vendredi 1 mars 2024

La question nuancée du redoublement

Dans leur synthèse sur la question du redoublement, Özek et Mariano (2023) nuancent l’idée commune selon laquelle le redoublement est globalement une mauvaise solution éducative.

(Photographie : Alexis Hagestad)




Cette idée se fonde sur des études et des méta-analyses qui montrent que le redoublement est associé à de moins bons résultats scolaires et à un risque accru de problèmes comportementaux. Cependant, la faiblesse de ces méta-analyses est que les études concernées sur lesquelles elles se fondaient étaient pour la plupart corrélationnelles plutôt que causales. 

Des études plus récentes ont permis un examen plus rigoureux des effets de causalité sur le redoublement ou la promotion vers l’année supérieure. Elles dressent un tableau beaucoup plus nuancé sur le redoublement en se concentrant sur les élèves qui obtiennent des résultats proches des seuils des tests autour desquels la décision de promotion ou de redoublement est prise. 



Conditions aux bénéfices du redoublement 


Plusieurs études récentes ont montré que le redoublement à l’école primaire peut être bénéfique pour les élèves en améliorant leurs résultats ultérieurs au collège (secondaire inférieur). La condition est que les élèves les plus susceptibles d’en bénéficier sont identifiés et que le redoublement est associé à des soutiens pédagogiques ultérieurs appropriés. 

La logique veut que le soutien pédagogique s’adresse à tous les élèves au niveau du primaire, qui sont identifiés comme étant en difficulté. Pour certains élèves, le soutien permettra la promotion à l’année supérieure, pour d’autres, un redoublement accompagné d’une poursuite de ce soutien.

Lorsque ce redoublement est mis en œuvre dans le cadre d’un effort de remédiation plus large, il peut améliorer les résultats aux tests jusqu’au collège (secondaire inférieur) et réduire le besoin de remédiation ultérieure.

Ces élèves peuvent également développer un plus grand sentiment d’appartenance à l’école, qui perdure plusieurs années après le redoublement, que les élèves comparables qui ont été promus. Les bénéfices sont moins nets et de courte durée sur le comportement. 

Le redoublement a plus de chances d’être bénéficiaire lorsqu’il est associé à des soutiens pédagogiques adaptés aux besoins éducatifs des élèves identifiés comme potentiellement à risque. Les effets positifs du redoublement sont également associés à des politiques qui prévoient un enseignement complémentaire pour les élèves redoublants.

Les pistes explorées impliquent notamment pour les élèves à risque :
  1. L’élaboration de plans d’amélioration en école qui répondent spécifiquement aux besoins d’apprentissage diagnostiqués pour ces élèves. 
  2. L’attribution des élèves concernés à des enseignants très performants
  3. Le fait de fournir différentes formes de soutien dans le cadre de l’école et dans un cadre extrascolaire. 
Il est peu probable que le redoublement seul, sans aide pédagogique supplémentaire, produise des avantages similaires. 

Un élément crucial de l’efficacité de tels dispositifs est l’identification rapide des élèves susceptibles d’en bénéficier. La délivrance de soutiens complémentaires qui y est associée et est destinée aux élèves à risque est importante. Les données suggèrent que de telles démarches de soutien réduisent considérablement le nombre d’élèves redoublants. 

En résumé, des recherches récentes ont montré que le redoublement à l’école primaire peut augmenter les résultats aux tests jusqu’au secondaire et réduire le besoin de rattrapage ultérieur. Ce redoublement a plus de chances de réussir lorsqu’il est complété par un soutien pédagogique individualisé dès que le risque de redoublement devient apparent de manière à le prévenir. L’enjeu est que les élèves qui redoublent sont finalement retenus sont ceux qui sont susceptibles de tirer profit de l’expérience, les autres ayant pu être promus grâce au soutien précédemment reçu. 



Risques associés au redoublement


Il est prouvé que les élèves qui redoublent au secondaire inférieur (collège) ont moins de chances d’obtenir leur diplôme de fin d’études secondaires ou de s’inscrire à l’université. Cela suggère qu’il est plus prudent d’intervenir plus tôt. Ces élèves sont également plus susceptibles d’abandonner l’école ou d’être impliqués dans des activités criminelles à l’âge adulte.

Si les données sur le redoublement au primaire sont de plus en plus positives, les recherches sur les classes du secondaire inférieur (collège) ne le sont pas. Malgré des politiques de redoublement qui reflètent celles des classes du primaire, il y a peu ou pas d’effet sur les résultats scolaires et des niveaux plus élevés de désengagement des élèves.

Un argument courant contre les politiques de redoublement dans les classes de collège (secondaire inférieur) est qu’elles font peser une charge émotionnelle importante sur les élèves. Ces élèves peuvent être stigmatisés comme étant en situation d’échec et doivent s’adapter à un nouveau groupe de pairs, ils peuvent se sentir mis à l’écart et se désengager de l’école.

Un facteur susceptible d’exacerber ces conséquences involontaires est l’application incohérente des politiques de redoublement. Un système d’exemption pourrait aider les écoles à éviter de retenir des élèves qui sont moins susceptibles de bénéficier du redoublement. 
À ce titre, l’utilisation de portfolios de travaux d’élèves peut conduire à une application différentielle. Une autre injustice est que les parents issus de milieux plus favorisés sont plus susceptibles de fournir du soutien de manière proactive, de plaider la cause de ces élèves, et de réussir par là à éviter le redoublement. Cela pourrait contribuer au sentiment d’être exclu ou pointé du doigt pour les élèves doubleurs, en particulier au sein des groupes traditionnellement marginalisés qui ne disposent pas de leur côté d’un tel soutien familial. 

L’application différentielle du redoublement peut être également une préoccupation durant les premières années de scolarisation. Toutefois, les effets scolaires négatifs constatés pour le redoublement au collège, tels que des taux plus faibles d’obtention de diplôme, ne sont pas vérifiés durant les premières années de scolarisation. 

Les données disponibles indiquent que le redoublement dans les classes du secondaire inférieur a moins de chances de réussir, mais que ces mêmes phénomènes ne se matérialisent pas dans les premières années d’études (au primaire). 



Le coût du redoublement


Un reproche fait au redoublement est qu’il coûte cher pour un système scolaire. En effet, cela représente le coût d’une année complète pour un élève.

Des études récentes suggèrent que le coût à long terme du redoublement en début de scolarité ne représente qu’une fraction du coût d’une année scolaire supplémentaire (Winters, 2022 ; Mariano et coll., 2018).

Les élèves redoublants sont beaucoup moins susceptibles d’être identifiés pour une remédiation ou de doubler à nouveau dans les classes ultérieures (Figlio & Umut Özek, 2020). 

Inversement, les élèves qui risquent de doubler, mais qui sont finalement promus mettent souvent plus de temps pour obtenir leur diplôme de fin d’études secondaires (Figlio & Umut Özek, 2020). 

Au-delà de ces coûts financiers, il est prouvé que premièrement le redoublement au primaire entraîne une amélioration des résultats au niveau secondaire inférieur. De plus, le redoublement au primaire augmente la probabilité de suivre des filières préparant à l’enseignement supérieur au cours du lycée (secondaire supérieur). Il prépare potentiellement mieux les élèves à l’enseignement supérieur (Figlio & Umut Özek, 2020). 

D’autres retombées potentielles existent. Par exemple, la menace de redoublement pourrait améliorer les résultats d’un grand nombre d’élèves. C’est ce qui a pu se produire en Floride. La proportion d’élèves de troisième année du primaire ayant un score inférieur au seuil de redoublement est passée de 21 % à 14 % au cours des cinq premières années de mise en œuvre (LiCalsi et coll., 2019). 

Logiquement, ce changement était très probablement dû à l’amélioration des expériences d’apprentissage des élèves dans les classes antérieures et au cours de l’année de troisième année du primaire, plutôt qu’au redoublement à proprement parler. 

La menace du redoublement pourrait conduire les parents à réaffecter leurs ressources (sous forme de temps ou d’argent) pour éviter le redoublement de leurs enfants. 

Par exemple, de nouvelles données suggèrent que les avantages du redoublement au début du primaire peuvent se répercuter sur les frères et sœurs plus jeunes des élèves identifiés. Cela s’explique en partie parce que les parents sont plus susceptibles de transférer leur enfant plus jeune dans une école plus performante lorsque le frère ou la sœur plus âgé(e) a doublé (Figlio et coll., 2023). 

Il apparait important de mettre en balance les avantages à long terme du redoublement à l’école et les conséquences potentielles pour les élèves promus. 



Conclusions sur le redoublement


Le redoublement a plus de chances de réussir dans les classes du primaire et lorsqu’il est associé à un soutien pédagogique adapté aux besoins éducatifs des élèves redoublants.
 
La recherche empirique du XXIe siècle fournit des preuves substantielles que le redoublement judicieux à l’école au fondamental (maternel/primaire) peut être un levier efficace pour améliorer les résultats des élèves. 

Cependant, attendre le secondaire pour faire redoubler les élèves sans leur apporter le soutien nécessaire ou ne pas identifier les élèves les plus susceptibles de bénéficier de soutien ne donnera probablement pas les résultats escomptés. Cela pourrait même avoir des effets néfastes. 

Dans toutes les situations, une priorité est de fournir un soutien individualisé aux élèves dès que le risque de redoublement devient apparent et un soutien continu à ceux qui doublent. 


Mis à jour le 30/05/2024

Bibliographie


Umut Özek and Louis T. Mariano. Think Again: Is grade retention bad for kids? Washington D.C.: Thomas B. Fordham Institute (October 2023). https://fordhaminstitute.org/national/research/think-again-grade-retention-bad

Marcus A. Winters, “The cost of retention under a test-based promotion policy for taxpayers and students,” Educational Evaluation and Policy Analysis (2022): https://doi.org/10.3102/01623737221138041

Louis T. Mariano, Paco Martorell, and Tiffany Berglund, The effects of grade retention on high school outcomes: Evidence from New York City schools (Santa Monica, CA : RAND Corporation, 2018), https://www.rand.org/pubs/working_papers/WR1259.html.

David Figlio and Umut Özek, “An extra year to learn English? Early grade retention and the human capital development of English learners,” Journal of Public Economics 186 (June 2020): 104184, https://doi.org/10.1016/j.jpubeco.2020.104184.

Christina LiCalsi, Umut Özek, and David Figlio, “The uneven implementation of universal school policies: Maternal education and Florida’s mandatory grade retention policy,” Education Finance and Policy 14, no. 3 (2019): 383–413, https://doi.org/10.1162/edfp_a_00252.

David N. Figlio, Krzysztof Karbownik, and Umut Özek, “Sibling spillovers may enhance the efficacy of targeted school policies” (working paper 31406, National Bureau of Economic Research, June 2023), https://doi.org/10.3386/w31406.

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