dimanche 15 janvier 2023

Les limites de la pratique de récupération intégrée à un enseignement

Dans certains cas de figure, le fait de s’engager dans une pratique de récupération peut avoir ces conséquences négatives sur un nouvel apprentissage. C’est cette condition limite que nous explorons ici.

(Photographie : Houston Cofield)







Avantages et limites de la pratique de récupération


La littérature de recherche en sciences de l’apprentissage ne tarit pas d’éloges sur l’effet de test ou sur son application directe qu’est la pratique de récupération. L’effet de test est lui-même accompagné des effets annexes eux-mêmes bénéfiques, mais de moindre ampleur que sont l’effet de prétest et l’effet de potentialisation de tests.

Il est clairement établi que la pratique de la récupération peut améliorer la durabilité et la profondeur des connaissances existantes. Lorsque les élèves doivent acquérir de nouvelles connaissances, le fait réactiver les connaissances préalables par la récupération va renforcer l’apprentissage des nouvelles connaissances.

Si la pratique de récupération est globalement favorable, il est important également d’en connaitre également les conditions limites pour en faire un bon usage.

Nous avons déjà vu une condition limite avec les tâches complexes et la résolution de problèmes présentant un haut degré d’interactivité des éléments. Dans ces cas de figure, l’effet de l’étude de productions ou problèmes résolus semble se révéler plus bénéfique que la pratique de récupération.

Voici une deuxième condition limite où la pratique de récupération peut entrainer un coût cognitif défavorable pour un nouvel apprentissage. Ce résultat défavorable est obtenu par un effet multitâche ou également de manière apparemment plus secondaire par l’activation d’un biais métacognitif.  



Enjeux stratégiques liés à l’intégration de la pratique de récupération durant l'enseignement en classe

La mise à jour des connaissances est particulièrement importante dans l’apprentissage des concepts en sciences ou en mathématiques, c’est-à-dire dans les matières présentant une haute interactivité des éléments pour les apprenants. Beaucoup de concepts sont interconnectés et dependants les uns des autres. Si l'un d'entre eux est défaillant (erroné ou oublié), une bonne part d'un raisonnement peut s'écrouler.  Si la disponibilité d'une calculatrice peut répondre aux faiblesses du calcul mental ou écrit, elle ne peut rien lorsqu'il s'agit de mobiliser une règle, un principe ou de se remémorer une formule et la manière de l'appliquer. Un bon réseau de connaissances interconnectées est nécessaire des ce type de domaine de connaissances.

D'autres matière peuvent présenter un degré d'interactivité des éléments moindre mais vont continuer à dépendre de la maitrise de connaissances fondamentale, de stratégies ou de procédures. C'est le cas en biologie, en histoire ou dans un cours de langues. Les élèves peuvent avoir besoin de maîtriser d’abord les concepts les plus simples pour aborder des connaissances ou des tâches plus complexes. 

Dans tous les cas, l'apprentissage repose sur des connaissances préalables et sur leurs mises à jour par de nouveaux théoriques plus complexes ou par la maîtrise de stratégies nécessitant une réflexion plus approfondie.  

Dès lors un apprentissage efficace implique deux dimensions complémentaires :
  • Mémoriser de nouvelles informations en les reliant à des connaissances préalables 
  • Mettre à jour les connaissances existantes en adaptant ou révisant les schémas cognitif par l'intégration des connaissances nouvelles et préalables. 
Un objectif important de la recherche en éducation et de la science de l'apprentissage est d’identifier les stratégies qui peuvent aider à la fois à la mémorisation des nouvelles connaissances et à la mise à jour des connaissances préalables.

La pratique de la récupération s'impose largement comme l’une des techniques les plus efficaces pour stimuler l’apprentissage en ce sens. Elle repose sur l'effet test. Récupérer une information en mémoire permet de la renforcer, ce que permettent bien moins le fait de se la faire expliquer ou de lire un document à son sujet.

L'avantage du fait de se tester a d’importantes implications pédagogiques, car le fait de pratiquer la récupération d’informations déjà apprises peut faciliter la mémorisation des nouvelles connaissances et la mise à jour des connaissances préalables.  En effet, si la pratique de récupération permet de simplement se rappeler des faits, elle peut également être couplé à de l'élaboration qui amène à créer de nouveaux liens dans nos structures de connaissances. 

Différents chercheurs ont soutenu que le fait d’entrecouper l’enseignement de nouveaux contenus par de brefs tests de récupération pouvait faciliter l’apprentissage en classe (Szpunar, Khan, & Schacter, 2013). En classe, on retrouve des applications concrètes de cette idée dans l'introduction de quiz en début du courts et dans la pratique de la vérification de la compréhension en enseignement explicite.



Une concurrence possible entre la récupération et l’encodage en cours d’apprentissage


Différentes recherches ont démontré que le fait d’intercaler des opportunités de pratique de récupération dans une phase d’encodage nuit au nouvel apprentissage. Nous allons en passer trois en revue. 

Dans une série d’expériences, Finn et Roediger (2013) ont démontré que l’exécution d’une pratique de récupération peut nuire à un nouvel apprentissage dans un paradigme de mise à jour de la mémoire :
  • Les participants ont d’abord étudié un ensemble de paires visage-nom, qui constituaient les éléments du premier apprentissage. 
  • Pendant la phase intermédiaire, les participants ont été répartis dans deux conditions :
    • Réétudier les paires visage-nom
    • S’engager dans une pratique de récupération en se rappelant le nom lorsque le visage leur était présenté (avant de recevoir une rétroaction). 
  • Après cette réétude ou ce test, les participants ont dû mettre à jour leur connaissance par un apprentissage ultérieur sur la profession associée à chaque visage et nom. Les participants ont ainsi appris 3 éléments d’information — le visage, le nom et la profession de différentes personnes.

Finn et Roediger (2013) testaient l’hypothèse selon laquelle la récupération faciliterait l’incorporation d’un nouveau détail contextuel dans une association apprise. 

De manière surprenante, la pratique de récupération sur le premier apprentissage a entravé l’apprentissage ultérieur. L’acte de récupération nuisait généralement à l’acquisition de nouvelles associations plutôt que de la faciliter. Cet effet négatif est apparu à la fois dans les tests immédiats et différés. 

Cette recherche montre que l’acte de récupérer des informations peut inhiber la capacité d’apprendre de nouvelles informations peu de temps après. 



L’existence d’un biais métacognitif dans la concurrence entre récupération et nouvel apprentissage


Dans une étude subséquente, Davis et Chan (2015) ont confirmé que la pratique de récupération peut nuire au nouvel apprentissage. Le mélange de la pratique de récupération et d’un nouvel apprentissage peut encourager les apprenants à donner la priorité à la réétude des éléments du premier apprentissage avant ceux de l’apprentissage ultérieur. Il s’agirait d’une forme de biais métacognitif.

Le fait de se tester peut révéler aux participants la difficulté associée à l’apprentissage de certains éléments du premier apprentissage, parce que la rétroaction corrective est présentée juste avant le nouvel apprentissage.

Par conséquent, les participants pourraient détourner du temps lors du nouvel apprentissage pour étudier à nouveau le premier apprentissage. Ce biais métacognitif dans le réapprentissage est absent lorsque les participants réétudient plutôt que de récupérer le premier apprentissage. Ils ne se rendraient pas compte de la difficulté associée à l’apprentissage initial. 



Le coût de passage relatif entre deux tâches différentes, de récupération et d'encodage, dû au contrôle cognitif


Davis et ses collègues (2017) avancent une autre hypothèse. Ils soutiennent que le passage entre la récupération (par rapport à la réétude) d’éléments du premier apprentissage et l’encodage d’éléments du nouvel apprentissage peut nuire au nouvel apprentissage.

Leur hypothèse se fonde sur la littérature en lien avec le contrôle cognitif. Selon la recherche sur le contrôle cognitif, des participants qui alternent entre deux ensembles de tâches incompatibles présentent souvent une performance réduite pour l’une ou les deux tâches.

Le passage d’une tâche à l’autre exige que les participants exercent un contrôle descendant pour reconfigurer l’ensemble des tâches. L’effort requis pour passer d’une tâche incompatible à l’autre entraine un coût de passage.

Par exemple, nous pouvons montrer aux participants une série de chiffres. Nous leur demandons de basculer entre deux tâches :
  • Indiquer si le nombre est pair ou impair dans un essai
  • Indiquer si le nombre est inférieur ou supérieur à cinq dans l’essai suivant. 

Le passage répété entre ces tâches incompatibles dégrade souvent les performances. Le coût du passage d’une tâche à l’autre se manifeste par une moins bonne précision ou des temps de réaction plus lents. Ceux-ci se manifestent lors des essais de passage (par exemple précédés d’une tâche différente) par rapport aux essais de maintien (par exemple, consécutifs de la même tâche). 

Nous pouvons appliquer cette logique au contexte actuel. Le fait de demander aux apprenants de passer de la pratique de récupération des éléments du premier apprentissage à l’encodage des éléments du nouvel apprentissage pourrait engendrer un coût de changement. Ce coût pourrait à son tour nuire au nouvel apprentissage. 



Différences des mécanismes neuronaux liées à l’encodage et à la récupération



L’hypothèse du coût cognitif est soutenue par des données qui suggèrent que l’encodage et la récupération sont assurés par des mécanismes neuronaux différents. 

La récupération est un processus actif de mémorisation épisodique qui se produit lorsque les individus repensent à des expériences antérieures et qui implique des exigences de traitement différentes de celles de l’encodage. 

Cette idée est étayée par des données de neuroimagerie :
  • La récupération est latéralisée à droite et l’encodage à gauche dans le cortex préfrontal (Duzel, 2000)
  • La récupération et l’encodage font appel à différents réseaux de la formation hippocampique (Duncan, Tompary et Davachi, 2014).

Ces résultats ont des implications importantes pour la conceptualisation des processus de récupération et d’encodage.

Dans la littérature sur le changement de tâche, les coûts de changement sont réduits lorsque le temps de préparation est augmenté, c’est-à-dire si nous passons moins souvent d’une tâche à l’autre. Par exemple, chez Davis et Chan (2015), le fait de présenter les éléments du premier et du nouvel apprentissage dans des blocs d’essais séparés a entrainé un nouvel apprentissage renforcé par le test. 



La présence d’un effet multitâche dans l’intégration entre récupération et encodage


Davis et ses collègues (2017) ont montré que le fait de basculer entre la récupération d’informations étudiées et l’encodage de nouvelles informations altère un nouvel apprentissage. Ils ont manipulé de manière paramétrique la fréquence de changement de tâche. 

Ils ont montré que le fait de faire passer les apprenants de façon répétée de la récupération à l’encodage peut inverser l’influence généralement positive de la pratique de la récupération sur le nouvel apprentissage.

Lorsque le changement de tâche devient plus fréquent, les effets bénéfiques de la pratique de récupération sur le nouvel apprentissage diminuent, puis deviennent néfastes. Ce n’est que lorsque les participants passent de la récupération (et non de la réétude) au nouvel apprentissage que les changements plus fréquents nuisent au nouvel apprentissage. 

En conclusion, le fait de passer de la récupération d’informations précédemment étudiées à l’encodage de nouvelles informations est susceptible de nuire au nouvel apprentissage. La démarche d’encodage exige une reconfiguration de l’ensemble de tâches par rapport à la récupération d’un élément.

Cette reconfiguration entre la récupération (plutôt que la réétude) et le nouvel encodage interfère avec les processus d’encodage dans le nouvel essai d’apprentissage. 

Cette reconfiguration du jeu de tâches pour le nouvel apprentissage n’était pas nécessaire lorsque les participants venaient de réétudier un élément du premier apprentissage. Un effet multitâche apparait par conséquent dans le fait d’alterner entre deux tâches incompatibles. Il apparait dans le passage entre la récupération et l’encodage, mais pas entre deux démarches d’encodage d’éléments différents.



Recommandations pour l’intégration de la pratique de récupération dans l’enseignement en classe


Comme l’indique Finn (2017), les recherches visant à appliquer la cognition en classe ont mis en évidence les avantages de la pratique de la récupération pour l’apprentissage.

La recherche expérimentale démontrant les avantages de la récupération sur l’apprentissage est passée du laboratoire au contexte de classe et a constamment montré que lorsque les étudiants s’engagent dans une pratique de récupération, leur apprentissage en bénéficie. 

Toutefois, les résultats de l’apprentissage par récupération indiquent clairement que la pratique de la récupération peut avoir des conséquences négatives imprévues sur les éléments suivants d’un nouvel apprentissage. La récupération est susceptible d’interférer sur un nouvel encodage qui la suit.

Les processus mêmes qui sous-tendent le renforcement des souvenirs récupérés peuvent être les mêmes qui empêchent un nouvel apprentissage. La pratique de récupération ne profite pas universellement à la mise à jour des connaissances et peut, dans certains cas, nuire à la capacité des élèves à apprendre de nouvelles informations. 

Le même événement de récupération renforce la rétention à long terme des informations récupérées et entrave l’apprentissage de nouvelles informations introduites juste après.

Le fait de passer trop souvent ou trop rapidement de la récupération à l’encodage a un impact négatif sur le nouvel apprentissage. Ce phénomène semble se manifester, peu importe la fréquence. Un coût sur le nouvel apprentissage peut se produire même lorsque la pratique de récupération est mise en œuvre avec parcimonie pendant un cours. Même un seul épisode de pratique de récupération pourrait avoir un impact négatif sur l’apprentissage du nouveau matériel qui suit immédiatement. 

Une solution pratique à ce problème consiste à minimiser le nombre de commutations qui se produisent dans un épisode d’apprentissage donné, par exemple en administrant la pratique de récupération au début ou à la fin des cours. 

La pratique de récupération peut de même être plus efficace si les élèves sont déjà à un bon niveau d’apprentissage et rencontrent un bon niveau de succès au sein de celle-ci. Par contre si le niveau de réussite des élèves peut être faible au niveau de la pratique de récupération, un nouvel enseignement de ces contenus peut se révéler être une meilleure piste.

L’évaluation formative est une caractéristique commune de la pratique en classe. Elle représente un éventail de techniques plus ou moins formelles que les enseignants peuvent utiliser pour comprendre ce que les élèves de leur classe ont et n’ont pas encore maîtrisé et pour adapter leur enseignement en conséquence.

Bien que l’évaluation formative puisse prendre de nombreuses formes (observation, tests), elle consiste le plus souvent à interroger les élèves pour savoir ce qu’ils savent, c’est-à-dire à pratiquer la récupération. Par conséquent, l’apprentissage et la récupération coexistent régulièrement dans une classe. Il semble pertinent que les opportunités d’évaluation formative et de vérification de la compréhension au sein du cours portent sur la matière en cours d’enseignement, car cela n’induit pas de mode multitâche. Les questions sur des matières antérieures gagnent plutôt à être isolées dans le cadre d’un quiz en début d’heure de cours pour limiter le risque d’interférence avec l’encodage des nouveaux contenus qui seront enseignés ensuite. 


Mis à jour le 22/11/2023

Bibliographie


Szpunar, K.K., Khan, N.Y., & Schacter, D.L. (2013). Interpolated memory tests reduce mind wandering and improve learning of online lectures. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 110(16), 6313- 6317. 

Finn, B., & Roediger, H.L. (2013). Interfering effects of retrieval in learning new information. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition, 39(6), 1665-1681. doi:10.1037/a0032377 

Davis, S.D., & Chan, J.C.K. (2015). Studying on borrowed time: How does testing impair new learning? Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition, doi: 10.1037/xlm0000126 

Davis, Sara & Chan, Jason & Wilford, Miko. (2017). The Dark Side of Interpolated Testing: Frequent Switching Between Retrieval and Encoding Impairs New Learning. Journal of Applied Research in Memory and Cognition. 10.1016/j.jarmac.2017.07.002.

Düzel, E. (2000). When, where, what: The electromagnetic contribution to the WWW of 
brain activity during recognition. Acta Psychologica, 105(2-3), 195-210. 

Duncan, K., Tompary, A., & Davachi, L. (2014). Associative encoding and retrieval are predicted by functional connectivity in distinct hippocampal area CA1 pathways. The Journal of Neuroscience, 34(34), 11188-11198. Doi : 10.1523/JNEUROSCI.0521-14.2014

Finn, Bridgid. (2017). A Framework of Episodic Updating: An Account of Memory Updating After Retrieval. 10.1016/bs.plm.2017.03.006.

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