Le fait de s’évaluer est de manière générale plus bénéfique pour les apprentissages scolaires qu’une étude supplémentaire des mêmes contenus. Ce phénomène est connu sous le nom d’effet de test. Sa mise en œuvre est appelée pratique de récupération. Le principal enjeu est que les élèves soient capables de le mettre en œuvre de manière efficace.
(Photographie : Jade Joannès)
Rôle du contrôle métacognitif dans l'apprentissage autonome
Pour bien gérer leurs ressources limitées en temps et en attention, les élèves doivent faire preuve d’un contrôle métacognitif, c’est-à-dire d’autorégulation lorsqu’ils s’engagent dans une démarche d’apprentissage autonome.
Le contrôle métacognitif des apprenants est basé sur un accès privé à des connaissances personnelles. Sa bonne maîtrise permet aux élèves d’augmenter leurs performances de manière notable en matière d’apprentissage.
En développant leurs capacités de contrôle métacognitif, les apprenants peuvent :
- Répartir plus efficacement leur temps d’étude entre les différentes tâches et contenus à apprendre.
- Sélectionner efficacement les contenus moins bien maîtrisés qui bénéficieront d’une nouvelle étude.
- Distribuer les révisions et leurs occasions de pratique de récupération dans le temps de manière productive.
- Adapter leurs apprentissages aux objectifs d’apprentissage qui donneront lieu à une évaluation sommative.
Défaillances du contrôle métacognitif face à l’autoévaluation
Les recherches suggèrent que les apprenants utilisent généralement de manière inefficace la pratique de récupération (c’est-à-dire les autoévaluations) pour améliorer leurs apprentissages.
Les apprenants sous-utiliseraient l’autoévaluation en raison de deux défaillances de leur suivi métacognitif :
- Les apprenants ne parviendraient pas à saisir les avantages mnémoniques que le test offre par rapport à la réétude, en particulier lorsqu’ils jugent de la qualité de leurs apprentissages :
- Les apprenants considèrent presque toujours que les contenus seront moins mémorisés lorsqu’ils sont testés que lorsqu’ils sont réétudiés, même lorsqu’ils reçoivent une rétroaction corrective après leur autoévaluation.
- Pour que les apprenants puissent évaluer correctement que le contenu est mieux appris lorsqu’il est testé que lorsqu’il est réétudié, ils auraient besoin d’une rétroaction complète sur leurs performances. Elle pourrait leur démontrer explicitement l’avantage de la démarche. Celle-ci n’est pas aisément disponible.
- Les apprenants n’apprécient pas les avantages du test en tant que stratégie générale d’apprentissage. Elle correspond à une difficulté désirable, mais son efficacité n’est pas perceptible à court terme ce qui limite son adoption.
- Les apprenants ne parviennent pas à contrôler efficacement les avantages de la récupération par rapport à la réétude même après une expérience avec ces procédures.
- La plupart des apprenants disposent d’un modèle personnel de la mémoire dans lequel le test n’a qu’un effet neutre sur la mémoire. Dès lors, ils utilisent les tests uniquement comme un moyen de contrôler leur mémoire plutôt que de l’améliorer.
- Lorsqu’on leur demande pourquoi ils se testent (Kornell & Son, 2009), deux tiers des étudiants déclarent qu’ils se testent uniquement pour savoir ce qu’ils savent et ce qu’ils ne savent pas. Seuls 20 % des étudiants déclarent utiliser les tests parce qu’ils leur permettent d’apprendre davantage que de réétudier.
- Même lorsque les apprenants se testent, ils ne reconnaissent pas les avantages du test comme stratégie de mémorisation des informations.
- Lorsque les apprenants choisissent combien de fois ils doivent se tester, ils choisissent prématurément d’abandonner des éléments après un seul test pratique réussi plutôt que de continuer à pratiquer leur récupération. Cette stratégie d’abandon nuit à leur rappel final (Kornell & Bjork, 2008).
- Cette preuve suggère que les apprenants utilisent largement le test comme un moyen de contrôler plutôt que d’améliorer l’apprentissage, et qu’ils cesseront donc de s’évaluer une fois que l’information est récupérée avec succès.
Ces défaillances du contrôle métacognitif face à l’autoévaluation suggèrent et la recherche semble le confirmer, que les apprenants sous-utilisent les tests lorsqu’ils choisissent des activités d’étude (Karpicke, 2009). Elles étayent l’hypothèse d’une sous-utilisation de l’autoévaluation.
Les apprenants utilisent trop rarement les tests pour contrôler leur étude et choisissent souvent de n’être testés de manière unique que sur des éléments préalablement bien appris.
Rôle du contrôle métacognitif dans le pilotage de la pratique de récupération
Une expérience intéressante
Tullis et ses collègues (2018) ont examiné dans diverses expériences si les choix des apprenants en matière de test et de réétude sont efficaces ou inefficaces pour améliorer les performances ultérieures de leur mémoire. Est-ce que les choix des apprenants aident ou entravent leurs performances mnémoniques ultérieures ?
Le fait de permettre aux apprenants de contrôler la répartition des éléments à tester (par rapport à ceux à réétudier) peut ne pas bénéficier du tout de la performance mnémonique. Cela peut même avoir un effet négatif sur la mémoire.
Dans les expériences menées par Tullis et ses collègues (2018), les apprenants ont étudié une liste de paires de mots et ont choisi les éléments à réétudier et ceux à tester :
- Certains des choix des apprenants ont été respectés (en assignant ces éléments à l’activité choisie).
- Certains des choix des apprenants ont été trahis (en assignant ces éléments à l’activité d’étude opposée).
Ce paradigme honneur/déshonneur a précédemment été utilisé pour tester l’efficacité d’autres choix métacognitifs. Il a révélé que les apprenants sont efficaces pour choisir les éléments à réétudier (Tullis & Benjamin, 2012) et déterminer quand espacer les répétitions dans le temps (Mulligan & Peterson, 2014).
Deux questions en découlent :
- Même en présence d’un manque évident d’appréciation du résultat du test, les apprenants peuvent-ils choisir efficacement les éléments à tester eux-mêmes ?
- La mémoire des apprenants peut-elle bénéficier de l’utilisation du test plus souvent qu’ils ne le choisissent spontanément ?
Lorsque les apprenants utilisent le test, ils testent de manière sélective les éléments bien appris. Les apprenants choisissent d’éliminer les éléments les mieux appris de leur liste d’étude, de réétudier les éléments les moins bien appris et de tester les éléments intermédiaires (Karpicke, 2009).
Lorsque l’apprentissage initial est faible, il peut être plus intelligent de réétudier un item que de le tester si aucun retour d’information n’est fourni. Une réponse incorrecte à une question de test n’améliore pas la performance de la mémoire. En fait, dans certains cas, les tests de pratique peuvent conduire à une performance ultérieure plus mauvaise.
En testant seulement les items les plus faciles mieux appris, les apprenants garantissent qu’ils peuvent récupérer correctement les cibles et donc bénéficier de l’effet de test.
Dans des circonstances sans rétroaction, en choisissant de réétudier les items plus difficiles, les apprenants évitent la possibilité de répondre incorrectement à une question initiale du test. Ils se garantissent une autre opportunité d’étude pour l’item, et s’assurent de recevoir un modeste bénéfice mnémonique résultant d’une exposition supplémentaire.
Même si les apprenants ne sont pas sensibles aux avantages assez larges du test, ils pourraient bien être sensibles au coût du test de mémoire, par rapport à la ré-étude, lorsqu’une réponse n’est pas connue.
Comprendre pourquoi et quand les élèves s’évaluent
Au cours des expériences, les apprenants ont sélectivement utilisé le test pour les items plus faciles et ont réservé la réétude pour les items plus difficiles.
L’utilisation sélective du test pour les items plus faciles s’est avérée efficace et efficiente pour améliorer la mémoire. Le fait que les apprenants ont souvent choisi de réétudier les items difficiles était également pertinent, car ces items n’auraient pas bénéficié du test.
L’efficacité des choix des apprenants en matière de test jette une nouvelle lumière sur la métacognition du test :
- Certes, les apprenants peuvent ne pas apprécier les avantages du test.
- Cependant, ils ont une compréhension des circonstances dans lesquelles les avantages du test s’amenuisent.
En utilisant le test de manière sélective, les apprenants ont augmenté les niveaux globaux de performance de leur mémoire et réduit le temps global passé à s’entraîner.
Les apprenants ont démontré un contrôle efficace et efficient des décisions de réétude et de test. Le résultat est contraire à ce qui était attendu étant donné leur réticence des élèves à adopter le test comme une stratégie d’étude efficace.
Le test est utilisé comme un contrôle de la connaissance sur les éléments connus afin de les exclure de la réétude plutôt quand dans l’optique d’améliorer leur mémorisation.
Les apprenants considèrent la réétude comme plus efficace de manière erronée, mais la réservent aux éléments qu’ils ne connaissent pas suffisamment, ce qui est utile.
Malgré une compréhension limitée des atouts de la pratique de test, les apprenants parviennent cependant à tirer un certain bénéfice de leur contrôle métacognitif.
Cet atout ne vient pas de la compréhension des avantages de la pratique de récupération, mais d’une compréhension de ses principales limites :
- Les apprenants peuvent reconnaître que les tests n’aideront pas la mémoire pour les éléments qui ne sont pas rappelés avec succès lors de ces tests.
- Le test n’est bénéfique que lorsque la récupération du test d’entraînement est réussie.
En effet, en l’absence de rétroaction, les avantages des tests se limitent aux éléments rappelés correctement pendant la pratique :
- Le test doit donc être utilisé de manière sélective sur les éléments qui seront rappelés pendant la pratique.
- L’application généralisée du test à tous les éléments dans des situations sans retour d’information peut ne pas être bénéfique pour la mémoire. En fait, le test peut favoriser la fixation durable d’erreurs particulièrement en absence de rétroaction, mais également dans certains cas en présence de rétroaction.
- Dans les cas où la rétroaction n’est pas fournie, il semble que le fait de réétudier les questions les plus difficiles soit plus utile que le test.
Des bonnes et mauvaises raisons de ne pas recourir à l'autoévaluation
Il apparait que les élèves trouvent agréable de se tester lorsqu’ils ont une bonne probabilité de répondre correctement aux questions. Lorsqu’ils ne connaissent pas les contenus, il est plus rentable de directement les étudier à nouveau.
La zone grise avantageuse où la pratique de récupération pourrait être plus utilisée concerne les parties non complètement maîtrisées. Il y a là derrière également une réflexion à mener sur l’utilisation par les élèves de leurs ressources en temps. La pratique de récupération suppose également une pratique distribuée dans le temps.
Il se peut que peu d’élèves soient engagés dans une pratique distribuée. Il est possible que les élèves n’aient pas souvent recours à l’autodiagnostic pour de bonnes raisons.
La principale est qu’ils doivent premièrement consacrer leurs efforts à apprendre la matière suffisamment bien une première fois avant qu’elle puisse dans un second temps bénéficier d’un effet de test. Disposent-ils de suffisamment de temps d’une organisation qui permettent de planifier des opportunités de pratique de récupération ? Le manque d’utilisation de la pratique de récupération peut être dû à un problème d’organisation.
Deuxièmement, les élèves peuvent être centrés sur ce qu’ils ne connaissent pas encore plutôt que sur ce qu’ils pensent déjà connaitre. Il se peut également qu’ils considèrent que le fait de tout tester est une utilisation inefficace de leur temps de travail au-delà du fait de contrôler ce qui est déjà connu. Ils peuvent souhaiter avoir le sentiment d’avoir assez étudié avant de commencer à se tester. Ce sentiment peut arriver tardivement ce qui limite les usages et les bénéfices escomptés de la pratique de récupération.
Les apprenants qui n’apprendraient pas d’abord suffisamment bien la matière pour pouvoir s’entraîner avec succès ne tireraient probablement aucun avantage substantiel du test. La somme de récupérations ratées représente du temps et des efforts largement gaspillés, et peut avoir un effet négatif sur la motivation.
Consacrer du temps et des efforts à réétudier du matériel mal appris peut en fait être la meilleure utilisation du temps en situation d’urgence. C’est peut-être une raison pour laquelle de nombreux élèves et étudiants considèrent la lecture du manuel et de leurs notes comme leur principale méthode d’étude.
Troisièmement, il se peut également qu’ils ne jugent pas avec précision leur apprentissage dans un cours complexe. Il se peut qu’ils n’aient pas confiance dans leurs estimations de ce qu’ils connaissent et de ce qu’ils ne connaissent pas pour commencer à se tester activement.
S’ils ne possèdent pas d’estimation précise de leurs propres connaissances, l’application sélective de la pratique de récupération pour stimuler l’apprentissage peut leur sembler plus délicate et hasardeuse. Les stress aidant, les élèves et étudiants peuvent alors se rabattre sur la réétude, dont les avantages mnémoniques sont faibles, mais garantis à court terme.
La conclusion générale est que les élèves comprennent mal les avantages de l’autoévaluation, mais en perçoivent les limites. Elle ne fonctionne pas pour les contenus non appris. Cependant, ils ne se mettent pas dans les conditions propices à la pratique de récupération, car elle demande une bonne planification du temps de travail et ne rencontre son plein potentiel que dans une perspective à moyen terme.
Une pleine utilisation autonome de la pratique de récupération a comme prérequis de développer parallèlement des capacités d’autorégulation et d’organisation. Lorsqu’un élève organise efficacement son travail, il se retrouve dans des conditions où il peut développer une utilisation plus large de stratégies liées à la pratique de récupération.
Mis à jour le 01/08/2023
Bibliographie
Tullis JG, Fiechter JL, Benjamin AS. The efficacy of learners’ testing choices. J Exp Psychol Learn Mem Cogn. 2018 Apr; 44(4):540–552. doi: 10.1037/xlm0000473. Epub 2017 Nov 2. PMID: 29094989.
Kornell, N., & Son, L. K. (2009). Learners’ choices and beliefs about self-testing. Memory, 17, 493–501. http://dx.doi.org/10.1080/ 09658210902832915
Kornell, N., & Bjork, R. A. (2008). Optimising self-regulated study: The benefits—and costs—of dropping flashcards. Memory, 16, 125–136. http://dx.doi.org/10.1080/09658210701763899
Karpicke, J. D. (2009). Metacognitive control and strategy selection: Deciding to practice retrieval during learning. Journal of Experimental Psychology: General, 138, 469 – 486. http://dx.doi.org/10.1037/ a0017341
Tullis, J. G., & Benjamin, A. S. (2012). Consequences of restudy choices in younger and older learners. Psychonomic Bulletin & Review, 19, 743–749. http://dx.doi.org/10.3758/s13423-012-0266-2
Mulligan, N. W., & Peterson, D. J. (2014). The spacing effect and meta- cognitive control. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition, 40, 306–311. http://dx.doi.org/10.1037/a0033866
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