vendredi 13 avril 2018

Mettre en oeuvre des approches fondées sur des données probantes au sein des établissements scolaires

Nous souhaitons porter des innovations dans les établissements scolaires, qui se traduisent par des améliorations effectives et un surcroit d’efficacité. La meilleure voie à suivre est celle de la mise en œuvre d’approches, de pratiques et de solutions basées sur un croisement entre deux exigences. Ce croisement fait se rencontrer des choix liés aux valeurs et aux missions, des ressources et des besoins locaux et les apports de la recherche en éducation.


(photographie : Ian Kline)



Décider du changement


Dans la préface du livre « What does this look like in the classroom », David Laws cite ces sept questions clés. Elles devraient être posées afin d’obtenir une réponse, lors de toute prise décision concernant un changement, l’implantation d’un projet, d’une stratégie ou d’une intervention, en milieu éducatif :
  1. Quel est le besoin de changement ?
  2. Quels sont les bénéfices potentiels ?
  3. Quelles sont les données probantes qui appuient ces démarches ?
  4. Quel sera l’impact sur la charge de travail des enseignants ?
  5. Quel sera l’effet sur l’apprentissage des élèves ?
  6. Est-ce qu’un projet pilote peut être testé avant que l’intervention ne s’applique à toute l’école ?
  7. Qui est-il nécessaire de consulter pour s’assurer d’une implantation réussie du projet ? 



Développer des programmes transposables


Slavin argumente dans son article de 1998 pour que de tels projets puissent se dérouler selon un protocole d’accompagnement développé hors école. Ce protocole pourra être transposé aisément sous forme de programme, en étant adapté aux circonstances locales et en permettant différents paramètres de suivi et de contrôle de l’efficacité.

L’idée est d’éviter que les écoles utilisent leurs ressources limitées et s’épuisent à réinventer la roue alors qu’une solution fonctionnelle a déjà été développée et peut être mise en œuvre rapidement avec une haute probabilité de succès. 





Penser le programme à l’échelle 


Un programme destiné à réaliser un programme de mise en œuvre d’une approche dans diverses écoles devrait comporter :
  1. Des sessions d’information de manière à ce que les enseignants comprennent bien les tenants et aboutissants d’un projet. C’est-à-dire les idées et recherches qui ont amené à l’établissement du projet et les pratiques et procédures spécifiques qu’ils vont devoir suivre et adapter dans leurs classes.
  2. Des documents spécifiques et supports nécessaires pour les élèves et les enseignants.
  3. Un accompagnement et un coaching pédagogique des enseignants pour évaluer les progrès et identifier les difficultés rencontrées. L’enjeu est de former et d’apporter un pilotage de l’amélioration. Tout cela peut impliquer également une communication vers les parents ou d’autres intervenants scolaires. 
  4. La création d’un réseau d’échanges, d’une communauté d’apprentissage professionnelle qui permet le partage et une mutualisation des ressources et des efforts. Il concerne les différentes écoles engagées dans la mise en œuvre du projet considéré.

Idéalement, ces programmes lorsqu’ils ont une certaine ampleur devraient s’accompagner de recherches approfondies et faire l’objet d’études indépendantes de manière à pouvoir en mesurer objectivement l’impact. De manière générale toutefois, ils doivent s’appuyer sur des données probantes issues de la recherche.

Un facteur fondamental est que de tels programmes sont pensés et conçus dès le départ pour être reproduits et diffusés dans de multiples écoles.



Avantages propres au développement de projets indépendants


Des projets indépendants permettent de créer et mutualiser des ressources et des outils au fil du temps. Ils permettent de développer des compétences et d’enrichir l’expertise des différents intervenants. Des projets indépendants construisent un bagage d’expériences et développent au fil du temps un savoir-faire précieux pour l’accompagnement, la mise en confiance et les échanges.

Rapidement, nous pouvons évaluer les effets, mieux piloter leur installation dans de nouvelles écoles, affiner en fonction du type d’élèves, enrichir la base de connaissances et améliorer le projet.

L’idée de ces projets est de démarrer d’une base scientifique démontrée par la recherche et conçue avec sérieux ce qui motive les enseignants. Ceux-ci sont pris dans leurs tâches quotidiennes et peinent à libérer un temps conséquent pour inventer un projet de A à Z.

L’idée de tout « créer » est par définition absurde. Quel médecin ignorerait les découvertes récentes, développerait ses propres protocoles de traitement ou médication ? Quel fermier s’amuserait à sélectionner et créer ses propres variétés de semences ou transformerait lui-même son matériel agricole ? Dans chaque domaine de l’économie, les professionnels sélectionnent et utilisent intelligemment les outils et les techniques les plus performants et organisent pour cela une veille technologique. 





S’assurer d’obtenir l’adhésion du personnel concerné


Un des plus importants facteurs de succès de ces projets porte sur la façon dont une école va l’adopter :
  • La sélection doit se baser sur un choix volontaire, sur une adhésion volontairement obtenue et posée par la majorité des professionnels de l’école. 
  • Un programme spécifique (c’est le cas du soutien au comportement positif) peut par exemple exiger un vote informé (présentation du projet sous différentes formes) et secret, supporté par une majorité d’au moins 80 % d’adhésion des enseignants. 
  • La condition est que le vote de chacun est libre et sans aucune coercition.

Ce processus assure qu’une majorité déterminante du personnel enseignant et encadrant va concrètement porter la réforme sur ses épaules et a joué un rôle décisif dans la sélection de ce projet. Le personnel est ainsi engagé pour une implantation approfondie choisie et voulue de haute qualité.

À partir de ce moment-là, de nombreuses pressions peuvent s’exercer sur les écoles. Il peut y avoir la volonté de mettre en œuvre le plus rapidement possible des projets et des réformes favorisant la réussite des élèves ou améliorant tel ou tel aspect du climat scolaire. 

Il peut être difficile de temporiser les démarches. Cependant, nous devons éviter toute précipitation et envie de brûler les étapes. Nous devons éviter de nous lancer tête baissée et nous assurer que les enseignants ont eu l’occasion de décider de pleine conscience de valider ce choix. Cette étape est cruciale.

En règle générale, une mise en œuvre approximative et bancale d’un projet trouve régulièrement son origine dans une adoption forcée, hâtive et faiblement informée. Celle-ci a négligé de s’assurer de l’engagement du personnel de l’école, et n’aura pas mis le temps et les moyens nécessaires. 

Les professionnels responsables des transformations concrètes doivent pouvoir s’engager avec toute leur conviction personnelle dans les efforts et dans la pratique délibérée nécessaires. L’enjeu est de pérenniser le changement et aboutir à de nouveaux usages et de nouvelles habitudes de travail. Tout le monde doit être associé dans une volonté commune de résoudre les problèmes quand ils se présentent.     



Des alternatives sont-elles possibles ?


Le développement de projets voulus indépendants et transposables d’école en école est une sorte de gué entre deux positions extrêmes d’un continuum :
  1. D’un côté, nous pouvons estimer que des changements durables et efficaces ne peuvent avoir lieu que si les innovations sont conçues et mises en place par les participants eux-mêmes au sein d’un établissement scolaire. 
    • Cela revient à défendre l’idée que des projets indépendants vont nécessairement montrer des limites en matière de maintien, de fonctionnement et de pertinence à l’échelle locale d’un établissement. 
    • Le risque d’une telle approche et qu’elle revient à tenter de réinventer la roue, en prenant le risque de développer quelque chose de faillible et sensible à l’épuisement d’équipes locales.
  2. De l’autre côté, nous pouvons favoriser des réformes systémiques, imposées à toutes les écoles. 
    • Ces réformes peuvent agir sur les structures de l’enseignement, mais n’impriment pas forcément des changements directs dans les pratiques en classe des enseignants. 
    • Pour s’assurer d’obtenir ceux-ci, accompagnements et formations seront nécessaires, de même qu’une forme d’adhésion des enseignants devra être exigée par défaut pour qu’elles puissent traduire une certaine efficacité. 
    • Nous sommes ici dans toute la problématique des politiques top down qui vont rencontrer de la résistance et l’incrédulité sur le terrain, qui peuvent se manifester par une application en surface des changements demandés et une efficience amoindrie.

La prise en compte de ces deux extrêmes met en évidence les avantages des projets indépendants.






Un processus de mise en œuvre global d’approches fondées sur des données probantes


Comme le rapporte Deltour (2021), selon Slavin (2008), des étapes spécifiques doivent être suivies lors de l’introduction de l’éducation basée sur les preuves. 

Premièrement, il convient d’étudier le corpus de recherche existant sur les interventions utiles ciblant des questions essentielles pour un système scolaire. Savoir quels programmes sont développés et évalués dans le monde entier et en particulier dans un système ressemblant au nôtre est la première étape. Les interventions les plus fiables doivent avoir été évaluées de manière approfondie ou doivent inclure des conditions d’intervention et de contrôle assignées de manière aléatoire. Cette enquête générale permet d’identifier les programmes qui sont prêts à être testés après quelques adaptations locales/culturelles, ainsi que les programmes qui pourraient entraîner des changements plus importants et ceux qui semblent inadaptés aux conditions locales. 

Deuxièmement, les informations sur les programmes efficaces doivent être largement diffusées. Cette étape nécessite un outil de communication spécifique dédié aux programmes efficaces, comme un site web ou une plateforme. L’outil doit être continuellement mis à jour pour refléter les développements de la recherche. 

Troisièmement, les programmes d’intervention doivent être développés. À ce stade du processus, des décisions doivent être prises concernant les programmes d’intervention qui peuvent être testés dans le système scolaire, les adaptations qui seront nécessaires et les critères d’évaluation qui seront utilisés. L’évaluation du programme peut commencer par une étude pilote. Lorsque la faisabilité est assurée, une évaluation à grande échelle avec assignation aléatoire peut alors être envisagée et organisée. 

Quatrièmement, les programmes doivent être diffusés. Lorsqu’une intervention s’est avérée efficace dans un contexte scolaire, elle peut être largement partagée. Cette étape nécessite des outils de communication et des incitations pour les écoles afin de motiver les enseignants et les administrateurs à adopter le programme et à le mettre en œuvre tel qu’il a été élaboré. L’adhésion du personnel est une exigence sans équivoque : un taux d’adhésion de 80 % du personnel doit être assuré par un vote secret. 

Cinquièmement, les domaines d’intervention peuvent être élargis. Après avoir mis en œuvre avec succès un petit nombre de programmes dans des domaines d’intervention ciblés, une approche fondée sur des preuves peut être étendue à d’autres domaines ou à d’autres niveaux d’enseignement. À chaque étape du processus, il est important de souligner l’évaluation rigoureuse de l’intervention, le caractère volontaire de l’adoption du programme et la fidélité de la mise en œuvre. 

Sixièmement, évaluer l’impact de la réforme au niveau national (ou local). Si la réforme visait des zones ou des niveaux d’éducation spécifiques et était utilisée dans l’ensemble du système scolaire, des améliorations plus rapides devraient être constatées dans ces zones ou niveaux d’éducation (Baye & Bluge, 2016). 
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En conclusion


La question est de se demander pourquoi de telles approches ne sont pas encore systématiques en éducation. Pourtant, elles lient la diffusion de pratiques efficaces fondées sur des données probantes, favorisent le développement de l’expertise et se basent sur une évaluation régulière de l’impact et des améliorations obtenues.

Il s’agit d’une question à laquelle il est temps que le système scolaire réponde, si du moins il veut installer une politique d’amélioration efficace et durable. Celle-ci doit activer, faire collaborer, profiter de l’expertise, et susciter l’engagement de chacun des niveaux hiérarchiques du système :
  • Celui des établissements et des équipes scolaires
  • Celui des instances organisatrices
  • Celui des chercheurs, formateurs, experts et porteurs de projets basés sur des données probantes.




Mis à jour le 27/01/2023


Bibliographie


Slavin, R. E. 1998. Far and wide: Developing and disseminating research-based programs. American Educator 22 (3): 8–11, 45.

Carl Hendrick & Robin Macpherson, What does this look like in the classroom, John Catt, 2017

Slavin, R. E. (2008). Perspectives on evidence-based research in education. What works? Issues in synthesizing educational program evaluations. Educational Researcher, 37(1), 5–14. https://doi.org/10.3102/0013189X08314117 

Deltour, Caroline. (2021). Adapting, implementing, and evaluating the effects of a comprehensive school reform program: the case of School-Wide Positive Behavior Interventions and Supports in French- speaking Belgium.

Baye, A., & Bluge, V. (2016). L’éducation fondée sur les preuves. Rapport du groupe d’expertise mandaté dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence.

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