lundi 4 mars 2024

Soutenir et faciliter en école le mentorat informel entre enseignants et élèves

Lorsque nous travaillons auprès des élèves dans une école, nous sommes plus qu’un éducateur ou un enseignant. Nous sommes également par la force des choses un conseiller informel, un éducateur social et un coach de vie pour nombre d’entre eux. 

(Photographie : Jimmy Forsman)



Le mentorat informel et naturel est important, lorsqu’il implique des éducateurs qui peuvent aider les élèves à s’épanouir à l’école et au-delà. Kraft, Hurd et Bolves (2023) se sont intéressés à cette question.



Les écoles comme moteur du développement humain


L’éducation formelle est le principal investissement des sociétés dans le capital humain de leurs jeunes. Des dizaines d’années d’expérience attestent aujourd’hui de l’importance du rendement des années de scolarisation (Gunderson & Oreopolous, 2020). Cependant, nous comprenons encore mal pourquoi les écoles servent de moteur au développement du capital humain. 

Comme l’expliquent Oreopoulos et Salvanes (2011), une grande partie de la littérature économique traite les écoles comme une boîte noire où « les individus entrent, quelque chose se passe et la productivité augmente ».

Toutefois, des chercheurs commencent à regarder à l’intérieur de la boîte noire de l’école, en se concentrant sur le rôle des intrants pédagogiques dans le processus de production de l’éducation. Ces intrants sont par exemple, les enseignants, le matériel pédagogique et les classes de rattrapage (Jackson, 2018). 

Chetty, Friedman et Rockoff (2014) se sont demandé si l’impact des enseignants sur les résultats des élèves aux tests, leur valeur ajoutée, était une bonne mesure de leur qualité et s’il améliorait leurs résultats à long terme. Les chercheurs ont utilisé les dossiers des districts scolaires et les dossiers fiscaux de plus d’un million d’enfants aux États-Unis. Ils ont constaté que les élèves confiés à des enseignants à forte valeur ajoutée sont plus susceptibles d’aller à l’université, de gagner des salaires plus élevés et d’avoir moins d’enfants à l’adolescence. 

Les enseignants influencent divers résultats des élèves par leur influence sur les compétences cognitives et non cognitives. Jackson (2018) a évalué les compétences non cognitives des élèves à l’aide de comportements qui ne sont pas liés aux résultats des tests. Ces comportements comprennent les absences, les suspensions, les notes de cours et les redoublements pour les élèves de 14-15 ans :
  • Les effets des enseignants sur les résultats aux tests et ceux sur les comportements sont faiblement corrélés. 
  • Les effets des enseignants sur les comportements permettent de prévoir des impacts plus importants sur l’achèvement des études secondaires et d’autres résultats à plus long terme, que leurs effets sur les résultats des tests.
  • Il ne faut pas se contenter de l’utilisation des seuls résultats aux tests. L’utilisation des effets sur les résultats aux tests et sur les mesures non cognitives fait plus que doubler la variance des impacts prévisibles des enseignants sur les résultats à plus long terme de leurs élèves.



La notion de mentorat naturel


La littérature psychologique définit le mentorat naturel comme une relation bienveillante entre des adultes non parentaux et des jeunes, qui naissent des réseaux sociaux existants (Zimmerman et coll., 2005). 

Les mentors sortent des limites de leur rôle principal pour développer une relation unique et durable avec chaque jeune. 

Des études montrent qu’environ 70 à 80 % des adolescents peuvent identifier au moins un mentor naturel dans leur vie (Hurd, Tan et Loeb, 2016). 

Les mentors naturels peuvent remplir un large éventail de rôles dans la vie des élèves, allant de modèles et d’adultes bienveillants à des conseillers et des défenseurs. 

La recherche suggère que les relations de mentorat naturel peuvent être bénéfiques pour les jeunes en matière de développement cognitif, socioémotionnel et identitaire (Miranda-Chan, Fruiht, Dubon, & Wray-Lake, 2016).

Les mentors peuvent élargir les cadres cognitifs des élèves en les exposant à de nouvelles façons de penser et à d’autres perspectives. Les relations positives avec les mentors peuvent aider à développer les compétences socioémotionnelles. Elles modélisent une communication efficace et offrent une caisse de résonance pour aider les jeunes à mieux réguler leurs émotions (Deutsch, Mauer, Johnson, Grabowska, & Arbeit, 2020). 

Les mentors peuvent élargir les perceptions de soi et les aspirations des adolescents quant à ce qu’ils pourraient devenir en les exposant à un plus grand éventail de « soi possibles » (Hurd, Sanchez, Zimmerman, & Caldwell, 2012). 



L’école comme lieu propice au mentorat natural 


Il y a de bonnes raisons de penser que les écoles sont les principaux lieux où se développent les relations de mentorat informel. Les enseignants ont des contacts réguliers avec les jeunes qui font partie de leur vie quotidienne.

Ces interactions fréquentes forgent des liens qui peuvent conduire à des relations de mentorat naturel. 

De plus, les mentors scolaires sont particulièrement bien placés pour aider les élèves à surmonter les obstacles à l’école et les guider vers l’enseignement supérieur. 

Le personnel scolaire peut également jouer un rôle important dans le développement de compétences sociales et dans l’ouverture à des domaines et à des pistes auxquels les élèves ne songeraient pas seuls avec leur cadre familial. 

Les relations de mentorat naturel pourraient être également avantageuses pour tous les élèves. Cependant, elles pourraient être moins disponibles pour élèves qui fréquentent des écoles plus difficiles, moins performantes ou moins équipées.

Potentiellement, les mentors naturels peuvent servir de ressource compensatoire. Ils apportent de plus grands avantages aux élèves confrontés à des désavantages économiques ou structurels, ou de ressource complémentaire. À l’opposé, ils ne font qu’ajouter aux privilèges et aux opportunités dont jouissent les élèves plus favorisés (Erickson, McDonald, & Jr, 2009). 



Les données probantes de l’étude de Kraft, Hurd et Bolves (2023) sur la fréquence du mentorat informel


Kraft, Hurd et Bolves (2023) ont utilisé les données longitudinales d’un échantillon états-unien représentatif d’adolescents.

Ils ont exploré la nature et les conséquences des relations de mentorat naturel en tirant parti de divers facteurs.

Les résultats obtenus à travers les différences de différences et les spécifications d’effets fixes par paires montrent des effets positifs cohérents et significatifs sur la réussite scolaire. Une estimation prudente montre une augmentation de 9,4 % dans la fréquentation de l’université. 

Les effets sont plus importants pour les élèves de statut socio-économique inférieur et sont robustes aux contrôles des caractéristiques individuelles et aux exercices de délimitation de la sélection sur les variables non observables. 

D’après Kraft, Hurd et Bolves (2023), la fréquence du mentorat naturel à l’école varie de manière significative entre les élèves et les écoles. 

Les élèves issus de milieux socio-économiques défavorisés sont moins susceptibles de déclarer avoir un mentor naturel à l’école. 

De plus, la prévalence des mentorats à l’école varie considérablement d’une école secondaire à l’autre, avec des taux de mentorat plus de deux fois plus élevés dans certaines écoles que dans d’autres. Les caractéristiques de l’environnement scolaire, telles que des classes plus petites et une culture où les élèves ont un fort sentiment d’appartenance, sont des prédicteurs importants de cette variation entre les écoles.



Les données probantes de l’étude de Kraft, Hurd et Bolves (2023) sur l’impact du mentorat informel


Dans leur étude, Kraft et ses collaborateurs (2023) ont mis en évidence qu’un élève sur six désigne un enseignant ou un autre membre du personnel scolaire comme son mentor le plus important, en dehors de sa famille immédiate.

Leur étude met en évidence que les élèves qui vivent des relations de mentorat informel réussissent beaucoup mieux à l’école.

Les effets des mentors naturels en milieu scolaire sur les notes des élèves au lycée sont assez similaires à ceux trouvés dans une expérience de terrain récente en Allemagne. Cette expérience a évalué l’impact d’un programme de mentorat d’un an pour les jeunes Allemands issus de milieux socio-économiques défavorisés (Resnjanskij et coll., 2021).

Le fait d’avoir un mentor naturel à l’école augmente la moyenne générale des élèves et les rend plus susceptibles de poursuivre des études supérieures :
  • À court terme, le fait d’avoir un mentor à l’école réduit les taux d’échec aux cours au lycée, tout en augmentant la moyenne générale. 
  • À long terme, les élèves qui bénéficient de mentors naturels à l’école sont nettement plus susceptibles d’aller à l’université et de terminer environ deux tiers de plus d’une année d’éducation formelle. 
Ces résultats sont également cohérents avec des recherches antérieures suggérant que les relations de mentorat naturel peuvent jouer un rôle compensatoire pour les jeunes confrontés à des désavantages dus à des facteurs structurels ou économiques (Erickson et coll., 2009). 

Les mentors naturels en milieu scolaire semblent bénéfiques pour les élèves de tous les milieux, mais qu’ils le sont davantage pour les élèves issus de familles à faible niveau socio-économique. 

Ces différences ne sont pas simplement dues au fait que les élèves les plus performants sont plus susceptibles d’avoir un mentor, mais plutôt aux effets directs des mentors.

Ces relations à l’école sont durables, les élèves déclarant que leurs mentors ont joué un rôle important dans leur vie pendant plus de cinq ans en moyenne. Deux tiers des élèves ont déclaré que les mentors les avaient aidés à acquérir des compétences utiles dans la vie. Ces compétences utiles sont le fait de trouver une orientation dans la vie, de se fixer les bonnes priorités, de surmonter les crises de la vie ou de prendre de bonnes décisions.

Cependant, l’étude de Kraft et ses collaborateurs (2023) a mis en évidence une tendance inquiétante. Bien que les élèves issus de milieux socio-économiques défavorisés soient ceux qui bénéficient le plus de l’orientation et des conseils des mentors scolaires, ils sont également les moins susceptibles de déclarer en avoir un. De même, dans certaines écoles, deux fois plus d’élèves que dans d’autres déclarent avoir des relations de mentorat naturel.



Implications pour le soutien au mentorat informel en contexte scolaire


L’étude de Kraft, Hurd et Bolves (2023) montre que les mentorats naturels entre les élèves et le personnel scolaire sont relativement courants. Ils constatent que plus de 15 % des adolescents désignent un membre du personnel scolaire comme leur mentor le plus important.

L’étude met en évidence quatre domaines sur lesquels les écoles peuvent agir pour rendre le mentorat plus réalisable pour les enseignants et plus équitable pour les élèves.
  • Reconnaître et récompenser les efforts que les enseignants investissent dans le mentorat informel. 
    • Cela peut aller de notes d’appréciation informelles et privées à des récompenses plus formelles et annoncées publiquement pour les enseignants qui se surpassent.
  • Créer davantage d’opportunités d’interactions en petits groupes entre les éducateurs et les élèves. 
    • Les écoles peuvent s’efforcer de réduire le nombre d’élèves par classe pour certaines matières ou concevoir des périodes de conseil où les élèves restent avec le même enseignant pendant plusieurs années. En dehors de la classe, les écoles peuvent permettre aux élèves de former des clubs autour de leurs centres d’intérêt. Elle peut fournir certains avantages et de la reconnaissance aux membres du corps enseignant qui servent de parrains aux clubs.
  • Favoriser un environnement scolaire où tous les élèves ont un sentiment d’appartenance. 
    • Les enseignants, les membres de la direction et le personnel peuvent participer à un effort collectif et concerté de réflexion sur les expériences de tous leurs élèves à l’école. Une première étape pourrait être de s’engager dans un exercice de cartographie des relations afin de mieux comprendre quels élèves possèdent ou ne possèdent pas de lien avec un adulte de l’école.
  • Recruter et retenir un personnel enseignant plus diversifié sur le plan socio-économique et racial. 
    • Au niveau du mentorat informel, il y a un intérêt à avoir des enseignants issus de leurs propres communautés. Les écoles peuvent également analyser les résultats des enquêtes sur les conditions de travail du personnel afin de s’assurer que les enseignants de toutes origines se sentent soutenus et valorisés. Lorsque les élèves voient des enseignants qui leur ressemblent, ils peuvent être plus enclins à développer une relation plus profonde basée sur des identités et des antécédents communs.



Organiser le mentorat à l’échelle de l’école pour des élèves ciblés


Il n’y a peut-être rien de plus important dans la vie d’un enfant qu’une relation positive et stable avec un adulte bienveillant. 

Pour les élèves, une relation positive avec au moins un adulte de l’école peut avoir d’énormes avantages, notamment la réduction des brimades, la diminution du taux d’abandon scolaire et l’amélioration des capacités socioémotionnelles.

Plutôt que de laisser ces liens au hasard, une prise en compte et un renforcement des relations à l’échelle de l’école sont utiles et nécessitent d’y investir du temps. Ces démarches permettent de s’assurer que chaque élève est connu d’au moins un adulte.

Les écoles peuvent promouvoir le développement du capital humain en favorisant les relations de mentorat informel entre les élèves et leurs enseignants.

Dans le cadre de cette stratégie, le personnel de l’école identifie les jeunes qui n’ont pas de liens positifs avec les adultes de l’école au cours d’une réunion privée. 

Ces élèves sont ensuite associés à un adulte mentor au sein de l’école. Tout au long de l’année, les mentors se soutiennent mutuellement dans les succès et les difficultés qu’ils rencontrent dans l’établissement de relations avec les élèves. Les membres de l’équipe de direction communiquent régulièrement avec le personnel pour déterminer si le processus se déroule bien. 

À la fin de l’année, le personnel se réunit pour discuter de l’impact positif de ses efforts sur les élèves. Les adultes peuvent également choisir d’accorder une attention particulière aux élèves « à risque », car ces liens peuvent être particulièrement importants pour les élèves qui ont des difficultés à la maison ou à l’école.


Mis à jour le 01/06/2024

Bibliographie


Kraft MA, Blazar D, Hogan D. The Effect of Teacher Coaching on Instruction and Achievement: A Meta-Analysis of the Causal Evidence. Review of Educational Research. 2018; 88 (4):547–588.

Matthew A. Kraft, The Hidden Impact of Informal Student Mentoring, 2024, https://www.edweek.org/leadership/opinion-the-hidden-impact-of-informal-student-mentoring/2024/02

Chetty, R., Friedman, J. N., & Rockoff, J. E. (2014). Measuring the impacts of teachers II: Teacher value-added and student outcomes in adulthood. American Economic Review, 104(9), 2633–2679. 

Deutsch, N. L., Mauer, V. A., Johnson, H. E., Grabowska, A. A., & Arbeit, M. R. (2020). My counselor knows stuff about me, but my natural mentor actually knows me”: Distinguishing characteristics of youth’s natural mentoring relationships. Children and Youth Services Review, 111, Article 104879. 

Erickson, L. D., McDonald, S., & Jr, G. H. E. (2009). Informal mentors and education: complementary or compensatory resources? Sociology of Education, 82(4), 344–367. 

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Jackson, K. C. (2018). What do test scores miss? The importance of teacher effects on non–test score outcomes. Journal of Political Economy, 126(5), 2072–2107. 

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Oreopoulos, P., & Salvanes, K. G. (2011). Priceless: the nonpecuniary benefits of schooling. Journal of Economic Perspectives, 25(1), 159–184. 

Resnjanskij, S., Ruhose, J., Wiederhold, S., & Woessmann, L. (2021). Can mentoring alleviate family disadvantage in adolescence? A field experiment to improve labor-market prospects. In CESifo working paper 8870. Germany: Munich. 

Zimmerman, M. A., Bingenheimer, J. B., Behrendt, D. E., DuBois, D. L., & Karcher, M. J. (2005). Natural mentoring relationships. Handbook of youth mentoring. Thousand Oaks, CA: Sage Publications. 

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