C’est une idée simple, claire et éclairante sur les objectifs de l’enseignement du vocabulaire dans le cadre d’une discipline. Tout part d’une constatation simple faite par Isabel L. Beck, Margaret G. McKeown et Linda Kucan (2013), celui de la pertinence d’un modèle à trois niveaux pour le vocabulaire scolaire.
(Photographie : Asako Narahashi)
Développer le vocabulaire des élèves dans un domaine spécifique
Un vocabulaire large dans un domaine facilite la compréhension d’un texte qui lui appartient. Il permet de faire des interprétations, des inférences et des déductions précises et perceptives.
Un seul mot représente un concept complet et constitue une porte d’entrée pour l’activation d’un schéma.
La connaissance du vocabulaire constitue le fondement de la compréhension à la lecture.
Dès lors se pose la question de l’apprentissage de ce vocabulaire. Beck et ses collaborateurs (2013) sont critiques vis-à-vis des stratégies courantes d’enseignement du vocabulaire :
- Amener les élèves à chercher des mots dans un dictionnaire
- Faire inférer le sens des mots à partir d’indices contextuels.
Isabel Beck et ses collègues (2013) plaident en faveur d’une approche cohérente et directe de l’enseignement du vocabulaire :
- Les mots doivent être enseignés dans un contexte
- Les mots doivent être introduits par des explications adaptées aux élèves plutôt que par des définitions de type dictionnaire.
- Les élèves ont besoin d’observer comment les mots fonctionnent dans de multiples contextes.
- Les élèves devraient s’entraîner à mobiliser les mots de vocabulaire immédiatement après leur introduction.
- Les élèves doivent être exposés à de nouveaux mots, à plusieurs reprises qui sont distribuées dans le temps, sinon il est peu probable qu’ils les apprennent.
Selon Isabel Beck et ses collègues (2013), l’enjeu est de déterminer les types de mots qui doivent faire l’objet d’une attention pédagogique. Nous pouvons considérer que le vocabulaire d’une personne alphabétisée mature peut être vu comme réparti à travers trois niveaux.
Le vocabulaire de premier niveau
Le premier niveau est constitué des mots les plus élémentaires : chaud, chien, fatigué, courir, parler, faire la fête, nager, regarder, salade, lait, et ainsi de suite.
Il s’agit des mots de haute fréquence qui constituent le vocabulaire de base.
Ces mots sont rarement enseignés à l’école, car ils ont tendance à être acquis durant l’enfance et appartiennent à la langue orale courante. Ces mots du premier niveau nécessitent rarement un enseignement sur leur signification à l’école.
Les élèves vont apprendre dans des conversations ordinaires. Ces mots sont appris par l’usage quotidien et commun de la langue maternelle. Ce sont les mots qui apparaissent le plus fréquemment dans le langage oral. Les enfants y sont exposés à une fréquence élevée dès leur plus jeune âge. Dès lors, ils se familiarisent assez facilement avec cet ensemble de mots.
Le vocabulaire de troisième niveau
Le troisième niveau est constitué d’un ensemble de mots qui ont une fréquence d’utilisation assez faible. Ces mots se limitent souvent à des sujets et à domaines spécifiques. Ils ne sont généralement acquis que lorsque la nécessité s’en fait sentir.
Exemple : lymphocyte, quadratique, cotangente, redox, protagoniste, tradégie…
Parfois, ce sont des mots qui appartiennent au deuxième niveau, mais développent un sens entièrement spécifique dans un domaine particulier, ce qui en réalité en fait de nouveaux mots. Lorsqu’ils sont dans le langage courant, lorsqu’ils le sont, ils ont tendance à être particuliers à un sujet (par exemple, respiration, réfraction, molécule).
Ce sont des mots que les élèves ne vont rencontrer que dans une matière uniquement et pas dans les autres et souvent dans un thème ou un champ précisément délimité de celle-ci.
En général, une compréhension approfondie, un usage commun de ces termes ne sera pas d’une grande utilité à long terme pour la plupart des apprenants. Ils sont utiles pour démontrer des connaissances et compétences dans un domaine précis dans le cadre d’une évaluation sommative ponctuelle.
Tous les élèves ne gagnent pas à développer une connaissance profonde et durable de ce vocabulaire de troisième niveau. Il concerne les élèves qui poursuivent leurs études dans ce domaine après l’enseignement secondaire ou dans le cadre de leur carrière professionnelle ou qui poursuivent un intérêt individuel sur le sujet.
Il est probablement préférable d’apprendre ces mots à nos élèves lorsqu’un besoin spécifique se fait sentir dans le cadre de la matière vue et en lien avec l’exercice des compétences spécifiques visées. Si les élèves ne comprennent pas la signification de ces mots et ne peuvent donc pas les utiliser correctement dans le domaine considéré, leurs résultats scolaires seront limités dans celui-ci.
Le vocabulaire de deuxième niveau
Le deuxième niveau contient des mots qui sont d’une grande utilité pour une utilisation mature, adulte, citoyenne et plus sophistiquée de la langue.
Il regroupe des termes que nous retrouvons dans une variété de domaines ou qui sont d’une importance qui dépasse largement leur contexte disciplinaire spécifique. Ce sont des mots transversaux et souvent descriptifs.
Nous pouvons les classer en deux catégories.
- La première catégorie comprend des termes qui ont des significations multiples et sont importants pour la compréhension à la lecture. Par exemple : mesure, chance, coïncidence, absurde ou tendance. Ces mots se retrouvent souvent à l’intérieur des questions que nous posons aux élèves, par exemple « expliquer pourquoi, justifier, argumenter… »
- La seconde catégorie comprend des termes comme : sélection naturelle, évolution, révolution, variable, méthode, théorie, structure, interprétation ou tsunami. Ils sont moins courants dans une conversation orale, mais plus courants à l’écrit.
Ces mots sont caractéristiques du texte écrit et ne se retrouvent que rarement dans la conversation orale. Ces mots qui sont utiles dans diverses matières et dans diverses situations. Les élèves sont susceptibles de rencontrer ces mots en étant confrontés à des textes écrits. Cela signifie que les élèves sont moins susceptibles d’apprendre ces mots de manière autonome, par rapport aux mots de niveau 1.
En raison du rôle important que jouent les mots du deuxième niveau dans le répertoire d’un usager de la langue, une connaissance approfondie des ceux-ci peut avoir un impact important sur le fonctionnement verbal. Ainsi, un enseignement axé sur les mots du deuxième niveau peut se révéler être productif et précieux. En général, les mots de niveaux peuvent être expliqués à l’aide de mots plus faciles et plus familiers de niveau 1.
Implications pour l’enseignement des trois niveaux de vocabulaire
Nagy et Anderson (1984) ont analysé dans un contexte anglophone l’utilisation des mots dans le registre scolaire textuel. Ils ont analysé l’anglais scolaire imprimé de la troisième (8-9 ans) à la neuvième année (14-15 ans) de la scolarité.
Nagy et Anderson estiment qu’il y a 88 500 familles de mots dans l’anglais scolaire écrit. Une famille de mots et un ensemble de mots apparentés tels qu’introduire, introduction, réintroduire, réintroduction, introductif.
La moitié d’entre eux sont si rares que même les lecteurs passionnés ne les rencontrent qu’une fois dans leur expérience de lecture. Il existerait également environ 15 000 familles de mots qui seraient rencontrées au moins une fois tous les dix ans.
Beck, McKeown et Kucan (2013) avancent l’idée que ces 15 000 familles de mots constituent la population des niveaux un et deux du vocabulaire. Ils font le parallèle avec les recherches de Paul Nation (2001) portant sur le vocabulaire en langue moderne étrangère. Paul Nation (2001) a avancé que pour lire avec une perturbation minimale due à un vocabulaire inconnu, les utilisateurs d’une langue donnée ont probablement besoin d’un vocabulaire de 15 000 à 20 000 mots.
Beck, McKeown et Kucan (2013) estiment que le premier niveau comprend 8 000 familles de mots. En se basant sur l’affirmation de Nagy et Anderson [1984], il resterait 7 000 familles de mots pour le niveau 2.
De la maternelle à la neuvième année [14-15 ans], cela équivaudrait à une moyenne de 700 mots par an. Selon Beck, McKeown et Kucan [2013], l’attention portée à une partie substantielle de ces mots, disons une moyenne de 400 par an, contribuerait de manière significative au développement verbal d’un individu. Le fait de viser ce nombre de mots permettrait d’assurer une profondeur d’enseignement suffisante pour améliorer la capacité de compréhension de texte des élèves.
Un enseignement explicite du vocabulaire
Le niveau 2 et le niveau 3 du vocabulaire bénéficient d’un enseignement explicite :
- Le vocabulaire niveau 2 :
- Permet de faciliter la compréhension ultérieure dans une variété de contextes.
- Gagne à être enseigné explicitement dans toute sa subtilité dans le contexte de son utilisation, car un terme n’a pas nécessairement le même sens ou ne correspond pas aux mêmes subtilités d’un domaine à un autre.
- Le vocabulaire de niveau 3 :
- Permet d’accroître les connaissances de base des élèves dans un domaine spécifique.
- Est spécifique à un domaine et définit la culture de ce domaine.
- Ne devrait pas être édulcoré dans un domaine et remplacé par du vocabulaire de niveau 1, car ce serait desservir les élèves.
- Ouvre des portes pour accéder à d’autres documents plus complexes d’un domaine donné par la suite.
L’un des principes fondamentaux de l’enseignement est la rencontre et l’utilisation par nos élèves d’un vocabulaire riche et précis.
Nous devons éviter la tentation d’abaisser notre niveau de langage de crainte que l’utilisation d’une terminologie appropriée pose des difficultés à nos élèves, dans la mesure où nous l’introduisons par un enseignement explicite.
Un premier temps de réflexion se poser sur le contenu de vocabulaire de niveau 2 à privilégier pour son utilité plus large. Deuxièmement, des priorités doivent être placées au niveau du vocabulaire de niveau 3 en fonction des objectifs poursuivis dans le cadre du cours. L’importance du niveau 3 est d’autant plus élevée que le cours est d’importance dans le futur scolaire de l’élève.
Pour faciliter le processus, nous pouvons mettre en œuvre les pistes suivantes :
- L’utilisation d’organisateurs graphiques pour les connaissances, incluant le vocabulaire visé.
- La mise en évidence d’un vocabulaire ciblé de niveau 3 dans les supports pédagogiques à côté du vocabulaire de niveau 2. Étant donné que le vocabulaire de niveau 3 est le plus susceptible d’être oublié, il est important de cibler les termes essentiels.
- L’utilisation du visuel pour faciliter l’acquisition du nouveau vocabulaire, c’est-à-dire l’idée de combiner des images et des mots, à la fois pour le niveau 2 et le niveau 3.
- L’utilisation d’exercices de type texte à compléter ou termes à associer, l’amorce contenant le mot cible de niveau 3.
- L’utilisation de vrai ou faux avec des phrases qui ont un sens avec le vocabulaire et d’autres phrases qui n’en ont pas. Il est alors demandé aux élèves de corriger les erreurs.
- La conception de devoirs qui testent les connaissances et la compréhension du vocabulaire de niveau 2 et 3 par les élèves. Ces devoirs doivent être basés sur la pratique de la récupération de ces termes plutôt que sur leur apprentissage initial.
Mis à jour le 16/06/2023
Bibliographie
Isabel L. Beck, Margaret G. McKeown and Linda Kucan, Bringing Words to Life: Robust Vocabulary Instruction, 2nd edn (New York: Guilford Press, 2013), p. 20.
Chris Runeckles, Making Every History Lesson Count, 2018, Crown House
Paul Nation, Learning Vocabulary in Another Language, Cambridge, 2001
Nagy, W. E. and Anderson, R. C. (1984) How Many Words Are There in Printed School English. Reading Research Quarterly, 19, 304–330. http://dx.doi.org/10.2307/747823
Andy Tharby, Making Every English Lesson Count, 2017, Crown House
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