mardi 26 septembre 2023

Combiner l’évaluation sommative des enseignants avec les évaluations externes

Dans un précédent article, nous avons mis en évidence certaines limites liées à l’évaluation pilotée par les enseignants et une évaluation externe officielle à enjeux élevés. Aucune de ces deux approches prises isolément ne semble pouvoir assurer une évaluation intègre et non biaisée. Par conséquent, combiner l’évaluation des enseignants et l’évaluation externe semble être potentiellement une meilleure option. C’est la piste explorée ici.

(Photographie : Katrien Vermeire)



Disposer de plus d’une seule source de preuves pour certifier


L’avantage de l’évaluation par les enseignants est qu’ils peuvent recueillir beaucoup plus de preuves que n’importe qui peut le faire dans une épreuve externe d’une heure et demie ou deux. Cependant, nous savons aussi qu’il y a là des problèmes à surmonter, comme la partialité, ou la qualité des évaluations elles-mêmes. 

C’est pourquoi une combinaison d’évaluations pilotées par les enseignants et d’évaluations externes parait nécessaire pour certifier. La plupart des spécialistes de l’évaluation s’accordent pour dire qu’il faut disposer de plus d’une seule source de preuves.

Dylan Wiliam (2022) rapporte deux exemples d’un tel système combinant les deux sources :

En Australie du Sud, un tel système proposait un assemblage des sources de preuves :
  • Les enseignants donnaient une note dans le cadre de leur cours. Ensuite, les étudiants passaient tous le même test.
  • Lors de réunions de modération ultérieures en école, les enseignants comparaient alors les notes moyennes des deux sources et s’interrogeaient sur leur similitude :
    • Si les résultats de l’évaluation externe étaient inférieurs à ceux internes, cela indiquait que l’enseignant était un peu indulgent.
    • Si les résultats de l’évaluation externe étaient inférieurs à ceux internes, cela indiquant que l’enseignant était un peu sévère. 
  • La dispersion des scores et la corrélation des deux composantes étaient mesurées. Les notes étaient ajustées en conséquence de cette analyse, de manière à faire concorder ces éléments.

En Suède, un système de coexistence des sources de preuve existe :
  • L’apprentissage des élèves au lycée est évalué par leurs enseignants.
  • Parallèlement, un examen externe, le Swedish Scholastic Aptitude Test (SweSAT) est accessible à tous les élèves. 
  • La meilleure note des deux est prise en compte pour l’accès à l’université. 



Combiner plutôt que séparer l’évaluation standardisée et l’évaluation des enseignants


Selon Dylan Wiliam (2022), la solution qui consiste à décider de la manière de combiner les résultats est plus intéressante. Si nous ne procédons pas de la sorte, en quelque sorte, nous laissons aux employeurs et à l’enseignement supérieur la possibilité de faire le choix de la note qu’ils estiment la plus fiable. Cela diminue la valeur ajoutée de l’enseignement secondaire. 

En combinant les sources internes et externes de notes, chaque source de données peut atténuer la faiblesse de l’autre :
  • L’évaluation standardisée nous donne les informations les plus récentes et les meilleures et elle permet de rendre le système plus égalitaire. 
  • L’évaluation de l’enseignant nous donne des informations beaucoup plus complètes et précises sur l’apprentissage des élèves. 
Les deux sources sont limitées, mais ensemble elles peuvent en partie compenser leurs faiblesses et fournir une image plus juste. Dès lors, l’enjeu est de trouver des moyens efficients et justes de combiner les deux sources.

La question de la pondération se pose. Quel poids accorder aux notes évaluées par les enseignants par rapport aux examens externes ?

Selon Dylan Wiliam (2022), il ne devrait pas y avoir de règle absolue. Les pondérations pourraient être différentes selon les matières. Par exemple, s’il s’agit d’une matière plus professionnelle, il est logique que l’évaluation qui juge les compétences ait plus de poids. 



Principes et limites de l’évaluation modulaire et de l’évaluation continue


La piste de l’évaluation modulaire


Si l’évaluation standardisée est ponctuelle, l’évaluation sommative pilotée par l’enseignant gagne à avoir lieu tout au long de l’année.

Lorsque nous n’évaluons qu’au terme d’une année scolaire, nous obtenons les meilleures et les plus récentes informations. L’ennui est que ce n’est pas très fiable. Nous ne pouvons pas recueillir autant d’informations que nous le souhaitons, car le temps de l’évaluation est limité. De plus, nous mesurons une performance à un moment donné alors que l’apprentissage ne peut s’estimer que dans un temps long.

Une alternative à une épreuve sommative unique au terme des apprentissages peut être celle de l’évaluation modulaire qui consiste à découper l’évaluation sommative dans le temps en singularisant des unités de matière. Mais cette approche inclut ses propres difficultés liées à l’emplacement des évaluations :
  • Comment comparer les performances d’un module testé au début de l’année scolaire avec celles d’un module testé à la fin de l’année scolaire ? 
  • Qu’en est-il lorsque le programme est distribué sur un cycle de deux ans ? 
  • Comment pouvons-nous mettre en évidence que les élèves s’améliorent au fil du temps ? 
  • Comment mettre en évidence ces développements ?
La clé du succès de la combinaison réside dans les compromis. Nous devons être clairs sur ces compromis et dire, l’expliciter, le justifier, dire pourquoi nous le faisons et pourquoi nous pensons qu’il est important.

La découpe d’une matière en modules successifs ne peut se défaire de la nature cumulative des apprentissages sinon elle ne mesure que des performances et non des apprentissages. 

Lorsque des apprentissages sont évalués dans la première partie de l’année scolaire, les élèves doivent encore pouvoir les mobiliser avec succès dans la seconde partie de l’année scolaire et par la suite. Le processus d’évaluation soutien d’apprentissage doit se poursuivre, également dans sa dimension sommative.

Le modèle de la note constructive de Raphaël Pasquini (2021) offre des perspectives intéressantes sur ces questions en permettant potentiellement une validation progressive des apprentissages.



La piste de l’évaluation continue


Séduisant de prime abord, le principe de l’évaluation continue peut être une mauvaise piste. Selon ce principe, les élèves reçoivent régulièrement des notes, toutes les semaines ou toutes les deux semaines dans les différentes matières. Il s’agit d’une forme d’évaluation sommative distribuée et parcellaire.

Globalement, la note obtenue en fin d’année scolaire est une moyenne générale de toutes ces notes. Certains regroupements et des facteurs de pondération plus importants pour des examens par exemple en fin d’année scolaire peuvent être organisés.

Certains élèves peuvent être stratégiques, d’autres peuvent être minimalistes et d’autres encore peuvent ne se mettre au travail que tardivement et être tirés vers le fond par des échecs précédents.

Dans ce type de système, l’accent est mis sur les performances, sur les points obtenus, et les apprentissages passent en partie au second plan.




La piste d’une évaluation distribuée, synoptique et planifiée


Pour être plus efficaces et représentatifs d’apprentissages qui visent la durabilité, nos systèmes d’évaluation doivent être à la fois :
  • Distribués : collecter des informations sur l’ensemble du cours, selon un temps long, dans une perspective d’évaluation soutien d’apprentissage et de mise en évidence des progrès.
  • Synoptiques : l’évaluation devrait exiger des élèves à certains moments clés qu’ils fassent la synthèse de tout ce qu’ils ont appris pendant le cours.
Pour évaluer, nous devons pouvoir poser à certains moments un jugement global sur l’ensemble du domaine d’étude, incluant une forme de transfert. Nous ne devons pas permettre aux élèves d’apprendre des contenus (savoirs, savoir-faire) pour un test et d’oublier l’essentiel par la suite.

Nos élèves doivent savoir exactement quand ils seront évalués et sur quoi. Le principe d’évaluations aléatoire et surprise est contreproductif.

Par conséquent, nous devons planifier les moments d’évaluation sommative. Les élèves doivent absolument savoir quand l’évaluation a lieu. La première raison est une question d’équité élémentaire. La seconde concerne le sens de l’évaluation.

La mémorisation et de l’oubli ont un caractère fluctuant au fil du temps, qui se stabilisent progressivement sur la voie d’un apprentissage durable. Cependant, lorsque nous procédons à des évaluations furtives, il y a des chances que le même élève évalué à des moments différents espacés de quelques jours à quelques semaines dans le temps manifeste des résultats très différents. Lorsque l’évaluation est planifiée, nous permettons aux élèves de se synchroniser avec le moment où leur niveau de connaissance doit être optimum.

Dire aux élèves qu’ils sont évalués n’est qu’une exigence fondamentale d’équité et de validité. 

Les élèves doivent également avoir la possibilité de prendre des risques. S’il faut jouer la sécurité dans tout ce que l’on fait, parce qu’il y a une chance que cela contribue à un score, les élèves deviendront des automates. C’est là qu’intervient l’évaluation formative, car elle est à faible enjeu. Elle doit être stratégique, mais ne doit pas toujours être planifiée, elle permet de sonder les élèves sans conséquences graves pour eux.



Garder sous contrôle la charge de travail des enseignants face à l’évaluation


Lorsque l’évaluation des enseignants est sommative et a une valeur certificative, elle doit régulièrement répondre à toute une série de codes et règles administratives, ce qui peut constituer une charge de travail significative pour les enseignants. 

L’enjeu est que l’évaluation sommative des enseignants ressemble à celle des examens externes. Il y a le souhait d’apporter la même rigueur à ce processus, ce qui peut le rendre bureaucratique et excessif. L’enseignant comprend qu’il a des comptes à rendre et doit pouvoir justifier ses notes, ce qui alourdit ses tâches administratives.

L’avantage de l’évaluation formative et qu’elle peut échapper à cette charge administrative qui ne vise que la rigueur et assez peu le soutien des élèves. 

L’enjeu de l’évaluation formative est pour l’enseignant de découvrir ce que ses élèves apprennent, de manière à l’aider à mieux enseigner et à les soutenir pour mieux apprendre. 

Dans la perspective de l’utilisation de l’évaluation sommative, nous devons réfléchir à mettre en place un système qui ne devrait pas nécessiter de charge de travail supplémentaire et excessive aux enseignants. 



La préparation aux épreuves externes ou sommatives


Un défi qui reste important pour les enseignants est de préparer leurs élèves à une épreuve externe. 

L’une des approches évidentes est d’utiliser les tests sommatifs de manière formative. Nous pouvons utiliser les examens antérieurs comme des exemples de ce que les élèves doivent faire le jour même de l’examen.

La condition est de ne pas commencer trop tôt, mais une fois que nous avons établi une base solide de connaissances. La pratique d’anciens examens est probablement le meilleur moyen d’obtenir un bon score et d’analyser les faiblesses pour y remédier par la suite.

Une autre technique consiste à demander aux élèves de faire une tâche en classe dans les conditions du test. L’enseignant ramasse ensuite les copies, mais ne les corrige pas. 

Le lendemain, l’enseignant répartit les élèves en groupes de quatre et leur rend les copies, ainsi qu’une nouvelle copie d’examen vierge. En groupe, les élèves doivent ensuite construire la meilleure réponse. Ils peuvent comparer leurs réponses et voir qui a la meilleure. 
Nous savons que les élèves se disent souvent des choses qui ne sont pas correctes. 

L’enseignant doit donc faire une séance avec toute la classe pour s’assurer qu’ils sont sur la bonne voie et demander : « Quelle est la réponse de cette table à la première question ? Et à la question deux ? »


Mis à jour le 28/02/2024

Bibliographie


Dylan Wiliam, Dylan Wiliam’s vision for fair and accurate assessment, 2022, https://www.tes.com/magazine/teaching-learning/secondary/dylan-wiliam-exams-assessment-fair-accurate 

Raphaël Pasquini, Quand la note devient constructive, 2021, Presses universitaires de Laval 

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