
(Photographie : Jun Takahashi)
Distinguer intelligence fluide et fonctions exécutives
L’intelligence fluide (Gf) et les fonctions exécutives s’inscrivent dans des traditions de recherche distinctes avec des méthodes, objectifs et champs d’application qui différent.
L’intelligence fluide (Gf) se réfère à la capacité de raisonnement abstrait et de résolution de problèmes nouveaux sans l’aide de connaissances antérieures.
- Elle est étudiée dans les domaines de la recherche sur l’intelligence et en corrélation avec d’autres variables (réussite scolaire, professionnelle ou santé). Les neurosciences cognitives s’emploient à en identifier les bases neuronales. Les psychologues du développement s’intéressent à l’évolution de l’intelligence fluide au cours de la vie.
Les fonctions exécutives sont un ensemble de processus de contrôle cognitif qui permettent de réguler, de planifier et d’adapter le comportement pour atteindre des objectifs.
- Elles sont étudiées dans les domaines de la neuropsychologie en lien avec des déficits à la suite de lésions cérébrales ou dans le cadre de troubles neurologiques et psychiatriques. Les chercheurs en psychologie du développement analysent leur développement progressif de l’enfance à l’âge adulte. Dans le cadre de la psychologie clinique, elles sont au cœur de la compréhension et du traitement de nombreux troubles du comportement et de la pensée.
Ces deux concepts se rencontrent en matière de corrélations élevées à travers des facteurs comme la mémoire de travail, l’attention contrôlée et la vitesse de traitement (Engle et coll., 1999).
Si l’intelligence fluide décrit une aptitude cognitive générale prédictive de la performance, les fonctions exécutives expliquent les mécanismes cognitifs qui sous-tendent cette aptitude.
Comprendre l’intelligence fluide
L’intelligence fluide (Gf), introduite par Raymond B. Cattell (1963), désigne la capacité de l’individu à raisonner de façon abstraite, à identifier des relations et à résoudre des problèmes nouveaux indépendamment des connaissances acquises ou de l’expérience culturelle.
Elle se distingue de l’intelligence cristallisée (Gc), qui renvoie aux connaissances, compétences et habiletés accumulées par l’éducation et l’expérience.
Selon Carroll (1993) et la théorie de Cattell-Horn-Carroll (CHC), l’intelligence fluide est considérée comme une aptitude cognitive de large portée, placée au sommet d’une hiérarchie de capacités cognitives. L’intelligence fluide constitue un prédicteur robuste de la réussite scolaire et professionnelle, et de l’adaptabilité cognitive (Deary, 2012).
L’intelligence fluide est généralement considérée comme atteignant son apogée à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte, puis déclinant progressivement avec l’âge. En revanche, l’intelligence cristallisée a tendance à continuer de croître tout au long de la vie, à mesure que l’individu accumule de nouvelles connaissances et expériences.
Processus cognitifs de l’intelligence fluide
Différentes processus cognitifs sont typiquement associés à l’intelligence fluide :
Le raisonnement inductif et déductif :
- Le raisonnement inductif est la capacité à identifier des motifs, des relations et des règles à partir et à les généraliser à partir d’exemples (Carpenter, Just, & Shell, 1990).
- Le raisonnement déductif : aptitude à appliquer des règles générales à des situations spécifiques pour en tirer des conclusions logiques.
La résolution de problèmes nouveaux :
- Elle implique la capacité à élaborer des stratégies pour résoudre des tâches inédites, et à percevoir et à comprendre les liens entre différents concepts, objets ou informations, même s’ils n’ont jamais été rencontrés auparavant.
- Ce processus inclut la flexibilité cognitive pour ajuster la stratégie lorsque la première tentative échoue (Kyllonen & Christal, 1990).
La mémoire de travail :
- La mémoire de travail joue un rôle central. Elle permet de maintenir, manipuler et actualiser des informations nécessaires au raisonnement (Engle, Tuholski, Laughlin, & Conway, 1999).
- La mémoire de travail est étroitement liée à l’intelligence fluide, car une bonne capacité de mémoire de travail est essentielle pour le raisonnement abstrait.
La vitesse de traitement :
- Elle facilite le maintien de la précision cognitive en réduisant la perte d’informations (Kail & Salthouse, 1994).
- Cette composante est la rapidité avec laquelle un individu peut effectuer des tâches cognitives simples et automatiques, comme la vitesse de perception, la vitesse de réaction ou la vitesse de décision. Elle influence la fluidité du raisonnement et la capacité à traiter de nouvelles informations rapidement.
Le contrôle attentionnel :
- C’est la capacité à sélectionner les informations pertinentes et à inhiber les distractions ou réponses automatiques (Unsworth & Engle, 2007).
- Il est étroitement lié aux fonctions exécutives (Miyake & Friedman, 2012).
Le modèle de Miyake et coll. (2000, 2012) des fonctions exécutives
Les fonctions exécutives forment un ensemble de processus cognitifs de haut niveau qui permettent de contrôler et de réguler les pensées et les actions.
Les fonctions exécutives regroupent un ensemble de processus de contrôle attentionnel qui permettent d’orienter, de coordonner et de réguler les activités cognitives. Selon le modèle unifié, mais fractionné de Miyake et coll. (2000), elles incluent trois composantes principales :
- La mise à jour de la mémoire de travail :
- C’est la capacité à maintenir et à manipuler temporairement des informations pertinentes pour une tâche en cours (Morrison & Chein, 2011).
- Une bonne mémoire de travail permet de jongler avec plusieurs éléments d’information en même temps, ce qui est fondamental pour le raisonnement logique et la résolution de problèmes complexes.
- La flexibilité cognitive :
- C’est la capacité à passer d’une tâche à une autre ou à changer de perspective mentale ou de stratégie face à de nouvelles exigences.
- Elle est cruciale pour l’adaptation à des situations inattendues et pour la génération de solutions alternatives, deux aspects clés de l’intelligence fluide.
- L’inhibition :
- C’est le contrôle des réponses automatiques ou inappropriées afin de maintenir la focalisation sur un objectif (Diamond, 2013). Il s’agit de la capacité à supprimer les informations ou les réponses non pertinentes pour se concentrer sur l’objectif principal.
- Cette fonction est vitale pour éviter les distractions et les comportements impulsifs, permettant ainsi une pensée plus ciblée et efficace.
Cette conception classique des fonctions exécutives a depuis évolué. Miyake & Friedman (2012) ont proposé une révision de ce modèle sur base de données issues d’études longitudinales et génétiques, en avançant quatre conclusions générales :
- Existence d’un facteur commun :
- Toutes les fonctions exécutives partagent une base cognitive commune.
- Ce facteur correspond à la capacité à maintenir des objectifs et à contrôler l’attention en accord avec ces objectifs.
- C’est ce facteur qui explique la corrélation observée entre les différentes tâches exécutives.
- Spécificité de la mise à jour de la mémoire de travail
- La mise à jour repose à la fois sur le facteur commun et sur une variance spécifique liée à la capacité de surveiller et rafraîchir le contenu de la mémoire de travail.
- Spécificité de la flexibilité cognitive
- La flexibilité cognitive implique le facteur commun (garder un but en mémoire), mais aussi une variance spécifique liée à la capacité à réallouer efficacement les ressources entre tâches, règles ou représentations.
- Absence d’un facteur spécifique pour l’inhibition
- Contrairement au modèle de 2000, l’inhibition ne constitue pas une dimension indépendante.
- Les différences individuelles dans les tâches d’inhibition sont expliquées uniquement par le facteur commun, ce qui signifie que l’inhibition n’est pas une fonction exécutive « fractionnée », mais plutôt une manifestation du contrôle attentionnel global.
Le modèle peut être représenté sous forme hiérarchique :
- Niveau général : un facteur commun, responsable du maintien des objectifs, du contrôle attentionnel et de l’autorégulation.
- Niveau spécifique : deux composantes différenciées (mise à jour de la mémoire de travail et flexibilité), qui ajoutent des variations propres.
- Pas de facteur inhibition : les performances en inhibition sont absorbées par le facteur commun.
Le modèle de Friedman & Robbins (2022) des fonctions exécutives
Les modèles fondateurs de Miyake et coll. (2000) et de Miyake & Friedman (2012) ont permis d’identifier l’organisation des fonctions exécutives autour d’un facteur et de composantes spécifiques. Ces composantes spécifiques sont en particulier la mise à jour de la mémoire de travail et la flexibilité cognitive.
Toutefois, ces approches reposaient essentiellement sur des analyses factorielles de tâches comportementales. Friedman & Robbins (2022) ont élargi ce cadre afin d’ancrer les fonctions exécutives dans une conception plus biologique et adaptative.
Friedman & Robbins (2022) établissent que le contrôle cognitif présente à la fois une unité (processus partagés) et une diversité (composantes distinctes). Grâce à l’analyse psychométrique, les chercheurs ont identifié trois composantes principales :
- Contrôle cognitif commun
- Flexibilité cognitive : basculement entre différents ensembles de tâches
- Mise à jour de la mémoire de travail : maintien et actualisation de l’information
La composante unitaire du contrôle cognitif reflète probablement :
- Le maintien et le biais des objectifs : maintien actif des objectifs de la tâche et leur utilisation pour guider le traitement
- L’inhibition de réponse
Cette recherche suggère que l’inhibition n’est pas un processus unitaire distinct, mais plutôt l’expression comportementale de mécanismes plus généraux de contrôle attentionnel et de gestion des objectifs. Cela remet en question les modèles traditionnels qui considèrent l’inhibition comme une fonction exécutive fondamentale séparée.
Dans leur méta-analyse (1055 études, 26,191 participants) , Rodríguez-Nieto et ses collègues (2022) montrent que l'inhibition englobe des sous-fonctions relativement hétérogènes. L'inhibition n'est pas un processus cognitif uniforme mais comprend au moins deux sous-types neuralement distincts :
- L’inhibition de réponse qui est la capacité à stopper ou empêcher une action motrice automatique lorsqu’elle devient inadaptée.
- Le contrôle de l’interférence qui est la capacité à résister à des distractions internes ou externes et à supprimer des représentations cognitives non pertinentes.
Le premier agit donc surtout sur les réponses motrices, le second sur les représentations cognitives.
Mis à jour le 23/08/2025
Bibliographie
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