Comme le rapporte Benoît Galand (2020), une idée commune est que le caractère dynamique et multimédia du numérique stimule l’apprentissage. Il susciterait un traitement plus actif et plus en profondeur de l’information.
(Photographie : Brendon Burton)
Nous nous retrouvons peu ou prou avec la même idée, mais transposée dans un monde virtuel, que celle des environnements riches en stimulations qui favoriseraient la plasticité du cerveau.
- Voir article : Coût cognitif des facteurs de distraction en classe
Décomposer l’hypothèse
Il est intéressant de décomposer l’hypothèse selon laquelle le caractère dynamique et multimédia du numérique stimulerait l’apprentissage en suscitant un traitement plus actif et plus en profondeur de l’information. En effet, à ce jour, la recherche ne lui a pas apporté de confirmation.
- L’apprentissage de contenus nouveau est limité par le goulot d’étranglement de la mémoire de travail. Il est difficile d’interpréter comment cette limitation pourrait être contournée. Compte tenu des limites propres à la charge cognitive pour des informations nouvelles, seule l’idée d’une optimisation est envisageable. Une première limitation implique que nous ne devrions être capables de profiter du caractère dynamique, interactif et multimédia du numérique que dans des conditions strictement contrôlées.
- La richesse en détails et la nature dynamique du multimédia sont au contraire susceptibles d’augmenter la charge extrinsèque d’une tâche d’apprentissage et de nuire au traitement de l’information. Une deuxième limitation serait de dépouiller le numérique de tout élément non représentatif, non significatif et non utile à l’apprentissage.
- Le caractère hypertexte de certaines interfaces risque de générer de la confusion chez les élèves les plus faibles. Les élèves sont susceptibles de se laisser distraire. Ils vont perdre du temps à explorer et à comprendre l’organisation des informations. Une troisième limitation est qu’ils sont plus susceptibles de profiter d’une organisation imposée par l’enseignant ou d’interfaces plus cadrantes et minimales.
- Rendre les contenus interactifs n’est pas en soi suffisant pour permettre un apprentissage actif efficace. C’est particulièrement le cas lorsque l’apprenant ne sait pas vers quels objectifs il doit porter son attention, ni quelle activité cognitive il doit privilégier, ni comment interpréter les contenus. L’interactivité doit être au service des objectifs d’apprentissage, c’est-à-dire subordonnée à ceux-ci. Elle ne doit pas être le substrat dans lequel des activités sont engagées qui auraient comme sous-produit caché une correspondance avec des objectifs d’apprentissage. Pourquoi proposer un escape game dans lequel les élèves jouent un rôle dans un contexte authentique, si le but principal est finalement d’acquérir des connaissances pour les appliquer et développer un esprit critique dans un second temps ? Une quatrième limitation est que l’élève doit savoir dès le début quel est l’objectif et quel est l’apprentissage attendu à terme de sa part.
- Le caractère animé et dynamique d’une modélisation d’un phénomène n’est pas obligatoirement un plus pour comprendre et mémoriser des phénomènes dynamiques. Les animations même lorsqu’elles sont plus conformes à la réalité s’avèrent bien plus exigeantes pour les élèves. Une cinquième limitation est qu’une représentation statique par étape, simplifiée et synthétique est généralement ce qu’il y a de plus propice à l’apprentissage.
Tout l’enjeu d’un enseignement de qualité est de se focaliser sur les informations pertinentes en empêchant l’attention d’être détournée et en maintenant l’engagement de l’apprenant. La forme de l’enseignement ou de l’activité d’apprentissage doit permettre de créer les bonnes associations et de maintenir en mémoire les informations transitoires le temps de leur traitement.
Le caractère dynamique et interactif fonctionne parfaitement pour des experts, mais il est fréquent que des novices vont moins en apprendre qu’avec des images fixes.
À certaines conditions, les animations peuvent être bénéfiques pour présenter des informations elles-mêmes dynamiques pour lesquelles il est difficile de se faire une représentation mentale à partir d’informations statiques (Amadieu & Tricot, 2014). C’est entre autres le cas pour les connaissances procédurales et motrices, ou pour les phénomènes en sciences qui ont une dimension tacite.
Conclusion
Seuls des élèves qui ont déjà beaucoup de connaissances dans un domaine vont pouvoir pleinement profiter du caractère multimédia et dynamique, car ils vont pouvoir tirer profit de cette diversité. Pour les autres, cette dimension augmente le risque de surcharge cognitive et dès lors celui d’interférences et d’erreurs, au détriment de la compréhension et de l’apprentissage. Certains aspects sont même susceptibles de devenir des distracteurs.
Les bonnes questions ne sont pas celles de l’interactivité et du caractère dynamique du multimédia. Elles sont plutôt celles de l’ergonomie et de la sobriété des interfaces, de leur caractère intuitif et fonctionnel, de leur soutien aux apprentissages à travers une rétroaction et une adaptabilité aux progrès individuels des élèves.
C’est à ces conditions que la technologie peut être efficace. Efficace ne veut pas dire attrayant. Efficace ne veut pas dire esthétique. Efficace veut dire, clair, guidé, systématique, routinier, explicite et formatif.
Dans tous les cas, il apparaît que le scénario pédagogique choisi par le concepteur de l’outil joue un rôle central pour l’apprentissage. Plus que le type de support, l’enjeu semble surtout résider dans la mise en place des démarches qui amènent les apprenants à réfléchir et à raisonner, à s’exercer et à traiter de manière intégrative les informations.
Mis à jour le 15/08/2024
Bibliographie
Benoit Galand, Le numérique va-t-il révolutionner l’éducation ? 2020, les cahiers du Girsef n° 120 https://ojs.uclouvain.be/index.php/cahiersgirsef/article/view/54253
Franck Amadieu et André Tricot, Apprendre avec le numérique, 2014, RETZ
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