Voici une synthèse personnelle d’éléments de la note de Calone et Lafontaine (2023) pour la conférence de consensus du Cnesco sur l’évaluation en classe, au service de l’apprentissage des élèves.
(Photographie : Adrià Cañameras)
Rendre la note ou l’évaluation réellement constructive en l'associant à une rétroaction élaborée
Crahay (2012) défend l’idée d’une évaluation constructive incluant une rétroaction élaborée. Celle-ci amènerair l'élève à s'investir dans le correction et le suivi de ses erreur et l'amènerait à compléter ses apprentissage.
En ce sent le caractère effectivement constructif d'une note ou d'une évaluation ne se vérifierait qu'à travers l'investissement de l'élève dans une rétroaction élaborée qui l'accompagnerait.
Le retour d'information qui accompagne l'évaluation corrigée que récupère l'élève lui indique quoi faire. Le modèle de la note constructive favorise cette démarche.
Par ce biais, un des objectifs de cette rétroaction élaborée serait d'accroitre le sentiment d’autonomie et de contrôlabilité de l’élève sur son apprentissage. L'élève sait ce qu'il lui reste à faire pour progresser. L'enseignant se base sur son expertise pour le guider.
À l’opposé, une note chiffrée ou une correction d'évaluation qui indique les erreurs et donne les bonnes réponses se révèlent être des rétroaction pauvre en information. Elle ne permet pas à l’élève de savoir dans quelle tâches s'investir pour s’améliorer. Elle ne lui indique pas non plus les stratégies à adopter pour réguler ses apprentissages.
Sans une rétroaction élaborée réinvestif effectivement par les élèves, il se peut qu'avec le temps, certains ne maîtrisenr pas les acquis de base alors que l’enseignant avance dans sa matière. Cela conduit inévitablement à une amplification des inégalités entre élèves performants et élèves en difficulté (Bloom, 1979).
La note chiffrée et la mise à disponibilité des bonnes réponses permettent de constater et justifier l’acquisition d’un savoir sans aider à le compléter et à le parfaire. Elles contribuent à ce que l'élève attribue son échec à des causes stables et incontrôlables (« je suis nul en maths », « le prof ne m’aime pas »). Elles ne permettent pas de soutenir aisément le besoin de compétence pour les élèves les plus faibles.
La note chiffrée incite les élèves à formuler des attributions causales dysfonctionnelles qui engendrent l’abandon plus rapide d’une activité et peut conduire sur le long terme à la résignation apprise.
La note constructive associée à une rétroaction élaborée qui guide l'élève dans son processus d'information permettent d'échapper à ces risques.
Les bienfaits erronés de la compétition
Une croyance bien enracinée relevée par Butera (2011) et De Vecchi (2014) est que les notes permettraient aux élèves de se familiariser avec un système compétitif, ce qui les prépare à une situation courante dans le milieu professionnel. Avec des notes, nous les apprenons à faire leurs preuves et à évoluer.
Dans cette logique, induire une dose de compétition dans l’évaluation serait bénéfique. Cela contribuerait à préparer les élèves à la réalité du monde professionnel et de la vraie vie.
Cette croyance est en port à faux avec la mission même de l’école qui est de faire apprendre. De plus, de nombreuses études réfutent l’intérêt de la compétition et mettent en évidence des effets néfastes pour l’apprentissage, qui tendent à diminuer les performances.
La compétition favorise des comportements antisociaux comme la tricherie, valorise la performance plutôt que la maîtrise. Elle peut renforcer la peur de l’échec et accroitre les écarts entre élèves performants et élèves faibles.
Déconstruire les croyances sur la note chiffrée et comprendre l’intérêt d’une note constructive
La perspective d’une note motiverait les élèves à apprendre :
- La note serait en quelque sorte une forme de salaire de l’élève.
- Sans elle, de nombreux élèves ne daigneraient pas s’investir sérieusement dans l’apprentissage.
- La note agirait comme une carotte ou un bâton permettant à l’élève de se mettre au travail efficacement.
De Vecchi (2014) s’est intéressé à cette croyance. Il apparait que si la note peut être stimulante pour les élèves les plus performants, elle serait au contraire préjudiciable pour la motivation des élèves en difficulté.
Dès lors, une question se pose :
- Doit-on valoriser l’élève déjà performant, contribuant ainsi à la constitution d’une élite ?
- Doit-on porter les efforts sur les plus faibles et adapter la manière d’évaluer pour éviter de les stigmatiser davantage ?
De nombreuses recherches montrent l’occurrence de tels phénomènes :
- Il existe un effet délétère de l’évaluation normative sur l’intérêt des élèves à apprendre.
- De plus, les notes renforceraient des stratégies d’études superficielles et seraient par ailleurs source d’anxiété.
La perspective d’une note va fonctionner comme une source de motivation purement extrinsèque mélangeant l’espoir d’avoir une bonne note et la peur de l’échec. Elle peut être perçue par l’élève comme plus de l’ordre du contrôle de son comportement que de la volonté de l’influencer positivement.
Une autre difficulté est que la note est décidée à un moment précis postérieur à une évaluation déjà programmée dans le futur. Plus ces moments sont distants dans le temps, moins ils auront un pouvoir d’influence et de stimulation sur des élèves qui se sentent en difficulté pour les mettre au travail.
De plus qui dit note, dit mise en place d’un système normatif où les résultats peuvent être comparés entre élèves. La progression personnelle passe au second plan. L’enjeu est de réussir le jour J, sauver notre image, puis passer à la suite.
Il est également intéressant de s’interroger sur ce qui pousse l’élève à travailler davantage dans un système compétitif :
- S’agit-il de montrer sa performance ou éviter de montrer son incompétence ?
- Dans quelle mesure est-ce que l’enjeu de la note ne va pas détourner une partie des ressources en mémoire de travail si celle-ci génère de l’anxiété ?
Dans une étude, Kim et ses collaborateurs (2010) ont mis en évidence l’effet modérateur de la compétence perçue et de la poursuite de buts d’approche de performance sur les réactions cognitives et affectives des étudiants.
Ces chercheurs ont étudié l’activité du cerveau d’étudiants grâce aux images IRM dans deux conditions :
- Lorsqu’ils reçoivent une rétroaction normative, c’est-à-dire une note chiffrée
- Lorsqu’ils reçoivent une rétroaction critériée ou rétroaction élaborée ou note constructive, c’est-à-dire une rétroaction qui explique les résultats.
Ils ont mis en évidence les résultats suivants :
- Les élèves qui se sentent compétents vont prêter davantage attention aux notes chiffrées qu’à la rétroaction. Ils voient la note comme une information diagnostique directe sur leur compétence. Ces élèves ne semblent pas prêter une attention particulière à la rétroaction critériée, car sa valeur ajoutée est faible pour eux. Ils peuvent identifier par eux-mêmes leurs faiblesses dans leur copie ou en sont déjà conscients.
- Les élèves ayant un faible sentiment de compétence prêtent davantage d’attention à la rétroaction critériée qu’à la note chiffrée. Ils voient la rétroaction comme une information diagnostique sur leur compétence, car sa valeur ajoutée est élevée pour eux. Ils ont des difficultés à identifier par eux-mêmes leurs faiblesses et leur fournir cette info. Leur note chiffrée ne leur parle pas vis-à-vis de leurs apprentissages et est plutôt une source d’inquiétude.
Au-delà de la préférence, nous pouvons nous intéresser à l’impact de ces démarches :
- Les élèves poursuivant des buts d’approche de la performance et qui ont une bonne perception de leur compétence, même s’ils prêtent davantage attention aux notes, ressentent quand même négativement la rétroaction normative (note chiffrée). Elle est associée à une peur de l’échec.
- Cet effet négatif se retrouve décuplé chez les élèves poursuivant des buts d’approche de la performance et ayant en plus une faible estime de leur compétence.
Pulfrey et ses collaborateurs (2011) expliquent que le problème de la note est qu’elle s’accompagne d’un haut degré d’incertitude sur les critères de réussite liés à l’évaluation. Cet effet est accru lorsque l’enjeu est présenté comme important. Les élèves semblent ressentir moins de maîtrise sur leur note lorsqu’elle est chiffrée plutôt que lorsqu’elle est critériée.
Kim et ses collaborateurs (2010) concluent que les individus qui sont habitués au succès ne sont pas aussi négativement affectés par la note que les individus faisant régulièrement face à l’échec. En ce sens, la note chiffrée peut accentuer les différences entre les résultats.
Au moment de recevoir leur note chiffrée, les individus poursuivant des buts de performance sont particulièrement anxieux. Cet effet négatif est encore plus perceptible chez les individus qui ont un sentiment de compétence faible, pour lesquels la note est une source importante d’anxiété.
Ces recherches montrent l’importance d’une rétroaction élaborée qui accompagne les résultats d’une évaluation, ce qui correspond au modèle de la note constructive de Pasquini (2021).
Une vue d’ensemble des conséquences néfastes de l’évaluation normative
L’évaluation normative compare les performances des élèves par rapport à celles d’un groupe de référence (généralement la classe ou le niveau scolaire). Cette comparaison entre élèves se fait généralement en référence à des normes ou des standards prédéfinis.
Par ce biais, elle classe les élèves en fonction de leur performance relative d’une manière qui peut être approchée par une courbe de distribution (Gauss). L’avantage est l’objectivité et la simplicité d’interprétation des résultats.
Elle permet d’identifier comment un élève se situe par rapport à ses pairs. Si la démarche permet d’identifier les meilleurs élèves et les moins bons, elle peut amener à négliger les différences et les progrès individuels en matière d’apprentissage. Elle peut créer une pression sur les élèves pour atteindre des résultats standards, ce qui peut stigmatiser les élèves en difficulté. Elle est susceptible de favoriser un climat de compétition.
Une conclusion générale de la recherche sur la note qui fait consensus est que lorsqu’elle est utilisée dans une perspective normative, elle est susceptible de générer des conséquences défavorables pour l’apprentissage et la motivation des élèves.
Si les très bons élèves peuvent en ressortir relativement indemnes, ce n’est pas le cas des autres et ces effets sont accentués pour les élèves les plus en difficulté. De fait, elle peut contribuer à accroitre les différences entre élèves.
L’utilisation régulière d’une pratique normative de l’évaluation peut s’expliquer par le fait que les notes ont l’avantage de fournir une information brève, rapide et générale sur la performance d’un élève (Lipnevich & Smith, 2009). Pour un enseignant, il est plus rapide de fournir une note que de rédiger une rétroaction élaborée décrivant ce qui est maîtrisé et ce qui ne l’est pas.
Calone et Lafontaine (2023) proposent une synthèse graphique résumant différents effets documentés par la recherche et aboutissant à une baisse de l’apprentissage (diminution de la performance) et de la motivation (diminution de la motivation intrinsèque) :
Bibliographie
Calone, A. & Lafontaine, D. (2023). L’impact des différents types de feedbacks en contexte de classe. Cnesco-Cnam.
Crahay, M. (2012). L’école peut-elle être juste et efficace ? De l’égalité des chances à l’égalité des acquis. De Boeck.
Bloom, B. S. (1976). Human characteristics and school learning. New York, NJ: Mc Graw-Hill. Traduit en français par V. De Landsheere en 1979 sous le titre Caractéristiques individuelles et apprentissages scolaires. Bruxelles : Labor; Paris : Nathan.
Butera, F. (2011). La menace des notes. In Butera, F., Buchs, C. & Darnon, C. (éds.), L’évaluation, une menace ? (pp. 45-55). Presses universitaires de France.
De Vecchi, G. (2014). Évaluer sans dévaluer. Hachette éducation.
Pasquini, R. (2021). Quand la note devient constructive. Évaluer pour certifier et soutenir les apprentissages. Presses de l’Université Laval. http://hdl.handle.net/20.500.12162/4900
Kim, S.-I., Lee, M.-J., Chung, Y., & Bong, M. (2010). Comparison of brain activation during norm- referenced versus criterion-referenced feedback: the role of perceived competence and performance approach goals. Contemporary Educational Psychology, 35(2), 141–152. https://doi.org/10.1016/j.cedpsych.2010.04.002
Pulfrey, C., Buchs, C. & Butera, F. (2011). Why Grades engender Performance-Avoidance Goals: The Mediating Role of Autonomous Motivation. Journal of Educational Psychology, 103 (3), 683–700. https://doi.org/10.1037/a0023911
Lipnevich, A. A. & Smith, J. K. (2009). Effects of Differential Feedback on Students’ Examination Performance. Journal of Experimental Psychology, 15(4), 319–333. https://doi.org/10.1037/a0017841
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