L’usage de stratégies d’apprentissage peut être contre-intuitif et nécessiter un effort de planification et une attention soutenue dans la mise en œuvre.
(Photographie : Daniel Casson)
L’importance de la métacognition pour l’apprentissage autonome
D’une manière générale, l’apprentissage autorégulé fait référence aux processus cognitifs, motivationnels et affectifs qui permettent aux apprenants de planifier, de contrôler et d’adapter leur apprentissage, y compris la métacognition.
L’utilisation efficace de stratégies d’apprentissage telles que l’espacement et la récupération dépend de la métacognition des apprenants et de leur jugement sur leurs apprentissages. La métacognition représente la capacité à réfléchir à sa propre pensée et à prendre des décisions en conséquence.
En psychologie cognitive, la métacognition de l’apprentissage comprend deux dimensions complémentaires :
- La surveillance métacognitive : la prise de conscience ou la connaissance qu’a l’apprenant de son propre apprentissage
- Le contrôle métacognitif : la régulation, les décisions ou les actions de l’apprenant.
Par exemple, la métacognition d’un élève qui étudie pour un examen d’anglais peut inclure :
- Une surveillance métacognitive :
- L’élève prend conscience qu’il connaît bien les conjugaisons des verbes au présent.
- L’élève peut être moins confiant quant à sa connaissance des conjugaisons au passé.
- Un contrôle métacognitif :
- En conséquence, l’élève peut décider d’inclure dans sa planification un temps d’étude supplémentaire sur la conjugaison au passé.
Le résultat d’une expérience d’apprentissage dépend de la compréhension qu’ont les apprenants de leur propre apprentissage (surveillance métacognitive) et de la prise des bonnes décisions d’étude (contrôle métacognitif).
Une métacognition précise est un élément essentiel d’un apprentissage efficace. Maitriser des stratégies d’apprentissage efficace ne suffit pas, encore faut-il les piloter à bon escient. C’est là que la métacognition intervient.
Les faiblesses de la métacognition
Une difficulté importante liée à la métacognition est qu’elle est souvent inexacte :
- Au niveau de la surveillance :
- Lorsqu’on demande aux apprenants de juger de la confiance qu’ils ont dans leurs connaissances ou de prédire leurs résultats à un test, leurs jugements et leurs prédictions dépassent souvent leurs performances réelles.
- Bien que la capacité métacognitive se développe de l’enfance à l’âge adulte, l’excès de confiance se retrouve à tous les niveaux de l’éducation.
- Au niveau du contrôle :
- Les apprenants font également souvent preuve d’un mauvais contrôle métacognitif et prennent des décisions sous-optimales pendant l’apprentissage.
- Par exemple, peu d’apprenants s’efforcent d’étaler leurs études dans le temps, mais ont plutôt tendance à bloquer quelques jours d’un examen.
De nombreux élèves, à tous les niveaux d’enseignement, se testent sous forme de flashcards et d’autoquestionnaires. Toutefois, la plupart d’entre eux déclarent utiliser ces stratégies pour savoir s’ils connaissent bien l’information et non pour améliorer leur apprentissage. Cela reflète un manque de sensibilisation aux avantages directs de la pratique de récupération.
Une métacognition défectueuse peut provenir de plusieurs sources différentes. L’une d’entre elles est le manque de connaissances sur les stratégies d’apprentissage.
En effet, les étudiants ne savent souvent pas quelles sont les stratégies d’apprentissage efficaces et reçoivent rarement un enseignement explicite sur la manière d’apprendre efficacement. Cet enseignement pourrait être dispensé dans les écoles, mais les enseignants manquent souvent de connaissances sur les stratégies d’apprentissage efficaces.
L’impact sur la métacognition de croyances erronées sur l’apprentissage
Un facteur pouvant contribuer à une métacognition médiocre est le fait que les intuitions courantes sur l’apprentissage tendent à aller à l’encontre de la manière dont l’apprentissage fonctionne réellement.
Les élèves tendent à favoriser une pratique massée (bachotage) par rapport à une pratique espacée et une répétition de l’étude par rapport à la récupération de ce qui a été étudié.
L’effort nécessaire à une stratégie d’apprentissage peut influencer les croyances des apprenants à propos de cette stratégie :
- Des stratégies telles que la relecture répétée et le surlignage tendent à accroître le sentiment de fluidité ou de facilité avec lequel les matières sont traitées.
- Les apprenants considèrent cette fluidité comme une indication que les matières ont été bien apprises.
- Cette « illusion d’apprentissage » pourrait expliquer en partie pourquoi les étudiants ont tendance à surutiliser des stratégies inefficaces même si elles sont un mauvais prédicteur de la réussite scolaire.
Les étudiants considèrent également que des situations minimisent l’apparence d’effort et de difficulté sont plus efficaces pour leur apprentissage :
- Par exemple, le fait de suivre un cours magistral donné de manière fluide et bien orchestrée ou de relire ses notes de cours peut donner l’illusion d’apprendre.
- À l’inverse, s’investir dans une pratique de récupération, par exemple incluant de l’entremêlement ou de l’élaboration, peut sembler inefficace, bien que l’inverse soit vrai. Des stratégies d’apprentissage efficaces telles que l’espacement et la récupération impliquent un effort et une plus grande probabilité de commettre des erreurs.
Cette croyance que les stratégies impliquant un effort sont moins efficaces pour l’apprentissage perdure même après avoir expérimenté directement l’espacement et la récupération dans leur propre apprentissage (Carpenter et coll., 2020) :
- Les apprenants ont évalué ces stratégies comme étant moins efficaces que le regroupement et la relecture, respectivement.
- Les apprenants ont également évalué l’espacement et la récupération comme étant plus exigeants, et les évaluations de l’effort ont prédit négativement l’efficacité perçue des stratégies et la volonté de les utiliser.
Les étudiants ont tendance à mal interpréter l’effort comme un signe d’apprentissage inefficace ou d’incapacité à réussir. Cette perception erronée est importante parce que les croyances des apprenants sur l’efficacité des stratégies sont liées à l’utilisation de ces stratégies.
Ces fausses croyances pourraient être à l’origine de la tendance des étudiants à éviter les situations d’apprentissage qui impliquent des efforts et des erreurs.
Les fausses croyances sur l’apprentissage peuvent provenir de diverses sources :
- Les intuitions des apprenants
- Les expériences antérieures
- L’éducation formelle et informelle.
De telles croyances ne sont pas facilement et immédiatement modifiées par des interventions simples telles qu’une démonstration unique d’une stratégie d’apprentissage efficace.
Cependant, les apprenants peuvent acquérir des croyances plus justes sur l’apprentissage grâce à des interventions globales. Ces interventions globales impliquent un enseignement explicite des stratégies d’apprentissage efficaces et de la manière de les utiliser, combiné à une utilisation continue de ces stratégies au fil du temps et à l’expérience des résultats.
Le cycle de l’apprentissage autorégulé
En psychologie de l’éducation, les interactions entre la conscience métacognitive et l’utilisation de stratégies d’apprentissage s’inscrivent dans le concept plus large de l’apprentissage autorégulé.
L’apprentissage autorégulé est un processus complexe et multidimensionnel qui implique la fixation d’objectifs, la planification, l’automotivation, le suivi de l’apprentissage et l’autoréflexion, entre autres éléments.
Les apprenants peuvent se réguler consciemment ou inconsciemment, plus ou moins efficacement, mais ils s’engagent toujours dans une certaine forme d’autorégulation pendant l’apprentissage.
La planification et l’utilisation de stratégies sont au cœur de ce processus. Dans des situations d’apprentissage réelles, elles sont influencées par de nombreux facteurs.
La métacognition de l’utilisation des stratégies est conceptualisée comme un processus cyclique influencé par divers facteurs à chaque étape. Les facteurs spécifiés ne constituent pas une liste exhaustive :
- L’évaluation d’une tâche d’apprentissage se fait selon :
- Les instructions relatives à la tâche
- Le contenu et la structure du support d’apprentissage
- La modalité du support d’apprentissage (texte ou vidéo)
- La nature de l’évaluation ou de l’utilisation future
- La sélection et l’utilisation des stratégies se font selon :
- Les objectifs d’apprentissage
- Les connaissances et croyances sur :
- Les processus d’apprentissage
- La tâche
- L’efficacité de la stratégie
- Les conseils des enseignants
- Le contrôle de l’apprentissage se fait selon :
- L’utilisation d’indices métacognitifs
- La difficulté subjective de la tâche
- Les croyances sur les signes de difficulté
- La performance dans l’auto-évaluation
- La réflexion sur les résultats de l’apprentissage se fait selon :
- L’objectif d’apprentissage initial
- La performance de la tâche
- Le degré de réussite ou d’échec
- Le retour d’information
- La mise à jour des connaissances ou des croyances se fait selon :
- L’expérience actuelle et antérieure de la tâche
- Les attributions concernant la réussite ou l’échec
- Les forces des connaissances et des croyances existantes
L’enjeu du bon pilotage des stratégies d’apprentissage
Si nous pouvons décrire un cycle pour l’apprentissage autorégulé intégrant de multiples stratégies, l’enjeu reste de comprendre quand et comment utiliser les différentes stratégies. En effet, la mise en œuvre optimale d’une stratégie donnée peut varier d’un contexte à l’autre.
Une même stratégie générale peut être utilisée de différentes manières. Différents facteurs doivent être pris en compte lors de la planification de l’utilisation des stratégies d’apprentissage :
- La nature du contenu à apprendre (par exemple, le domaine, le type ou la complexité)
- La nature de l’activité d’apprentissage (par exemple, lire un manuel ou regarder une vidéo éducative)
- L’évaluation (par exemple, passer un examen à choix multiples ou rédiger un essai).
Une planification efficace de l’apprentissage à haut niveau peut être compromise si les apprenants ne tiennent pas compte de tous ces facteurs ou s’ils renoncent complètement à une planification.
Lorsque les apprenants suivent leur planification, ils doivent contrôler leurs progrès vers leurs objectifs en émettant régulièrement des jugements métacognitifs sur l’état passé, présent et futur de leur apprentissage.
Ces jugements peuvent porter sur :
- La difficulté d’apprendre un ensemble particulier de contenus
- La qualité de l’apprentissage déjà réalisé
La précision de ces jugements informe directement les décisions que les apprenants prennent pour réguler leur apprentissage qui comprennent :
- Le passage à une stratégie d’apprentissage différente
- L’allocation de plus de temps d’étude à un ensemble de contenus par rapport à un autre
- La décision de mettre fin à l’étude.
Les décisions imprécises peuvent être coûteuses, ce qui introduit des éléments motivationnels et affectifs supplémentaires dans le processus métacognitif.
De nombreuses recherches en psychologie de l’éducation se sont concentrées sur la manière dont les apprenants régulent leur motivation. Elles ont visé à comprendre comment renforcer leur volonté et leurs efforts pour s’engager dans une tâche d’apprentissage lorsqu’ils sont confrontés à des défis tels que l’ennui ou la difficulté.
Découverte expérientielle ou enseignement explicite des stratégies d’apprentissage autonome
Selon l’hypothèse de la friction, les étudiants développent naturellement des stratégies plus efficaces lorsqu’ils sont confrontés à des défis dans leur environnement d’apprentissage : l’expérience des défis entraîne une croissance de l’apprentissage. C’est l’idée de découverte expérientielle.
Les apprenants deviennent plus sophistiqués dans leur capacité à réguler leur propre apprentissage au fur et à mesure de leur développement et de leur scolarité. Cependant, les preuves à l’appui de l’hypothèse de la friction sont, au mieux, mitigées.
Il semble peu plausible que les élèves puissent acquérir le modèle mental complexe nécessaire pour guider un apprentissage efficace sans instruction formelle pour compléter l’expérience personnelle.
Par exemple, malgré l’importance d’adapter les plans d’apprentissage à des facteurs tels que la nature du test, peu d’éléments indiquent que les apprenants ajustent leurs plans en fonction du test dans des contextes éducatifs.
Améliorer la métacognition, une entreprise complexe et périlleuse
Du point de vue de la psychologie cognitive, les enjeux se situent sur la sensibilisation des apprenants et l’utilisation de stratégies d’apprentissage efficaces.
Du point de vue de la psychologie de l’éducation, l’amélioration de la métacognition est conceptualisée dans le cadre d’un ensemble plus large de composantes cognitives, motivationnelles et affectives.
Ces composantes vont de pair et sont toutes essentielles à la planification et à l’utilisation efficaces des stratégies. Un élève ne doit pas simplement acquérir une stratégie d’apprentissage, il doit pouvoir la mobiliser à bon escient, être prêt à fournir l’effort nécessaire et en retirer une certaine satisfaction.
De nombreux apprenants ont des croyances inexactes sur l’apprentissage qui peuvent être résistantes au changement. Le processus de facilitation de l’acquisition d’un modèle mental précis de l’apprentissage efficace est donc plus susceptible d’être un processus de changement conceptuel. Il est moins susceptible d’être une simple augmentation de la complexité d’un modèle initial généralement précis.
Même lorsque les apprenants sont sensibilisés aux stratégies d’apprentissage efficaces, ils n’approuvent pas ou n’utilisent pas automatiquement ces stratégies.
La prise de conscience seule de l’efficacité de certaines pratiques comme l’effet d’espacement ou l’effet de test ne suffit pas. Elle ne permet pas de produire des changements durables dans les croyances des apprenants et dans l’utilisation de ces stratégies.
La simple expérience d’une stratégie et de ses bénéfices n’est pas suffisante pour changer les comportements des apprenants et créer automatiquement de bonnes habitudes de travail.
La seule piste qui émerge et peut s’avérer efficace est celle d’interventions globales. Elles impliquent un enseignement explicite des stratégies d’apprentissage efficaces, ainsi que la possibilité pour les élèves de pratiquer ces stratégies au fil du temps dans leurs propres cours.
Quatre recommandations pour une approche globale de développement des compétences métacognitives
Ces quatre recommandations forment le cadre des connaissances, des croyances, de l’engagement et de la planification. Les quatre composantes sont nécessaires pour une intervention efficace :
- Premièrement, l’intervention doit fournir un enseignement explicite sur les stratégies d’apprentissage efficaces et sur la manière de les utiliser.
- Deuxièmement, les interventions doivent fournir aux apprenants des expériences d’utilisation de ces stratégies (combinées à la connaissance des résultats) qui peuvent accroître leur connaissance et leur croyance en l’efficacité de ces stratégies.
- Troisièmement, les interventions devraient aider les apprenants à créer une planification pour mettre en œuvre des stratégies efficaces dans leur propre apprentissage.
- Quatrièmement, les interventions doivent encourager les apprenants à s’engager dans leur planification en réfléchissant aux avantages de l’utilisation de ces stratégies.
Cette approche à multiples facettes est essentielle pour produire un modèle mental d’apprentissage efficace qui permet l’autonomie éventuelle ainsi que la généralisation à de nouvelles expériences d’apprentissage. Comme pour l’acquisition de toute compétence, apprendre à apprendre efficacement demande du temps, de la pratique, des efforts et du soutien.
Des stratégies comme la pratique de l’espacement et la pratique de récupération améliorent de manière fiable l’apprentissage. Elles sont sous-utilisées par les étudiants, peut-être en raison de facteurs métacognitifs tels que de fausses croyances sur l’apprentissage, un manque de sensibilisation aux stratégies d’apprentissage efficaces ou la nature contre-intuitive de ces stratégies.
Un apprentissage réussi nécessite une « routine d’apprentissage » efficace — la connaissance des bonnes stratégies au bon moment — ainsi qu’une utilisation régulière de cette routine. Les apprenants ne parviennent pas à atteindre leurs objectifs d’apprentissage s’ils ne mettent pas en œuvre une routine efficace.
Mis à jour le 17/06/2024
Bibliographie
Carpenter, S. K., Pan, S. C. & Butler, A.C. The science of effective learning with spacing and retrieval practice. Nat Rev Psychol 1, 496–511 (2022). https://doi.org/10.1038/s44159-022-00089-1
Carpenter, S. K., Endres, T. & Hui, L. Students’ use of retrieval in self-regulated learning: implications for monitoring and regulating effortful learning experiences. Educ. Psychol. Rev. 32, 1029–1054 (2020).
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