mardi 1 février 2022

S’entrainer à expliquer à d’autres, une stratégie d’apprentissage efficace

Une idée communément admise est que la meilleure façon d’apprendre de nouvelles connaissances est de pouvoir l’enseigner à quelqu’un. Le fait de générer des explications est en effet une stratégie d’apprentissage efficace.

(Photographie : Martin Friedrich)



L’apprentissage par l’enseignement est une pratique régulièrement mise en avant dans différentes pédagogies.

Nous le retrouvons dans le tutorat par les pairs ou dans les environnements d’apprentissage coopératifs pour lesquels des conditions préalables à l’efficacité ont été établies.

L’objectif de cet article est de voir comment les différentes composantes du processus d’enseignement influencent l’apprentissage



Générer des explications pour mieux apprendre


Ce processus implique deux phases distinctes qui vont favoriser l’apprentissage immédiat et à long terme :
  1. La préparation de l’enseignement (les efforts délivrés dans la phase qui précède l’enseignement à proprement parler).
  2. L’acte d’enseigner et l’interaction avec les autres. 
L’apprentissage par l’enseignement ou le fait de générer des explications s’appuie sur des processus à composantes multiples qui améliorent l’apprentissage résultant. 

L’efficacité de l’enseignement peut être expliquée en fonction des éléments d’un apprentissage efficace :
  • Le processus est susceptible d’augmenter la disponibilité d’indices contextuels pour les contenus à apprendre.
  • Il stimule le développement d’une structure organisée et cohérente de l’information que constitue le schéma cognitif, afin de pouvoir l’enseigner et l’expliquer à quelqu’un d’autre.
  • Il favorise l’élaboration, car nous devons créer des explications et développer des idées et des concepts pris de manière individuelle et intégrée, ce qui favorise un encodage distinctif.
  • Enseigner et une pratique de récupération qui amène à reconstruire et renforcer des connaissances
  • Enseigner améliore et enrichit l’organisation mentale des contenus, car il impose de générer de nouvelles explications dans le cadre des interactions avec les pairs



Fondement théorique d’un apprentissage génératif


Selon la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia (Mayer, 2021), un apprentissage significatif dépend de la capacité des apprenants à sélectionner les informations les plus pertinentes d’une leçon. Ils doivent les organiser en une représentation cognitive significative et les intégrer à leurs connaissances antérieures. 

De manière similaire à la théorie de la charge cognitive, la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia est basée sur l’idée que les apprenants ont une capacité de traitement très limitée. Ils doivent l’utiliser pour s’engager dans le traitement cognitif nécessaire à l’apprentissage. 

L’efficacité d’une stratégie d’apprentissage est fonction de deux processus :
  • Un processus cognitif de sélection et de représentation initiale des contenus en mémoire de travail.
  • Un processus cognitif d’organisation et d’intégration du contenu :
    • Il dépend des capacités cognitives disponibles.
    • Il vise à donner un sens aux contenus, grâce à un traitement génératif. 
Le traitement génératif est difficile à mesurer directement et de manière fiable, il peut être raisonnablement déduit de la performance sur les mesures des résultats d’apprentissage significatifs, comme la compréhension à long terme ou le transfert. 

De telles évaluations sont destinées à cibler la compréhension de concepts importants plutôt que la mémorisation par cœur de connaissances de base.



Apprendre en se préparant à enseigner


Les recherches sur l’effet d’attente de l’enseignement suggèrent qu’étudier dans la simple attente d’un enseignement ultérieur peut améliorer l’apprentissage au-delà de l’étude normale pour un test (Fiorella & Mayer, 2013).

Se préparer à enseigner (sans enseigner réellement) peut améliorer l’apprentissage parce que l’attente de l’enseignement encourage les apprenants à mieux sélectionner et organiser le matériel à apprendre pendant l’apprentissage. 

Lorsque les apprenants se préparent à enseigner, ils doivent :
  • Identifier les éléments clés de l’information
  • Prévoir l’ordre des contenus
  • Organiser cette information de manière cohérente
  • Produire des explications sur le contenu
  • Anticiper les questions qui pourraient être posées sur la matière. 
Deux études classiques indiquent que la préparation à l’enseignement joue un rôle important dans l’apprentissage par l’enseignement :

Dans une étude de Bargh et Schul (1980), les étudiants ont reçu un contenu écrit à étudier avec l’espoir de répondre à des questions par la suite ou d’enseigner la matière à un autre étudiant. Ceux qui s’étaient préparés à enseigner ont obtenu de meilleurs résultats que ceux qui s’étaient préparés à être testés lors de tests ultérieurs de rappel et de reconnaissance.

Benware et Deci (1984) ont reproduit ce résultat avec un support d’apprentissage plus significatif. Ils ont demandé à des étudiants d’étudier un article sur le fonctionnement du cerveau dans l’espoir d’enseigner ou d’être testé sur le matériel. Ceux qui s’attendaient à enseigner ont obtenu de meilleurs résultats à un test de connaissances conceptuelles que ceux qui s’attendaient à être testés. 

Cependant, la préparation à l’enseignement peut ne pas entraîner une amélioration de l’apprentissage dans certaines conditions :

Dans une étude de Renkl (1995), des étudiants se sont préparés à enseigner à d’autres personnes les probabilités tout en étudiant des exemples élaborés sur un ordinateur. Les résultats n’ont montré aucune preuve d’un effet d’attente d’enseignement. C’est probablement en raison du fait que les étudiants ont pu ressentir un stress et une anxiété excessifs à l’idée d’enseigner à d’autres personnes. 

Une étude de Fiorella et Mayer (2013) suggère que l’effet d’attente de l’enseignement peut également être limité aux avantages d’apprentissage à court terme. Dans leur étude, les participants ont étudié une leçon sur l’effet Doppler dans l’espoir d’enseigner plus tard ou d’être testés sur ce sujet. Ceux qui s’étaient préparés à enseigner (sans enseigner réellement) ont obtenu des résultats nettement supérieurs à ceux qui s’étaient préparés à être testés lors d’un test de compréhension immédiat (d = 0,59). Toutefois, cet effet n’était pas statistiquement significatif lorsque les étudiants étaient évalués après un délai d’une semaine (d = 0,24). 



Mécanismes du soutien à l’apprentissage dans l’acte d’enseigner


Expliquer la matière aux autres (sans interagir avec eux) peut offrir des avantages supplémentaires, car cela encourage les apprenants à développer la matière présentée au-delà de la seule préparation à l’enseignement.

L’apprentissage par l’explication dépend de la mesure dans laquelle les apprenants réfléchissent à leur propre compréhension et intègrent les contenus à leurs connaissances antérieures. C’est ce que l’on appelle parfois la construction réflexive des connaissances.

La production d’explications de qualité pour les autres est susceptible d’entraîner un apprentissage profond.

Lorsque les apprenants s’engagent effectivement dans le processus d’enseignement de la matière à un pair, ils doivent :
  • Récupérer une grande partie de ce qu’ils ont préparé.
  • Produire des explications pour les concepts importants.
  • Répondre aux questions qui leur sont posées (ce qui nous amène au point suivant).



L’acte d’expliquer à d’autres pour soutenir l’apprentissage


L’interaction avec les autres permet de pousser plus loin la récupération et l’élaboration en répondant aux questions ou en fournissant des commentaires. Elle peut offrir des avantages métacognitifs en encourageant les apprenants à réfléchir à leur propre compréhension du matériel et à identifier les lacunes dans leurs connaissances. S’il existe de nombreuses recherches sur les avantages de l’auto-explication, il y en a peu qui ont systématiquement examiné les effets de l’explication aux autres. Une limitation importante de cette recherche est que les effets de l’explication aux autres ne sont souvent pas isolés des effets potentiels d’autres étapes de l’apprentissage par l’enseignement.

Dans l’étude d’Annis (1983), les participants ont étudié une leçon d’histoire soit dans la perspective d’enseigner plus tard à un autre élève, soit dans la perspective d’être testés sur la matière. Parmi ceux qui s’attendaient à enseigner, certains ont effectivement enseigné à un autre élève, tandis que d’autres se sont seulement préparés à enseigner. Les résultats indiquent que les étudiants qui ont enseigné ont généralement obtenu de meilleurs résultats que ceux qui s’étaient préparés à enseigner sur les mesures différées de l’apprentissage. Cependant, les étudiants qui ont enseigné l’ont fait en interagissant avec un pair qui était encouragé à poser des questions tout au long de la session d’enseignement. 

Dans une étude réalisée par Coleman, Brown et Rivkin (1997), des étudiants ont appris l’évolution par sélection naturelle, puis se sont expliqué eux-mêmes la matière ou l’ont expliquée à un autre étudiant (sans interagir avec lui). Les résultats indiquent que les étudiants qui ont expliqué à un pair ont généralement obtenu de meilleurs résultats que les étudiants qui se sont expliqués eux-mêmes sur les mesures de l’apprentissage profond. Cependant, l’une des limites de cette étude réside dans le fait que les groupes ont étudié la matière avec des attentes différentes. Le groupe qui s’est expliqué lui-même a étudié dans l’espoir de s’expliquer plus tard. Le groupe qui a expliqué à un autre a étudié dans l’espoir d’expliquer la matière à un autre élève. 

Dans une étude de Roscoe et Chi (2008), les élèves ont appris le système circulatoire humain en étudiant normalement une leçon. 

Il leur a ensuite été demandé  : 
  • De s’expliquer à eux-mêmes.
  • D’expliquer la matière en donnant un cours enregistré sur vidéo.
  • D’expliquer la matière à un autre élève tout en interagissant avec lui (en répondant à ses questions, par exemple). 
Les résultats ont montré que ceux qui s’expliquaient à eux-mêmes étaient généralement plus performants que ceux qui expliquaient aux autres sur les mesures de l’apprentissage profond. Ils présentaient également plus de signes de construction de connaissances réfléchies. 

Cependant, il se peut que les avantages de l’explication aux autres dépendent du fait d’avoir également étudié la matière dans l’espoir de l’enseigner ultérieurement. 

Dans leur étude de 2013, Fiorella et Mayer ont indiqué que la préparation à l’enseignement et l’enseignement effectif présentait des avantages similaires lorsque l’apprentissage était évalué par un test de compréhension immédiat. Toutefois, seules les personnes qui se préparaient à enseigner et qui enseignaient effectivement la matière présentaient des avantages en matière d’apprentissage après un délai d’une semaine. Ce résultat suggère qu’un avantage supplémentaire important de l’explication de la matière aux autres est qu’elle favorise l’apprentissage à long terme. 



La valeur ajoutée pour l’apprentissage d’interactions authentiques dans un enseignement effectif


Fiorella et Mayer (2014) ont tenté de distinguer les avantages de la préparation à l’enseignement des avantages de l’enseignement proprement dit. 

Dans l’expérience 1, des étudiants de premier cycle ont étudié une courte leçon de physique. Ils recevaient une version de base ou une version améliorée d’une leçon écrite sur le fonctionnement de l’effet Doppler. 

Les étudiants ont été informés à l’avance qu’ils apprenaient la leçon : 
  • Soit en vue d’un test sur la matière (pas de besoin de se préparer à enseigner)
  • Soit en vue d’enseigner la matière en donnant une conférence enregistrée sur vidéo (c’est-à-dire se préparer à enseigner). 

Ceux qui s’attendaient à enseigner n’ont pas réellement enseigné, mais tous les participants ont été soumis à un test immédiat de compréhension de la matière. Les résultats ont indiqué que ceux qui se préparaient à enseigner (sans enseigner réellement) ont obtenu de meilleurs résultats que ceux qui se préparaient pour un test de compréhension immédiat. Il y avait un effet d’attente d’enseignement immédiat (d = 0,55), quel que soit le format de la leçon. 

Dans l’expérience 2, les participants étudiaient en s’attendant à être testés ou en s’attendant à enseigner la matière. Certains ont ensuite effectivement enseigné la matière en donnant un cours enregistré sur vidéo, tandis que d’autres ont bénéficié d’un temps d’étude supplémentaire. Ainsi, l’expérience comprenait quatre conditions qui dissociaient le processus de préparation à l’enseignement de l’acte d’enseignement lui-même.

Une semaine plus tard, tous les élèves ont passé un test de compréhension final portant sur leur capacité à expliquer les concepts clés de la leçon. 

Les résultats indiquent que ceux qui ont réellement enseigné la matière ont obtenu de meilleurs résultats que ceux qui ne l’ont pas enseignée. La mesure est faite lors d’un test de compréhension différé (c’est-à-dire un effet d’enseignement à long terme, d = 0,56). Toutefois, cet effet a été le plus fort pour ceux qui se sont également préparés à enseigner (d = 0,56 contre d = 0,22). Le fait de se préparer à enseigner (sans enseigner réellement) n’a pas amélioré l’apprentissage lors du test de compréhension différée.



S’entrainer à expliquer à d’autres, une stratégie d’apprentissage efficace


La préparation à l’enseignement entraîne des avantages d’apprentissage à court terme plus importants que la préparation à un test sur la matière. Cela peut être dû en partie au fait que les élèves sont plus motivés pour apprendre la matière. 

Le fait de se préparer à enseigner n’entraîne que des avantages d’apprentissage à court terme et non des avantages d’apprentissage à long terme.

L’acte d’enseigner peut favoriser le traitement génératif nécessaire à un apprentissage significatif à long terme. 

Selon la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia, le traitement génératif implique la construction active d’une représentation cohérente des contenus. Celle-ci démarre des connaissances préalables des apprenants, qui s’engagent dans les processus cognitifs d’organisation et d’intégration. 

L’acte d’enseigner peut encourager les apprenants à investir des efforts dans l’apprentissage de la compréhension, vraisemblablement en organisant et en intégrant mieux les contenus avec leurs connaissances existantes. 

L’acte d’enseigner associé à la préparation à l’enseignement est important pour l’apprentissage à long terme. La préparation à l’enseignement peut être insuffisante à elle seule pour promouvoir les effets d’apprentissage à long terme. Elle peut néanmoins jouer un rôle important dans la promotion de l’apprentissage à long terme lorsqu’elle est associée à l’enseignement réel. 

Sur le plan pratique, l’étude actuelle suggère que le fait d’expliquer à d’autres la matière récemment apprise fournit aux élèves une stratégie d’apprentissage qui favorise un apprentissage significatif au fil du temps. L’enseignement peut être utilisé comme une stratégie d’apprentissage efficace, même sans formation et sans interaction réelle avec un autre étudiant. 


Mis à jour le 30/05/2023

Bibliographie


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Mayer, R. E. (2021) Multimedia Learning (3rd Edition), Cambridge University Press.

Fiorella, L., & Mayer, R. E. (2014). Role of expectations and explanations in learning by teaching. Contemporary Educational Psychology, 39(2), 75–85. doi:10.1016/j.cedpsych.2014.01.001 

Fiorella, L., & Mayer, R. E. (2013). The relative benefits of learning by teaching and teaching expectancy. Contemporary Educational Psychology, 38, 281–288. 

Bargh, J. A., & Schul, Y. (1980). On the cognitive benefits of teaching. Journal of Educational Psychology, 72, 593–604. 

Benware, C. A., & Deci, E. L. (1984). Quality of learning with an active versus passive motivational set. American Educational Research Journal, 21, 755–765. 

Renkl, A. (1995). Learning for later teaching: An exploration of meditational links between teaching expectancy and learning results. Learning and Instruction, 5, 21–36. 

Annis, L. F. (1983). The processes and effects of peer tutoring. Human Learning: Journal of Practical Research & Applications, 2(1), 39–47. 

Coleman, E. B., Brown, A. L., & Rivkin, I. D. (1997). The effect of instructional explanations on learning from scientific texts. The Journal of the Learning Sciences, 6(4), 347–365. 

Roscoe, R. D., & Chi, M. T. H. (2008). Tutoring learning: The role of explaining and responding to questions. Instructional Science, 36, 321–350. 

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