dimanche 30 janvier 2022

Mettre l’élaboration au service des apprentissages

Quelles sont les caractéristiques des stratégies d’apprentissage et d’enseignement qui préparent les apprenants à réussir dans un contexte de récupération donné ?

(Photographie : Roman Spataro)



Autrement dit, comment enseigner pour que les élèves développent des apprentissages qui leur permettent d’atteindre pleinement les objectifs pédagogiques et réussir pleinement leurs évaluations ?



Améliorer l'étendue des indices de récupération par l’élaboration


L’élaboration est un processus qui a déjà été exploré de manière récurrente dans ce blog. Nous pouvons renvoyer plus spécifiquement vers ces quatre articles, mais bien d’autres l’illustrent comme un processus fondamental pour garantir la qualité de l’apprentissage des élèves.


Voir articles :


Dans la recherche fondamentale sur la mémoire, l’élaboration se réfère aux activités d’encodage qui permettent à l’apprenant d’ajouter des détails à une représentation des connaissances déjà existante. Elle permet d’améliorer un schéma. 

Les idées sur l’encodage élaboré ont été introduites dans des articles fondateurs sur la profondeur du niveau de traitement il y a près de 50 ans (voir le deuxième article plus haut).

Dans une revue rétrospective, Craik (2002) a expliqué en quoi l’élaboration est bénéfique pour l’apprentissage et la mémoire : 

Une plus grande élaboration des traces peut favoriser un meilleur apprentissage pour deux raisons :
  • Premièrement, des éléments de connaissance mieux élaborés deviennent plus mémorables : 
    • Une analogie peut être faite avec des objets distinctifs qui sont plus faciles à distinguer dans notre champ visuel. 
    • Une trace richement élaborée sera plus différenciée des autres enregistrements épisodiques. Ce plus grand caractère distinctif favorisera à son tour une mémorisation plus efficace.
  • Deuxièmement, des éléments de connaissance mieux structurés et intégrés sont plus mémorables :
    • Les traces élaborées sont plus intégrées à des structures de connaissances organisées. À leur tour, ces dernières servent de cadres efficaces pour les processus de récupération reconstructive.


De fait, l’élaboration développe deux dimensions :
  • Le caractère distinctif : une activité d’élaboration est considérée comme efficace parce qu’elle rend les connaissances plus distinctives.
  • L’organisation : l’élaboration aide les élèves à créer des structures de connaissances organisées, structurées et intégrées. 

L’organisation et le caractère distinctif sont essentiels pour préparer les élèves à des situations de récupération futures où ils devront reconstruire, utiliser et appliquer leurs connaissances acquises.



Importance de l'organisation et du caractère distinctif des connaissances dans le cadre de l'élaboration


Une recherche remarquable sur l’élaboration


Hunt et Smith (1996) ont mis en évidence dans une recherche l’importance de l’organisation et du caractère distinctif dans l’élaboration.

Ils ont demandé à des sujets d’étudier une liste de 50 mots. Dans celle-ci, des groupes de 5 mots étaient liés entre eux (par exemple, hareng, bluegill [un poisson d’eau douce américain commun], truite, guppy et poisson-chat). 

Dans une condition de codage de similarité, les sujets devaient noter un élément commun aux cinq mots d’un groupe. Dans l’exemple donné, les mots sont tous des types de poissons. 

Dans une condition de codage de différence, les sujets devaient, pour chaque mot, écrire un élément d’information (un mot) qui pouvait être lié à ce mot et le distinguait des autres. Dans cet exemple, un sujet pouvait écrire « marin » comme mot distinctif pour le hareng, les autres poissons étant d’eau douce.

Il est apparu que lorsque les sujets ont dû se rappeler librement des mots. Le fait d’avoir généré des éléments d’information distinctifs de chaque mot avait produit un meilleur rappel par rapport à la génération d’aspects communs pour tous les mots. 

Cet avantage s’est également manifesté dans une condition où les sujets ont reçu les éléments distinctifs qu’ils avaient produits et ont pu les utiliser comme indices de récupération. Il est à noter que dans cette dernière condition, les sujets étaient capables de se souvenir parfaitement de la quasi-totalité de la liste.

Il est important de souligner qu’une élaboration efficace implique à la fois une organisation et un caractère distinctif. Les mots étaient organisés par groupes de cinq avec un élément similaire qui les réunissait et chaque mot obtenait dans la seconde condition un caractère distinctif utilisé comme indice de récupération.



Organisation et caractère distinctif


L’organisation des connaissances et leur caractère distinctif vont de pair. Le fait que l’organisation des informations est évidente rend la tâche d’encodage distinctif particulièrement efficace. 

Mais parfois, la structure organisationnelle des contenus est moins évidente. Nous pouvons considérer par exemple un ensemble d’éléments de connaissance sans aucun rapport entre eux. L’élaboration deviendra alors incertaine et la mémorisation bien plus complexe à réaliser.

Les stratégies d’élaboration efficaces mettent d’abord l’accent sur la similarité et l’organisation. Les contenus à apprendre doivent permettre un encodage organisationnel ou distinctif. 

Le meilleur apprentissage se produit lorsque les stratégies d’élaboration permettent de compléter et d’enrichir au fur et à mesure les contenus déjà appris. De cette manière, les apprenants encodent des connaissances qui sont à la fois organisées et distinctives. 

Le processus d’élaboration soutient l’organisation et apporte le caractère distinctif. La mémorisation en retire les bénéfices.



L'importance de multiples exemples analogues pour le développement d'indices de récupération


Dans l’une de leurs expériences, Gick et Holyoak (1983) ont demandé à leurs sujets de tenter de résoudre le problème de radiation déjà exploré dans le cadre de recherches précédentes :
 
Supposons que vous soyez un médecin confronté à un patient qui a une tumeur maligne dans l’estomac. Il est impossible d’opérer le patient, mais si la tumeur n’est pas détruite, le patient mourra. Il existe un type de rayon qui peut être utilisé pour détruire la tumeur. Si les rayons l’atteignent en une seule fois à une intensité suffisamment élevée, la tumeur sera détruite. Malheureusement, à cette intensité, les tissus sains traversés par les rayons sur le chemin de la tumeur seront également détruits. À des intensités plus faibles, les rayons sont inoffensifs pour les tissus sains, mais ils n’affecteront pas non plus la tumeur. Quel type de procédure pourrait être utilisé pour détruire la tumeur avec les rayons tout en évitant de détruire les tissus sains ?

Les sujets tentaient de résoudre le problème de radiation après avoir lu selon trois conditions différentes :
  • Une histoire analogue
  • Deux histoires analogues similaires (car portant sur le même contexte d’une campagne militaire)
  • Deux histoires analogues différentes (car portant sur deux contextes différents, celui d’une campagne militaire et celui de pompiers luttant contre un incendie)


Comme le graphique le montre, les élèves ont tiré profit de l’étude de deux analogues d’histoires par rapport à l’étude d’une seule. Les résultats dépendaient également de la similitude des deux histoires et des conditions de récupération, que les élèves aient résolu le problème avec ou sans indice.

Les résultats de Gick et Holyoak (1983) montrent que l’expérience de plusieurs histoires analogues distinctes permet un encodage élaboré et a tendance à améliorer les performances ultérieures en matière de résolution de problèmes.

Les principes fondamentaux de l’apprentissage, les principes d’élaboration et de rappel, peuvent expliquer ces résultats :
  • L’étude de plusieurs histoires a amélioré l’encodage de la structure profonde commune à toutes les histoires par un effet de convergence. 
  • L’étude de différentes histoires distinctes a amélioré la capacité des élèves à interpréter et à reconnaître le problème de radiation comme un indice de récupération pour retrouver des connaissances pertinentes lorsqu’ils n’ont pas reçu d’indice. 
  • Lorsqu’on leur donnait un indice, les deux groupes qui avaient étudié deux histoires analogues présentaient le même niveau de performance en matière de résolution de problèmes. 
  • Ces deux groupes avaient encodé la structure profonde du matériel de la même manière. Cependant, les élèves du groupe ayant encodé la différence étaient mieux préparés à utiliser ces connaissances lorsque le contexte de récupération ne comprenait pas d’incitation explicite à se souvenir de leurs expériences antérieures. 



Préparer les élèves à l'évaluation grâce à des stratégies d'élaboration


Pour étudier efficacement, un élève devrait s’engager dans des stratégies d’élaboration qui l’aident à :
  • Organiser les connaissances : par exemple, l’ordre chronologique, des relations de cause à effet ou une structure hiérarchique.
  • Rendre les connaissances distinctives : caractéristiques uniques ou critère de discrimination.
Prendre des notes au cours ou lire les supports de cours ne sont pas des activités particulièrement élaborées. Aucune de ces activités ne permet en elle-même ou à elle seule d’ajouter des détails enrichissants à l’apprentissage.

Lorsque des apprentissages sont en jeu, nous devons, à la fois en tant qu’enseignant et en tant qu’apprenant nous poser certaines questions :
  • À quoi ressemblera la situation de récupération finale ?
  • Quelle sera la disponibilité de l’indice dans les questions d’évaluation ?
  • Quelles conditions permettront une récupération réussie des connaissances dans cette situation ?
  • Comment s’assurer de bien développer la compétence nécessaire pour repérer et diagnostiquer l’indice adéquat ?
  • Qu’est-ce que les élèves peuvent faire à l’avance pour se préparer à une telle situation de récupération ?
  • Quelles pratiques d’élaboration peuvent les aider adéquatement à bien récupérer leurs connaissances au moment opportun ?


Mis à jour le 29/05/2023

Bibliographie 



Jeffrey D. Karpicke and Garrett M. O’Day, Elements of Effective Learning, 2019, Chapter for M. J. Kahana & A. D. Wagner (Eds.), Oxford Handbook of Human Memory, Volume II: Applications. Oxford University Press.

Craik, F. I. M. (2002). Levels of processing: Past, present … and future? Memory,
10 (5–6), 305–318. doi:10.1080/09658210244000135

Hunt, R. R., & Smith, R. E. (1996). Accessing the particular from the general: The power
of distinctiveness in the context of organization. Memory & Cognition, 24(2), 217–
225. doi:10.3758/bf03200882

Gick, M. L., & Holyoak, K. J. (1983). Schema induction and analogical transfer.
Cognitive Psychology, 15(1), 1–38. doi:10.1016/0010-0285 (83)90002-6

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