
(photographie : Flo Baehr)
Le défi que représente l'oubli pour les enseignants
Relativiser l’oubli
Nous avons une tendance à surestimer ce que nous avons oublié. Un tri se produit, mais nous conservons une partie de ce que nous apprenons. Ce qui parait oublié à un moment peut devenir accessible lorsque plus d’indices contextuels sont présents. Tout est une question d'intégration dans des schémas et de réutilisation régulière. Une information isolée ou non réutilisée se perd, se détériore ou s'oublie.
Des paramètres qui atténuent l'oubli
- Plus manifeste dans le cas d’un rappel direct : c’est le fait de se souvenir à froid, de but en blanc, sans indice ou en dehors du contexte d’apprentissage.
- Plus faible dans le cas d’un rappel indicé lorsque la récupération se fait dans un contexte proche de l’apprentissage.
- Bien plus facile encore lorsqu’il s’agit de reconnaitre l’information plutôt que de la récupérer, comme dans le cas d’une question à choix multiples.
En général, nous assistons à une perte rapide de signification des concepts mémorisés dans les premiers temps lorsqu’ils ne sont pas réutilisés. Au contraire, nous constaterons une maintenance en mémoire d’une plus large partie d’entre eux à long terme lorsqu’ils sont de temps à autre mobilisés ou croisés à nouveau.
L’intensité du rappel à long terme dépend de la qualité de l’apprentissage initial et de récupérations régulières :
- Au plus nous apprenons en profondeur et sur la longueu, au plus il est probable que nous en garderons quelque chose.
- Au mieux des concepts sont compris, ancrés et mémorisés lors d’un apprentissage distribué grâce à de multiples récupérations, au plus solidement ils perdureront en mémoire.
- Une information qui n’est pas stockée de manière pertinente dans un schéma cognitif, qui ne fait pas sens et qui n’est pas correctement reliée à d’autres informations proches sera plus rapidement oubliée.
Un aspect particulièrement important est le fait d’entretenir les connaissances apprises. Les élèves doivent y être confrontés à nouveau plusieurs fois. Ils doivent les récupérer en mémoire à long terme régulièrement.
Si ce processus s’étend dans le temps, il peut entrainer une bonne fixation en mémoire même si ces concepts ne sont quasiment plus jamais utilisés ou rencontrés à nouveau par l’individu.
Croisons tous ces facteurs un instant. Nous pouvons résolument admettre qu’une partie non négligeable de concepts vus dans le cadre scolaire peuvent être raisonnablement fixés à vie. Beaucoup de connaissances ne vont jamais être oubliées. Il importe que l’apprentissage a été approfondi et distribué sur une longue période et que des occasions de rappels aient été rencontrées par la suite. Ces rappels sont soit directs ou indirects lorsque des concepts voisins ou complémentaires ont été croisés.
Si à un moment donné, nous ne nous souvenons plus de quelque chose, nous avons l’impression que l’oubli est définitivement passé par là et que cette perte de mémoire d’une connaissance est définitive.
Parfois, il suffit d’insister plus longtemps et de s’éclairer d’un indice pour finalement retrouver les informations manquantes en mémoire. Faire des efforts paie ! La difficulté rencontrée lors de la récupération d’une information est la garantie d’une meilleure mémorisation ultérieure.
Économie de réapprentissage et oubli du contexte de l'information
Parfois, il suffit d’insister plus longtemps et de s’éclairer d’un indice pour finalement retrouver les informations manquantes en mémoire. Faire des efforts paie ! La difficulté rencontrée lors de la récupération d’une information est la garantie d’une meilleure mémorisation ultérieure.
Un principe intéressant dans ce contexte est celui de l’économie de réapprentissage. Régulièrement, nous pouvons en grande partie oublier des concepts et informations que nous avons récemment encore maitrisés. Cependant, il nous sera plus rapide et plus facile de les apprendre à nouveau, qu’il l’a été de les apprendre la première fois.
Si nous ne pouvons plus nous souvenir de quelque chose que nous avons un jour mémorisé, cela ne signifie pas que la connaissance est définitivement partie. Le réapprentissage plus rapide est une preuve de l’existence de traces de l’apprentissage initial.
Nous sous-estimons souvent ce dont nous pouvons nous souvenir et ce que nous avons appris à l’école :
Nous sous-estimons souvent ce dont nous pouvons nous souvenir et ce que nous avons appris à l’école :
- Parfois quand nous nous souvenons de connaissances, nous ne réalisons pas que nous les avons apprises initialement à l’école.
- Savoir quand et où quelque chose est appris est ce que nous appelons le contexte de l’information.
- Le contexte est géré par des processus de mémoire différents, il est donc tout à fait possible et probable de retenir du contenu sans se souvenir du contexte.
- Souvent, le contexte où nous avons appris la connaissance importe moins que le sens et l’utilité de celle-ci.
Les contextes sont fréquemment plus faciles à oublier que les contenus et ils sont potentiellement la source d’une variété d’illusions ou d’erreurs de mémoire.
Si la source d’une information est peu fiable, son contenu sera jugé peu crédible. Cependant, il y a le risque d’oublier le contexte d’origine d’une information, c’est-à-dire sa source.
Nous ne retenons plus que le contenu, il risque d’être à ce moment-là, considéré comme crédible, là est toute la dangerosité des fake news, des conceptions erronées et des neuromythes.
Comprendre le concept du transfert proche dans une perspective d'enseignement à long terme
Comme l’explique Greg Ashman (2017), le fait de développer chez nos élèves leur capacité à transférer leurs connaissances d’un contexte spécifique connu vers un autre qui leur est encore inconnu est un processus lent et incertain. Il peut être construit par la conception de l'enseignement.
Pour faciliter le transfert :
- Nous devons confronter nos élèves à de multiples exemples variés.
- Nous devons leur faire faire des allers-retours entre un concept abstrait et des contextes d’application diversifiés.
- Le processus doit se répéter pour chacune des connaissances que nous espérons les voir utiliser dans ces contextes nouveaux.
Par la suite, si nous voulons évaluer rigoureusement la qualité transfert chez nos élèves, il est utile que le processus soit fait de manière indépendante, c’est-à-dire par nous-mêmes pour éviter tout biais. Cette évaluation doit à l’idéal être établie par une tierce partie pour que les questions ne puissent pas être prévisibles ou influencées.
De cette manière, nous pouvons enseigner aux élèves un transfert proche. Ils peuvent utiliser une connaissance apprise dans un contexte spécifique dans un autre contexte voisin qui leur est familier.
Si l’autre contexte est très différent ou est peu connu de leur part, le transfert devient improbable. La raison est que toute tentative d’enseigner le raisonnement général ou le transfert lointain dans des contextes éloignés où les élèves ont peut de connaissances spécifiques échoue généralement.
Par exemple, l’esprit critique est une capacité plus susceptible d’émerger lorsqu’un élève à une connaissance suffisante d’un domaine. Lorsqu’il n’y connait pas grand-chose, lui demander de faire preuve d’esprit critique risque de se révéler être une impasse.
Comme le montre la recherche, nous pouvons enseigner le transfert proche et l’esprit critique dans un domaine donné ou voisin en les travaillant par une approche fondée sur l’acquisition de larges connaissances spécifiques pertinentes.
Tout ce processus est forcément, lent et à long terme, selon une progression qui échappe souvent au temps scolaire à court ou moyen terme de l’évaluation. Nous avons dès lors tendance à l'oublier.
Nous ne voyons que peu l’apprentissage de compétences de transfert, mais il se produit à longue haleine. Par conséquent, nous devons être modestes dans son évaluation à court terme, mais plutôt considérer que les élèves vont naturellement progresser si nous procédons de la sorte.
C’est également la raison pour laquelle le fait d’enseigner spécifiquement l’esprit critique aux élèves en dehors de tout contexte dans une perspective à court ou à moyen terme est illusoire. Cette démarche est déconnectée des conditions qui permettent réellement le développement de telles compétences.
Des liens entre l'acquisition des connaissances scolaires et l'accroissement de l'intelligence générale
Aller à l’école rend plus intelligent dans un sens général. Le lien entre la valeur du QI et la durée de la scolarité a été mis en évidence. Une plus grande scolarité est associée à une plus grande intelligence générale, même s’il est difficile de démêler les corrélations, causes et effets.
Les individus ayant une intelligence générale supérieure vont être plus motivés à poursuivre leur scolarité plus longtemps et à entamer un parcours universitaire. Les personnes ayant une intelligence inférieure sont plus susceptibles de mettre un terme à leur scolarité plus rapidement.
La recherche a dû contourner et isoler ces effets pour montrer qu’en dehors de ce phénomène, le lien entre scolarité et intelligence générale subsiste. Cet objectif a été réalisé notamment en comparant deux régions voisines qui avaient des durées de scolarité différentes (entrée ou sortie). Les chercheurs ont pu montrer qu’une durée d’instruction plus longue conduit à une plus grande intelligence générale.
Il y a deux facteurs qui contribuent au QI :
- L’intelligence cristallisée : c’est l’ampleur et la profondeur de ce que nous avons consolidé dans notre mémoire à long terme.
- L’intelligence fluide : c’est la rapidité avec laquelle nous pouvons traiter ce que nous connaissons.
L’éducation augmente le QI en augmentant l’ampleur et la profondeur des connaissances, et en développant les compétences liées à l’utilisation de ces connaissances.
Cet effet est crucial bien au-delà du QI. Il a été montré qu’au plus le niveau d’éducation est élevé, au plus les populations sont en bonne santé. Les individus vivent plus longtemps, contribuent plus à la société et ont de meilleurs revenus. À l’échelle de la société, ces bénéfices incluent une diminution des frais de justice, de santé et une augmentation de la croissance économique.
Pour aller plus loin sur la question de l’oubli : voir article.
William, D (2018). Embedded formative assessment. Solution Tree Press, p. 1.
Willingham, D. T. (2015). Ask the Cognitive Scientist Do Students Remember What They Learn in School? American Educator, 6 (2015) p33-38.
Greg Ashman, School makes you smarter, 2017, The Spectator, https://www.spectator.co.uk/2017/12/teachers-notes/
Pour aller plus loin sur la question de l’oubli : voir article.
Mis à jour le 01/09/21
Bibliographie
William, D (2018). Embedded formative assessment. Solution Tree Press, p. 1.
Willingham, D. T. (2015). Ask the Cognitive Scientist Do Students Remember What They Learn in School? American Educator, 6 (2015) p33-38.
Greg Ashman, School makes you smarter, 2017, The Spectator, https://www.spectator.co.uk/2017/12/teachers-notes/
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