vendredi 11 juillet 2025

Impact des émotions sur la réussite scolaire dans le cadre de théorie du contrôle et de la valeur des émotions liées à la réussite

Les émotions sont des états affectifs complexes qui résultent d’une évaluation subjective d’une situation et s’accompagnent de réactions physiologiques, comportementales et cognitives (Scherer, 2001).

Les émotions jouent un rôle central et multiforme dans l’expérience d’apprentissage. Elles influencent non seulement le bien-être psychologique des élèves, mais aussi leurs stratégies cognitives, leur motivation et, au final, leur réussite scolaire.


(Photographie : pinewoodmystery)




Cadre de la théorie de la valeur de contrôle


La théorie du contrôle et de la valeur des émotions liées à la réussite (Control-Value Theory of Achievement Emotions a été développée par Reinhard Pekrun (2006). Elle est l’un des cadres théoriques les plus influents pour comprendre comment les émotions influencent l’apprentissage et la réussite scolaire. 

La théorie postule que les émotions liées aux apprentissages ou aux performances sont principalement déterminées par deux types d’évaluations cognitives :
  • Le contrôle perçu : 
    • C’est la croyance qu’a l’élève quant à sa capacité à influencer ou maîtriser le déroulement ou le résultat d’une activité scolaire. L’élève évalue sa capacité à accomplir une tâche ou à atteindre un objectif. 
    • Cette évaluation est étroitement liée au sentiment d’auto-efficacité (Bandura, 1997) et aux attributions causales (Weiner, 1985).
    • Un sentiment de contrôle élevé est associé à des émotions positives (ex. : joie, fierté). « Je peux réussir si je m’y mets ».
    • Un faible sentiment de contrôle peut conduire à des émotions négatives (ex. : anxiété, honte). « Je n’ai aucun pouvoir sur ma note ».
  • La valeur perçue :
    • C’est l’importance ou la signification que l’élève attribue à la tâche, à un objectif ou à un résultat. 
    • Elle peut être intrinsèque (intérêt pour l’activité elle-même). « Cette matière m’intéresse ».
    • Elle peut être extrinsèque (valeur du résultat, conséquences futures, reconnaissance). « Je dois réussir pour obtenir mon diplôme ». 
    • Une valeur élevée est associée à des émotions intenses, qu’elles soient positives ou négatives.
    • Une faible valeur est souvent liée à l’ennui ou à l’indifférence.



Caractéristiques des émotions


Les émotions scolaires, selon Pekrun (2006), sont des émotions directement liées aux activités d’apprentissage, aux résultats des examens, aux situations d’évaluation et à l’environnement scolaire en général. Elles peuvent être classées selon plusieurs dimensions :
  • Valence : 
    • Les émotions peuvent être positives (ex. : joie, fierté, espoir) ou négatives (ex. : anxiété, ennui, colère, honte). 
    • La valence d’une émotion est déterminante pour ses effets sur la motivation et la performance.
  • Activation : 
    • Les émotions peuvent être activantes (ex. : joie, anxiété) ou désactivantes (ex. : ennui, soulagement). 
    • Les émotions activantes préparent l’organisme à l’action, tandis que les émotions désactivantes sont associées à une diminution de l’énergie et de l’engagement.
  • Objet : 
    • Les émotions peuvent être orientées vers l’activité (ex. : joie d’apprendre), vers le résultat (ex. : anxiété avant un examen), ou vers l’individu lui-même (ex. : fierté de sa réussite).
  • Intensité et Fréquence : 
    • L’intensité et la fréquence des émotions vécues affectent également leurs impacts. Des niveaux modérés d’anxiété peuvent être adaptatifs, alors que des niveaux élevés sont néfastes.



Typologie des émotions


Dans la théorie du contrôle et de la valeur des émotions liées à la réussite, deux dimensions décrivent l’affect humain. Elles sont utilisées pour distinguer les types d’émotions :
  • La valence : l’émotion est positive ou négative
  • L’activation : l’émotion est activante ou désactivante
L’utilisation de ces dimensions permet de distinguer quatre grands groupes d’émotions. 

De manière générale, les émotions positives activantes ont un effet positif évident, et les émotions négatives désactivantes ont un effet négatif évident.


Les émotions positives activantes 


Certaines émotions présentent un contrôle et une valeur élevés. C’est le plaisir ou la joie d’apprendre, ou la fierté face à une réussite attendue en sont des exemples. L’élève se sent capable de réussir une tâche importante. 

L’espoir, lié à une attente positive d’un succès, est considéré comme une émotion positive et activante, mais avec un contrôlé modéré à élevé et une valeur élevée.

Ces émotions :
  • Préservent les ressources cognitives
  • Concentrent l’attention sur la tâche d’apprentissage
  • Soutiennent l’intérêt et la motivation intrinsèque
  • Facilitent l’apprentissage profond
Ces émotions devraient influencer positivement les résultats scolaires des élèves dans la plupart des conditions de travail. 


Les émotions négatives activantes


L’anxiété liée à la crainte d’échouer correspond à un contrôle incertain et à une valeur élevée. L’élève perçoit la tâche comme importante, mais doute de sa capacité à la réussir.

La colère liée à une frustration face à l’injustice correspond à un contrôle faible et à une valeur élevée. Elle est souvent liée à des obstacles externes perçus comme injustes.

Ces émotions : 
  • Réduisent les ressources cognitives en induisant des pensées non pertinentes, telles que l’inquiétude d’un échec à un test 
  • Sapent la motivation intrinsèque. 
  • Peuvent déclencher une motivation extrinsèque à investir des efforts pour éviter l’échec. 
  • Peuvent faciliter l’utilisation de stratégies d’apprentissage plus rigides, comme la mémorisation par cœur. 


Les émotions négatives désactivantes


La honte est liée à un échec ressenti comme humiliant. Elle correspond à un contrôle faible et à une valeur élevée. L’élève attribue l’échec à des causes internes et incontrôlables.

L’ennui est lié à un désintérêt et à la passivité. Il correspond à un contrôle élevé ou faible et à une valeur faible. L’élève perçoit la tâche comme trop facile ou trop difficile, mais surtout comme sans intérêt.

Le désespoir est lié à un sentiment d’impuissance. Il correspond à un contrôle faible et à une valeur élevée.
 
Ces émotions : 
  • Réduisent les ressources cognitives et l’attention portée à la tâche
  • Sapent la motivation intrinsèque et extrinsèque
  • Favorisent le traitement superficiel de l’information.
Les émotions négatives désactivantes ont une influence négative sur les résultats des élèves. 


Les émotions positives désactivantes


La relaxation ou le soulagement en sont des exemples. Le soulagement correspond à l’atteinte d’un objectif important après une période d’anxiété.

Ces émotions :
  • Réduisent l’attention et l’effort sur le moment
  • Renforcer la motivation à long terme pour se réengager dans l’apprentissage.


Influence des émotions


La théorie du contrôle et de la valeur des émotions liées à la réussite postule que les émotions influencent :
  • La cognition : 
    • Les émotions positives activantes améliorent la mémoire de travail, l’attention soutenue et la résolution de problème. Elles favorisent la flexibilité cognitive, la pensée créative, l’élaboration de stratégies d’apprentissage plus profondes (ex. : élaboration, organisation, esprit critique) et une meilleure régulation de l’apprentissage (Fredrickson, 2001).
    • Les émotions négatives comme l’anxiété détournent l’attention vers des pensées préoccupantes, diminuant les ressources cognitives disponibles (Eysenck et coll., 2007).
      • L’anxiété réduit la capacité de la mémoire de travail, entrave l’accès aux informations stockées en mémoire à long terme, et encourage des stratégies d’apprentissage de surface (Pekrun et coll., 2002). L’anxiété de performance peut mener à une motivation extrinsèque, inefficace et au désengagement scolaire (Putwain & Symes, 2011).
      • L’ennui : Diminue la capacité d’attention et de concentration. Il rend difficile le traitement approfondi de l’information.
      • La colère, bien que parfois activante, peut conduire à des comportements impulsifs et à une diminution de la pensée réfléchie.
  • La motivation
    • Les émotions positives (joie, intérêt, fierté) sont fortement associées à une motivation intrinsèque accrue, à un engagement plus profond dans les tâches d’apprentissage, et à une persévérance face aux défis. Elles favorisent l’adoption d’objectifs de maîtrise, où l’accent est mis sur le développement des compétences plutôt que sur la simple performance (Dweck & Leggett, 1988). 
      • L’enthousiasme et la fierté favorisent l’engagement intrinsèque. La peur de l’échec pousse à l’évitement des tâches, à la procrastination, voire à l’abandon scolaire si elle n’est pas régulée. 
      • L’enthousiasme est associé à une plus grande persévérance (Mega et coll., 2014). 
    • Si une anxiété modérée peut parfois stimuler la préparation, une anxiété élevée est généralement délétère. Elle détourne l’attention des tâches cognitives vers des préoccupations intrusives (« Je vais échouer », « Les autres vont me juger »). Elle réduit la capacité de la mémoire de travail et conduit à des stratégies d’apprentissage superficielles (ex. : mémorisation par cœur) ou à l’évitement (Pekrun et coll., 2002).
      • L’ennui mène à un désengagement, une attention réduite, et un manque de persévérance. Les élèves ennuyés sont moins susceptibles de s’investir dans l’apprentissage et peuvent adopter des comportements perturbateurs ou de retrait (Pekrun et coll., 2010). L’ennui ou la frustration entraînent des comportements d’évitement et des absences scolaires accrues (Tze, Daniels & Klassen, 2016).
      • La honte et le désespoir sont particulièrement dommageables. Elles sont souvent associées à des attributions de l’échec à des causes internes et incontrôlables (manque d’intelligence), sapant ainsi l’estime de soi et l’auto-efficacité, et conduisant à l’impuissance apprise.
  • La métacognition :
    • Les émotions influencent la capacité des élèves à réguler leur propre apprentissage, y compris la planification, le suivi et l’ajustement de leurs stratégies.
    • Les émotions positives sont associées à une meilleure autorégulation, car elles favorisent la persévérance, l’adoption de stratégies adaptatives, et une gestion efficace du temps.
    • Les émotions négatives, en particulier l’anxiété et l’ennui, peuvent perturber l’autorégulation. Elles conduisent à de la procrastination, à un manque de planification, à de faibles efforts, à une mauvaise gestion du temps et une incapacité à ajuster les stratégies face aux difficultés.
  • La santé mentale :
    • Des niveaux élevés et prolongés d’émotions négatives (anxiété, frustration) peuvent contribuer au stress chronique et au burnout scolaire. Ils affectent la santé mentale générale des élèves (risque de dépression ou d’anxiété généralisée) et, par ricochet, leur capacité à apprendre efficacement (Salmela-Aro & Upadyaya, 2014).
    • À l’inverse, des émotions positives contribuent à un meilleur bien-être et à une plus grande résilience face aux défis scolaires. Les émotions de fierté et de compétence renforcent l’auto-efficacité et l’estime de soi, ce qui, en retour, influence positivement les attentes de réussite et la performance future. À l’inverse, la honte ou le désespoir peuvent éroder ces construits (Bandura, 1997).
  • Le climat d’apprentissage : 
    • Les émotions influencent les interactions entre pairs et enseignants : les élèves exprimant des émotions positives sont perçus comme plus compétents et reçoivent plus de soutien (Meyer & Turner, 2006).
    • Les climats émotionnels scolaires positifs favorisent la réussite collective (Zins et coll., 2004).
    • La joie et l’intérêt sont associés à une plus grande participation en classe, à la prise d’initiatives et à la recherche d’aide. L’anxiété sociale ou la honte peuvent inhiber la prise de parole et l’interaction (Goetz et coll., 2006).
    • Les émotions peuvent influencer le climat de classe. La colère et la frustration peuvent mener à des comportements perturbateurs, tandis que l’empathie et la joie favorisent des interactions positives avec les pairs et les enseignants.


Implications pédagogiques


La gestion des émotions peut être directe ou indirecte

Gestion directe

Des interventions visant à réguler les émotions (ex. : gestion de l’anxiété, promotion de l’intérêt) ont montré des effets positifs sur la motivation, les stratégies d’apprentissage et la réussite scolaire (Putwain et coll., 2020). Par exemple, des programmes de formation aux compétences de gestion du stress ou de reformulation cognitive des pensées négatives ont réduit l’anxiété des examens et amélioré les résultats.

Nous pouvons également promouvoir des attributions causales internes et contrôlables pour la réussite et l’échec.

Nous pouvons célébrer les réussites, encourager l’autonomie et créer un environnement d’apprentissage stimulant et bienveillant.


Gestion indirecte

Pour améliorer l’impact des émotions sur la réussite scolaire, nous pouvons : 
  • Augmenter le contrôle perçu
    • Enseigner explicitement des stratégies d’apprentissage autonome
    • Privilégier une rétroaction constructive
    • Promouvoir une pédagogie de la maîtrise plutôt que de la performance par le biais d’un enseignement explicite et adaptatif
  • Augmenter la valeur perçue : 
    • Créer du sens personnel (ex. : relier la matière à des enjeux concrets ou aux objectifs personnels des élèves)
    • Susciter l’intérêt en engageant les élèves, en les mettant au défi et en leur donnant des opportunités de réussite
  • Proposer des tâches de difficulté appropriée, en offrant un soutien suffisant
Ces deux leviers permettent de favoriser des émotions scolaires bénéfiques, tout en réduisant l’impact des émotions néfastes.


Mis à jour le 11/07/2025

Bibliographie 


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