lundi 18 avril 2022

Splendeur et décadence du constructivisme en éducation

Synthèse personnelle d’un article essentiel de John Sweller (2021) qui fait le bilan de l’opposition entre l’enseignement explicite et les approches centrées sur l’élève influencées par le constructivisme.

(Photographie : remindereminder)



— Pour avoir nié la faute et la déchéance originelles, de dangereux sophistes ont affirmé que l’enfant est bon en naissant ; ils ont conclu que l’éducation doit se borner à écarter de lui les influences qui pourraient arrêter l’épanouissement spontané de sa nature et corrompre la droiture native de ses instincts. C’est l’erreur de J.-J. Rousseau et de ses disciples. Ils ont prôné une éducation négative, dans laquelle ni le maître, ni la religion surtout, ne contrarient l’indépendance de l’enfant, qu’on abandonne ainsi aux incertitudes de sa conscience, aux erreurs de sa raison, aux faiblesses de sa volonté et de son cœur. 
Éléments de pédagogie pratique, Frères des écoles chrétiennes, 1901



L’origine de la notion d’apprentissage par la découverte


En 1961, dans un article intitulé « The act of discovery », Jerome Bruner (1915-2016) proposait que les apprenants construisent leurs propres connaissances et le fassent en organisant et en classant les informations. Jerome Bruner pensait que la manière la plus efficace de développer un système d’encodage en mémoire est de le découvrir par soi-même. L’apprentissage par la découverte serait plus efficace que de se le faire expliquer par un enseignant ou de l’apprendre par cœur.

Le concept d’apprentissage par la découverte implique que les élèves construisent leurs connaissances pour eux-mêmes et par eux-mêmes. Le rôle de l’enseignant se réduit à faciliter le processus d’apprentissage. 

L’apprentissage par la découverte est un terme désormais rarement utilisé. C’est une forme d’enseignement centré sur l’élève. Il réapparait dans différentes autres approches telles que l’apprentissage par la recherche, l’apprentissage par l’enquête, l’apprentissage constructiviste, ou l’apprentissage par la résolution de problèmes. L’apprentissage de l’esprit critique dans une perspective générale peut leur être également associé. 

Jerome Bruner était l’un des fondateurs de la psychologie cognitive. Son concept d’apprentissage par l’enquête était fondé sur les connaissances de la psychologie cognitive disponibles à cette époque. La théorie et la pratique recommandée par Bruner étaient en leur temps tout à fait rationnelles. Pour ces raisons, en l’espace de deux ou trois décennies, elle a dominé, voire envahi les cercles éducatifs, ne rencontrant qu’une opposition peu entendue.



L’origine de la notion d’étayage


Jerome Bruner est également à l’origine de la notion d’étayage. Cette notion est liée au concept de zone proximale de développement introduit par Lev Vygotski.

L’étayage est défini comme « l’ensemble des interactions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ. » L’enseignant aide les élèves à découvrir la relation entre différents éléments d’information. Il offre à ses élèves un soutien temporaire. Pour ce faire, l’enseignant doit donner à ses élèves les informations dont ils ont besoin, mais sans les organiser à leur place. 

Jerome Bruner définit six fonctions pour l’étayage :
  1. L’enrôlement : susciter l’adhésion de l’enfant aux exigences de la tâche.
  2. La réduction des degrés de liberté : simplifier la tâche en réduisant la difficulté du processus de résolution.
  3. Le maintien de l’orientation : faire en sorte que l’enfant ne change pas d’objectif durant la résolution de la tâche et qu’il conserve le but initialement fixé.
  4. La signalisation des caractéristiques déterminantes : faire prendre conscience à l’enfant des écarts qui existent entre ce qu’il réalise et ce qu’il voudrait réaliser.
  5. Le contrôle de la frustration : essayer de maintenir l’intérêt et la motivation de l’élève en utilisant divers moyens et en se prémunissant d’une trop grande dépendance.
  6. La démonstration ou présentation de modèles : présenter sous une forme « stylisée » la solution de l’élève, pour que l’élève tente de l’imiter en retour sous la forme appropriée.



Les fondements théoriques initiaux de l’apprentissage par la découverte


Une justification de l’utilisation de l’apprentissage par la recherche est que les humains sont des animaux qui ont la capacité distinctive de résoudre des problèmes. Notre capacité à résoudre des problèmes complexes est un facteur de différenciation majeur entre nous et les autres espèces animales.

Les sommets de créativité atteints par les humains au cours des millénaires attestent de l’importance d’avoir l’esprit curieux, de faire preuve de raisonnement, de découvrir et d’être critique. Ces capacités nous sont précieuses.

Pour une éducation qui a l’époque se retrouvait tentée de mettre l’accent sur des compétences telles que la résolution de problèmes ou la créativité, l’apport de l’apprentissage par la découverte semblait des plus pertinents. Il est aisé de supposer que si nous pouvons arriver à apprendre aux élèves à penser et à résoudre des problèmes, cela devrait avoir des effets tout à fait positifs pour eux. 

Si nous nous en tenons à ces conceptions, mettre l’accent sur l’apprentissage par la recherche dans les classes devrait accroître la capacité des élèves à résoudre de nouveaux problèmes de manière créative. Cela devrait mener à des avantages proportionnels pour la société en général. 

La suggestion selon laquelle l’apprentissage par l’enquête améliorerait les compétences générales des apprenants en matière de résolution de problèmes et de réflexion semblait aller de soi.

Nous devons entrainer pour devenir compétents dans n’importe quel domaine. Par conséquent, il semblait logique d’entrainer les élèves à la résolution de problèmes généraux.

Cette suggestion démarrée de la résolution de problèmes a donc été adoptée avec enthousiasme par le secteur éducatif et s’est élargie à d’autres compétences générales comme l’esprit critique ou la créativité.

L’apprentissage par l’enquête semblait naturel et il s’est profondément imposé dans les écoles, dans les programmes et dans la formation initiale et continuée des enseignants. 

Tous ces arguments étaient convaincants. Les points de vue alternatifs ont à l’époque été balayés. 



L’invalidation de l’apprentissage par la découverte


Malgré sa popularité, l’apprentissage constructiviste n’a pu apporter que des preuves empiriques très limitées de son efficacité. Beaucoup d’enseignants sur le terrain ont rencontré de sérieuses difficultés à le mettre en œuvre. C’est d’une certaine manière une douche froide ininterrompue. 

Au fil des décennies, à mesure que notre connaissance de l’architecture cognitive humaine a progressé, il est devenu de plus en plus clair que ses différents progrès ne favoriseraient pas l’apprentissage par la recherche. Il est devenu de plus en plus difficile de concilier ces nouvelles connaissances avec l’utilisation de l’apprentissage par la recherche. 

Lorsque des données issues d’essais contrôlés randomisés et d’études corrélationnelles ont commencé à apparaitre, elles se sont révélées tout aussi problématiques pour une perspective d’apprentissage par la recherche. 

A contrario, les preuves de l’impact, de l’efficience et de l’efficacité de différentes approches instructionnnistes se sont accumulées. De plus, celles-ci ont trouvé à travers les sciences cognitives de multiples preuves modélisant les mécanismes sous-jacents de l’apprentissage.

Paradoxalement, l’apprentissage par la découverte se voit relégué comme pratique inefficace par des approches qu’il rejetait pour une part d’emblée, c’est-à-dire l’enseignement dirigé par l’enseignant, souvent appelé désormais enseignement explicite. 



Le problème de la persistance de l’apprentissage par la découverte malgré son invalidation


Contre toute attente, l’apprentissage constructiviste continue malheureusement à être mis largement en avant dans la formation initiale et continue des enseignants

Cette prédominance de l’apprentissage par la recherche se fait en dépit de trois évolutions :
  • Des preuves évidentes d’un enseignement efficace dirigé par l’enseignant ont émergé au cours des dernières décennies et montrent la nette supériorité de l’enseignement explicite sur les différentes approches constructivistes. 
  • Les avancées en psychologie cognitive, notamment la théorie de la charge cognitive ou la science de l’apprentissage, falsifient les fondements de l’apprentissage constructiviste.
  • Les données issues de programmes d’évaluation internationaux comme PISA démontrent sur de larges cohortes les effets positifs de l’enseignement explicite et les effets néfastes de l’apprentissage par la recherche :
    • Les résultats ont indiqué une corrélation négative entre l’accent mis sur l’apprentissage par la recherche et les résultats aux tests internationaux des pays concernés.
    • Les systèmes scolaires qui réussissent le mieux sont les systèmes asiatiques qui assurent un enseignement dirigé par l’enseignant dans « la plupart des leçons » et des leçons basées sur la recherche dans « quelques leçons ». 
    • Cette tendance à la baisse des résultats des tests en cas d’utilisation accrue de l’apprentissage par l’enquête est manifeste. Il explique en partie la chute spectaculaire des classements dans les tests internationaux des pays qui mettent l’accent sur l’apprentissage par l’enquête.

Comme l’écrit Noel Pearson (2021), les partisans de la pédagogie progressive, que l’apprentissage par la recherche est censé représenter, parlent beaucoup de justice sociale. Cependant, leur engagement idéologique de longue date est contradictoire. Il se fait en faveur de politiques scolaires qui ne possèdent aucun fondement validé par des données sur les résultats des élèves ou par les sciences cognitives, ce qui est la définition même de l’injustice sociale.

Dans l’enseignement des sciences, la plupart des programmes partent du principe que l’apprentissage par la recherche est le meilleur moyen d’enseigner les sciences. Il imite superficiellement la manière dont les scientifiques effectuent des recherches et construisent des connaissances par le biais de la méthode scientifique. Mais la recherche scientifique et l’apprentissage par la recherche sont deux choses totalement différentes. Faire l’amalgame entre les deux, comme le font trop d’éducateurs (y compris des scientifiques qui s’essaient à l’enseignement des sciences), est une grave erreur. L’apprentissage des sciences doit lui aussi faire l’objet d’un enseignement explicite et ne pas être simplement découvert par des apprenants novices.

De plus, la manière dont les exigences des matières sont énoncées dans les programmes scolaires tend à prédisposer l’enseignement à prendre le pli d’un apprentissage par la recherche, plutôt qu’un enseignement dirigé par l’enseignant. L’apprentissage par la recherche est la pédagogie non écrite, par défaut. La manière dont les normes et les exigences sont définies privilégie fortement l’apprentissage par la recherche.

À cela s’additionne le fait qu’un grand nombre d’écoles sont satisfaites de leur situation. Il n’y a pas d’urgence à transformer les résultats de leurs élèves. Un nombre suffisant d’entre eux réussissent au secondaire et dans l’enseignement supérieur. Malgré tout et à une échelle plus globale, une part non négligeable des élèves ne parvient toutefois pas à maîtriser la lecture ou certaines bases en mathématiques. Ils connaîtront des trajectoires différentes, plus difficiles et parfois chaotiques dans leurs études ultérieures et leur vie professionnelle. 

Le défi est celui de l’importance de passer de l’apprentissage par la recherche à un enseignement explicite efficace dans l’ensemble des écoles


Mis à jour le 08/07/2023

Bibliographie


Bruner, J. S. (1961). The act of discovery. Harvard Educational Review, 31, 21–32.

Jérome S. Bruner, Le développement de l’enfant : Savoir faire, savoir dire, Presses universitaires de France, 1983

John Sweller, Why Inquiry-based Approaches Harm Students’ Learning, Analysis Paper 24 August 2021, Centre for Independent Studies

Noel Pearson “Schools paper ends teaching debate once and for always,” 2021, The Australian.

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