samedi 8 juillet 2023

Prendre le pari de choix pédagogiques délibérés, probants et intentionnels face à des injonctions paradoxales

Il est important qu’une école puisse être consciente de sa culture et de ses valeurs. Elle peut les traduire sous forme d’objectifs clairs en matière de politiques éducatives et d’orientations pédagogiques. Concrétiser une vision et remplir efficacement ses missions implique une cohérence des démarches. Synthèse personnelle des réflexions de Ben Newmark (2019) à ce sujet dans son excellent livre.

(Photographie : Andrea Roversi)


Le risque des injonctions paradoxales


Les enseignants tout au long de leur carrière et plus particulièrement au début de celle-ci sont susceptibles de rencontrer des injonctions paradoxales. 

Elles peuvent venir d’un collègue, d’un enseignant qui joue le rôle de mentor dans leur établissement, d’un conseiller pédagogique, d’un membre de l’équipe de direction ou d’un formateur. Ils se retrouvent encouragés à mettre en œuvre ou dissuadés de continuer à utiliser certaines approches ou pratiques. Ces nouvelles recommandations quand elles ne se contredisent pas entre elles vont souvent à contresens de ce qui leur avait été recommandé précédemment dans un autre contexte ou lors de leur formation initiale. 

Cette situation peut créer des tensions, de la confusion, du découragement et du relativisme. Suivre les recommandations d’une personne (formateur, collègue, membre de la direction ou conseiller pédagogique) semble signifier aller à l’encontre de celles d’une autre, toutes les deux pourtant bien intentionnées. Tout devient politique, stratégique et subjectif.

Malheureusement, il s’agit d’un problème courant dans de nombreuses écoles. Même des enseignants expérimentés et excellents peuvent se trouver bousculés et remis en question par des conseils pédagogiques péremptoires, sans que soient apportées des preuves empiriques de leur bien-fondé. 

Ces injonctions paradoxales tendent à développer durablement la prudence et le scepticisme, le repli sur les habitudes. Elles tendent à discréditer toute proposition qui introduit un changement important pourtant basé sur des preuves empiriques obtenues dans des contextes similaires. 

Là où la situation devient plus problématique, c’est lorsque ces conseils contradictoires touchent un nouvel enseignant qui rencontre des difficultés. Il n’a parfois pas d’autres choix que d’obtempérer. 



La difficulté de la perception de l’amélioration


Une autre donnée liée à la difficulté de la mise en œuvre du changement est que la perception de l’amélioration est souvent subjective et n’est que rarement immédiate. Elle est rarement fondée sur le recueil de données et le suivi d’indicateurs. 

Si les conseils étaient toujours fondés sur des données probantes, le problème n’en serait pas un. Une bonne connaissance du contexte et de ses paramètres, ainsi que l’engagement dans une pratique délibérée    régler les problèmes et aider à interpréter la situation.

Lorsque les conseils n’en sont pas ou amènent sur de mauvaises pistes, ce sont les enseignants et les élèves qui en paieront les pots cassés. Le fait d’osciller entre des approches très différentes et n’en maîtriser aucune peut aggraver la situation plutôt que d’y remédier.

La raison principale de cette impression de cacophonie résulte de l’absence de consensus sur les pratiques efficaces au sein de la profession enseignante. Il manque une base de connaissances scientifiques clairement reconnue en éducation qui pourrait servir de référence commune aux pratiques professionnelles. 



Un débat philosophique ancien et dépassé


Il existe un ancien débat philosophique qui traverse les écoles presque depuis qu’elles existent, qui prend aujourd’hui la forme d’une concurrence entre un progressisme éducatif et une éducation fondée sur des données probantes. Ce débat persiste malgré le fait que la recherche empirique permet d’objectiver des différences d’impact. Elle permet de définir une cadre d’enseignement tout en en montrant la complexité et les nuances à apporter.

Pour les irréductibles tenants du progressisme éducatif, l’éducation devrait être centrée sur l’élève, avec des leçons construites autour des intérêts et des stades de développement de chacun. Ils partent généralement du principe que les élèves qui se comportent mal ou ne terminent pas leurs travaux le font :
  • Soit parce qu’ils manifestent des besoins auxquels il faudrait répondre
  • Soit parce que le contenu de leurs cours n’est pas pertinent ou intéressant. 
Dans cette logique, il incombe aux écoles et aux enseignants de procéder à des ajustements. Il s’agit de mettre moins l’accent sur la nécessité d’apprendre aux élèves à se sentir personnellement responsables de leur éthique de travail et de leurs actions en fonction de normes préétablies. 

Dans cette perspective, il peut devenir mal vu d’enseigner à l’ensemble de la classe pendant de longues périodes ou d’enseigner explicitement les comportements attendus. C’est perçu comme une approche taille unique qui ne serait pas compatible avec l’idée que le contenu devait être adapté aux différents besoins des individus. 

L’enseignant facilite le parcours d’apprentissage de chaque élève au lieu d’essayer d’amener tous les membres de la classe à la même destination.

Les données probantes sont assez claires sur le sujet, ce type de pratique est couteux en ressources et inefficace pour de nombreux enseignants et une majorité d’élèves.

Si affirmer que ce style d’enseignement est toujours inefficace dans tous les cas est peut-être aller trop loin. De nombreuses recherches soutiennent l’efficacité d’un enseignement explicite et didactique.



Éviter le piège du pragmatisme subjectif


Peu importe à quel point nous sommes bien intentionnés, ou bien informés, notre subjectivité peut nous tendre des pièges. 

Par pragmatisme, nous avons tendance à soutenir et à privilégier subjectivement ce qui a fonctionné pour nous-mêmes, pour des élèves que nous avons accompagnés ou pour des enseignants avec lesquels nous avons collaboré. Cela peut nous amener à voir de la causalité quelque part où il y a à peine une forme de corrélation.

Nous risquons de déformer, consciemment ou inconsciemment, des conceptions dans le cadre de notre propre idéologie et de nos expériences subjectives passées. Nous sommes victimes de différents biais, dont celui de confirmation. 

La plupart d’entre nous avons tendance à surestimer notre propre efficacité lorsque nous évaluons nos propres performances et à ignorer les preuves qui ne correspondent pas à notre vision du monde existante. 

Par conséquent même si nous sommes prédisposés à penser que nous sommes plus efficaces qu’un enseignant en difficulté et que nous sommes en mesure de l’aider, cela peut ne pas être du tout le cas. En effet selon l’effet Dunning–Kruger, nous avons en majorité tendance à nous situer au-dessus de la moyenne pour tout un tas de critères. 
 
À moins de nous tenir régulièrement au courant des évolutions de la recherche par exemple, il est très possible que certaines de nos suggestions ne soient pas valides dans le contexte concerné.



L’intentionnalité dans le cadre des contenus enseignés


Un enseignant débutant ou désorienté peut vouloir chercher à y voir plus clair dans les options pédagogiques qui s’offrent à lui. Il est utile qu’il se familiarise avec les controverses et les débats qui animent plus spécifiquement le contexte de sa propre matière.

Au sein de son domaine d’expertise, de sa matière, il pourra plus facilement comprendre, saisir et intégrer les avantages et les inconvénients des différentes approches pédagogiques. Il pourra adapter et préciser sa position en se fondant sur des arguments valides et étayés par des données probantes.  

Ce point devrait être essentiel. Il ne sert pas à grand-chose d’essayer de changer quoi que ce soit sans avoir un objectif final précis en tête, sans avoir une vision et comprendre ce sur quoi elle repose concrètement. 

Si nous voulons nous améliorer, nous devons commencer par être très clairs sur ce que nous voulons exactement améliorer. L’intentionnalité est importante. Les choix que nous faisons doivent être délibérés dans le but d’atteindre finalement notre vision que nous rendons spécifique. 

Sans cela, nous sommes à la merci de facteurs externes contradictoires et nous pouvons nous retrouver dans un état d’éternel désarroi et de doute. 

Les enseignants doivent savoir ce sur quoi ils veulent travailler. Ils doivent savoir pourquoi ce qu’ils ont choisi est une priorité pour eux. Cela ne signifie pas que toutes les suggestions issues de philosophies divergentes doivent être sommairement rejetées, mais il est important de savoir où se situent les priorités pour éviter de se laisser distraire par des injonctions paradoxales.



L’importance de la définition d’orientations claires à l’échelle d’une école


La situation est plus claire et plus simple pour les enseignants lorsqu’une école s’est défini une orientation éducative de manière explicite. Cela signifie que les préférences individuelles doivent être subordonnées aux préférences institutionnelles pour le bien de la communauté dans son ensemble et pour soutenir sa capacité à remplir les missions qu’elle s’est définies. 

La situation est plus délicate si une école n’est pas explicite quant à son objectif principal et à sa méthodologie. Ces établissements peuvent avancer l’excuse du pragmatisme en se disant qu’ils fonctionnent avec les opportunités qui se présentent à eux. L’absence de directives claires et de vision fait que les enseignants dans ces établissements ont beaucoup moins de chances de recevoir une aide cohérente et constante. Par conséquent, ces écoles doivent veiller à ne pas favoriser implicitement un style plutôt qu’un autre si elles veulent éviter de déconcerter et de contrarier les enseignants qui y travaillent. 

Au strict minimum, les facteurs de gestion de classe s’imposent. Quel que soit le style qu’un enseignant choisit d’adopter, le cours doit être ordonné et les élèves doivent écouter lorsque leur enseignant parle. Une gestion du comportement cohérente à l’échelle d’une école est importante.

Au-delà de cela, les observations de cours devraient plutôt viser à développer le sens de soi et l’intentionnalité de l’enseignant ou des équipes d’enseignants. L’idée est de leur poser des questions et d’encourager leur réflexion sur leurs orientations pédagogiques.

Des enseignants peuvent se retrouver sous pression pour améliorer leur travail dans des environnements où il n’y a pas d’idéologie éducative significative et être soumis à des conseils incohérents et inconsistants et censés les suivre tous. 

Les enseignants dans cette situation pourraient commencer par définir et partager leurs propres priorités en s’appuyant sur des articles de recherche et en montrant qu’ils sont le résultat d’une réflexion profonde et sérieuse. Ils devraient ensuite identifier clairement le type de soutien et d’accompagnement pédagogique dont ils ont besoin. Si cette situation peut servir à certains, ce ne sera pas le cas de tous. La meilleure piste pour une telle école est de se définir une identité, des valeurs, des attentes et une culture commune. 


Mis à jour le 22/01/2024

Bibliographie


Ben Newmark, Why teach?, 2019, John Catt

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