mardi 16 août 2022

Des modèles de la mémoire de travail aux principes de conception pédagogique

Comme le développent Puma et Tricot (2021), quatre modèles successifs de la mémoire de travail ont contribué à l’élaboration de différents principes au cœur de deux théories qui sont devenues fondamentales et centrales en conception pédagogique. Ce sont la théorie de la charge cognitive (Sweller) et la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia (Mayer). Voici une synthèse de leur article.

(Photographie : Luke Gregory)



Importance de la mémoire de travail pour l’apprentissage


Quand un élève apprend à l’école, il le fait avant tout grâce à son système cognitif. Ce dernier possède plusieurs composantes, dont l’une est d’une importance centrale, la mémoire de travail.

La mémoire de travail a une capacité de stockage limitée qu’il parait vain d’essayer d’augmenter de manière générale par des entrainements ou en stimulant l’une ou l’autre fonction exécutive attenante (inhibition, attention, flexibilité…).

Il est plus utile de réfléchir au niveau de la conception des situations d’apprentissage et de prendre en compte le rôle de la mémoire à long terme.

Pour ce faire, nous devons viser à améliorer la compatibilité cognitive entre :
  • Les contraintes des situations d’apprentissage scolaire 
  • Les limites de la mémoire de travail
Les améliorations successives de notre compréhension des processus de la mémoire de travail ont permis d’affiner parallèlement la conception de situations d’enseignement.



Dix-sept principes de conception pédagogique issus de la théorie de la charge cognitive et de la théorie cognitive de l'apprentissage multimédia


Des travaux de recherche en lien avec la théorie de la charge cognitive (Sweller) et la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia (Mayer) ont permis de mettre à jour dix-sept principes de conception rassemblés par Puma et Tricot (2021). Les enseignants peuvent utiliser ceux-ci lorsqu’ils conçoivent les tâches et les supports que vont utiliser leurs élèves.

Ces principes ne concernent pas d’autres aspects des situations d’apprentissage scolaire comme :
  • La caractérisation du savoir à apprendre
  • La régulation et l’évaluation de l’apprentissage
  • La motivation et la métacognition des élèves
Ces principes émergent de l’interaction entre les modèles successifs ou concurrents de la mémoire de travail et la recherche en psychologie de l’éducation.

Ces principes tiennent compte de quatre facteurs :
  • Le support d’apprentissage
  • La tâche d’apprentissage
  • L’expertise de l’élève
  • Le temps disponible.
Ces principes ne constituent en rien une méthode d’enseignement même si leur respect est un facteur explicatif très favorable à l’efficacité d’approches comme l’enseignement explicite et la découverte guidée :
  1. Principe du renversement lié à l’expertise : Si l’élève est peu avancé sur l’apprentissage visé, il est efficace de soulager les traitements en mémoire de travail grâce à ces principes. Cependant, cette facilitation doit disparaitre progressivement au fur et à mesure de l’avancement de son apprentissage, selon le principe de renversement lié à l’expertise.
  2. Effet du problème résolu : Donner un problème résolu à étudier plutôt qu’un problème à résoudre, puis alterner les problèmes résolus et les problèmes à résoudre.
  3. Effet de la non-spécification de but : Ne pas trop spécifier le but du problème, indiquer plutôt à l’élève qu’il doit atteindre tous les buts qu’il peut, faire tout ce qu’il sait faire.
  4. Principe multimédia : Présenter un texte illustré par une image pertinente plutôt qu’un texte seul.
  5. Principe de contiguïté : Quand deux sources d’information doivent être présentées à une élève, intégrer les deux sources, dans l’espace et dans le temps.
  6. Effet de modalité : Utiliser les modalités visuelle et auditive plutôt qu’une seule pour présenter deux informations complémentaires.
  7. Principe de redondance : Éviter d’utiliser les modalités visuelle et auditive pour présenter deux fois la même information, la même phrase par exemple
  8. Principe de cohérence : Éliminer toutes les informations inutiles ou décoratives.
  9. Principe de segmentation : Si l’information à présenter est complexe (beaucoup d’éléments et de relations), alors la présenter progressivement, partie par partie.
  10. Principe de variabilité : Ne pas utiliser une série de tâches ayant des caractéristiques de surface similaires, mais plutôt une série de tâches qui diffèrent les unes des autres (en référence aux différences dans le monde réel).
  11. Principe de préapprentissage : Définir, expliquer ou rappeler les mots, les notions et les objets qui vont être évoqués lors de l’apprentissage.
  12. Effet de mémoire de travail collective : Si le travail peut être réalisé par l’élève seul, alors il doit être réalisé seul. Sinon proposer du travail en groupe, selon un scénario précis.
  13. Principe du signalement : Guider l’attention des élèves vers l’endroit pertinent au moment pertinent. Synchroniser ce que l’on dit et ce que l’on montre
  14. Principe du rythme de la présentation : Ralentir le rythme de présentation ou mieux encore introduire des pauses. Réserver le contrôle du défilement seulement aux élèves les plus avancés.
  15. Effet de l'information transitoire : Pour une présentation longue, privilégier l’information statique (texte écrit, image fixe) plutôt que transitoire (fichier son ou vidéo sans pause).
  16. Principe d'animation : Pour apprendre une notion, même dynamique, l’animation n’est pas toujours plus efficace que la succession d’images fixes.
  17. Principe du mouvement humain : Pour apprendre un geste, ne pas montrer des images statiques ou irréalistes, présenter plutôt des vidéos montrant des mouvements humains.



Le modèle de la mémoire d’Atkinson et Schiffrin (1968) et l'émergence de la théorie de la charge cognitive


Le modèle de la mémoire d’Atkinson et Schiffrin (1968)


En 1958, Donald E. Broadbent introduit l’idée d’une architecture de notre système cognitif qui organise le traitement d’une information avec :
  • Un magasin de type sensoriel qui contient beaucoup d’informations, brièvement
  • Un filtre attentionnel
  • Une mémoire de travail qui ne contient que quelques éléments
  • Une mémoire à long terme qui est notre réservoir de connaissances accumulées tout au long de notre vie.

L’architecture de Broadbent (1958) servira de base au modèle proposé par Atkinson et Schiffrin (1968).

Dans le domaine des apprentissages, cette architecture permet d’établir que :
  • Nous sommes capables d’apprendre beaucoup de connaissances et tout au long de notre vie.
  • Cet apprentissage est contraint par les traitements sensoriels, attentionnels et ceux réalisés au sein de la mémoire de travail.



Théorie de la charge cognitive et mémoire de travail


La théorie de la charge cognitive (Sweller, 1988) est la première théorie à avoir considéré que la conception de situations d’apprentissage scolaire devait se fonder sur les contraintes exercées par la mémoire de travail. Au fur et à mesure de ses développements, cette théorie a suivi le développement des modèles de la mémoire de travail pour établir les mécanismes de ses différents principes.

Dans le cadre de la théorie de la charge cognitive, il est nécessaire de décrire et comprendre les ressources, leur mobilisation et les contraintes du système cognitif. Ce sont des prérequis pour présenter le support et la tâche d’apprentissage les plus adaptés possibles.

La théorie de la charge cognitive vise à décrire des manières de présenter les informations pour optimiser la sollicitation de la mémoire de travail et par là favoriser les apprentissages.

Historiquement, la théorie de la charge cognitive décrit l’investissement des ressources cognitives en mémoire de travail lors des apprentissages en les divisant en trois catégories : les charges cognitives intrinsèque, extrinsèque et utile.



Le modèle d’Atkinson et Schiffrin et le principe du problème résolu


Un des premiers résultats empiriques de la théorie de la charge cognitive est qu’en réduisant au maximum la charge intrinsèque, nous pouvons améliorer l’apprentissage.

Une manière d’y arriver est de demander aux élèves d’apprendre à partir d’un problème résolu plutôt que d’essayer de le résoudre.

Paradoxalement, lorsque nous demandons aux élèves de résoudre un problème pour apprendre une nouvelle notion en mathématiques, ces derniers apprennent moins bien. Ils apprendront mieux lorsque nous leur demandons d’étudier les mêmes problèmes accompagnés de leurs solutions.

Du point de vue de l’apprentissage, les deux situations sont équivalentes. Du point de vue de la tâche à réaliser, étudier un problème résolu est moins exigeant. Ce principe a fait l’objet de plusieurs centaines d’études empiriques et de nombreuses synthèses.

La méta-analyse de Crissman (2006) montre une taille d’effet moyenne (d = 0,57) quand l’étude de problèmes résolus est comparée à la résolution de problème.

Par contre, les problèmes résolus ne sont efficaces que pour les élèves novices puisqu’ils se heurtent au principe de renversement de l’expertise.

Le principe du problème résolu se fonde sur le modèle de Atkinson et Schiffrin. Dans celui-ci, la mémoire de travail ne peut stocker qu’un nombre minimal d’informations, en lien avec l’idée des trois types de charges (intrinsèque, extrinsèque et utile).



Le modèle de la mémoire de travail de Baddeley (1986) et l'émergence de la théorie cognitive de l'apprentissage multimédia


Le modèle de la mémoire de travail Baddeley (1986) 


Un deuxième modèle de la mémoire de travail est celui introduit par Baddeley en 1986 :
  • La mémoire de travail fonctionne avec un administrateur central. Celui-ci traite activement les informations, avec deux systèmes de traitement esclaves.
  • Ces systèmes sont le calepin visuospatial et la boucle phonologique. Ils ne peuvent que stocker temporairement de l’information et l’envoyer vers l’administrateur central.

Ce modèle a permis de produire des hypothèses extrêmement fructueuses dans le domaine des apprentissages multimédias, c’est-à-dire toutes ces situations dans lesquelles les élèves entendent ou lisent des mots et regardent des images.



Théorie cognitive de l’apprentissage multimédia


L’entrée du modèle en composantes multiples de Baddeley (1986) marque un apport théorique considérable :
  • La mémoire de travail n’est plus un registre de stockage passif imposant un goulet d’étranglement à la quantité d’informations pouvant être apprises simultanément.
  • La mémoire de travail acquiert le statut d’espace de transformation des informations.
Le modèle de Baddeley a permis d’expliquer les résultats de recherches selon lesquels utiliser plusieurs modalités pourrait donner de meilleures performances d’apprentissage.

Les informations sont ici considérées sous la forme de chunks (Miller, 1956) stockés et manipulés dans chacun des deux modules esclaves :
  • La boucle phonologique
  • Le calepin visuospatial
C’est l’administrateur central qui répartit l’attention entre les deux modules pour élaborer une représentation incluant des informations de chacun des deux :
  • Lorsque ces informations sont congruentes, comme dans le cas d’une présentation d’un schéma commenté à l’oral, elles peuvent être intégrées dans une même représentation.
  • À l’inverse, si l’administrateur central doit les traiter isolément l’apprentissage est moins bon qu’en en traitant une seulement.
En lien direct avec le modèle de Baddeley, la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia (Mayer, 2021) est fondée sur trois grandes hypothèses :
  • Deux canaux de traitement :
    • Les humains disposent de deux canaux pour traiter séparément le matériel visuel (images fixes ou animées, mots écrits) et audio (discours oraux, sons).
    • L’élève sélectionnera les mots pertinents à traiter avec la boucle phonologique et les images pertinentes à traiter avec le calepin visuospatial.
  • Une capacité limitée :
    • Il y a une limite à la quantité d’informations que les humains peuvent traiter simultanément.
    • Cette seconde hypothèse prend sa source dans l’article de Miller (1956) et correspond explicitement au fonctionnement et aux contraintes de l’administrateur central du modèle de Baddeley.
  • Le traitement actif :
    • Les humains sont capables de sélectionner les informations qu’ils traitent dans leur environnement (c’est le rôle de l’attention).
    • Les humains sont capables d’organiser ces informations de façon signifiante pour eux. C’est le chunking qui peut correspondre à des activités comme la comparaison, la généralisation, l’énumération, la classification, le calcul.
    • Les humains peuvent intégrer ces informations à leurs connaissances préalables en mémoire à long terme.

Plusieurs milliers de travaux empiriques publiés dans le cadre de cette théorie ont mis à jour des principes qui sont souvent en communs avec ceux de la théorie de la charge cognitive.



Le principe multimédia


Grâce à un document contenant du texte et des images, l’élève apprend généralement mieux qu’avec du texte seul ou seulement des images.

L’image et le texte doivent être complémentaires et pertinents. Les images permettent un meilleur souvenir de l’information que le texte seul.

Les images ont une fonction plus concrète dans la représentation mentale de l’élève et lui permettent un meilleur rappel et un meilleur transfert des connaissances.

Une méta-analyse récente confirme l’effet du principe multimédia sur les apprentissages (Guo, Zhang, Wright, & McTigue, 2020), avec un effet modéré (g = 0,39).



Le principe de contiguïté


Quand deux sources d’information doivent être présentées à un élève pour faire sens, l’attention de l’élève est partagée entre ces deux sources, ce qui génère des difficultés.

Une façon de limiter ces difficultés est d’intégrer les deux sources, dans l’espace et dans le temps.

Les humains ne peuvent pas faire attention à plusieurs choses à la fois pour deux raisons :
  • Perceptive, ils ne peuvent pas regarder dans deux directions à la fois
  • Attentionnelle.

Quand deux sources sont présentées à deux endroits différents d’une page (ou à deux moments différents, ou sur deux supports différents), le regard de l’élève va de l’un à l’autre. Ces allers-retours sont coûteux et peuvent générer des erreurs de référencement.

La méta-analyse de Ginns (2005) confirme le principe de contiguïté et montre un effet important (d = 0,85), confirmé ensuite par Schroeder et Cenkci (2018) qui se sont focalisés sur la contiguïté spatiale (g = 0,63).

La solution qui consiste à simplement signaler les relations (par des flèches par exemple) est peu efficace (r = 0,17) selon la méta-analyse de Richter, Scheiter et Eitel (2016).



Le principe de modalité


Quand le contenu à traiter par une élève est exigeant, il est plus efficace (sous certaines conditions) d’utiliser les modalités visuelle et auditive plutôt qu’une seule.

La limite de ses capacités attentionnelles pèse comme une contrainte. Ne pouvant pas tout traiter à la fois, l’élève ne traite qu’une partie de l’information. Le fait de présenter l’information selon deux modalités (une partie du contenu est présentée de façon visuelle, une autre partie de façon auditive) mobilise deux systèmes différents de traitement de l’information. Cela diminue le risque d’attention partagée.



Le principe d’animation


L’animation, sous forme de vidéo ou de simulation par exemple, est utilisée pour représenter des phénomènes dynamiques que les élèves doivent comprendre ou pour représenter des gestes ou mouvements que les élèves doivent apprendre à faire.

L’idée est que dans ces deux cas, l’animation doit entrainer une plus-value par rapport à une représentation statique. La méta-analyse de Höffler et Leutner (2007) montre que le principe d’animation correspond à une taille d’effet modérée (d = 0,37).

Les analyses indiquent des tailles d’effet plus importantes lorsque :
  • L’animation est pertinente plutôt que décorative (d = 0,40).
  • L’animation est très réaliste, par exemple sur vidéo (d = 0,76).
  • La connaissance à apprendre est procédurale ou motrice (d = 1,06).

La méta-analyse de Berney et Bétrancourt (2016) montre encore un effet général faible (g = 0,23).



Le principe de redondance


Le principe de redondance a été initialement obtenu en étudiant les limites du principe de modalité.

Si les apprentissages sont favorisés par la présentation de l’information dans les deux modalités sensorielles et donc dans les deux sous-modules de la mémoire de travail, certaines présentations peuvent avoir un effet négatif.

En effet, si l’information maintenue dans les deux sous-modules est rigoureusement identique (exemple typique d’un texte dit à l’oral alors qu’il est affiché sur une diapositive), on obtient un effet de redondance.

Cela s’explique par le fait que toutes les informations maintenues et traitées en mémoire de travail imposent un coût cognitif, attentionnel lors de la sélection. Ensuite, elles exigent une place en mémoire de travail et enfin un coût de traitement par l’administrateur central.

Ainsi, lorsque nous présentons deux fois la même information, dans deux modalités différentes, cela double le coût de traitement de cette information.

Par contre, la connaissance élaborée en mémoire à long terme sur la base de cette information ne sera pas plus complète, puisqu’elle reste limitée à la même information.

Présenter deux fois la même information impose un surcoût cognitif sans améliorer la connaissance en mémoire à long terme, c’est la définition même de la charge extrinsèque.

Cet effet est lié au renversement lié à l’expertise. Pour les élèves experts, les connaissances sont déjà présentes. Il est donc possible que certaines informations, différentes intrinsèquement, présentées dans les deux modalités sensorielles soient en fait redondantes, car elles activent la même connaissance sans l’améliorer.

Utiliser l’effet de modalité pour favoriser l’apprentissage d’élèves novices peut donc détériorer celui d’élèves experts. La méta-analyse de Adesope et Nesbitt (2012) confirme que c’est bien un effet positif de la redondance qui est obtenu chez les novices (d = 0,29).



Le principe de segmentation de l’information en enseignement explicite


La mémoire de travail ne peut gérer que 4 +/- nouvelles information à un moment donné si elle doit en même temps les traiter. Par conséquent dans un contexte d'enseignement nous courront rapidement le risque de surcharge cognitive. Dans ces conditions, les élèves deviennent incapables d'apprendre. 

Nous devons par conséquent garder sous contrôle la charge cognitive. 

Celle-ci reprend deux composantes :
  • La charge cognitive intrinsèque qui contient les informations nouvelles utiles pour l'apprentissage.
  • La charge cognitive extrinsèque qui contient toutes les informations nouvelles périphériques à l'apprentissage.
Un premier enjeu est de limiter la charge cognitive extrinsèque en éliminant les distraction ou toute information inutile liée aux contenus d'apprentissage. Cela permet de réserver des ressources pour la charge cognitive intrinsèque.

Parallèlement nous allons optimiser l'usage de la charge cognitive extrinsèque pour rester dans les limites de la mémoire de travail et favoriser l'apprentissage.

Pour résoudre le problème de surcharge intrinsèque, une méthode consiste à découper la notion en constituants élémentaires qui eux, peuvent être appris.

Cette méthode ne permet pas de construire directement une connaissance en mémoire à long terme. En revanche, elle permet de construire des connaissances intermédiaires qui, une fois intégrées, permettront de réduire la charge cognitive intrinsèque en regroupant plusieurs informations dans un seul chunk en mémoire de travail.

Imaginons qu'un nouvel apprentissage nécessite de réactiver une connaissance A déjà présente en mémoire à long terme.

Imaginons qu'un nouvel apprentissage BCD soit trop important pour être traité directement dans la mémoire de travail sans surcharge. Nous le divisons alors en segments B, C et D.

Dans un premier temps l'enseignant va réactiver la connaissance préalable A chez ses élèves. Comme elles se trouvent en mémoire à long terme, elles ne puisent pas de ressources en mémoire de travail. 
 
Dans un premier temps, nous enseignons explicitement le segment B, en lien avec le segment A, jusqu'à ce qu'il soit stocké en mémoire à long terme et n'utilise plus de ressources en mémoire de travail.

Dans un deuxième temps, nous enseignons explicitement le segment C, en lien avec les segments A et B, jusqu'à ce qu'il soit stocké en mémoire à long terme et n'utilise plus de ressources en mémoire de travail.   

Dans un troisième temps, nous enseignons explicitement le segment D, en lien avec les segments A, B et C, jusqu'à ce qu'il soit stocké en mémoire à long terme et n'utilise plus de ressources en mémoire de travail.   

À ce moment-là, l'élève a stocké la connaissance ABCD dans sa mémoire à long terme et peut aisément la mobiliser dans le cadre d'un traitement en mémoire de travail pour la manipuler dans le cadre d'applications. On parle également d'un processus d'unitisation de la connaissances car ABCD forme un tout interrelié, un chunk.

Cette méthode permet de libérer des ressources pour l’apprentissage ultérieur. La segmentation d’informations permet d’augmenter la quantité d’informations que l’on peut maintenir en mémoire de travail et donc de permettre des apprentissages ultérieurs plus complexes.

La méta-analyse de Rey et ses collègues (2019) confirme un effet modéré du principe de segmentation sur la rétention (d = 0,42) et le transfert (d = 0,37) si la segmentation est gérée et guidée par l'enseignant ou par un système informatique, c'est-à-dire qu'elle ne dépend pas de l'apprenant.



Le modèle d’Ericsson et Kintsch (1995)


Un troisième modèle est celui de la mémoire de travail à long terme d’Ericsson et Kintsch (1995). Ces auteurs ont repris l’idée selon laquelle la mémoire de travail est la partie activée de la mémoire à long terme (Cowan, 1988) :

Une simple opération de récupération, utilisant des indices de la partie à court terme, peut rendre disponible la partie activée de la mémoire à long terme, libérant autant de ressources.

Cette approche a permis de comprendre un des résultats les plus importants en psychologie de l’éducation. Ce qui améliore l’apprentissage des élèves novices (avec peu de connaissances en mémoire à long terme) peut détériorer l’apprentissage des élèves experts (les plus avancés). C’est l’effet d’inversion de l’expertise.

Le modèle de mémoire de travail à long terme (Ericsson & Kintsch, 1995) fut proposé en réponse à plusieurs variations de résultats observées en fonction de l’expertise des participants. Dans ce modèle, la mémoire de travail à long terme est un mécanisme unitaire ajouté entre la mémoire de travail à court terme et la mémoire à long terme.

Ce registre est unitaire, c’est-à-dire qu’il ne distingue pas de modules esclaves en fonction de la modalité de l’information. Il considère que la mémoire de travail à long terme est une partie activée de la mémoire à long terme.

Ainsi, les informations maintenues en mémoire de travail à long terme sont des représentations stockées en mémoire à long terme et activées par un processus attentionnel. Ces connaissances en mémoire à long terme sont de plus en plus complexes avec l’augmentation de l’expertise.

La mémoire de travail à long terme est vue, davantage encore que dans le modèle de Baddeley (1986), comme dépendant de l’attention, puisque les informations de la mémoire à long terme sont activées par des mécanismes attentionnels.

Ceci implique d’abandonner complètement la conception de la mémoire de travail comme un espace mental de stockage et de manipulation, au profit d’une conception de la mémoire de travail comme d’un processus.

Les informations en mémoire de travail à long terme ont donc un niveau d’activation qui diminue avec le temps, selon l’hypothèse du déclin temporel, et ce déclin est sensible à l’expertise.

Plus l’on est expert, moins le niveau d’activation diminue rapidement. Cependant, le niveau d’activation de ces mêmes informations diminue d’autant plus rapidement que l’on est novice.

Un expert peut donc maintenir actives des quantités d’informations plus grandes, pendant des périodes plus longues, à un moindre coût qu’un novice. La limite de la mémoire de travail à long terme correspond au niveau d’expertise et à l’exigence attentionnelle pour maintenir actives les informations dépendant de ce niveau d’expertise.

Cependant, ce modèle s’affranchit de la modalité de l’information. Dans le cadre de la mémoire de travail à long terme, l’information en mémoire est un schéma, ou élément de schéma, et donc amodal.

La seule mémoire de travail à long terme n’est donc pas à même de servir de modèle d’interprétation pour des effets déjà établis de la théorie de la charge cognitive ou de l’apprentissage multimédia. C’est par exemple le principe de modalité.

En revanche, ce modèle permet de rendre compte de résultats empiriques qui étaient inexplicables dans le cadre du modèle en composantes multiples (Baddeley, 1986). C’est par exemple le renversement lié à l’expertise ou la redondance d’information liée à l’expertise.



Le principe de renversement lié à l’expertise


Le renversement lié à l’expertise désigne initialement une annulation des effets classiques de la théorie de la charge cognitive pour des élèves plus experts.

L’expertise permet d’augmenter la quantité d’information contenue dans un chunk (p. ex., Chase et Simon, 1973).

Ainsi, devant un problème à résoudre les novices bénéficient de l’effet du problème résolu, car il réduit la charge cognitive inutile à l’apprentissage.

À l’inverse, des élèves plus experts n’en bénéficient plus, car la réduction de la charge cognitive ne fait aucune différence pour eux, ils ne sont pas en surcharge cognitive.

Ces effets peuvent même devenir négatifs, s’ils imposent aux élèves experts de consacrer des ressources cognitives et du temps d’apprentissage à traiter des informations qu’ils ont déjà apprises.

Le renversement lié à l’expertise souligne une limite bien connue de la conception, de situations d’apprentissage, à savoir qu’il faut tenir compte des connaissances antérieures des élèves. Ce principe correspond en partie à la « aptitude-treatment interaction » (ATI) mise au jour par Cronbach et Snow (1977).



Le principe du rythme de présentation


Le rythme de présentation des informations a été étudié, car il pouvait affecter les autres effets de la théorie de la charge cognitive.

Schmidt-Weigand et ses collègues (2010) ont analysé l’effet du rythme de présentation (lent, moyen ou rapide) et son interaction avec l’effet de modalité. Les auteurs conclurent que le rythme de présentation n’avait pas d’effet particulier. Cependant, quand ils donnèrent le contrôle du défilement (la possibilité de faire des pauses) aux participants, ces derniers ont eu tendance à passer plus de temps sur la tâche et leur performance d’apprentissage s’est améliorée.

Meyer, Rasch et Schnotz (2010) ont aussi obtenu un effet relatif du rythme : une vitesse de défilement rapide focalise l’apprentissage sur les phénomènes globaux, tandis qu’une vitesse lente favorise l’apprentissage de détails. Cependant, en moyenne, donner le contrôle du défilement aux apprenants a un impact négatif sur l’apprentissage. L’effet positif de la vidéo est obtenu lorsque le défilement de l’animation est piloté par le système (g = 0,31). Il disparait quand l’animation est contrôlée par l’élève, comme le montre la méta-analyse de Berney et Bétrancourt (2016).

Ces résultats semblent contradictoires. Le contrôle du défilement par les apprenants semble avoir des effets différents selon les recherches. Les facteurs en cause sont en réalité au niveau de la stratégie mobilisée et le degré d’expertise des apprenants.

Les élèves qui ont peu de ressources pour réaliser une tâche de compréhension orale par exemple peuvent se trouver en difficulté pour prendre le contrôle du défilement. Le phénomène a été mis en évidence en compréhension orale avec élèves dyslexiques en langue maternelle (Tricot, Vandenbroucke, & Sweller, 2020 ; Vandenbroucke & Tricot, 2018), ou avec des élèves ordinaires en classe de langue (Roussel et coll., 2008).

Certains élèves vont tout écouter d’une traite et ne faire aucune pause. D’autres élèves vont faire trop de pauses, une après chaque mot par exemple. Ces deux stratégies détériorent les performances, qu’on les compare à celles des mêmes élèves sans contrôle du défilement, ou à des élèves plus avancés, qui utilisent de façon plus pertinente le contrôle du défilement.

Donner le contrôle aux élèves constitue une émancipation pour les experts, une double peine pour les novices (Roussel & Tricot, 2014).

Ces résultats mettent en avant une limite majeure des modèles de mémoire de travail utilisés par la théorie de la charge cognitive et la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia.

Ces modèles ne prennent pas en compte la dimension temporelle du phénomène étudié. Pour pouvoir prendre en compte cette dimension, ces théories devaient se tourner vers un nouveau modèle théorique. Le modèle de partage temporel des ressources (Time-Based Resource-Sharing model, TBRS, Barrouillet et Camos, 2015) permet en effet de prendre en compte le temps (Spanjers, van Gog & van Merrienboer, 2010).



Le modèle de partage temporel des ressources (Barrouillet et Camos, 2015)


Le modèle de partage temporel des ressources permet de décrire la sollicitation de la mémoire de travail comme un ratio de temps entre les processus de traitement de tâches concurrentes et les processus de rafraichissement de l’information en mémoire de travail.

Selon ce modèle, la mémoire de travail utilise une seule ressource,l’attention :
  • Les items en mémoire de travail ont un niveau d’activation qui diminue au cours du temps. Le maintien de ces items correspond à l’activité́ de rafraichissement.
  • La réalisation d’une tâche complexe entraine une alternance rapide du focus attentionnel entre le traitement et le rafraichissement.
  • Plus la pression temporelle sur cette répartition du focus attentionnel est forte, plus la charge en mémoire de travail augmente.



Importance de la répartition du temps d’apprentissage


Le modèle de partage temporel des ressources permet de reconsidérer le rôle crucial de la répartition du temps dans les apprentissages scolaires.

La performance d’apprentissage peut donc être vue comme fonction du ratio temporel entre le temps nécessaire pour regrouper ces informations et le temps restant pour rafraichir les autres informations en mémoire de travail.

Une succession de séances d’apprentissage courtes produit de meilleurs effets qu’une séance longue.

Chen, Castro-Alonso, Paas et Sweller (2018) ont proposé d’interpréter cet effet dans le cadre de la théorie de la charge cognitive par la notion d’épuisement des ressources cognitives en mémoire de travail. Il s’agit d’une forme de fatigue cognitive dont le résultat est une baisse de la performance cognitive à la suite d’un effort cognitif intense et prolongé.

L’utilisation d’une métaphore musculaire rend l’observation triviale. Nous sommes plus fatigués après avoir couru un marathon qu’avant. Mais ce résultat n’est pas évident à interpréter concernant nos ressources cognitives.

La majorité des modèles partent du postulat que notre mémoire de travail et notre attention sont des processus stables dans le temps. La capacité de la mémoire de travail est toujours considérée fixe et peu d’expérimentations, sinon aucune, n’ont réussi pour l’instant à l’affecter de manière significative.

Dans l’hypothèse d’un épuisement des ressources, une sollicitation intensive et prolongée de ces ressources cognitives pourrait diminuer la quantité de ressources disponibles et donc diminuer la performance d’apprentissage.

La charge cognitive augmenterait avec la baisse des ressources disponibles, puisque celle-ci est définie comme la proportion des ressources utilisées.

Le modèle de partage temporel des ressources permet de définir la consommation des ressources attentionnelles lors de la réalisation d’une tâche d’apprentissage scolaire exigeante (Puma, Matton, Paubel & Tricot, 2018). Lorsque l’exigence de la tâche est supérieure aux ressources des individus, ces dernières s’épuisent progressivement et par conséquent, la performance. à la tâche diminue.


Mis à jour le 04/09/2023

Bibliographie


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