lundi 11 décembre 2017

Être authentique auprès de ses élèves

Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Pedro De Bruyckere (2017) s’est intéressé à ce qui rendait un enseignant authentique auprès de ses élèves. Ses conclusions ont été publiées dans le cadre d’un article de recherche cosigné avec Paul A. Kirschner.  dont voici une synthèse.


(Photographie : Joris Vandecatseye)


Ils y traitent de l’authenticité chez les enseignants sur la base d’une enquête réalisée auprès d’élèves de l’enseignement secondaire flamand.

L’authenticité perçue a une influence positive sur la gestion de classe et sur la motivation des élèves. Pour l'enseignant, elle repose sur de bonnes compétences dans la matière enseignée et sur une capacité à enthousiasmer, associée à l’adoption de pratiques pédagogiques efficaces. 



Enseigner en cohérence avec soi-même


Dans une perspective constructiviste de l’enseignement, des éléments récurrents de la formation des enseignants sont notamment les notions :
  •  De situation problème 
  •  D’authenticité des activités d’enseignement
  •  De construction du sens par les élèves.
Il est régulièrement recommandé également aux nouveaux enseignants en formation initiale de rester eux-mêmes dans l’incarnation de leur fonction. Il y a l’idée d’une construction par une confrontation au réel et le développement de compétences dans le cadre d’une démarche d’investigation.

Paradoxalement, c’est une injonction qui parait arbitraire qui peut susciter un sentiment confus et flou entre les aspects personnels et professionnels. De plus, beaucoup de responsabilités sont mises sur la personne de l’enseignant plutôt que sur les contenus concrets de sa formation professionnelle (initiale et continuée).

En effet, qui est l’enseignant va dépendre :
  • De la culture, du contexte et de l’environnement de l’école dans laquelle il exerce.
  • De ses propres expériences antérieures et de son éducation.
  • De la dynamique de projet professionnel dans laquelle il s’inscrit spontanément ou est amené à s’inscrire par le système éducatif.
Être soi-même est mieux abordé sur l’angle du paraitre vrai, crédible et authentique auprès des nos élèves, qui sont nos interlocuteurs principaux dans le cadre de nos missions. Il est de l’ordre du jugement professionnel et du tact pédagogique. Un enseignant peut acquérir des compétences et des connaissances professionnelles sur la manière d’enseigner et plus largement d’éduquer. La manière dont il va les mettre en œuvre sera pour une part personnelle.

Dès lors, nous pouvons poser ces conditions sur ma manière d’être cohérent avec soi-même dans le cadre de notre enseignement : 
  • Nous devons apporter à nos élèves la preuve d’une grande cohérence entre nos actions concrètes et nos valeurs énoncées. 
    • Nous ne pouvons raisonnablement exiger que nos élèves respectent des règles que nous enfreignons allègrement.
  • Nous devons manifester la capacité d’établir des relations sincères et authentiques avec nos élèves de manière à encourager leur propre authenticité. 
    • La manifestation d’empathie à leur égard et face à leurs difficultés est un apport utile et précieux pour leurs apprentissages.
  • Nous devons montrer notre engagement dans des pratiques réflexives à propos de nos propres enseignements. 
    • Nous devons exprimer de hautes attentes à la fois envers nos élèves et envers nous. 
    • Nous devons avoir une capacité à nous remettre en question et nous adapter en fonction des besoins, des objectifs et des difficultés de nos élèves. 
    • Nous devons apporter tout le soutien nécessaire à nos élèves pour leur permettre de répondre à nos attentes élevées, tout en les responsabilisant et en soutenant le développement de leur autonomie. 



Enseigner en étant professionnel et cohérent face à la culture d’un établissement


Un impératif rencontré par l’enseignant, spécialement par celui qui débute, est d’être conforme à la culture de l’établissement dans lequel il enseigne. L’enseignant doit en être porteur, l’incarner et la défendre dans ses actes et ses attitudes. La conformité ne doit pas être totale, mais l’enseignant doit pouvoir se situer et se justifier face à celle-ci. Cela relève d’un critère d’appartenance à une communauté enseignante.

À l’échelle de l’école, c’est un impératif de cohésion et de cohérence au sein de l’équipe. C’est également une question d’efficacité et de justice envers les élèves. C’est ainsi que le développement de bonnes habitudes liées à l’apprentissage peut être le mieux soutenu, et qu’un climat scolaire positif peut être renforcé.

La lecture attentive des documents scolaires qui décrivent les différentes politiques internes est importante, mais ne suffit pas. En tant que nouvel enseignant, et sur une base d’apprentissage vicariant, il est également précieux d’observer ses collègues pour constater de visu, idéalement en classe, discuter et échanger avec eux. 

Associant le texte à l’exemple, nous pouvons mieux acquérir et comprendre les diverses routines explicites et implicites attendues dans la politique de l’école vis-à-vis du comportement et de l’apprentissage. Nous devons chercher un alignement avec les pratiques promues, dans un souci de conformité et de cohérence qui facilitera notre intégration et la reconnaissance de notre authenticité.

Nous pouvons dès lors postuler que l’authenticité d’un enseignant est une construction de soi, qui s’élabore par apprentissage et inévitablement par essais et erreurs également. Elle dépend des interactions sociales qu’il rencontre dans un cadre qui la rend possible et la renforce. 

Parallèlement, une école peut agir pour transmettre ses connaissances plutôt que de laisser un nouvel enseignant les découvrir sur le terrain. C’est l’enjeu de l’accueil et de l’intégration des nouveaux enseignants.

L’enseignant sur le terrain se retrouve toujours mis à l’épreuve en lien avec :
  • L’expertise qui est attendue de lui dans son domaine de matière avec laquelle il doit rester en phase et faire ses preuves.
  • Sa capacité à gérer et accompagner les apprentissages de ses élèves, dépendante de la pédagogie privilégiée, de ses conceptions sur l’apprentissage et de la politique d’évaluation en vigueur dans son établissement.
  • Ses aptitudes et compétences à maintenir un climat de travail propice à l’enseignement et à l’apprentissage de ses élèves, liées à sa gestion du comportement.
Le fait d’énoncer qu’il faut être soi-même en étant enseignant apparait dès lors comme étant une tautologie. Nous restons toujours nous-mêmes. Par contre, la différence est là : nous ne naissons pas enseignants, nous le devenons. 

Enseigner doit-être considéré comme une profession. Une profession se fonde sur une base de connaissances probantes identifiées. Une profession impose l’apprentissage et la maîtrise de tout un ensemble de connaissances et de pratiques efficaces validées. Une profession comme celle de l’enseignement demande de rejoindre et de s’intégrer une équipe éducative elle-même professionnelle au sein d’une école.

Ce professionnalisme permet le développement d’une expertise qui se construit au fil du temps par une pratique délibérée. Elle se base sur l’acquisition de connaissances, disciplinaires et pédagogiques, du savoir-faire et des compétences dans la façon d’enseigner pour soutenir l’apprentissage des élèves. Elle gagne à être partagée en équipe éducative, car c’est ce qui peut renforcer son caractère adaptatif en fonction des fluctuations du contexte.



Le point de vue des élèves


Si les dimensions d’authenticité liées à la personne de l'enseignant et à l’institution pour laquelle il exerce sont relativement évidentes, il est intéressant de les explorer également du point de vue de l’élève. 

Quels sont les critères perçus comme signifiants chez les élèves dans leur appréciation de l’authenticité chez l’enseignant ?

C’est ce à quoi se sont intéressés Pedro De Bruyckere et Paul A. Kirschner (2017) dans leur recherche :

Il apparait que nous pouvons distinguer statistiquement trois critères propres à l'authenticité de l'enseignant :



1. Conjuguer expertise et passion pour l’enseignement « live to teach » : 


Une des dimensions que les élèves apprécient chez leur enseignant comme facteur d’authenticité est une expertise dans l’enseignement de sa matière. Celle-ci doit s’accompagner d’un intérêt marqué pour en soutenir l’apprentissage. 

Pour ce qui est de l’expertise :

Les élèves s’attendent à apprendre grâce à leur enseignant dans le domaine de matière considéré :
  1. Un enseignant est quelqu’un qui a une compréhension approfondie dans son domaine de matière et qui sait très bien l’expliquer à ses élèves.
  2. Pour certains élèves, un enseignant doit se soucier de la compréhension et de la qualité de la transmission de ses enseignements, c’est-à-dire de l’apprentissage de ses élèves.
Derrière cette notion d’expertise de l’enseignant se manifeste avant tout une double notion :
  • L’enseignant est expert dans son domaine de matière.
  • Une expertise dénuée de capacités de transmission efficace ne suffit pas.

Pour ce qui est de la passion :

Les élèves attendent de leurs enseignants authentiques qu’ils témoignent d’une passion harmonieuse. 

La passion harmonieuse correspond à l’idée que :
  1. L’acte d’enseigner s’incarne dans l’identité de l’enseignant :
    • L’enseignant témoigne de son intérêt et de sa motivation pour la matière abordée.
    • L’enseignant peut apporter des informations supplémentaires spontanément sur le sujet traité. 
    • L’enseignant fait des liens avec divers domaines et répond aux questions de dépassement de ses élèves.
  2. L’activité d’apprentissage est librement acceptée comme importante par les élèves :
    • Les élèves prêtent de l’attention à l’enseignement et s’engagent dans les apprentissages.
    • L’enseignant stimule l’intérêt et la motivation des élèves et y met un effort qui parait naturel chez lui.
L’idée de passion harmonieuse contraste avec celle de passion obsessionnelle où la transmission des contenus pourrait être la seule activité qui permet à l’enseignant de conserver un sentiment d’estime de soi. La passion harmonieuse intègre l’apprentissage des élèves à l’enseignement de la matière.

Selon ce critère d’expertise et de passion harmonieuse, l’enseignant qui est perçu comme authentique est :
  1. Un enseignant met beaucoup d’énergie dans son travail et témoigne d’un fort intérêt personnel pour la matière qu’il enseigne. Grâce à cela, l’enseignant partage son enthousiasme et a le pouvoir de susciter l’adhésion de ses élèves.
  2. L’enseignant partage et communique des attentes élevées envers ses élèves. Il veut qu’ils réussissent et les motive. Il enseigne efficacement, ce qui entraine de bons résultats pour ses élèves.
Pour les élèves, les notions d’expertise et de passion sont associées. L’enseignant passionné motive ses élèves. Il met en place les conditions d’un transfert efficace des compétences visées.

Cette association entre expertise et passion impose à l’enseignant de consacrer délibérément du temps au maintien et au développement de son expertise à la fois dans son domaine de matière et dans ses pratiques pédagogiques.



2. Faire preuve d'unicité comme enseignant, « no textbook teacher » : 


Si le terme français "unicité" se rapporte au "caractère de ce qui est unique", son équivalent anglophone "unicity" est plus intéressant car il introduit un double sens :
  • L'état ou la qualité d'être unique ou d'un seul type.
  • Le fait d'être uni comme un tout.
C'est le second sens qui nous intéresse dans le cadre de l'authenticité de l'enseignant telle que perçue par ses élèves. L'enseignant doit être cohérent, intègre et incarner les différentes facettes de sa fonction. Cela inclut des attentes élevées envers ses élèves et la capacité de soutien qui l'accompagne.
 
De Bruyckere et Kirschner (2017) parlent pour l'unicité du fait que l'enseignant ose s’affranchir des limites créées par les programmes et les manuels scolaires 
  • Cet enseignant peut parler de son expérience propre dans son domaine, il peut incarner pour une part ce qu'il enseigne :
    • Il peut aussi digresser sur des sujets parascolaires et inclure certains contenus pour alléger la routine scolaire et apporter de la variété. 
    • Le fait de ne pas respecter strictement le programme d’études se traduit également par une plus grande souplesse et une moindre importance accordée à une planification rigide. 
    • C’est un enseignant qui veut faire un effort supplémentaire pour ses élèves en s’adaptant à leurs intérêts et à leurs apprentissages.
  • L'unicité de l'enseignant vient également des relations qu'il développe dans le cadre de son cours avec ses élève :
    • Il n’y a pas deux êtres humains identiques. Si chaque élève est différent, chaque classe l’est également. Dès lors, chaque enseignant doit pouvoir agir de manière différente en fonction du contexte, tout en ayant son propre style d’enseignement et d’interaction.
    • L'enseignant doit pouvoir s’adapter à l’âge, aux aptitudes et aux spécificités de ses élèves.
    • Il doit également faire preuve de patience lorsque ses élèves rencontrent des difficultés et pouvoir prendre le temps nécessaire pour répondre à leurs différentes questions portant sur la matière.
Chaque classe est unique. Chaque enseignant est unique. La rencontre doit se faire entre les deux. Elle demande une capacité d'adaptation de l’enseignant afin d'optimiser la collaboration et les apprentissages. C'est l'enseignant qui doit orchestrer cette rencontre pour que les apprentissage puissent se faire. Cette rencontre est unique et doit être perçue comme authentique pour les élèves. Ces derniers ont également besoin d'être perçus par leur enseignants comme des individus uniques.


3. La proximité


Les élèves apprécient certaines formes de proximité témoignées par leur enseignant.

Le critère de qualité de la proximité implique l’élément d’équité, tout en suggérant le maintien d’une distance entre l’enseignant et l’élève :
  • Les élèves jugent important que leur enseignant s’intéresse à eux, à leurs difficultés scolaires et à qu’ils sont. Cela peut se dérouler à l’intérieur ou à l’extérieur du cadre de la classe, et pendant des moments plus informels.
  • Les élèves s’intéressent moins à la vie personnelle de leurs enseignants. Les élèves veulent conserver une distance. Si cette distance est comblée, cela pourrait se produire ponctuellement dans des moments informels en dehors des temps de cours ou lors d’activités parascolaires.
  • L’enseignant capable d’établir le degré de proximité adéquat avec ses élèves stimule par là également l’établissement d’une atmosphère positive en classe. Dans ce cadre coopératif en classe, les élèves évoluent entre eux et avec l’enseignant dans une relation de travail respectueuse.
Le critère de proximité correspond à l’idée que l’enseignant témoigne du respect pour ses élèves. L’enseignant est compétent :
  • L’enseignant sait comment jouer son rôle pleinement et gérer une classe.
  • L’enseignant est juste et bienveillant.
  • L’enseignant sait prendre le temps pour discuter avec ses élèves de leurs difficultés et pour leur donner une rétroaction qui les guide efficacement.


4. La question de la rigueur et de la sévérité


D’une manière paradoxale, le critère de rigueur et de sévérité dont témoigne un enseignant se révèle moins fiable statistiquement pour les élèves dans sa contribution à la construction du sentiment d’authenticité de l’enseignant.

Être perçu comme rigoureux en tant qu’enseignant, est vu par les élèves comme le fait de vouloir commencer tout de suite à travailler. C’est faire preuve de rigidité, c’est être moins focalisé sur l’élève et plus sur l’enseignement. L’enseignant paraitrait avant tout fier d’être enseignant, fier de lui-même. Il enverrait le message que ce qu’il fait est par défaut important pour l’élève.

Si le critère de rigueur et de sévérité est moins signifiant pour l’élève, il n’en reste pas moins que ces aspects constituent un prérequis sous-jacent qui permet aux trois autres critères d’exister. 

Si le critère de rigueur et de sévérité ne contribue pas directement comme une entité propre c’est qu’il a vocation à être transparent. En effet, tout temps consacré à la résolution de conflits en classe ou de perturbations du cours est une perte nette de temps scolaire pour l’apprentissage.

Ces constatations sur l’absence d’importance ou la transparence de cette dimension pour forger l’authenticité de l’enseignement sont néanmoins signifiantes et intéressantes.

Elles renforcent l’idée de privilégier une approche explicite et positive de la gestion des comportements. Celle-ci se fonde sur la définition d’un cadre précis, sur l’établissement de routines, d’un renforcement positif ou d’une rétroaction spécifique avec l’expression concrète d’une vigilance apaisée.  

Le comportement attendu passant par le biais d’un enseignement explicite, il gagne ainsi naturellement en authenticité pour l’élève. L’enseignant s’appuie sur des facteurs qui pour lui sont signifiants, il construit le cadre et les prérequis, nécessaires à l’établissement d’une atmosphère de travail propice. Avec un enseignant authentique, cette dimension se fond dans le décor. Le cadre essentiellement préventif de la gestion de classe qu’il installe le dispense de devoir manifester trop de rigueur et de sévérité. Il développe de bonnes habitudes chez ses élèves. 


Mise à jour le 07/09/21

Bibliographie


Pedro De Bruyckere & Paul A. Kirschner | Sammy King Fai Hui (Reviewing Editor) (2017) Measuring teacher authenticity: Criteria students use in their perception of teacher authenticity, Cogent Education, 4:1, DOI: 10.1080/2331186X.2017.1354573

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