dimanche 10 octobre 2021

La liberté d’action liée au numérique ne développe pas l’autonomie dans les apprentissages

Le numérique peut offrir aux élèves la possibilité de sélectionner par exemple l’ordre des activités, les supports, les types de tâches, le rythme ou la planification. La question qui se pose est de savoir s’il peut augmenter parallèlement l’apprentissage et l’autonomie des élèves ?  

Voici une poursuite de la synthèse et de développements autour du rapport de Benoît Galand (2020) sur le numérique et d’un article de Karich (et coll., 2014).


(Photographie : Wolfgang Arnold)





Le potentiel séduisant de personnalisation du numérique


Les supports d’enseignement traditionnels, tels que les manuels ou les notes de cours données aux élèves, s’inscrivent dans une séquence linéaire synchronisée au déroulement des activités en classe. 

Contrairement à l’enseignement traditionnel, l’utilisation de la technologie permet potentiellement aux enseignants de donner aux élèves les moyens de prendre le contrôle de leur propre apprentissage, et de gagner en autonomie. 

L’enseignement sur des supports numériques permet une plus grande flexibilité dans la manière dont l’élève accède aux informations disponibles et en effectue le traitement. Le numérique offre à l’élève des opportunités de contrôle plus ou moins larges placées sur un continuum :

  • À une extrémité du continuum, nous trouvons le contrôle exercé par le programme, face auquel l’apprenant suit une progression entièrement spécifiée et prédéfinie. 
  • À l’autre extrémité du continuum, nous trouvons le contrôle exercé par l’apprenant qui interagit librement avec son apprentissage, le dirige et l’oriente. 

Le contrôle de l’apprenant représente le degré avec lequel les élèves peuvent diriger leurs propres expériences d’apprentissage en modifiant :

  • L’ordre des activités : le séquençage du matériel pédagogique
  • La fréquence et le rythme : le temps consacré à chaque objectif d’apprentissage
  • L’approche pédagogique : les stratégies d’apprentissage et le mode d’organisation de la variété des tâches nouvelles ou de révision.




Les limites de personnalisation du numérique en lien avec la difficulté de la responsabilisation des élèves


Selon la théorie de l’intercontextualité (Engle et coll., 2011), les apprenants sont responsables du transfert de ce qu’ils apprennent d’un contexte à un autre. 

Le fait de donner le contrôle à l’apprenant dans le cadre de l’enseignement assisté par ordinateur est potentiellement cohérent. Par-là, nous offrons d’emblée aux apprenants la responsabilité d’aspects importants de l’activité d’apprentissage. L’élève est susceptible de poser des choix cohérents en phase avec le rythme de ses apprentissages.

La principale faille de cette hypothèse est que le sentiment de responsabilité pour le transfert est généralement facilité par les interactions sociales plutôt que dans un contexte individuel. Il est nourri lorsque nous présentons explicitement l’enseignement comme une opportunité pour les élèves d’avoir des responsabilités en matière de connaissances au sein d’une communauté sociale représentée par la classe.

En prenant leurs propres décisions pédagogiques durant leur cheminement d’apprentissage personnel, les élèves seraient plus enclins à explorer des tactiques personnalisées pour différentes situations d’apprentissage. En d’autres termes, les élèves apprendraient parallèlement à mieux apprendre à l’avenir. 

L’idée est que chaque élève connait ses capacités et adapte son rythme de travail à celles-ci de manière à optimiser son rendement. Ce faisant, l’utilisation du numérique permettrait à l’élève de mieux répondre à ses besoins et d’accroitre son autonomie, tout en le délivrant des contraintes et lourdeurs d’une progression collective à l’échelle de la classe. 

Le fait de donner à l’élève le contrôle de son apprentissage présente un attrait théorique et intuitif. Celui-ci se base sur l’hypothèse, étayée dans le cadre de la théorie de l’autodétermination, que les élèves se sentent compétents et plus intéressés par les activités pour lesquelles ils peuvent faire des choix. Toutefois, c’est ce à quoi nous devons être prudents, le fait que cela influence positivement leurs propres résultats ne repose pas sur des mécanismes évidents.

Cette croyance n’est pas fondée et met en scène la défaillance de certaines idées liées à la différenciation. Là où le bât blesse, c’est que les élèves diffèrent dans leur capacité à déterminer clairement leurs objectifs d’apprentissage et les tâches d’apprentissage appropriées pour les atteindre. Cette expertise appartient à l’enseignant. Certains apprenants peuvent voir moins de connaissances et sauter des éléments d’enseignement importants lorsqu’ils ont besoin d’une révision supplémentaire. D’autres peuvent pratiquer des éléments inutiles qu’ils ont déjà maîtrisés alors qu’ils feraient mieux de se concentrer sur d’autres objectifs. 

Les outils numériques suscitent l’espoir de pouvoir adapter exercices et contenus de manière différenciée et congruente face aux progrès ou difficultés de chaque élève au fur et à mesure qu’il apprend. Théoriquement, cela nous permettrait de mieux respecter les différences interindividuelles de nos élèves. 

Dans la pratique, la mise en œuvre est plus délicate. De tels outils n’existent que pour des questions fermées avec des réponses possibles en nombre limité, et identifiées à l’avance. Ce sont par exemple des opérations mathématiques simples ou des phrases à compléter. Cela ne permet de travailler que des compétences très sommaires et isolées. Cela se limite le plus souvent à des exercices individuels de drill (ce qui peut favoriser l’automatisation des connaissances).




Des résultats décevants liés au contrôle de l’apprenant dans un cadre technologique éducatif


Karich et ses collègues (2014) sont à l’origine d’une méta-analyse sur la question.

Ils ont vérifié dans quelle mesure l’intégration du contrôle de l’apprenant dans la technologie éducative avait un impact sur ses résultats d’apprentissage. Il est apparu que les effets du contrôle de l’apprenant au sein de la technologie éducative ont donné lieu à un faible effet (g = 0,05). Ces résultats suggèrent que l’utilisation du contrôle de l’apprenant au sein de la technologie éducative n’a pas conduit directement à une amélioration des résultats. 

Karich et ses collègues (2014) se sont interrogés sur les caractéristiques de l’enseignement qui pourraient produire les meilleurs effets lorsqu’elles sont sous le contrôle de l’apprenant. Ces caractéristiques sont le rythme, le temps alloué pour atteindre la maîtrise, le séquencement des contenus pédagogiques, le choix des activités ou les supports et le temps prévus pour la révision. Malheureusement, ils ont trouvé des effets proches de zéro pour toutes les composantes de l’enseignement [rythme, temps, séquence, pratique, révision]. Leur conclusion est qu’il ne semble pas y avoir d’avantage à donner à l’apprenant le contrôle d’une composante pédagogique particulière.

Karich et ses collègues (2014) ont également analysé les caractéristiques de l’étude, telles que l’âge de l’apprenant, le cadre de l’enseignement, le sujet de l’enseignement, le type de résultat mesuré [comportement ou réussite scolaire]. Ils ont observé dans quelle mesure elles affectent l’ampleur de l’effet. 

Des recherches antérieures avaient montré que les effets étaient plus importants lorsque l’apprenant était plus âgé, mais leurs données vont dans l’autre sens. Elles suggèrent un effet un peu plus fort pour les élèves de la maternelle à la fin du secondaire par rapport aux étudiants du supérieur ou aux adultes.  

Tout effet positif constaté de l’utilisation de la technologie éducative n’est probablement pas attribuable au contrôle de l’apprenant. Le contrôle de l’apprenant peut probablement être exclu comme mécanisme causal potentiel des effets positifs de la technologie éducative. 

Les effets des composantes du contrôle de l’apprenant dans le cadre de la technologie éducative sont pour la plupart négligeables sur les mesures des résultats des élèves. 

Le fait de donner le contrôle à l’apprenant dans le cadre de la technologie éducative peut améliorer l’engagement, mais pas nécessairement les compétences de contrôle et l’apprentissage des élèves. 

Ce n’est pas tant donner du contrôle qui importe, mais le faciliter, par guidage et rétroaction, en tenant compte des connaissances des apprenants. Outre la structuration a priori des activités par l’enseignant, la rétroaction concernant la progression de l’apprenant — en particulier ceux qui fournissent des explications — constitue un autre facteur déterminant pour l’apprentissage. 




Le risque de confusion entre l’autonomie et l’apprentissage de l’autonomie dans le cadre du numérique


Pour certaines tâches, laisser l’apprenant régler le rythme [vitesse, pause, etc.] permet de réduire la difficulté et peut l’aider. Le fait de les laisser faire trop régulièrement risque d’augmenter les écarts entre élèves. Seuls les élèves ayant un niveau initial de maîtrise élevé progressent au rythme attendu. 

La possibilité de choix ajoute une charge cognitive pas toujours bienvenue pour l’élève. Celui-ci n’a pas nécessairement les connaissances et les repères pour organiser au mieux son parcours d’apprentissage. Nous devons également prendre en compte le fait que la manipulation attendue de l’outil va au-delà des fonctions basiques. Elle peut aussi constituer un obstacle ou une charge cognitive supplémentaire. 

Cette constatation n’est pas non plus étonnante dans la mesure où les cours en ligne et les MOOCs connaissent généralement des taux d’abandon très élevés. C’est vrai, malgré le fait que les étudiants peuvent choisir quand et à quel rythme ils travaillent [Daniel, 2012]. 

Laisser de trop nombreux degrés de liberté aux élèves ne leur apprend pas nécessairement à développer leurs capacités d’autorégulation. Gérer son parcours demande de solides compétences d’autorégulation préexistantes. De plus, les élèves doivent avoir de bonnes connaissances à propos des processus d’apprentissage, c’est-à-dire faire preuve de métacognition. De même, ils doivent déployer une bonne maîtrise de stratégies variées afin de pouvoir réguler leurs efforts, leur progression en tenant compte des différentes contraintes et ressources existantes. 

Or, plus les parcours des apprenants se diversifient, plus ce type de rétroaction devient difficile et coûteux à offrir. 

L’autonomie apparaît avant tout comme un prérequis permettant un usage efficace du numérique dans le but d’apprendre. Il est erroné de penser que l’autonomie sera un apprentissage, une conséquence du processus d’utilisation du numérique. Il nous semble dès lors nécessaire de former préalablement les élèves avec un enseignement explicite des différentes stratégies utiles à un apprentissage autonome.



Mis à jour le 19/08/2024

 

Bibliographie


Benoit Galand, Le numérique va-t-il révolutionner l’éducation ?, 2020, les cahiers du Girsef n° 120 https://ojs.uclouvain.be/index.php/cahiersgirsef/article/view/54253

Karich, Abbey & Burns, Matthew & Maki, Kathrin. (2014). Updated Meta-Analysis of Learner Control Within Educational Technology. Review of Educational Research. 84. 392–410. 10.3102/0034654314526064.

Engle, R. A., Nguyen, P. D., & Mendelson, A. [2011]. The influence of framing on transfer: Initial evidence from a tutoring experiment. Instructional Science, 39 [5], 603–628. https://doi.org/10.1007/s11251-010-9145-2

Daniel, J. [2012]. Making sense of MOOCs: Musings in a maze of myth, paradox and possibility. Journal of interactive Media in education, 2012 [3]

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