Stephen (2016). Students are not hard-wired to learn in different ways—we need to stop using unproven, harmful methods. The Conversation. https://theconversation.com/students-are-not-hard-wired-to-learn-in-different-ways-we-need-to-stop-using-unproven-harmful-methods-63715

Pashler, H., McDaniel, M., Rohrer, D., & Bjork, R. (2008). Learning styles: Concepts and evidence. Psychological Science in the Public Interest, 9, 105–119.

Riener, Cedar and Willingham, Daniel. (2010). The Myth of Learning Styles. Change: The Magazine of Higher Learning. 42. 32–35. 10.1080/00091383.2010.503139.

Willingham, Daniel (2008). Learning styles don’t exist. https://www.youtube.com/watch?v=sIv9rz2NTUk

Willingham, Daniel (2018). Learning Styles FAQ. http://www.danielwillingham.com/learning-styles-faq.html

Kirschner P.A., Stop propagating the learning styles myth, Computers & Education (2017).

Daniel T. Willingham, Does Tailoring Instruction to “Learning Styles” Help Students Learn?, American Educator, Summer 2018, https://www.aft.org/ae/summer2018/willingham

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