mercredi 27 novembre 2019

Pratique guidée en enseignement explicite : mode d’emploi

Qu’est-ce que la pratique guidée ? Quand passer du modelage à la pratique ? Comment choisir le bon moment pour passer de la pratique guidée à la pratique autonome ? Comment piloter la pratique guidée ?

Voici un article sur la pratique guidée, qui vient compléter celui-ci : 

(Photographie : Max Pinckers)


La pratique guidée est une phase de l’enseignement explicite qui succède au modelage ou s’y intègre. Durant la pratique guidée, des interactions fréquentes entre l’élève et l’enseignant se produisent. L’enseignant n’est plus le modèle que l’élève observe attentivement comme c’est le cas lors du modelage. L’élève ne fait pas encore toute la tâche seul avec une rétroaction limitée, comme ce sera le cas lors de la pratique autonome. C’est le « We do » de « I do, we do, you do ».



L’individualisation et l’autonomie dans l’apprentissage démarrent de la pratique guidée


Les objectifs d'apprentissage ont été parfaitement rédigés et ils précisent les attentes en matière de connaissances et de compétentes. Les explications ont été rédigées et sont claires. Le modelage a été réalisé et a fourni suffisamment d’exemples contrastés. Il est temps alors de passer à la pratique pour que les élèves puissent traduire le processus sous forme d’apprentissage concret.

Le modelage a pour vertu d’amener les élèves aux portes de la pratique et une imbrication fine est généralement recommandée entre les deux.

Le modelage a ses limites. Selon le principe d’un transfert graduel de responsabilité, l’élève doit être amené à prendre en charge peu à peu les attendus. Même un modelage exceptionnel ne sert à rien si l’élève ne pratique pas et ne s’approprie pas concrètement les contenus.

C’est la pratique qui va inciter les élèves à s’engager par eux-mêmes dans l’apprentissage, sur la voie de l’autonomie.

En tant qu’enseignants, nous ne pouvons pas nous contenter d’explications et du modelage. C’est en effet à travers la pratique guidée que de nouvelles difficultés vont apparaitre. C’est à travers elles par un processus de rétroaction directe que l’enseignant sera amené à contribuer à la réorganisation des connaissances nouvellement acquises par ses élèves.

L’entame de la pratique va également permettre peu à peu d’évoluer vers une forme d’individualisation. Tous les élèves n’apprennent pas au même rythme et il est nécessaire à un moment de leur permettre d’évoluer en fonction de leurs besoins et de leur progrès. C’est ce que va permettre la pratique guidée, puis autonome, grâce aux différentes tâches formatives et à la rétroaction qu’elles génèrent. L’élève est mis en activité. Il est soutenu par un étayage et stimulé par un questionnement qui favorise un traitement cognitif signifiant et constructif.



Pratique guidée des tâches complexes


Le principe de la pratique guidée est de vérifier et d’encadrer très régulièrement la pratique de l’élève. Nous lui fournissons un étayage et nous vérifions l’exactitude de son travail. Au fur et à mesure, l’étayage s’allège, mais le guidage et la vérification subsistent. Lorsque l’élève arrive à un taux de réussite élevé pour des tâches complexes réalisées dans leur ensemble, alors nous pouvons passer en pratique autonome.

Il est important de distinguer la pratique guidée de la pratique autonome. Lorsque le contenu est complexe, nous avons besoin de temps pour montrer aux élèves comment exécuter une tâche, de manière structurée et guidée, avant de les laisser le faire par eux-mêmes.

Le risque est réel, si nous passons trop directement à la pratique autonome, d’outrepasser les limites de la mémoire de travail des élèves. Dans ce cas, nous imposons une charge cognitive trop élevée qui hypothèque tout apprentissage efficace. Ceci est d’autant plus vrai que les élèves manquent de connaissances préalables ou présentent des faiblesses ou des troubles d’apprentissage.

Certains de nos élèves ont besoin d’un modelage et d’une pratique guidée méthodique et prodiguée au rythme de leur compréhension, leur offrant la possibilité d’un apprentissage efficace. Tous les élèves de toute manière profiteront du processus.

Si nous amenons nos élèves trop rapidement vers une pratique autonome, le temps, même plus important, qui y sera consacré ne le sera pas à bon escient. Ils seront peu productifs, désengagés et démotivés.




Pratique guidée des tâches simples


Si une compétence est peu complexe, il est préférable de faire une pratique autonome d’emblée, ou peut-être faire une courte pratique guidée, avant de passer rapidement à la pratique autonome.

En effet, il n’est pas toujours nécessaire d’avoir une pratique guidée. Certaines connaissances nouvelles sont si simples et si rapides à comprendre, que nous pourrions tout aussi bien engager directement les élèves dans une pratique autonome rapide et passer à autre chose. Insister trop sur une pratique guidée dans ce cadre se traduirait par une perte de temps.

Alternativement, la pratique autonome dans certains cas de figure peut être transposée sous forme de devoir à domicile ou sous une forme d’une évaluation formative ultérieure. Il n’est pas toujours nécessaire de consacrer un temps d’interaction en classe à ce sujet si elle peut être aisément traduite en travail à domicile pour les élèves avec consolidation postposée.

Si la pratique autonome ne présente que peu de risques d’erreurs, elle bénéficie à être distribuée dans le temps et hors du temps d’interaction.





Avoir une vision claire des contenus à pratiquer


Un facteur clé de la réussite de la pratique guidée est le développement et l’utilisation d’un étayage performant. Nous fournissons à nos élèves de l’aide et du soutien qui leur permettront d’accéder plus rapidement à une certaine autonomie.

En se basant sur son expertise, l’enseignant connait où se situent les difficultés. Il a cartographié ses contenus de matière. Il sait là où sont les points susceptibles de présenter de problèmes courants et ceux qui sont évidents pour les élèves. Il peut anticiper. Il va donc focaliser son attention sur les éléments cruciaux, de manière stratégique et spécifique. Ces éléments clés qu’il identifie devront être au centre de la pratique guidée et être répétés régulièrement.



Structurer, découper, intégrer 


L’enjeu de l’apprentissage est de rendre les procédures et les tâches complexes plus aisément assimilables en les découpant en étapes simples, identifiables et facilement traitables pour l’élève.

L’enseignant présente une étape, les élèves la complètent avec succès. L’enseignant présente alors l’étape suivante. Chaque nouvelle étape est appelée à intégrer des étapes antérieures, jusqu’à en arriver à une prise en main complète de la procédure ou de la tâche complexe par l’élève.

De même, durant la pratique guidée, l’enseignant peut imposer un formalisme de résolution très structuré. Les élèves acquièrent ainsi de bonnes habitudes. Ensuite, il peut leur permettre de délaisser l’explicitation détaillée de certaines étapes intermédiaires lors de la pratique autonome, une fois que les automatismes sont installés.

Au fur et à mesure de la pratique, lorsque l’apprentissage a lieu et que l’élève transfère ses connaissances en mémoire à long terme, l’étayage va peu à peu être retiré. En effet, si l’étayage aide l’élève dans un premier temps, il est susceptible de ralentir son travail et d’amenuiser l’apprentissage visé dans un second temps.

Ce formalisme imposé peut prendre la forme de checklists, d’une fiche de méthode qui explique et structure tout le processus de réalisation à suivre ou encore d’un organisateur graphique.





Planifier et intégrer suffisamment de pratique guidée aux moments opportuns 


Il existe différentes contraintes à l’enseignement liées :
  • Au temps : 
    • La durée totale du temps d’enseignement disponible 
    • Sa répartition stratégique sur la semaine, le mois et l’année
  • À la complexité des connaissances enseignées
  • Aux caractéristiques des élèves
  • .
Ces contraintes vont déterminer comment la pratique guidée vient s’insérer dans les phases d’interaction et de déroulement de l’enseignement explicite en classe.

Il n’y a pas beaucoup de sens à faire du modelage lors d’une heure de cours et entamer la pratique guidée seulement deux jours plus tard. Il n’est pas opportun de les séparer.

C’est en quelque sorte le rythme des objectifs d'apprentissage qui va déterminer le rythme de la pratique guidée. À chaque objectif correspond la nécessité de transmettre les explications, de modeler et de faire pratiquer les élèves de manière à les rendre à terme autonomes. L’enseignant est donc amené à piloter sa planification afin d’en tirer le meilleur profit pour ses élèves.



L’alignement curriculaire est un critère central pour la mise en œuvre de la pratique guidée


La pratique guidée doit mettre en action les attentes comportementales qui sont visées par les objectifs d'apprentissage et qui seront évaluées au terme de l'enseignement. La pratique guidée doit être conforme aux contenus du modelage.

Nous n’allons pas au-delà de ce qui a été modelé ni en deçà. Le but de la pratique est d’aider les élèves à faire eux-mêmes ce qui a été l’objet d’un modelage.

La pratique guidée peut se résumer à cet aspect. La seule différence est que les attentes comportementales ne sont pas toujours présentées telles qu’elles. Lors de la pratique guidée, elles sont parfois temporairement adaptées, additionnées d’un étayage qui sera peu retiré au fur et à mesure que les élèves structurent leurs connaissances en mémoire à long terme et les automatisent.




Atteindre un niveau de succès élevé durant la pratique guidée


Le principe de la pratique guidée est que les élèves obtiennent à terme un niveau de succès élevé. Au cours d’une pratique guidée, un taux approprié de réponse correcte serait d’environ 80 à 85 % d’exactitude, puis de 90 à 95 % d’exactitude lorsqu’ils arrivent à la pratique autonome (Ellis et Worthington, 1994).

L’objectif est qu’à terme, les élèves soient capables de démontrer de manière autonome leur maitrise de l’objectif pédagogique avec un degré élevé de précision et d’aisance.

Nous surveillons attentivement le rendement de nos élèves :
  1. Nous observons, écoutons attentivement leurs réponses et leurs productions afin de pouvoir vérifier leur maitrise.
  2. Nous apportons des ajustements opportuns à l’enseignement si les élèves font des erreurs systématiques.
  3. Nous fournissons aux élèves une rétroaction sur leurs performances qui leur permet de progresser.



Des interactions multiples et brèves au cœur de la pratique guidée


L’enseignant révise, vérifie le travail de l’élève. À chaque étape, l’enseignant est susceptible d’offrir une rétroaction immédiate et de rectifier le tir en cas de nécessité. Pour autant, cela ne se traduit pas par refaire tout le modelage et expliquer à nouveau dans les moindres détails.

L’enseignant surveille attentivement chaque élève, repère les erreurs et les interprète en matière d’informations diagnostiques sur leur apprentissage. Il fournit en réponse une rétroaction qui correspond au type de l’erreur, en vue de la corriger.

L’enseignant indique qu’il y a erreur à l’élève pour lui en faire prendre conscience. L’enjeu n’est pas de donner la réponse correcte à l’élève, mais de lui délivrer un indice pour qu’il puisse comprendre et qui m’amène à corriger par lui-même son erreur. S’il existe une liste de contrôle ou un descriptif du protocole ou de la stratégie de résolution à appliquer, nous pouvons l’indiquer aux élèves.

La rétroaction doit donc être positive, corrective, rapide, régulière et la plus immédiate possible.





Un pilotage constant de l’enseignant durant de la pratique guidée


Informée par des interactions régulières avec ses élèves, c’est l’enseignant qui prend toutes les décisions sur l’avancement de la pratique guidée. Une optimisation du temps disponible impose de prendre les bonnes décisions au bon moment. L’enseignant dispose d’une planification préétablie qui peut être adaptée en direct pour lui permettre un bon usage de son temps.

L’enseignant détermine quand ses élèves sont prêts à passer d’une étape à l’autre. Il décide comment et quand regrouper et combiner les étapes lorsque ses élèves présentent une certaine maitrise. Cela impose des prises de décisions fréquentes et continues. Pour ce faire l’enseignant vérifie la compréhension de ses élèves pour obtenir un retour d’information sur leurs apprentissages en cours. Il adapte son enseignement en fonction et leur renvoie une rétroaction.

Au fur et à mesure que ses élèves progressent, l’enseignant allège son support, verbalise moins, donne moins d’indices, augmente la difficulté de la tâche. Il transfère peu à peu la responsabilité des apprentissages vers ses élèves.





Une pratique guidée au soutien de l’acquisition du vocabulaire


Si elle semble plus évidente pour de procédures ou de tâches complexes, la pratique guidée reste pertinente pour de simples connaissances, comme de mots de vocabulaire dans un domaine spécifique.

La pratique guidée peut se traduire en un dialogue sur la définition du mot. L’enseignant demande aux élèves de redonner la définition du mot. Dans le cadre d’un domaine de matière interactif, l’emphase peut être mise sur les liens conceptuels et relationnels entre différents termes.

Il y a beaucoup plus d’impact à faire se rappeler par les élèves le contenu de la définition plutôt que celui-ci soit énoncé à nouveau par l’enseignant. En ce sens la pratique guidée doit être combinée à une vérification de la compréhension régulière qui vient soutenir l’aspect de l’acquisition du vocabulaire par les élèves.




La pratique guidée comme soutien à l’établissement d’automatismes et de routines


L’enseignant incite ses élèves à s’investir et à s’engager dans les tâches demandées de manière progressive et répétée, en s’assurant d’en explorer les différentes variantes utiles. Les multiples occasions de rétroaction fournissent également autant d’opportunités pour l’enseignant de distribuer une rétroaction positive spécifique et pour les élèves de rencontrer des occasions de réussite.

Cette démarche a comme visée de préparer le terrain pour le développement de routines et d’automatismes liés à l’apprentissage et à ses stratégies. Pour y arriver, l’enseignant fournit un étayage temporaire et s’assure d’offrir à ses élèves suffisamment d’opportunités d’entrainement. Premièrement dans la pratique guidée, mais également ensuite dans une pratique autonome distribuée dans le temps. 

Favoriser le développement de routines, d’automatismes permet de soutenir des élèves et de favoriser le transfert de connaissances dans la mémoire à long terme. Leur développement permettra de soulager la mémoire de travail pour la suite des apprentissages. 

Une façon de le faire est, en guise d’étayage temporaire, d’utiliser divers outils et stratégies :
  • Des expressions clés
  • Un découpage par étapes numérotées ou nommées
  • Une checklist
  • Un organisateur graphique
  • De gestes
  • Différentes astuces mnémotechniques qui favorisent une mémorisation rapide d’éléments clés
  • Etc.
L’enseignant insiste, verbalise et pose beaucoup de questions de vérification de la compréhension pour s’assurer d’une fixation rapide des connaissances clés chez ses élèves et pour soutenir l’implication de chacun d’eux dans le processus.

De cette manière bien prendre le temps de faire une pratique guidée approfondie amenuise le risque de voir apparaitre des difficultés démotivantes pour les élèves lors de la pratique autonome. La pratique guidée balise le terrain pour le développement serein d’automatismes et d’une flexibilité des connaissances lors de la pratique autonome.



Comprendre la pratique guidée par une analogie avec l’apprentissage du vélo


Comme l’écrit Blake Harvard (2020), la question de la pratique guidée et de l’étayage qui l’accompagne ressemblent beaucoup au fait d’apprendre à un jeune enfant à rouler à vélo à deux roues.

En tant que parents, nous accompagnons et sécurisons l’apprentissage. Généralement l’enfant va se familiariser avec un vélo à quatre ou trois roues avant de passer aux deux roues. 

Nous devons également savoir quand lâcher prise, quand il est le bon moment de passer aux deux routes et de ne pas être à proximité, une main sur le dos. Nous ne devons pas agir trop tôt, car il y a le risque de la chute. Nous ne devons pas agir trop tardivement pour ne pas créer de frustration et de dépendance en interférant avec le développement de l’équilibre. Il n’est pas toujours évident en tant que parent de savoir quand c’est le bon moment et les protections (casques, gants, genouillères et coudières) sont là pour ça.

En fin de compte, c’est le même processus qui se déroule lors d’un enseignement explicite. Une fois que l’enseignant a procédé au modelage, la pratique guidée équivaut à transférer peu à peu la responsabilité vers les élèves en les accompagnant.

Souvent à ce moment-là, les élèves sont comme des cyclistes débutants. Trop d’informations nouvelles en même temps et c’est la surcharge mentale et l’apprentissage ne passe pas, il y a blocage et frustration. Trop peu d’information ou de guidage, et c’est la chute, c’est la distraction ou les mauvaises options qui prennent le dessus. Les élèves novices ont besoin d’un guidage ferme de l’enseignant dans les premiers temps pour y arriver, ils ont besoin d’un étayage sûr pour se lancer et faire face aux défis en toute sécurité.

Rapidement, l’enseignant doit retirer cet étayage, sinon les élèves ne ressentiront pas la satisfaction qui accompagne l’apprentissage de la matière ou de stratégies. C’est un équilibre délicat pour l’enseignant et les élèves d’une classe. Lorsqu’il est bien fait, avec rythme et dynamisme, cela peut mener à un bon moment d’engagement complet et de jubilation où l’apprentissage est fluide. C’est l’état de flow. Les élèves investissent de nouvelles connaissances, les utilisent spontanément, commencent à les intégrer et son pleinement engagés. Le temps file alors à toute allure et l’apprentissage suit la cadence. Soudainement, l’enfant roule seul sur un vélo à deux roues. Le temps de la pratique autonome s’ouvre alors.


Mise à jour le 05/01/2024

Bibliographie


Devin Kearns, Modeling and Practicing to Help Students Reach Academic Goals, 2019, https://intensiveintervention.org/modeling-and-practicing-help-students-reach-academic-goals-explicit-instruction-course-module-5

Ellis, E. S., & Worthington, L. A. (1994). Executive Summary of Research Synthesis on Effective Teaching Principles and the Design of Quality Tools for Educators. Eugene, OR: National Center to Improve the Tools of Educators, College of Education, University of Oregon.

Anita L. Archer and Charles A. Hughes, Explicit Instruction: Effective and Efficient Teaching, 2010, Guilford Press

Blake Harvard, Knowing When to Let Go in the Classroom, 2020, https://theeffortfuleducator.com/2020/03/27/knowing-when-to-let-go-in-the-classroom/

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