samedi 13 avril 2024

Un changement de paradigme pour la rétroaction

Nous gagnons à considérer la rétroaction comme un étayage temporaire pour l’élève. Son objet est de soutenir un processus d’apprentissage qui l’amène à la maitrise et à l’autonomie.

(Photographie : Jimmy Forsman)



La rétroaction dans le modèle de l’action formative


La rétroaction joue un rôle majeur dans le modèle de l’action formative (Kneyber et coll, 2022). L’essence d’un bon retour d’information est souvent mal comprise. Par conséquent, les enseignants consacrent parfois beaucoup de temps à des pratiques de retour d’information qui ne donnent pas grand-chose en matière d’impact. 

L’exigence première est que lors de la rétroaction, les élèves soient amenés à réfléchir, à prendre des décisions et à être incités à agir. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’intégrer la rétroaction dans le cadre d’action d’un enseignement adaptatif.



Des conceptions erronées sur la rétroaction


Il existe deux grandes idées fausses sur le retour d’information dans la pratique formative :
  1. Un enseignant doit toujours donner aux élèves un retour individuel, personnalisé, spécifique et complet au cours d’un processus d’évaluation formative. Or, c’est le contraire qui est vrai :
    • Dans le modèle de l’action formative, le retour d’information se présente très souvent différemment dans sa forme, selon le ou les destinataires et en fonction du moment où il a lieu.
    • Dans le modèle de l’action formative, l’enseignant est le premier à recevoir un retour d’information, notamment de la part des élèves :
      • Par exemple, lorsque les élèves brandissent leurs ardoises effaçables dans un cours de math, il s’agit principalement d’un retour d’information pour l’enseignant. Ont-ils compris la question posée ?
      • De même, lorsque nous demandons à nos élèves d’expliquer davantage ou de justifier leur réponse, c’est que nous cherchons à obtenir un retour d’information sur leur processus de réflexion caché.
      • Dans le cadre de l’action formative, les élèves peuvent également se donner un retour d’information entre eux, ou même se donner un retour d’information à eux-mêmes. 
  2. La deuxième idée fausse concerne des suppositions sur sa qualité. Toutes les formes de retour d’information qui ne sont pas individuelles, personnalisées, spécifiques et complètes, et qui ne sont pas données par l’enseignant lui-même, seraient de moindre qualité et ne constitueraient pas une bonne alternative. Le modèle de la rétroaction à a classe entière montrer que ce type de rétroaction est en réalité souvent bien plus fonctionnel et efficace.



Une rétroaction traditionnelle souvent inefficace


Dans une approche traditionnelle, la rétroaction se veut personnalisée, prescriptive, spécifique et s’accompagne souvent de constats de la part de l’enseignant. 

Elle manque souvent sa cible de deux manières différentes :
  • Souvent, les élèves qui en ont le plus besoin son ceux qui vont l’utiliser le moins, et inversement.
  • De même, nous maintenons les élèves dans un état de dépendance face à notre rétroaction, ce qui ne les soutient pas sur le chemin de l’autonomie, ce qui est pourtant l’objectif premier de l’évaluation formative. 
La conséquence de ces phénomènes est qu’en tant qu’enseignant, nous pouvons passer beaucoup de temps à corriger et à délivrer une rétroaction :
  • Nous aidons rapidement un élève durant la pratique autonome ou guidée
  • Nous évaluons le déroulement de la leçon en classe
  • Nous notons des commentaires sur des productions d’élèves
  • Nous faisons écho du manque d’engagement d’un élève en leurs donnant de conseils.
  • Nous discutons d’une évaluation formative ratée et la retravaillons avec eux.
  • Nous répondons aux questions d’un élève durant le cours ou après celui-ci.
  • Etc.
La frustration de cette approche traditionnelle est que nous pouvons consacrer beaucoup de temps à ces démarches tout en ayant l’impression souvent étayée que pas mal d’élèves en font comparativement relativement peu. 

La principale faiblesse de la rétroaction traditionnelle est que ses rendements sont trop faibles, compte tenu des ressources investies par les enseignants. Trop souvent, le retour d’information reste non lu et non traité par les élèves.

La vision traditionnelle de la rétroaction, dans laquelle l’enseignant est l’expéditeur, qui fournit spécifiquement et rapidement un retour d’information aux récepteurs que sont les élèves, est dépassée.



Passer de la vision d’une rétroaction comme charge de travail à celle d’un processus


Pour sortir de l’impasse de la rétroaction traditionnelle, nous devons déplacer son centre de gravité de la rétroaction de l’enseignant vers l’élève.

Dès lors, il ne s’agit plus pour l’enseignant de faire la bonne chose, il n’est plus la variable de référence. Ce qui importe, c’est que l’élève fasse quelque chose du retour d’information —  qu’il agisse à la fois mentalement et pratiquement. Nous voulons qu’il puisse en tirer des enseignements à court, moyen ou long terme en matière de stratégies et d’apprentissage.

Dès lors, la question n’est pas simplement de savoir à quoi ressemble un bon retour d’information.

L’enjeu est double :
  • Comment concevoir les processus éducatifs de manière à utiliser la rétroaction de façon optimale ?
  • Comment soutenir les élèves dans le développement d’une attitude proactive requise vis-à-vis du retour d’information ?
Le retour d’information devient ainsi une question de conception qui relève d’un processus imbriqué dans le lien entre enseignement et apprentissage.

Nous passons d’une posture de transmission de la rétroaction de l’enseignant à l’élève, vers cette transformation. 

La rétroaction de transmission fonctionne lorsque les élèves sont consciencieux et motivés :
  • L’élève soumet une production et l’enseignant l’analyse et rédige en retour une rétroaction.
  • Plus la production est complexe et plus elle contient d’erreurs, plus l’enseignant y consacre du temps. 
  • L’élève peu consciencieux ne tiendra que peu compte de la rétroaction de l’enseignant peut-être parce qu’il se sent dépassé. 
  • L’élève consciencieux prend en compte à la lettre la rétroaction de l’enseignant et s’investit en profondeur. Il en est demandeur car il en perçoit les bénéfices qu’il en retire.
  • L’élève consciencieux améliore sa production, mais dans quelle mesure a-t-il réellement développé son autonomie ? 
  • Le retour d’information sur la transmission est très apprécié des élèves, car il est prêt à l’emploi : leur production est corrigée et les améliorations sont ciblées. Par conséquent, il n’est pas réellement une difficulté désirable qui leur permet de progresser en tant qu’apprenants. Généralement sa prise en compte dépend de leur non vouloir.
Le retour d’information transformatif vise à entraîner réellement un changement (à long terme) chez l’élève :
  • Si nous voulons que l’élève se développe, la rétroaction sera moins spécifique, plus générale et plus susceptible d’encourager la réflexion et l’autonomie.
  • La rétroaction est pensée comme une difficulté désirable. Elle demande à l’élève qu’il s’investisse et se confronte à des défis plutôt que de lui offrir une correction complète de ses productions avec des conseils ciblées pour l’améliorer. 
  • Le retour d’information qui permet à l’élève de s’améliorer en tant qu’apprenant lui demande de relever des défis. 
Les difficultés désirables sont des interventions qui rendent le processus d’apprentissage plus difficile à court terme, mais qui permettent aux élèves de mieux mémoriser la matière à long terme. C’est ce que nous voulons pour la rétroaction.



Dans certaines conditions, l’absence de rétroaction plus bénéfique qu’une présence trop marquée


La conséquence de la mise en œuvre de la rétroaction comme difficulté désirable est que dans certaines situations, l’absence de rétroaction est susceptible d’être plus bénéfique que sa présence. 

C’est ce que Fyfe et Rittle-Johnson (2017) se sont employés à mettre en évidence. Ils ont comparé les effets de la pratique des mathématiques avec et sans retour sur les réponses correctes, sur les performances immédiates et différées d’une semaine dans des classes de deuxième et troisième année du primaire (N = 243). Les élèves ont suivi l’enseignement d’une stratégie et se sont ensuite exercés à résoudre des problèmes pertinents en petits groupes dans leur classe. 

Trois conditions ont été suivies :
  • Une rétroaction immédiate après chaque problème.
  • Une rétroaction sommative après tous les problèmes.
  • Aucune rétroaction.
Au cours de la tâche d’entraînement, la rétroaction immédiate a permis d’obtenir les meilleures performances. Cependant, la pratique sans rétroaction a conduit à des niveaux de maitrise plus élevés sur le test de rétention des connaissances après une semaine. 

De fait, les pratiques pédagogiques qui semblent moins efficaces au départ peuvent, pour certains enfants, aboutir à un apprentissage plus productif. Les résultats de cette expérience semblent contre-intuitifs. 

Ces résultats sont également à relativiser. Si de nombreux enfants dans la condition sans rétroaction ont atteint la maitrise, une minorité substantielle d’enfants a montré des niveaux d’apprentissage parmi les plus bas. Ainsi, pour un sous-ensemble d’enfants, la pratique sans rétroaction était plus efficace que la pratique sans rétroaction, mais pour d’autres enfants, elle était relativement inefficace. 

Le facteur déterminant semble être la charge cognitive. En effet, le seul facteur qui différencie les enfants qui maitrisent les problèmes de ceux qui ne les maitrisent pas dans la condition sans rétroaction est leur score initial de résolution avant le test. Les enfants ayant une connaissance préalable des stratégies correctes peuvent bénéficier de la pratique sans rétroaction, car la pratique de résolution de problèmes a pu ne pas provoquer chez eux de surcharge cognitive.

Par conséquent, les résultats rapportés ici ne doivent pas être considérés comme une preuve que la pratique sans rétroaction sera toujours bénéfique pour l’apprentissage et la performance des élèves. Elle nous amène cependant à considérer la réaction dans le cadre de la charge cognitive.

Le fait de donner une rétroaction fréquente peut être une situation d’inversion de l’expertise. Les élèves en viennent à se fier à la présentation immédiate de la rétroaction, qui ne stimule pas leur réflexion. Ils pourraient commettre plus d’erreurs lors des évaluations suivantes lorsque celui-ci n’est plus disponible. 

Dans ce scénario, une condition sans rétroaction peut représenter une difficulté désirable pour certains enfants. Elle crée un environnement d’apprentissage initial difficile, car il y a peu d’indications sur la façon de corriger les erreurs. Cependant, elle est désirable dans le sens où elle déclenche un traitement profond des problèmes d’une manière qui améliore la rétention ultérieure.

Une rétroaction trop fréquente peut inhiber les processus de réflexion des élèves en étant une source de distraction. Elle peut également créer une illusion de connaissance. Les apprenants qui reçoivent une rétroaction peuvent supposer (à tort) qu’ils ont maitrisé le matériel. Ils peuvent se dire qu’ils vont continuer à s’améliorer naturellement durant la suite du cours. Ils peuvent également voir la bonne réponse et supposer qu’ils pourraient l’obtenir par eux-mêmes la prochaine fois. Cela peut favoriser un traitement plus superficiel et une fausse confiance. 

En effet, donner la rétroaction empêche les élèves de s’investir eux-mêmes dans une autorégulation en rendant leur pensée visible. Elle peut constituer un étayage permanent défavorable à la prise de responsabilité face à l’apprentissage.



Partager la responsabilité de la rétroaction


La maitrise d’une compétence implique la possibilité de l’apprenant à générer sa propre rétroaction sur sa production. Il s’agit même d’une condition à la maitrise.

Par contre, un novice face à une compétence qu’ils ne possèdent pas encore va avoir besoin d’une rétroaction extérieure. Entre les deux, doit se développer parallèlement une prise de responsabilité des apprentissages. 

La possibilité pour un élève d’utiliser sa propre production pour se fournir un retour d’information dépend évidemment en partie du développement de sa maitrise.

Alors que la rétroaction est fondamentale au début des apprentissages, elle devient redondante au fur et à mesure que se développe la maitrise, car elle devient internalisée.

Par conséquent, fournir un retour d’information n’est pas une obligation ou une nécessité constante. Elle est une forme d’étayage. Nous devons rendre peu à peu les élèves capables de s’en passer à la fin du processus d’apprentissage. 



Bibliographie


René Kneyber, Dominique Sluijsmans, Valentina Devid, Blanca Wilde López, Formatief handelen, van instrument naar ontwerp, Phronese, 2022

Fyfe, E.R., Rittle-Johnson, B. Mathematics practice without feedback: A desirable difficulty in a classroom setting. Instr Sci 45, 177–194 (2017). https://doi.org/10.1007/s11251-016-9401-1

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