samedi 19 février 2022

L’effet d’explication lié à l’étude de problèmes résolus

La manière dont les élèves s’emparent et analysent les problèmes résolus influe sur leur efficacité et leur efficience pour l’apprentissage. Nous voulons éviter que les élèves se contentent d’un usage passif des problèmes résolus.

(Photographie : Nicholas Haggard)


Si nous recherchons une optimisation de l’étude des problèmes résolus, un élément essentiel va être fonction de ce que les élèves vont s’expliquer eux-mêmes au départ d’un problème résolu. C’est ce que nous appelons l’effet d’explication.



L’effet d’explication, une stratégie cognitive pour soutenir la compréhension en autonomie


La spécificité de l’effet d’explication face à l’auto-explication


L’auto-explication se concentre sur les situations pour lesquelles des apprenants s’expliquent à eux-mêmes des solutions, des processus, des phénomènes ou des concepts qu’ils ont précédemment compris et appris.

Cette démarche permet d’approfondir l’apprentissage en créant de nouveaux liens (élaboration) et de le rendre plus durable (récupération et consolidation).

L’effet d’explication aborde une autre dimension particulière de l’auto-explication. L’effet d’explication interviendrait plutôt dans une phase antérieure à l’élaboration et à la consolidation.

Il serait lié à l’établissement de la compréhension. Si l’auto-explication à la base agit sur la consolidation et la récupération, l’effet d’explication porterait sur l’encodage.

Dans le contexte de problèmes résolus, les élèves vont tâcher d’en comprendre la résolution en se l’expliquant à eux-mêmes. En ce sens, ils s’engagent dans un processus d’explicitation de la résolution, ce qui revient à mettre un haut-parleur sur leur pensée en faisant l’effort de la révéler.

Les élèves étant des novices, leur compréhension du contenu pédagogique du problème résolu est susceptible d’être encore incomplète. Le matériel didactique comporte souvent des lacunes, des sous-entendus ou des omissions dans les étapes d’un problème résolu. Tout le contenu n’est pas nécessairement explicité de manière optimale en rapport avec les connaissances préalables de l’élève. Par exemple, certaines étapes de la solution peuvent être implicites.

Régulièrement, des élèves ne vont pas parvenir à comprendre ou saisir pleinement tout ce que le problème résolu entend modéliser et transmettre lorsqu’ils ne s’engagent que dans une approche littérale. L’effet d’explication implique d’analyser et de s’expliquer personnellement ce qu’on lit. 


Une démarche à promouvoir et à soutenir auprès des élèves


Un élève peut ne pas parvenir à comprendre pleinement un problème résolu, car il le lit superficiellement. Il ne tente pas de se l’expliquer ou ne s’y engage pas. Il peut se retrouver incapable de généraliser ultérieurement des connaissances à partir de celui-ci vers d’autres problèmes similaires. Par conséquent, il risque de ne pas pouvoir les mobiliser par la suite et il n’aura pas appris ce que l’enseignant souhaite.

Certains élèves sont meilleurs que d’autres pour élaborer et déduire les explications qui leur manquent. Ces élèves vont utiliser des stratégies qualitativement distinctes pour compenser l’effet de problèmes résolus insuffisamment conçus. Le fait de s’expliquer est l’une de ces stratégies.

Lorsqu’ils découvrent une étape inexpliquée dans un problème résolu, certains élèves génèrent leur propre justification pour les actions décrites trop succinctement. Les élèves qui s’expliquent avec succès en étudiant des problèmes résolus apprennent plus efficacement. Si certains vont spontanément s’engager dans le processus, d’autres vont abandonner trop vite, car ils n’ont pas conscience qu’ils peuvent s’investir dans cette stratégie d’auto-explication qui vise à révéler le sens. Nous devons leur faire prendre conscience de l’existence de cette stratégie en l’identifiant, en la leur enseignant explicitement et en leur donnant des occasions de pratique.



Styles d’auto-explication


Alexander Renkl (1997) a découvert qu’il existe deux styles d’auto-explication différents et efficaces : 
  • Le raisonnement anticipatif : 
    • L’élève auto-explique en anticipant ou en prédisant l’étape suivante d’un problème résolu.
    • Par la suite, il effectue une autovérification pour déterminer si sa prédiction était correcte ou erronée.
  • L’explication basée sur des principes : 
    • L’élève cherche à articuler la structure conceptuelle du problème :
      • En auto-expliquant la structure des sous-objectifs du problème
      • En rendant explicites les principes du domaine sur lesquels les solutions sont basées.
Les élèves qui s’auto-expliquent sont plus performants que ceux qui ne le font pas. Nous devons encourager nos élèves non seulement à s’auto-expliquer, mais également à le faire aussi efficacement que possible.

Nous pouvons faire l’hypothèse que :
  • Le style basé sur les principes correspond à la mise en œuvre des processus explicatifs et aux raisonnements sous-jacents.
  • Le style anticipatif correspond à la mise en œuvre de détection de similitudes ou des limites liées au stockage d’informations spécifiques sur la base des attentes rencontrées ou déçues. 



Encourager les auto-explications par des manipulations structurelles


Le principe des auto-explications peut également être mis en lien avec le fait de structurer le problème résolu avec des étapes et des sous-objectifs (Margulieux et Catrambone, 2016). Les sous-objectifs des problèmes résolus peuvent inviter les élèves à s’expliquer plus spontanément le contenu des problèmes résolus. 

 
De même, utiliser la technique du problème à compléter peut contribuer à nourrir la réflexion des élèves étape par étape à partir des dernières étapes de la résolution. 

En effet, régulièrement, les dernières étapes du problème sont les plus simples et les premières étapes sont les plus complexes. La démarche du problème à compléter permet d’intégrer progressivement la complexité et de guider la réflexion des élèves. Nous passons de problèmes complètement résolus à des problèmes de plus en plus incomplets jusqu’à des problèmes de pratique. Les élèves analysent des problèmes résolus dans un premier temps, puis en complètent avant d’arriver à résoudre des tâches conventionnelles.

Van Merriënboer et Kirschner (2017) renseignent différentes autres techniques d’étayage de l’auto-explication :
  • Modéliser les stratégies cognitives en pensant à haute voix :
    • Dans un premier temps, rendre explicites de manière détaillée tous les processus de prise de décision, de résolution de problèmes et de raisonnement.
    • Dans un second temps, réduire le niveau de détail au fur et à mesure que les élèves acquièrent plus d’expertise.
  • Fournir un support écrit :
    • Dans un premier temps, proposer un descriptif de la procédure de résolution à accomplir, proposer des sous-questions guide le raisonnement ou une liste de vérification qui permet de contrôler la démarche.
    • Dans un second temps, réduire progressivement le nombre de phases, de sous-questions ou de critères à respecter donnés à un élève.
  • Appliquer des contraintes de performance :
    • Dans un premier temps, limiter les demandes d’action de l’élève à celles strictement nécessaires pour atteindre une solution.
    • Dans un second temps, augmenter le nombre d’actions nécessaires pour aboutir à une solution.



Intérêt d’une formation à l’auto-explication


Différentes recherches sur les auto-explications ont tenté d’induire des auto-explications du style basé sur les principes.

Bielaczyc, Pirolli et Brown (1995) ont identifié un ensemble de stratégies d’auto-explication et d’autorégulation utilisées par les étudiants très performants. Ils ont utilisé un entraînement stratégique pour manipuler l’application de ces stratégies par des étudiants. Ils ont examiné l’impact de leur utilisation sur leurs explications et leurs performances des étudiants. 

Vingt-quatre étudiants universitaires sans expérience préalable de la programmation ont suivi une série de leçons de programmation. 

Après les leçons d’introduction, les participants ont reçu des interventions impliquant une formation explicite aux stratégies (groupe d’instruction) ou ont reçu un ensemble d’interventions similaires, mais sans formation explicite (groupe de contrôle). 

Le groupe d’instruction a montré des gains significativement plus importants que le groupe de contrôle dans l’utilisation des stratégies d’auto-explication et d’autorégulation entre les leçons avant et après les interventions. 

L’application accrue des stratégies s’est accompagnée de gains de performance significativement plus importants. Les stratégies particulières d’auto-explication et d’autorégulation utilisées contribuent à l’apprentissage et à la performance en matière de résolution de problèmes.

Ce processus demandait beaucoup de temps (deux séances d’entraînement). Il semble toutefois que des résultats similaires ont été obtenus plus rapidement dans une autre recherche (Wong et coll., 2002). 

Renkl et ses collègues (1998) ont mené une expérience similaire. Ils ont également montré qu’une intervention explicite de formation à l’auto-explication avait un effet important sur les activités d’auto-explication et les résultats d’apprentissage. Ceux-ci étaient évalués par la performance et la résolution de problèmes de transfert.

Dans une recherche, Stark et ses collègues (2002) ont proposé à un groupe d’apprenants un entraînement dans lequel l’expérimentateur sert de modèle pendant vingt minutes. Ce dernier s’auto-explique à haute voix un problème résolu. Ensuite, il donne une rétroaction lorsque les apprenants produisent eux-mêmes des auto-explications. 

Un autre groupe d’apprenants (groupe contrôle) est exposé aux mêmes exemples sans instruction supplémentaire. Cet entraînement de vingt minutes aux auto-explications donne des effets sur l’apprentissage très positifs, les performances obtenues par ce groupe étant supérieures aux performances du groupe contrôle. 

D’autres recherches sur les auto-explications ont tenté d’induire des auto-explications du style anticipatif.
Stark (et coll., 1999) tente d’induire un raisonnement « anticipatif » en insérant des « blancs » dans des problèmes résolus. Les exemples sont présentés étape par étape, avec des éléments manquants dans le matériel étudié par le groupe expérimental. 

Après avoir complété les trous, le groupe expérimental reçoit un feedback sur la justesse des anticipations produites. Les résultats obtenus aux problèmes tests présentés ensuite montrent que le groupe expérimental obtient de meilleures performances que le groupe contrôle. La présentation séquentielle de problèmes à compléter limite la charge cognitive imposée aux sujets et supporte la mise en œuvre d’un raisonnement anticipatif.




Conditions limites à l’effet d’explication


Atkinson et ses collègues (2000) décrivent de nombreuses études qui ont montré que, lorsque nous demandons aux apprenants de se préparer à enseigner aux autres, cela n’améliore pas nécessairement l’apprentissage. Certains facteurs incitatifs sont à prendre en compte.

Deux facteurs modèrent l’effet de l’enseignement aux autres :
  • L’expérience de l’enseignement aux autres.
  • La connaissance préalable du contenu.
Si un apprenant ne comprend pas bien le contenu et ne sait pas comment l’expliquer, il est probable que l’enseigner ne lui sera d’aucun secours. Ceci est cohérent avec l’idée de mettre en œuvre ce type de démarche dans un enseignement explicite principalement durant la pratique autonome.
 
Siegler (2002) a réalisé des recherches sur une variante de l’explication autodirigée qui semble plus puissante que les auto-explications. Il a suivi de jeunes enfants à qui l’on a demandé d’expliquer eux-mêmes leurs réponses ou celles d’un autre (l’expérimentateur) pour résoudre des problèmes de conservation des nombres et d’égalité mathématique. 

Dans cette recherche, les enfants qui ont le mieux réussi à expliquer le raisonnement de l’expérimentateur sont également ceux qui ont le mieux réussi à générer des réponses correctes par eux-mêmes. Emprunter les explications que nous donnons semble rendre plus performant que de les générer soi-même. 

Roy et Chi (2005) ont proposé deux façons d’interpréter les résultats de Siegler :
  • Expliquer le raisonnement de quelqu’un d’autre, en particulier celui qui est le plus correct, donne l’occasion de comparer et de contraster le raisonnement de l’autre personne avec le nôtre. Lorsque nous repérons un conflit, nous allons probablement ajuster et améliorer notre propre représentation.
  • L’explication du raisonnement correct d’une autre personne est similaire à l’explication d’une phrase ou d’un passage de texte. Cependant, le raisonnement d’un pair pourrait être plus transparent que celui d’un texte. 
Roy et Chi concluent, que dans tous les cas, exposer un apprenant à de multiples perspectives sur un problème semble favoriser une explication efficace et donc l’apprentissage. Cela peut se faire par de multiples représentations de la solution d’un problème, à partir d’un texte ou du raisonnement d’un autre pair.

Mis à jour le 09/06/2023

Bibliographie


Mirjam Neelen and Paul A. Kirschner, 2021, Designing winning worked examples 3 – explanation effects, https://3starlearningexperiences.wordpress.com/2021/07/13/designing-winning-worked-examples-3-explanation-effects/

Stark, R., Mandl, H., Gruber, H., & Renkl, A. (2002). Conditions and effects of example elaboration. Learning and Instruction, 12(1), 39–60. https://doi.org/10.1016/S0959-4752(01)00015-9

Stark, R., Gruber, H., Mandl, H., Renkl, A. & Hinkofer, L. (1999): Lernen mit Lösungsbeispielen im Bereich des kaufmännischen Rechnens: Möglichkeiten der Optimierung einer Lernmethode. Wirtschaft und Erziehung, 51, 316-318. 

Wong, R. M. F., Lawson, M. J., & Keeves, J. (2002). The effects of self-explanation training on students' problem solving in high-school mathematics. Learning and Instruction, 12(2), 233–262. https://doi.org/10.1016/S0959-4752(01)00027-5

Atkinson, R. K., Derry, S. J., Renkl, A., & Wortham, D. (2000). Learning from examples: Instructional principles from the worked examples research. Review of educational research, 70(2), 181-214.

Bielaczyc, K., Pirolli, P. L., & Brown, A. L. (1995). Training in self-explanation and self-regulation strategies: Investigating the effects of knowledge acquisition activities on problem solving. Cognition and instruction, 13(2), 221-252.

Margulieux, L. E., & Catrambone, R. (2016). Improving problem solving with subgoal labels in expository text and worked examples. Learning and Instruction, 42, 58-71.

Renkl, A., Stark, R., Gruber, H., & Mandl, H. (1998). Learning from worked-out examples: The effects of example variability and elicited self-explanations. Contemporary educational psychology, 23(1), 90-108.

Renkl, A. (1997). Learning by Explaining–Or Better by Listening?. Paper presented at the Annual Meeting of the American Educational Research Association (Chicago, IL, March 24-28, 1997). https://files.eric.ed.gov/fulltext/ED409343.pdf

Roy, M., & Chi, M. T. (2005). The self-explanation principle in multimedia learning. The Cambridge handbook of multimedia learning, 271-286.

Siegler, R. S (2002). Microgenetic studies of self-explanation. In N Granott & J. Parziale (Eds.), Microdevelopment: Transition processes in development and learning (pp.31-58). Cambridge University Press.

Van Merriënboer, J. J., & Kirschner, P. A. (2017). Ten steps to complex learning: A systematic approach to four-component instructional design. New York, NY: Routledge.

Sandra Nogry, 2005, Faciliter l'apprentissage à partir d'exemples en situation de résolution de problèmes : Application au projet AMBRE, https://liris.cnrs.fr/Documents/Liris-4127.pdf

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