mardi 29 juillet 2025

Lesson Study : un dispositif collaboratif de développement professionnel situé

Apparue au Japon à la fin du XIXe siècle sous le nom de Jugyō Kenkyū, la Lesson Study est une forme de développement professionnel et d’amélioration continue de l’enseignement.


(Photographie : rootlessly)



Le concept de Lesson Study


Lesson Study est la traduction la plus courante au niveau anglophone de l’expression japonaise correspondante. Cependant, Jugyō Kenkyū peut également être traduit par « recherche pédagogique », « recherche sur les cours » ou « étude de l’enseignement ». Ces autres appellations reflètent l’objectif général du processus qui est d’améliorer l’enseignement en général, plutôt que d’affiner un cours particulier. 

La Lesson Study trouve ses origines dans l’enseignement primaire japonais, où il s’agit d’une pratique courante de développement professionnel collaboratif. Travaillant en petits groupes, les enseignants collaborent entre eux. Ils se réunissent pour discuter des objectifs d’apprentissage. Ils planifient un cours réel (appelé « cours de recherche »). Ils observent comment leurs idées fonctionnent dans un cours réel avec des élèves. Puis ils rendent compte des résultats afin que d’autres enseignants puissent en tirer profit.

La Lesson Study consiste en une analyse collective de la pratique d’enseignement par la conception, l’expérimentation, l’observation et la révision d’une leçon. Elle s’oppose aux formations traditionnelles descendantes et souvent passives (conférences, ateliers isolés). 

Elle est axée sur l’amélioration continue de la leçon et de la compréhension de l’apprentissage des élèves. Elle vise à améliorer simultanément les pratiques pédagogiques et l’apprentissage des élèves selon une logique de co-apprentissage entre pairs enseignants.

La Lesson Study repose sur le paradigme du développement professionnel (Darling-Hammond & Richardson, 2009)



Le paradigme du développement professionnel situé selon Darling-Hammond & Richardson (2009)


Mis en avant par Linda Darling-Hammond et Nancy Richardson (2009), le paradigme du développement professionnel situé représente une évolution majeure dans la conception de la formation continue des enseignants. Ce paradigme s’inscrit en rupture avec les modèles traditionnels de développement professionnel, souvent caractérisés par des ateliers ponctuels et décontextualisés.

Cet ancien paradigme ; se caractérisait par des formations :
  • Ponctuelles et isolées : Souvent des journées de formation uniques, sans suivi.
  • Décontextualisées : Loin des réalités de la classe et des besoins spécifiques des élèves.
  • Passives : Basées sur des présentations magistrales ou des « trucs et astuces » sans réelle appropriation.
  • Sans suivi ou évaluation : Difficile de mesurer l’impact sur la pratique et l’apprentissage des élèves.
Le paradigme du développement professionnel situé correspond à une conception du développement professionnel des enseignants qui privilégie des dispositifs ancrés dans la pratique quotidienne de la classe et intégrés au contexte scolaire.

Selon Darling-Hammond et Richardson (2009), ce paradigme considère que l’efficacité du développement professionnel repose sur :
  • L’ancrage dans les situations authentiques de classe, permettant de traiter des problématiques concrètes.
  • La durée et la continuité des dispositifs, favorisant l’appropriation progressive des savoirs. 
  • La collaboration entre pairs, qui permet l’échange de pratiques et la co-construction de savoirs professionnels. 
  • La réflexivité, au sens de Schön (1983), qui transforme l’expérience vécue en apprentissage.
  • L’orientation vers l’amélioration des apprentissages des élèves, comme critère ultime d’efficacité.
Ainsi, le développement professionnel n’est pas conçu comme une transmission descendante de savoirs experts, mais comme un processus d’apprentissage situé et socialement médiatisé, inscrit dans la continuité du travail quotidien des enseignants.

Ce paradigme s’appuie sur plusieurs cadres conceptuels :
  • La théorie socioculturelle de Vygotski (1978), qui met en avant le rôle des interactions sociales et du contexte dans le développement des compétences.
  • L’apprentissage situé (Lave & Wenger, 1991), selon lequel les savoirs professionnels se construisent dans la participation active à des communautés de pratique.
  • La pratique réflexive (Schön, 1983), qui valorise la capacité des enseignants à analyser et ajuster leur action en cours et après coup.



Avantages et limites du paradigme du développement professionnel situé


Le paradigme du développement professionnel situé a des implications profondes pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement. La recherche empirique souligne plusieurs effets positifs du développement professionnel situé. 

Des études montrent que le développement professionnel qui suit ces principes a un impact significatif et positif sur les pratiques enseignantes et, par conséquent, sur les résultats des élèves (Darling-Hammond et coll., 2009).

En reconnaissant que l’apprentissage des enseignants est un processus social, complexe et intégré à leur travail, il offre un cadre pour :
  • Une transformation durable des pratiques pédagogiques : 
    • L’apprentissage est directement relié au contexte de classe (Darling-Hammond & Richardson, 2009).
    • En créant des cultures d’apprentissage collaboratif, ce paradigme contribue à transformer les écoles en des environnements où l’amélioration continue est une norme partagée par tous.
  • Un renforcement de la collaboration et de la culture professionnelle partagée au sein des établissements (Vescio, Ross & Adams, 2008) :
    • Il encourage les enseignants à devenir des apprenants à vie, des chercheurs praticiens et des collaborateurs, renforçant ainsi leur expertise et leur autonomie. 
  • Une meilleure articulation entre théories et pratiques : 
    • Il permet aux enseignants d’adapter leurs stratégies aux besoins réels de leurs élèves (Borko, 2004). 
Cependant, la mise en œuvre de ce paradigme suppose certaines conditions :
  • Un temps suffisant dédié à la collaboration et à la réflexion, souvent difficile à garantir. 
  • Un soutien structurel et organisationnel des directions scolaires et des autorités éducatives.
  • Un accès à une expertise externe sur les thématiques abordées par une formation de facilitateurs capables d’accompagner efficacement la démarche (Desimone, 2009).



Caractéristiques clés du paradigme du développement professionnel situé


Pour Darling-Hammond et Richardson (2009), un développement professionnel efficace et situé se caractérise par plusieurs éléments interdépendants :
  • Ancré dans la pratique des enseignants et dans le contexte de l’école :
    • Le développement professionnel n’est plus une activité séparée de l’enseignement, mais il est directement intégré au travail quotidien des enseignants. 
    • L’apprentissage professionnel se déroule dans la classe, en lien avec les défis réels rencontrés avec les élèves et les spécificités du programme. 
    • Les enseignants apprennent mieux en faisant, en observant et en réfléchissant sur leur propre pratique et celle de leurs pairs.
  • Intensif, soutenu et continu : 
    • Contrairement aux formes de développement professionnel en une seule session de formation classique qui ont peu d’impact, le développement professionnel situé est un processus continu et de longue durée. 
    • Il s’étale sur plusieurs mois, voire années, avec des interactions régulières et des opportunités d’approfondissement. 
    • Cette continuité permet aux enseignants d’assimiler de nouvelles stratégies, de les essayer, de recevoir des retours, de les affiner et de les intégrer durablement dans leur répertoire pédagogique.
  • Axé sur le contenu disciplinaire : 
    • Le développement professionnel le plus efficace n’est pas générique, mais spécifique à la matière enseignée. 
    • Il aborde comment enseigner des concepts précis dans une discipline donnée (par exemple, les fractions en mathématiques ou l’analyse littéraire en français). 
    • Cela aide les enseignants à construire leur connaissance pédagogique du contenu, c’est-à-dire la compréhension de ce qu’il faut enseigner et de la meilleure façon de le faire pour aider les élèves à apprendre.
  • Actif et expérientiel : 
    • Les enseignants ne sont pas des réceptacles passifs d’informations. Ils sont activement engagés dans le processus d’apprentissage par la conception de leçons, la pratique de nouvelles stratégies, l’analyse de vidéos de leur enseignement, ou l’expérimentation en classe. 
    • L’apprentissage actif favorise une transformation de la pratique plutôt qu’une simple superposition de nouvelles techniques sur les anciennes.
  • Collaboratif et collégial : 
    • Le développement professionnel situé met l’accent sur l’apprentissage entre pairs. Les enseignants travaillent en groupes, partagent leurs expériences, observent mutuellement leurs classes, échangent des idées, et résolvent collectivement des problèmes. 
    • Cela crée des « communautés d’apprentissage professionnelles » où le dialogue et le soutien mutuel sont essentiels pour l’amélioration de la pratique 
  • Guidé par la recherche et les données probantes : 
    • Ce paradigme insiste sur l’utilisation des résultats de la recherche pour éclairer les pratiques pédagogiques. 
    • Il encourage également les enseignants à adopter une posture de recherche dans leur propre classe, en collectant des données sur l’apprentissage de leurs élèves pour évaluer l’efficacité de leurs interventions et ajuster leur enseignement.



Un processus structuré et cyclique pour la Lesson Study


Au Japon, le temps moyen consacré à un processus cyclique de Lesson Study peut correspondre à une planification de plus de cinq semaines.


Définition d’un objectif de recherche (Study Phase) : 3 à 5 h


Un groupe d’enseignants (souvent 3 à 6) identifie collaborativement un problème d’apprentissage des élèves ou un domaine spécifique de leur pratique qu’ils souhaitent améliorer. 

L’objectif est souvent très précis, par exemple : « Comment aider les élèves à comprendre le concept de fraction ? », ou « Comment encourager la participation des élèves en difficulté ? ».

Cette phase implique également une recherche approfondie (étude de la littérature pédagogique, des programmes scolaires, des manuels) pour mieux comprendre le contenu didactique et les difficultés potentielles des élèves (Lewis & Hurd, 2011 ; Stigler & Hiebert, 1999).


Planification collaborative d’une « leçon de recherche » (Plan Phase) : 3 à 6 h


Les enseignants conçoivent ensemble une leçon détaillée, appelée « leçon de recherche » (research lesson), spécifiquement conçue pour répondre à l’objectif défini. Ils anticipent les réactions et les malentendus possibles des élèves, ainsi que les stratégies pédagogiques à mettre en œuvre.

Le plan de leçon est méticuleusement élaboré, souvent plus détaillé qu’un plan de leçon habituel, afin de prévoir chaque interaction et chaque question (Fernandez & Yoshida, 2004).

Idéalement, une personne compétente et expérimentée dans le domaine fournit des ressources et stimule la réflexion de l’équipe.


Enseignement et observation de la leçon (Teach and Observe Phase) : 1 h


Un des membres du groupe enseigne la leçon de recherche à une classe « réelle », tandis que les autres membres observent attentivement. L’objectif de l’observation n’est pas d’évaluer l’enseignant, mais de focaliser l’attention sur les réactions et les apprentissages des élèves. 

Les observateurs notent les moments où les élèves comprennent, où ils sont en difficulté, leurs questions, leurs interactions, etc. (Lewis, 2002). Des données sont souvent collectées, telles que des enregistrements vidéo, des notes détaillées sur les comportements des élèves, et des exemples de travaux d’élèves.

Des observateurs extérieurs à l’école peuvent observer également et apportent un regard neuf.


Discussion et réflexion (Reflect Phase) : 1 à 2 h


Immédiatement après la leçon, le groupe se réunit pour une discussion approfondie et critique. L’enseignant qui a mené la leçon partage ses observations et son ressenti. Les observateurs partagent leurs notes sur l’apprentissage des élèves, en se basant sur des preuves concrètes.

La discussion est facilitée par un expert (un enseignant expérimenté, un chercheur ou un conseiller pédagogique). Celui-ci aide le groupe à analyser ce qui a fonctionné, ce qui n’a pas fonctionné et pourquoi, toujours dans la perspective de l’apprentissage des élèves. Les enseignants réfléchissent à l’impact de leurs choix pédagogiques sur les élèves (Lewis, 2002 ; Stigler & Hiebert, 1999).

Un commentateur final extérieur à l’école peut fournir une analyse experte et des suggestions pour les travaux futurs.


Révision et réenseignement (Revise and Re-teach Phase — optionnel, mais fréquent) : 1 à 2 h


Sur la base des observations et des discussions, la leçon est révisée. Parfois, un autre membre du groupe enseigne la leçon révisée à une nouvelle classe, permettant d’observer si les ajustements apportés ont eu l’effet désiré. Ce cycle peut être répété plusieurs fois.


Diffusion et partage


Les résultats de la Lesson Study sont partagés afin d’améliorer l’enseignement et l’apprentissage dans l’ensemble de la communauté.

L’équipe et les responsables de l’école rendent compte des conclusions et identifient les besoins pour les travaux futurs. 



Apports de la Lesson Study pour le développement professionnel


Les Lesson Study sont reconnues comme une forme hautement efficace de développement professionnel pour plusieurs raisons (Lewis & Hurd, 2011 ; Fernandez & Yoshida, 2004) :
  • Une centration sur l’apprentissage des élèves : 
    • Contrairement à d’autres formations qui se concentrent sur les méthodes d’enseignement, les Lesson Study mettent l’accent sur la compréhension des processus d’apprentissage des élèves. 
    • Cette démarche aide les enseignants à mieux anticiper les difficultés et à adapter leur pédagogie aux besoins réels des apprenants.
  • Un apprentissage actif et contextualisé : 
    • Les enseignants sont activement engagés dans la conception, l’expérimentation et la réflexion sur leur propre pratique.
    •  L’apprentissage se fait « sur le terrain », dans leur contexte de classe, ce qui rend les connaissances acquises directement applicables et pertinentes.
  • Une collaboration dans la construction de savoirs :
    • Les Lesson Study favorisent une culture de collaboration et de partage de connaissances parmi les enseignants. Ils apprennent les uns des autres, mutualisent leurs expériences et construisent collectivement un savoir pédagogique fondé sur des preuves concrètes.
  • Une amélioration des connaissances pédagogiques du contenu : 
    • En analysant en profondeur comment un contenu spécifique est appris par les élèves, les enseignants développent leur compréhension de la meilleure façon d’enseigner une matière particulière.
  • Un développement de compétences de recherche et de réflexion : 
    • Les enseignants développent des compétences d’observation, d’analyse critique, de formulation d’hypothèses et de résolution de problèmes, transformant leur pratique en une démarche de recherche-action (Stigler & Hiebert, 1999).
  • Un impact durable : 
    • En raison de leur nature cyclique, collaborative et basée sur l’expérimentation, les Lesson Study sont plus susceptibles d’entraîner des changements durables dans les pratiques d’enseignement. Par opposition, c’est bien moins le cas pour des formations ponctuelles qui ont souvent un impact limité à long terme.



Avantages et limites de la Lesson Study pour le développement professionnel


La recherche a montré que la Lesson Study :
  • Favorise la réflexivité professionnelle et la construction collective de savoirs pédagogiques (Fernandez, 2005)
  • Renforce la cohérence curriculaire et la capacité des enseignants à articuler contenus disciplinaires et stratégies pédagogiques (Lewis et coll., 2006)
  • Améliorent la qualité des apprentissages des élèves en permettant d’adapter plus finement les pratiques aux besoins observés (Murata, 2011)
  • Crée une culture collaborative durable, contribuant à la professionnalisation de l’enseignement au-delà du développement individuel (Dudley, 2014).

Toutefois, leur implantation hors du contexte japonais nécessite certaines adaptations. Les contraintes temporelles, institutionnelles et culturelles peuvent freiner leur mise en œuvre (Cerbin & Kopp, 2006). De plus, leur efficacité dépend fortement du climat de confiance entre enseignants et du soutien des directions scolaires (Lewis & Perry, 2017).


Mis à jour le 29/07/2025

Bibliographie


Darling-Hammond, L., & Richardson, N. (2009). Teacher Learning: What Matters? Educational Leadership, 66(5), 46-53.

Darling-Hammond, L., Wei, R. C., Andree, A., Richardson, N., & Orphanos, S. (2009). Professional learning in the learning profession: A status report on teacher development in the United States and abroad. Dallas, TX : National Staff Development Council.

Schön, D. (1983). The Reflective Practitioner: How Professionals Think in Action. Basic Books.

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Lewis, C., Perry, R., & Hurd, J. (2006). Improving mathematics instruction through lesson study: A theoretical model and North American case. Journal of Mathematics Teacher Education, 9(2), 107–126.

Lewis, C., & Hurd, J. (2011). Lesson study step by step. Heinemann.

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Stigler, J. W., & Hiebert, J. (1999). The Teaching Gap: Best Ideas from the World’s Teachers for Improving Education in the Classroom. Free Press.

Fernandez, C., & Yoshida, M. (2004). Lesson Study: A Japanese approach to improving mathematics teaching and learning. Lawrence Erlbaum Associates Publishers.

Fernandez, C. (2005). Lesson study: A means for elementary teachers to develop the knowledge of mathematics needed for reform-minded teaching? Mathematical Thinking and Learning, 7(4), 265–289.

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Dudley, P. (2014). Lesson Study: Professional Learning for Our Time. Routledge.

Cerbin, W., & Kopp, B. (2006). Lesson Study as a Model for Building Pedagogical Knowledge and Improving Teaching. International Journal of Teaching and Learning in Higher Education, 18(3), 250–257.

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