mercredi 25 août 2021

De l’usage des stratégies mnémoniques

Les mnémotechniques ou mnémoniques sont des stratégies qui peuvent permettre aux individus d’apprendre et de se souvenir rapidement et efficacement de grandes quantités d’informations. Dès lors, pourquoi ne sont-elles pas aujourd’hui au cœur de l’enseignement scolaire ?

(Photographie : ommo film)



Les stratégies mnémoniques, un moyen, pas une finalité


Les stratégies mnémoniques ou mnémotechniques sont spécifiques à certains contenus d’apprentissages. Nous devons distinguer la compréhension de l’avantage de la technique, la formation à la technique elle-même et son utilisation. Nous devons savoir comment et quand l’utiliser avant de le faire.

Les mnémoniques ne constituent pas en soi la finalité de l’apprentissage, mais peuvent être un moyen pour soutenir l’apprentissage. 

D’autres approches comme la lecture, l’espacement, la récupération, l’entremêlement, l’usage d’exemples, le double codage ou l’élaboration constituent par contre à la fois une finalité et un moyen de l’apprentissage.

Cela impose une première limitation directe. Les stratégies mnémoniques ne représentent pas en tant que tel l’apprentissage. Elles n’améliorent pas l’apprentissage de manière générale. 




Une utilité réduite et ciblée pour les stratégies mnémoniques


Les stratégies mnémoniques peuvent faciliter la mémorisation de connaissances spécifiques, isolées et appropriées lorsqu’elles sont mobilisées à bon escient. À ce titre, les différentes astuces mnémotechniques peuvent être classées comme une sous-division particulière de l’imagerie mentale, car elles se basent sur ses propriétés. 

Le principe est chaque fois de créer un lien entre une information abstraite et une information concrète :

  • L’information abstraite est nouvelle. Sa mémorisation est difficile, car elle est essentiellement verbale. 
  • L’information concrète est déjà mémorisée sous une forme doublement codée, à la fois de manière verbale, mais également de manière imagée, procédurale ou épisodique. 


Là se marque une deuxième limite. Les stratégies mnémoniques peuvent utiles ponctuellement pour faciliter la mémorisation d’informations complexes à mémoriser ou pour contourner certaines difficultés d’apprentissage.  

Malgré tout, elles ne développent pas leur compréhension qui va dépendre d’autres opérations en mémoire, plus générales. Elles ne correspondent pas à la compréhension, mais peuvent la faciliter.




Processus mnémotechnique


La force des moyens mnémotechniques réside en partie dans leur utilisation d’images interactives et dynamiques. Les moyens mnémotechniques améliorent la mémoire en tirant parti des processus de mémoire naturels comme l’imagerie visuelle, l’organisation et l’encodage élaboratif.

En fonction de la technique utilisée, l’élève doit trouver un mot ou une série de mots simples, d’images ou de lieux à mémoriser. Faciles à mémoriser, ces éléments vont lui permettre de faire un lien à chaque fois avec la cible qui est plus difficile à mémoriser. 

L’image interactive implique une élaboration qui intègre les mots de manière significative de façon à cibler exactement chaque fois l’élément à mémoriser.

L’élève développe une image mentale marquante de l’élément clé en interaction avec la cible à mémoriser. Le lien créé entre les deux permet de faciliter sa mémorisation.

Dans des situations ciblées de récupération d’informations spécifiques, les élèves qui utilisent ces approches vont pouvoir obtenir de meilleurs résultats lors d’une évaluation. Meilleurs que ceux qui ne les utilisent pas et ne font usage que d’un processus de mémorisation simple. 




Deux types de stratégies mnémotechniques, organisationnelles et de réduction du codage


Certaines stratégies mnémotechniques nécessitent au moins une certaine formation, parfois approfondie. Celle-ci, vise principalement à aider les individus à comprendre comment développer des images interactives à les apprendre et à les utiliser par la suite pour retrouver leurs cibles.

Une autre distinction est faite entre les mnémoniques organisationnelles et les mnémoniques d’encodage :

  • Les mnémoniques organisationnelles fournissent une structure pour les contenus non organisés, comme l’exemple des loci ci-dessous, qui fournit à l’utilisateur un plan de récupération pour se rappeler tous les éléments mémorisés. 
  • Les mnémoniques de réduction du codage consistent à recoder les informations dans un format plus facile à mémoriser ou plus significatif. Par exemple, le nombre peut être traduit en un mot en prenant l’ordre des lettres de l’alphabet ou un acronyme peut être utilisé.




L’usage des acronymes et phrases mémorables comme stratégies mnémoniques


Nous pouvons créer un acronyme en utilisant la première lettre de chacun des éléments à ne pas oublier. Ce codage réductif utilise les lettres initiales pour créer un mot prononçable, mémorable et facilement mobilisable.

Cette mnémotechnique tend à réduire la taille de l’information stockée pour se centrer sur des relations d’ordre.

La première lettre de chaque élément est un bon indice pour la mémoire. Le fait que l’acronyme forme un mot prononçable le rend plus facile à retenir que le serait un ensemble aléatoire de lettres.

Les informations complètes sont reconstituées à partir des initiales par un appel à la mémoire à long terme.

Un avantage des procédés mnémotechniques de réduction de codage est qu’ils peuvent être répétés très rapidement et être maintenus verbalement lors du traitement d’une autre tâche. Mémorisés, ils n’encombrent plus la mémoire de travail.

Certaines astuces mnémotechniques passent de génération en génération pour faciliter les apprentissages. D’autres sont personnelles et subsistent dans les tréfonds de notre mémoire même si nous en avons perdu toute utilité ou pouvons récupérer ces informations sans elles. 

Ce qu’il est bon de réaliser est que ces acronymes ne faciliteront le rappel que si les élèves sont déjà familiers avec le contenu.

Ainsi, bien qu’ils soient théoriquement applicables à un large éventail de contenus pédagogiques et appréciés par les élèves, les mnémoniques utilisant les premières lettres peuvent ne pas être des aide-mémoires efficaces de manière générale ou par défaut.

Quelques exemples courants d’acronymes :

  • PEMDAS est utilisé pour la priorité des opérations dans les calculs. Nous commençons à traiter le contenu des parenthèses, puis les exposants, les multiplications et divisions, puis les additions et soustractions.
  • SOHCAHTO permet de se rappeler les trois rapports trigonométriques de bases dans un triangle rectangle :
    • SOH: Sin (θ) = côté opposé/hypoténuse
    • CAH : Cos (θ) = côté adjacent/hypoténuse
    • TOA : Tan (θ) = côté opposé/côté adjacent
  • ROJUBIV permet de mémoriser l’ordre des couleurs du spectre lumineux : rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet
  • PMAT peut être utilisé pour l’ordre des phases de la mitose (prophase, métaphase, anaphase et télophase)
  • HOMES permet de se souvenir des Grands Lacs : Huron, Ontario, Michigan, Erie, Supérieur.

Plutôt qu’un acronyme, nous pouvons créer une phrase facile à mémoriser dans laquelle la première lettre de chaque mot ou même chaque mot fournit un repère pour le matériel à mémoriser.

Une phrase est toujours plus facile à mémoriser que des mots déconnectés, et nous pouvons créer une image visuelle vivante de celle-ci, ce qui la rend mémorable.

« Mais où est donc Ornicar ? » est une phrase mnémotechnique permettant de retenir les conjonctions de coordination en français (à savoir : mais, ou, et, donc, or, ni, car).

« Roger Organise Jeudi Vers Bordeaux une Initiation à la Voile » permet de mémoriser l’ordre des couleurs du spectre lumineux : rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet. 




Méthode des mots-clés comme stratégie mnémonique


Tout d’abord, on trouve un mot-clé qui ressemble au mot inconnu. Par exemple, « dentiste » ressemble à « la dent » ou « tandarts » ressemble à « tand » en néerlandais.

Ensuite, l’imagerie associe le mot-clé à la définition du mot inconnu (l’image d’un « dentiste » en blouse blanche tenant une « dent »). Le fait de voir « la dent » active le dentiste, qui à son tour devrait activer la dent. 

Nous pouvons associer ainsi un nouveau mot complexe à un mot que nous connaissons déjà et à une image pour favoriser sa mémorisation.

Un nombre important de mots en anglais ressemblent à des mots français. Il faut pourtant faire bien attention, car s’ils se ressemblent ils peuvent souvent avoir des significations différentes. La méthode des mots-clés peut être utile dans cette situation, pour fixer des distinctions.

Il est utile par exemple de créer un lien entre le mot anglais « eventually » et sa traduction française « finalement » pour éviter de tomber dans le piège d’éventuellement. 




Méthode des loci comme stratégie mnémonique


Cette méthode est utile pour mémoriser des listes d’éléments sans rapports dans l’ordre. Elle est un moyen mnémotechnique à usage répété, une structure d’aide cognitive qui, une fois apprise, peut être utilisée pour stocker différentes informations à différentes occasions.

Nous nous engageons mentalement dans une promenade virtuelle pour mémoriser. Nous partons d’un itinéraire familier avec des endroits distincts et identifiables. Nous établissons ensuite une image mentale qui associe chaque élément de la liste des informations à mémoriser à un endroit de la promenade virtuelle.

Par exemple, la méthode des loci permet d’utiliser une carte mentale de notre lieu de vie pour stocker une liste de courses. 

La méthode des loci est une forme emblématique d’une classe plus large de mnémonique appelée méthodes des piquets (peg system).

Si ces approches sont séduisantes et impressionnantes, leur pertinence pour l’éducation est moins claire. Elles sont excellentes pour se souvenir de listes d’objets concrets, surtout si l’ordre exact est important. Toutefois, les élèves ont rarement besoin de se souvenir d’une telle liste en classe. 




Mélodie, rythme ou rimes comme stratégies mnémoniques 


Le contenu à se remémorer est collé sur la mélodie d’un air familier, sur un rythme ou sur des rimes. Si nous oublions un mot, la mélodie, les rimes et les sonorités peuvent nous aider à nous en souvenir. 




Associations mnémoniques comme stratégie mnémonique


Un aspect du contenu qui est difficile à retenir peut être associé avec un élément trivial :

  • Par exemple, les stalactites tombent (t pour tomber).
  • Les stalagmites montent (m pour monter). 
  • L’axe des abscisses est celui des x (x comme la sonorité proche de « scis »). 
  • Un anion est un ion négatif (« n » comme négatif) 
  • Un cation est un ion positif (« t » ressemble au signe +)
  • Etc.  

Ces associations donnent un sens à des liens qui en dehors de cela semblent arbitraires. 

Certaines peuvent nous être propres et personnelles. Nous pouvons créer mentalement des liens avec notre vécu ou notre histoire.




Limites de l’approche liée aux stratégies mnémoniques 


Nous l’avons déjà évoqué, les mnémoniques sont utiles pour des usages ciblés et spécifiques, mais ne contribuent que de manière détournée à l’apprentissage et à la compréhension. Elles constituent une forme d’étayage pour l’apprentissage.

Le grand questionnement sur ces stratégies est que l’effort nécessaire pour générer certains mots-clés ne sera peut-être pas l’utilisation la plus efficiente du temps disponible pour les élèves. 

La question se pose d’autant plus que certaines approches plus aisées à mettre en œuvre, comme la pratique de récupération et l’espacement génèrent un bénéfice plus large et non spécifique. De même, elles sont également plus aisées à pratiquer. Des approches comme l’élaboration ou l’entremêlement quant à elles ont des effets positifs sur la compréhension en profondeur et le transfert. 

Il semble que les astuces mnémotechniques devraient être réservées à des situations particulières. Elles sont pertinentes pour des contenus représentant une difficulté naturelle pour la mémorisation à cause de leur complexité ou de leur nature qui les rend plus susceptibles à la confusion. La mnémotechnique peut être vue comme très efficace, mais dans les bonnes circonstances.

L’objet de connaissance à mémoriser doit être adapté à l’utilisation de la technique. La mise en œuvre peut nécessiter également l’élaboration de mots-clés et d’images mentales.

L’usage des techniques mnémotechnique représente un coût en ce qui concerne le temps nécessaire à son développement et à sa mémorisation.

De plus, les mots-clés ne sont souvent pas automatiquement transférables et identiquement utilisables d’un individu à l’autre. Une astuce remarquable pour une personne ne l’est pas forcément pour toutes.

De plus, il apparait que les astuces mnémotechniques peuvent ne pas produire une rétention aussi durable que d’autres approches comme l’apprentissage par cœur. 

Leur point faible est qu’elles sont susceptibles de conduire à un oubli accéléré si l’élève n’y prend pas garde :  

  • Une explication est le décodage au moment de la récupération : les élèves doivent décoder chaque image pour récupérer la cible appropriée et, dans des délais plus longs, ce décodage peut s’avérer particulièrement difficile. L’image mentale peut se dégrader. 
  • Une autre explication est que le lien créé entre les deux informations est artificiel et personnel dans la mesure où il n’appartient pas à des schémas cognitifs classiques structurant les connaissances d’un domaine. Par conséquent, il n’est renforcé qu’à travers sa mobilisation directe et donc plus susceptible à l’oubli.

Le coût d’opportunité est un facteur important en classe, car le temps disponible est un facteur limitant.

Tout cela impose de poser un bémol sur un usage trop systématique de stratégies mnémoniques.

Le temps consacré à l’apprentissage ou à la pratique d’un moyen mnémotechnique ne permet pas de couvrir d’autres contenus. S’il semble que la plupart des élèves peuvent apprendre assez rapidement les procédures de base de la plupart des mnémotechniques, le principal obstacle à un encodage réussi devient alors le temps disponible.

Dunlosky et ses collègues (2013) concluent que l’utilisation d’astuces mnémotechniques est une technique d’apprentissage de faible utilité. Ils ne recommandent pas qu’elle soit largement adoptée. La mnémotechnie a une utilité limitée par rapport à d’autres techniques faciles à utiliser et applicables à un large éventail de matériel, comme la pratique de récupération ou l’espacement. 

Il apparait dans leur synthèse de la recherche qu’au moment où la plupart des étudiants entrent dans l’enseignement supérieur, ils ont au moins une vague familiarité avec les moyens mnémotechniques. Cependant, ils leur préfèrent d’autres stratégies d’étude. De plus, lorsqu’ils utilisent des moyens mnémotechniques, ils privilégient des techniques simples comme les acronymes. 

Nous pouvons conclure que les mnémoniques ne révolutionneront pas l’éducation, mais une utilisation raisonnée est susceptible d’être bénéficiaire.

Il existe une variété des techniques. Elles sont compatibles avec d’autres stratégies d’apprentissage et présentent une efficacité avec certains contenus. Il semble que les élèves auraient intérêt à les connaître et à savoir quand et comment les utiliser. 

Certains des inconvénients des moyens mnémotechniques peuvent être améliorés en les associant à d’autres stratégies d’apprentissage telles que la pratique de la récupération et l’espacement. 

Fritz et ses collègues (2007) ont demandé à des élèves d’apprendre du vocabulaire allemand en utilisant la méthode des mots-clés, la pratique de la récupération ou une combinaison des deux. 

En général, la méthode des mots-clés et la pratique de récupération ont donné des résultats similaires aux tests immédiats et différés. 

Cependant, la condition combinée a permis un meilleur rappel après un délai d’une semaine que l’une ou l’autre des techniques individuelles. Cela suggère que la combinaison de la pratique de récupération et de la méthode des mots-clés peut présenter des avantages supplémentaires. 



Mis à jour le 14/03/2023


Bibliographie


Dunlosky, J., et al. “Improving Students” Learning With Effective Learning Techniques: Promising Directions From Cognitive and Educational Psychology. Psychological Science in the Public Interest 14(1) 4–58 (2013)

Putnam, A. L. (2015). Mnemonics in education: Current research and applications. Translational Issues in Psychological Science, 1(2), 130–139. https://doi.org/10.1037/tps0000023

Daniel T. Willingham (2008) Ask the cognitive scientist: what will improve a student’s memory? American Educator, 32 (04), 17–44

Fritz, C. O., Morris, P. E., Acton, M., Voelkel, A. R. & Etkind, R. (2007). Comparing and combining retrieval practice and the keyword mnemonic for foreign vocabulary learning. Applied Cognitive Psychology, 21, 499–526. http://dx.doi.org/ 10.1002/acp.1287

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