Comment envisager une évaluation formative dans le cadre d’un cours de mathématiques ? Une exploration basée sur les travaux de Hodgen et Wiliam (2006).
Les spécificités de l’apprentissage des mathématiques
La force des mathématiques réside dans leur universalité et dans le cadre qu'elles fournissent pour interagir avec le monde qui nous entoure dans son ensemble.
Les mathématiques constituent un ensemble de connaissances connectées entre elles. Selon la perspective de la théorie de la charge cognitive, elles correspondent à un domaine présentant généralement un haut degré d’interactivité des éléments ce qui contribue à leur complexité. De plus elles sont essentiellement inscrites dans un domaine de connaissances biologiques secondaires pour lesquelles l'évolution n'a pas contribué à en faciliter l'apprentissage.
Pour réussir pleinement en mathématiques, les élèves doivent acquérir ce que Richard Skemp (1976) appelle une compréhension relationnelle de la manière dont les idées sont liées entre elles.
Dans son ensemble, l’apprentissage des mathématiques ne fonctionne pas sans peine et demande des efforts :
- Les élèves de tous les niveaux rencontrent des difficultés à transférer et à lier les notions de mathématiques vues en classe dans d’autres contextes et dans d’autres matières.
- Beaucoup d’élèves et d’anciens élèves déçus par les mathématiques vont les considérer comme un simple ensemble ésotérique de procédures arbitraires. Celles-ci sont essentiellement utiles pour eux uniquement dans le contexte du cours de mathématiques, en classe et lors des examens.
- L’accès à une culture mathématique exige une compréhension de la signification, de l’utilisation et des justifications du raisonnement mathématique.
Pour beaucoup d’élèves, les mathématiques peuvent être vues comme une pratique hors sol et étrange. Ils peuvent être réticents à adopter une logique ou un raisonnement mathématique de manière naturelle dans le cours de mathématiques ou d’autres domaines.
Nous devons les y inviter, les y former et les accompagner dans l’élaboration de ces démarches et ne jamais les considérer comme allant de soi.
L’évaluation formative prépare à l’évaluation sommative
L’évaluation formative est à concevoir avant tout comme un outil pour faciliter l’apprentissage des élèves.
Elle vise à aider les enseignants à filtrer les données pertinentes qui se dégagent de l’exubérance des signaux issus de l’activité des élèves. Elle nous permet de porter des jugements professionnels utiles pour les prochaines étapes de l’apprentissage et pour le soutien proposé aux élèves qui rencontrent des difficultés.
À des moments précis durant l’année scolaire, les élèves vont devoir également se préparer à passer des évaluations sommatives. Si l’accent doit être mis sur le développement de connaissances et d’une culture mathématique pour soutenir cette préparation, une autre finalité s’impose également à nous. Nous devons également prévoir du temps lorsque ces échéances s’approchent pour affiner les stratégies et techniques liées à la réalisation d’un examen. Celles-ci peuvent être :
- Mathématiques et liées au contenu
- Cognitives et liées à leur méthode de travail
- Métacognitives et liées à leur autorégulation et à leur prise de responsabilité des apprentissages.
Le retour d’information, l’évaluation par les pairs et l’auto-évaluation ont un rôle important à jouer dans ces processus. Utilisée correctement, l’évaluation formative peut entraîner des gains d’apprentissage majeurs à ces niveaux.
Potentiellement, trois types de rétroaction jouent un rôle essentiel dans le cadre de l’évaluation formative et ne sont pas à négliger :
- De l’élève vers l’enseignant
- De l’enseignant vers l’élève
- Entre élèves (de l’élève vers lui-même et vers d’autres élèves)
La clé pour comprendre l’évaluation formative est de saisir à quel point elle est modulée par ces échanges. L’apprentissage se fait par une utilisation judicieuse de tous ces échanges dans le cadre scolaire. Ils viennent s’intégrer dans une structure plus globale.
Principes d’un processus d’évaluation formative appliqué à l’enseignement des mathématiques
Premier principe : L’apprentissage des élèves en mathématiques démarre de là où ils se trouvent
Nous reconnaissons que les élèves doivent reconstruire leurs idées et développer leur pensée et leur culture mathématique. Un apprentissage génératif nécessite un processus d’élaboration et de multiples occasions de s’engager dans un traitement cognitif pertinent.
Le simple fait d’ajouter une nouvelle couche de règles, de procédures et de concepts à une superposition bancale de connaissances préalables non pleinement prise en considération, véhicule l’idée que les mathématiques sont déconnectées et incohérentes.
Un enseignement qui ne va pas rechercher les connaissances préalables des élèves et ne part pas d’elles ne peut arriver à un résultat cohérent.
Deuxième principe : Lors de l’apprentissage en mathématiques, les élèves participent activement au processus
L’apprentissage doit être fait par les élèves qui y prennent une part active. Ils ne peuvent être réduits au simple rôle de spectateurs, face à un enseignement de mathématiques qui serait donné pour eux.
L’enseignant en mathématiques encourage tous les élèves à s’engager dans un traitement cognitif signifiant, à participer, à répondre, à relever des défis et à évaluer la qualité de leur propre réflexion.
L’enseignant écoute attentivement une variété de réponses fournies par ses élèves, en les prenant sérieusement avec toute la considération nécessaire, qu’elles soient correctes ou erronées, pertinentes ou non.
L’enseignant aide ses élèves à éclaircir leurs incohérences et à relever les défis. Dans leurs échanges avec ses élèves, un enseignant adapte ses interventions en fonction des besoins d’apprentissage qui ont été mis en évidence.
Troisième principe : Lors de l’apprentissage en mathématiques, les élèves communiquent leur raisonnement
Lorsque les élèves expriment des idées mathématiques, que ce soit dans un dialogue avec toute la classe ou dans des groupes de pairs, ils utilisent, développent et construisent leur langage mathématique. Le fait de communiquer est une partie importante de l’apprentissage des mathématiques.
L’enseignant veille activement à les inciter à enrichir le formalisme et la profondeur de leur communication.
Quatrième principe : Lors de l’apprentissage en mathématiques, les élèves comprennent les intentions d’apprentissage
Les indicateurs de maitrise doivent être parfaitement perçus et compris par les élèves. Les élèves identifient quels comportements sont attendus et permettent de définir la maitrise des objectifs pédagogiques.
Deux conditions sont importantes :
- Un élève doit pouvoir observer et regarder ce que sont les exemples de réussite et en observer les caractéristiques afin de bien comprendre comment y arriver.
- De même, il doit également obtenir ou se faire une idée de là où il se situe par rapport à la maitrise des intentions d’apprentissage.
Lorsque ces deux conditions sont remplies, les élèves deviennent à même de prendre en charge leurs apprentissages. Ils développent leur capacité de superviser, de contrôler et d’orienter leur propre apprentissage dans la bonne direction. De cette manière, ils assument la responsabilité de leurs apprentissages, ce qui correspond à de la métacognition.
La démarche n’a rien d’évident pour les élèves. Il faut veiller, dans l’enseignement, à aider les élèves à comprendre les objectifs en lien avec les activités d’apprentissage, de même que les critères de qualité qui y sont liés. À partir de ce moment, ils apprennent à estimer si le produit de leurs efforts répond ou non aux critères de qualité attendus.
Toutefois, le simple fait de fournir les objectifs pédagogiques sous forme d’intentions d’apprentissage et une liste de critères de ce qui fait un travail de qualité en mathématiques sont rarement suffisants pour aider les élèves à progresser. Un accompagnement est nécessaire.
Les élèves doivent s’engager dans le processus et dans le raisonnement mathématique lui-même afin de pouvoir apprendre comment la qualité d’une production mathématique est jugée. L’évaluation par les pairs et l’auto-évaluation sont essentielles à ce processus. Elles favorisent à la fois la participation active et la pratique dans l’évaluation de la qualité du travail — le leur et celui des autres élèves.
Cinquième principe : Lors de l’apprentissage en mathématiques, le retour d’information indique aux élèves comment s’améliorer
Nous sommes susceptibles de centrer le retour d’information sur la personne en les catégorisant en tant que bons ou mauvais élèves, qui fournissent de bonnes ou de mauvaises réponses. Nous mettons l’accent sur le jugement global par des notes chiffrées ou un classement des élèves.
Cette rétroaction attire la pensée de l’élève sur lui-même, sur son égo. Elle l’éloigne des questions de connaissances et de raisonnement en mathématiques qui sont pourtant cruciales.
De fait, ce type de retour d’information peut être contreproductif et faire baisser les performances. Il va décourager les élèves les moins performants. Il peut également faire perdre du temps ou des occasions d’apprentissage à des élèves performants s’ils ne peuvent voir la voie à suivre vers le succès par eux-mêmes. L’échec sera avant tout considéré comme une mauvaise nouvelle à fuir plutôt que comme une occasion d’apprendre et un centre d’intérêt sur lequel porter ses efforts.
Par contre, il est plus avantageux que le retour d’information ne porte pas sur la personne, mais sur les forces et les faiblesses de la tâche en question et sur ce qui doit être fait pour l’améliorer. Lorsque ce pli est pris, les performances peuvent être améliorées. C’est d’autant plus le cas lorsque le retour d’information porte non seulement sur ce qui doit être fait, mais aussi sur la manière de le faire. Ce retour d’information encourage tous les élèves, quelles que soient leurs réalisations passées, à faire mieux en essayant et à tirer les leçons de leurs erreurs et de leurs échecs.
Liens entre les processus d’évaluation formative et l’enseignement explicite
Ces principes liés à l’évaluation formative sont entièrement congruents et viennent compléter ceux liés à l’enseignement explicite des mathématiques en phase avec la théorie de la charge cognitive.
Ils imposent des exigences importantes aux enseignants en matière de connaissance sur l’apprentissage et de conception des activités proposées aux élèves. Ils amènent les enseignants à donner un sens à ce que disent les élèves, mais aussi pour pouvoir déterminer quelles seront les prochaines étapes les plus appropriées pour l’élève.
Il ne s’agit pas de connaissances abstraites acquises lors d’études avancées en mathématiques ou liées à une compréhension fine du fonctionnement cognitif des élèves. L’essentiel pour un enseignant en mathématiques est plutôt d’une compréhension profonde des mathématiques fondamentales et de la façon dont elles s’apprennent en classe.
Mise en œuvre de nouvelles pratiques pédagogiques au sein d’une équipe d’enseignants
Les changements de pratique recommandés en évaluation formative ne sont pas faciles à mettre en œuvre. La situation est la même que pour d’autres approches fondées sur des données probantes comme l’enseignement explicite. L’adoption de nouvelles pratiques nécessite des changements dans la manière dont les enseignants travaillent avec leurs élèves, ce qui peut sembler risqué, car nous touchons au cœur du métier et des habitudes. Cela représente toujours un défi.
La recherche et l’expérience de terrain dans le domaine de l’évaluation formative suggèrent que les enseignants qui réussissent le mieux sont ceux qui changent leur pratique lentement. Ils se concentrent sur un ou deux aspects seulement à la fois.
Au fur et à mesure qu’ils deviennent compétents avec ces nouvelles idées, et qu’ils les intègrent dans leur pratique naturelle, ils peuvent alors tourner leur attention vers de nouvelles idées.
À l’opposé, les enseignants qui essaient de changer beaucoup d’éléments en parallèle dans leur pratique ont peu de chances d’y aboutir.
Une autre dimension qui semble cruciale pour que les enseignants puissent développer leur pratique de manière fructueuse est le soutien dont ils disposent. Ce soutien vient de leurs pairs (collègues), de leur direction (leadership pédagogique) et de l’accompagnement d’un expert (coaching pédagogique).
S’il est possible pour certains enseignants de mettre en œuvre des changements radicaux dans leur pratique en toute autonomie, c’est rare. Un développement fructueux et effectif de notre pratique en classe devient bien plus probable lorsque nous pouvons nous appuyer sur le soutien de nos pairs.
Deux formes d’organisation pratique du dispositif semblent particulièrement utiles.
- La première consiste à organiser des rencontres régulières, idéalement une fois par mois entre enseignants partageant le même projet, qui tentent d’apporter des changements similaires à leur pratique. Il semble que c’est le fait qu’ils allaient devoir parler à leurs collègues de leurs expériences en matière d’expérimentation qui les motive à s’engager dans la mise en œuvre pratique de ces idées en classe.
- La seconde consiste à faire inviter un pair de confiance à venir observer la mise en pratique dans un contexte de classe réelle. Celui-ci fournit une rétroaction constructive. La caractéristique essentielle de ces observations par les pairs est que sur l’ordre du jour de l’observation doit être fixé le thème par l’enseignant observé. L’enseignant observé précise auprès de son collègue non seulement ce qu’il doit chercher, mais aussi ce qui compterait pour lui comme preuve de réussite ou d’échec. Dès lors, il y a moins de chances que l’observateur introduise ses propres préjugés et partis pris dans le processus.
Ces éléments constituent des moyens pratiques pour faire de petits pas dans le développement de sa pratique avec le soutien de ses collègues. Par ce biais, l’évaluation formative peut produire des améliorations substantielles et durables du résultat des élèves. Elle peut également rendre l’enseignement plus agréable et professionnellement gratifiant.
Mise à jour le 23/07/2023
Bibliographie
Hodgen, J. & Wiliam, D. (2006), ’Mathematics inside the black box: assessment for learning in the mathematics classroom ’
Skemp, R. R. (1976). Relational understanding and instrumental understanding. Mathematics Teaching, 77, 20–26
0 comments:
Enregistrer un commentaire