mardi 27 juillet 2021

L’importance d’un enseignement explicite des connaissances essentielles pour une éducation plus équitable

Pourquoi miser sur un enseignement efficace de connaissances aux élèves permet-il d’avoir un effet compensatoire sur les différences en matière de capital culturel et de capacités, et représente un atout en matière d’équité éducative ?

(Photographie : Sylvain-Emmanuel Prieur)





Privilégier l’efficacité de l’enseignement et des programes riches en connaissances


Efficacité de l'enseignement ou mérite des apprenants ?


Apprendre et suivre un enseignement accroit nos connaissances et en cela augmente notre QI par l’intermédiaire de l’intelligence cristallisée. 

L’école nous rend donc plus intelligents, plus que n’importe quel facteur, en combinant, en servant de médiateur et en stimulant le potentiel de nos gènes, de nos expériences et de notre culture familiale.

Dès lors, un enseignement efficace peut optimiser ces dimensions au bénéfice de l’ensemble des élèves, en améliorant la moyenne des résultats, en réduisant les écarts de réussite des élèves et l’impact du milieu d’origine.

Parallèlement, nous sommes tous différents. Les inégalités scolaires et la reproduction sociale restent des concepts prégnants pour l’éducation. 

Une façon de s’en disculper est de se référer à la notion de mérite. L’autre est de réfléchir en matière d’efficience et d’équité des pratiques d’enseignement. 

Dans quelle mesure les élèves méritent-ils leur succès et leurs échecs ? L’école valorise le travail et l’effort des élèves en tant que médiateurs de l’apprentissage. Cette valeur toutefois se combine à des facteurs dont l’élève n’est que le dépositaire (on ne choisit pas ses gènes ni son milieu) et qui lui sont fortement tributaires. C’est leur association qu’à travers des processus d’évaluation l’école finit par trancher.  

Le concept de mérite et de responsabilité qui en découle devient rapidement discutable. 

Il y a une majorité civile et pénale. Dès lors, à partir de quel âge est-ce qu’un élève est pleinement responsable de ses performances scolaires ? 

Les responsabilités sont sans doute plus que certainement partagées, entre l’élève, ses parents et l’institution scolaire. De là vient l’importance de l’accent sur l’efficacité des pratiques d’enseignement. Au mérite vient se substituer le concept d’attentes élevées, à la responsabilité, celui de la responsabilisation.

L’efficacité de l’enseignement et le mérite des élèves ne sont pas incompatibles. Un système éducatif devrait viser à la fois l’efficacité pour tous et la reconnaissance du mérite individuel.


Associer un enseignement explicite et un programme riche en connaissances


Pour E. D. Hirsch (1987, 2006), la compréhension, la pensée critique et la réussite scolaire reposent sur un bagage de connaissances culturelles partagées. Il a popularisé l’idée de littératie culturelle (cultural literacy). 

Sans ces connaissances de base, les élèves issus de milieux défavorisés ne peuvent pas comprendre certains textes complexes, ce qui les empêche de participer pleinement à la vie scolaire et sociale. Dès lors, l’égalité des chances peut être mieux assurée en transmettant un corpus de connaissances fondamentales à tous les élèves. 

E. D. Hirsch défend un « knowledge-rich curriculum » (programme riche en savoirs structurés et séquencés), conçu pour offrir à tous les élèves un accès équitable aux codes linguistiques et culturels. Toutefois, un programme riche en connaissances ne suffit pas. Il doit être accompagné d’une pédagogie efficace pour garantir l’acquisition de ce socle de connaissances pour tous.

Cette perspective associe efficacité pédagogique et justice sociale. L’école œuvre pour compenser les inégalités d’accès aux savoirs transmis dans les environnements familiaux. Elle se distingue de la méritocratie qui valorise les résultats des individus liés à leurs efforts et à leurs capacités. La faille principale de la méritocratie est de se reposer sur l’hypothèse que tous les élèves partent avec des chances égales. Or, les rapports internationaux (OECD, 2013) montrent que, sans politiques d’équité et d’accès, la mesure du mérite reflète davantage les inégalités socio-économiques que les efforts individuels.

Privilégier l’efficacité pédagogique revient à donner aux élèves les moyens réels de mériter leur réussite. Cependant, l’efficacité pédagogique perd également de son impact sans un programme riche en connaissances. Il faut associer les deux. 

Mais quand on parle d’efficacité pédagogique, de quoi parle-t-on ? Dans la perspective d’une pédagogie efficace, les méta-analyses démontrent l’intérêt de l’enseignement explicite. Cette approche produit des gains d’apprentissage significatifs et robustes, en particulier pour les élèves en difficulté (Stockard et al. 2018). À l’inverse, les approches minimisant le guidage et favorisant les démarches de découverte tendent à creuser les écarts, surtout chez les élèves qui n’ont pas déjà acquis les connaissances préalables nécessaires (Kirschner, Sweller & Clark, 2006).


Mettre en œuvre conjointement un enseignement explicite et un programme riche en connaissances


La recherche souligne la complémentarité entre un curriculum structuré et l’enseignement explicite. Un programme clair sans méthode efficace reste lettre morte. Une méthode efficace sans contenu solide devient forme sans fond (Hirsch, 2006 ; Stockard et coll., 2018). L’association de ces deux dimensions maximise les progrès et réduit l’écart entre élèves. 

Dans cette optique, les politiques éducatives devraient privilégier l’ensemble des pistes suivantes :
  1. Privilégier un curriculum commun riche en connaissances : 
    • Un programme structuré et séquencé (par année/niveau) garantit une progression cumulative des savoirs. Un référentiel précis et détaillé est appliqué par tous les enseignants.
  2. Former les enseignants aux pratiques pédagogiques efficaces : 
    • Des modules de formation continue sur les principes de l’enseignement explicite, de l’évaluation formative et de la science de l’apprentissage doivent être organisés. 
    • Les enseignants deviennent capables de modéliser lee compétence et connaissances de leurs programmes, de guider la pratique, et d’assurer un passage progressif vers l’autonomie.
  3. Pratiquer une évaluation formative régulière et cibler les remédiations : 
    • Des évaluations formatives courtes et fréquentes sont administrées pour identifier les acquis et les lacunes liées auxprogramme scolaire. Dès lors, chaque enseignant dispose de données actualisées pour ajuster son enseignement.
    • La démarche permet un ciblage précis des besoins qui se traduit en un enseignement adaptatif efficace, évitant que les écarts initiaux ne se creusent (OECD, 2013). 
  4. Allouer davantage de ressources aux élèves en difficulté d’apprentissage
    • Des sessions de remédiation planifiées (petits groupes, tutorat, interventions intensives) sont organisées durant le temps scolaire.
    • L’efficacité maximale est atteinte quand l’enseignement explicite est combiné à un soutien différencié pour compenser les écarts de départ sur le modèle de la réponse à l’intervention.
  5. Impliquer les familles dans le projet éducatif
    • Des rencontres sont organisées et des conseils sont fournis pour soutenir l’apprentissage à la maison.
  6. Allouer les ressources selon les besoins
    • Des moyens supplémentaires (enseignants supplémentaires, matériel pédagogique, temps de soutien) sont dirigés prioritairement vers les établissements recevant une population plus défavorisée.




Des responsabilités à partager concernant la réussite d’un élève


Tous les élèves ne partent pas avec le même capital culturel familial de départ ni avec le même potentiel génétique qui se traduit en des capacités différenciées.

Dès lors, comme l’écrit Denis Dambré : « Le comportement scolaire d’un élève n’est souvent rien d’autre que la résultante d’un ensemble de choses dont la responsabilité lui échappe. Dès lors, le tenir pour responsable de ses succès et de ses échecs revient à faire abstraction du fait que les individus ne disposent pas au départ de la vie d’un même capital. »

Le milieu familial va également influencer la manière dont l’élève gère les difficultés, les défis et les choix qui lui font face durant sa scolarité. Les parcours des élèves vont accumuler des divergences au cours de la scolarité. 

Juger les élèves sur leur mérite, c’est pour une part importante ne pas tenir compte des hasards du parcours et d’influences extérieures indépendantes. Le mérite a le grand avantage de valider et de légitimer le système dans lequel il est mis en évidence. 

Il ne peut masquer l’importance d’une réflexion sur la justice scolaire et l’équité nécessaire aux missions éducatives. L’idée est de privilégier un programme scolaire qui a un effet compensatoire. Il vise ainsi à atténuer les différentes en s’assurant que tous les élèves puissent bénéficier d’un enseignement qui privilégie des pratiques efficaces universelles pour les apprentissages essentiels.




L’effet compensatoire de l’acquisition de connaissances


La meilleure manière de générer un enseignement équitable consiste à mettre l’accent sur l’acquisition de connaissances par un enseignement explicite.

De cette manière, l’enseignant peut mieux combler les lacunes en partant des connaissances préalables des élèves. Les tâches plus complexes sont abordées après l’acquisition des connaissances en lien.
 
Quelles que soient les tâches, les élèves reçoivent des conseils explicites sur la façon de l’accomplir, en se reposant des connaissances et des tâches antérieures. De cette manière, nous donnons à tous les élèves des chances équitables. 

Les connaissances essentielles sont celles qui nous permettent de penser dans une majorité de contextes et de situations importantes dans nos vies. Au fur et à mesure que cette connaissance s’insère dans les schémas de la mémoire à long terme, elle devient facile à rappeler. Cette absence d’effort nous fait croire qu’elle est triviale et facile à acquérir ou que tout le monde la connaît. Ce n’est pas le cas et ce n’est pas le cas.

Sans activation de schémas complexes correspondants à un domaine stockés en mémoire, seules les données les plus simples et les plus triviales ce celui-ci peuvent être traitées. C’est ce qui se produit exactement lorsque nous rencontrons de nouvelles informations sur un sujet que nous ignorons.

En tant qu’enseignants, nous ne pouvons pas faire grand-chose au sujet des dotations naturelles ou des disparités de capital culturel, mais nous pouvons travailler pour combler le fossé du savoir.


Mis à jour le 21/03/2024

Bibliographie


Denis Dambré, L’illusion de la méritocratie scolaire, 2008, https://blogs.mediapart.fr/denis-dambre/blog/140508/l-illusion-de-la-meritocratie-scolaire

Greg Ashman, A fair go, 2019, https://gregashman.wordpress.com/2019/04/12/a-fair-go/

Hirsch, E. D., Jr. (1987). Cultural literacy: What every American needs to know. Houghton Mifflin.

Hirsch, E. D., Jr. (2006). The knowledge deficit: Closing the shocking education gap for American children. Houghton Mifflin.

Kirschner, P. A., Sweller, J., & Clark, R. E. (2006). Why minimal guidance during instruction does not work: An analysis based on the cognitive load theory. Educational Psychologist, 41(2), 75–86. https://doi.org/10.1207/s15326985ep4102_1

Organisation for Economic Co-operation and Development. (2013). Equity and quality in education: Supporting disadvantaged students and schools. OECD Publishing. https://doi.org/10.1787/9789264130852-en

Stockard, J., Wood, T. W., Coughlin, C., & Rasplica Khoury, C. (2018). The effectiveness of Direct Instruction curricula: A meta-analysis of a half century of research. Review of Educational Research, 88(4), 479–507. https://doi.org/10.3102/0034654317751919

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