jeudi 24 juillet 2025

Anxiété liée au test et théorie du contrôle attentionnel

Les contextes d’évaluation (tests, examens, interrogations) sont des déclencheurs fréquents d’anxiété dans un contexte scolaire.

(Photographie : Joel Persels)


Des études ont montré que les élèves avec une forte anxiété d’évaluation performent moins bien que leurs pairs, même à compétence égale (Owens et coll., 2012 ; Putwain, 2008). Cette anxiété liée au test nuit à la performance non pas nécessairement par manque de compétence, mais par une surcharge cognitive. 



Deux formes d’anxiété


On peut distinguer deux formes d’anxiété, l’anxiété-trait et l’anxiété-état

Cette distinction repose sur les travaux de Spielberger (1966, 1972, 1983), qui a conceptualisé l’anxiété selon deux dimensions complémentaires : l’anxiété comme état émotionnel transitoire et l’anxiété comme trait de personnalité stable.


L’anxiété comme état émotionnel transitoire 


L’anxiété-état désigne une réaction émotionnelle transitoire à une situation perçue comme menaçante ou stressante. 

Elle se manifeste par :
  • Des manifestations physiologiques : accélération du rythme cardiaque ou tension musculaire, etc.
  • Des émotions conscientes : appréhensions, peur ou inquiétude
  • Une tendance à l’hypervigilance ou à la focalisation sur les signaux de danger.
Cette forme d’anxiété est fluctuante, situationnelle et est fonction du contexte. Elle est donc dynamique et réactive. Son intensité peut varier considérablement d’un moment à l’autre et d’une situation à l’autre, en fonction de la perception de la menace et des ressources de coping disponibles pour y faire face.

Par exemple, une personne peut ressentir une forte anxiété-état avant un examen, mais revenir à un état calme une fois l’épreuve terminée.


L’anxiété comme trait de personnalité stable


L’anxiété-trait renvoie à une disposition de la personnalité relativement stable et durable à percevoir un large éventail de situations comme menaçantes. Les individus concernés vont réagir à ces situations par des états d’anxiété (Spielberger, 1972), même lorsqu’elles ne le sont objectivement pas. 

Elle se caractérise par :
  • Une prédisposition générale ou une caractéristique de la personnalité. Elle est relativement stable dans le temps et à travers les situations.
  • Une vulnérabilité cognitive et émotionnelle persistante face à l’incertitude ou au stress 
  • Une probabilité accrue de développer une anxiété-état intense en réponse à des événements banals.

Ainsi, une personne ayant une forte anxiété-trait est plus susceptible de manifester une anxiété-état intense dans diverses situations.

Une personne ayant un niveau élevé d’anxiété-trait peut s’inquiéter excessivement pour des choses qui ne semblent pas importantes aux autres. Elle va être constamment sur ses gardes ou avoir une tendance générale à être nerveuse dans de nombreuses situations sociales ou professionnelles.


Relation entre l’anxiété-état et l’anxiété-trait


Spielberger (1972) a postulé une relation dynamique entre l’anxiété-trait et l’anxiété-état :
  • Les individus avec un niveau élevé d’anxiété-trait sont plus enclins à percevoir les situations comme menaçantes, même si elles ne le sont pas objectivement pour d’autres. Par conséquent, ils vont expérimenter des niveaux plus élevés d’anxiété-état en réponse à ces situations.
  • Inversement, les personnes avec un faible niveau d’anxiété-trait sont moins susceptibles de développer une anxiété-état intense, même face à des stresseurs modérés.
L’anxiété-trait peut être considérée comme un facteur de vulnérabilité qui détermine la probabilité et l’intensité des réactions d’anxiété-état.

L’anxiété liée aux tests est souvent une combinaison des deux. Les élèves ayant une forte anxiété-trait peuvent avoir besoin de stratégies à long terme pour gérer leur tendance à l’inquiétude. Ceux qui éprouvent une anxiété-état situationnelle pourraient bénéficier de techniques de gestion du stress spécifiques à l’examen.



La théorie du contrôle attentionnel 


Un double système attentionnel 


La théorie du contrôle attentionnel, proposée par Eysenck et ses collaborateurs (2007), postule la coexistence de deux systèmes attentionnels : 
  • Un système attentionnel dirigé par des objectifs (top-down) : 
    • Il est volontaire, contrôlé et orienté vers l’atteinte d’un objectif. Il permet de sélectionner activement les informations pertinentes pour la tâche et d’ignorer les distracteurs. 
  • Un système attentionnel basé sur les stimuli (bottom-up)
    • Il est plus automatique, réactif aux stimuli saillants de l’environnement, en particulier ceux qui sont menaçants ou émotionnellement chargés. 
L’équilibre entre ces deux systèmes est maintenu par le contrôle attentionnel, qui permet d’inhiber le traitement des stimuli non pertinents afin de préserver les ressources attentionnelles (Eysenck & Derakshan, 2011). 


Un déséquilibre entre les systèmes attentionnels lié à l’anxiété


La théorie du contrôle attentionnel postule que l’anxiété nuit à l’efficacité du système top-down et augmente l’influence du système bottom-up.

Les individus anxieux présenteraient un faible niveau de contrôle attentionnel. Ils seraient plus facilement distraits par des informations négatives non prédominantes et seraient incapables de revenir à l’activité en cours de réalisation avant d’avoir été confrontés à ces informations.

Ce déséquilibre conduit à ce que l’attention soit plus facilement capturée par des stimuli ou des pensées menaçantes, par exemple, des pensées d’échec, des distractions liées à l’examen. Ce détournement se fait au détriment de la concentration sur la tâche à accomplir. 



Altération de fonctions exécutives clés


Deux fonctions centrales du système exécutif, gérées par le système de contrôle attentionnel, sont particulièrement affectées par l’anxiété :
  • L’inhibition : 
    • C’est la capacité à ignorer ou à supprimer activement les informations non pertinentes ou les pensées distractrices. 
    • L’anxiété affaiblit cette capacité, rendant difficile d’ignorer les ruminations liées à l’inquiétude, les souvenirs d’échecs passés ou les distractions environnementales.
  • Le déplacement attentionnel (shifting) :
    • C’est la capacité à changer de focus attentionnel en fonction des exigences de la tâche.
    • Il permet à l’attention de basculer de manière  flexible entre différentes tâches, différents aspects d’une même tâche, ou différentes stratégies cognitives. 
    • L’anxiété réduit cette flexibilité, ce qui peut rendre un individu « bloqué » sur une difficulté ou incapable de réorienter son attention après une erreur.


L’impact sur la mémoire de travail


De nombreuses recherches confirment que la mémoire de travail est le médiateur principal entre anxiété et performance académique.

Les perturbations de l’inhibition et du changement attentionnel ont un effet direct sur la mémoire de travail. Les pensées intrusives et le biais attentionnel consomment des ressources de la mémoire de travail qui devraient être allouées à la tâche cognitive en cours. Cette réduction des ressources disponibles entraîne une diminution de l’efficacité du traitement, même si la performance finale peut être maintenue par un effort compensatoire accru.

La méta-analyse de Moran (2016) a analysé les recherches sur la relation entre l’anxiété (trait et état) et la capacité de la mémoire de travail et confirmé la théorie du contrôle attentionnel : 
  • Il a confirmé une relation négative significative et robuste entre l’anxiété (en particulier l’anxiété de trait) et la capacité de la mémoire de travail. Les personnes plus anxieuses ont, en moyenne, une capacité de mémoire de travail plus faible ou une utilisation moins efficace de celle-ci. 
  • L’effet négatif de l’anxiété sur la mémoire de travail est largement médiatisé par l’inquiétude. Les pensées intrusives et répétitives liées à l’inquiétude consomment des ressources de la mémoire de travail, réduisant ainsi la capacité disponible pour la tâche en cours. 
  • L’effet est plus marqué lorsque la charge cognitive est élevée. Il est plus prononcé dans les tâches impliquant une manipulation active des informations (ex. : tâches de mise à jour ou de double tâche).
  • Le lien est également plus fort chez les enfants et adolescents, ce qui a des implications directes pour l’éducation.


Implications et pistes d’actions


La théorie du contrôle attentionnel a des implications majeures pour la compréhension des difficultés cognitives observées chez les personnes anxieuses. Elle explique pourquoi des individus anxieux peuvent obtenir des scores inférieurs à leurs capacités réelles, non pas par manque de connaissances, mais à cause d’une interférence attentionnelle et d’une surcharge de la mémoire de travail.

La théorie du contrôle attentionnel suggère la mobilisation de stratégies de régulation émotionnelle ou l’entraînement au contrôle attentionnel chez les personnes anxieuses.

Des évaluations formatives fréquentes et à faibles enjeux, de même que des opportunités de pratique de récupération sont bénéfiques. Elles peuvent réduire la pression des évaluations en les axant sur la rétroaction plutôt que sur le jugement. Cela normalise l’acte d’être testé et réduit l’enjeu perçu.


Mis à jour le 24/07/2025

Bibliographie


Spielberger, C. D. (1966). Theory and research on anxiety. In C. D. Spielberger (Ed.), Anxiety and behavior (pp. 3–20). Academic Press.

Spielberger, C. D. (1983). Manual for the State-Trait Anxiety Inventory (Form Y). Palo Alto, CA : Consulting Psychologists Press.

Spielberger, C. D. (1972). Anxiety as an emotional state and as a personality trait. In C. D. Spielberger (Ed.), Anxiety : Current trends in theory and research (Vol. 1, pp. 23-49). Academic Press.

Owens, M., Stevenson, J., Hadwin, J. A., & Norgate, R. (2012). Anxiety and depression in academic performance: An exploration of the mediating factors of worry and working memory. School Psychology International, 33(4), 433–449.

Putwain, D. (2008). Do examinations stakes moderate the test anxiety–examination performance relationship? Educational Psychology, 28(2), 109–118.

Eysenck, M. W., Derakshan, N., Santos, R., & Calvo, M. G. (2007). Anxiety and cognitive performance: Attentional Control Theory. Emotion, 7(2), 336–353. 

Eysenck, M. W., & Derakshan, N. (2011). New perspectives on anxiety and cognition. Trends in Cognitive Sciences, 15(5), 190–196.

Moran, T. P. (2016). Anxiety and working memory capacity: A meta-analysis and narrative review. Psychological Bulletin, 142(8), 831–864.

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