vendredi 4 septembre 2020

La vigilance de l'enseignant dans ses interactions en classe

La vigilance n’est pas un concept neuf ou récent en gestion de classe. Il s’agissait déjà d’un thème récurrent dans les écrits de Jean-Baptiste de La Salle (1651 – 1719) remis sur le devant de la scène dans les années 1970 par Jacob S. Kounin.

(Photographie : Marie Leroux)



Des intuitions précurseures sur la vigilance chez les Frères des écoles chrétiennes


Jean-Baptiste de La Salle (1651 – 1719) était un ecclésiastique français et un précurseur dans le domaine de la pédagogie. Il a consacré sa vie à éduquer les enfants pauvres. Il est le fondateur de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes.

Il est l’auteur d’un ouvrage historique de référence en pédagogie. La seconde partie de son ouvrage, « Conduite des écoles chrétiennes » (1706) s’ouvre sur l’énumération des neuf éléments qui peuvent contribuer à établir et à maintenir l’ordre dans les écoles. La première place est occupée par la vigilance.

Selon la perspective de Jean-Baptiste de La Salle, la vigilance de l’enseignant se manifeste dans trois dimensions :
  • Reprendre et corriger les erreurs des élèves
  • S’assurer de l’attention et de la participation de tous les élèves
  • Faire garder le silence par les élèves lorsque nécessaire

Dès le départ, chez les lasalliens, la vigilance se fonde ainsi sur la qualité de la relation pédagogique et non sur les structures, le règlement et la discipline. Pour être efficace dans l’expression de la vigilance, un enseignant doit connaitre ses élèves. La vigilance est vue comme un soutien aux pratiques d’enseignement pour susciter l’attention et favoriser l’engagement dans les apprentissages.




Associer l’exercice de la vigilance à celui de la tâche éducative


À l’époque, la notion de vigilance est plus large que sa définition commune actuelle de « surveillance soutenue et attentive ». Il est intéressant de se référer à la définition qu’en offre le Nouveau Dictionnaire Français de Pierre Richelet (1709). La vigilance est à l’époque une :
« Grande application d’esprit qu’on a pour prendre garde à quelque chose. Action de la personne qui est alerte et qui a l’œil à quelque chose, afin que tout aille bien selon qu’on le souhaite ».

La vigilance dans cette perspective est éducative. L’enseignant exerce sa vigilance en s’appuyant sur son expertise et sur sa connaissance des élèves. Son observation de l’environnement éducatif permet de détecter au niveau de l’élève, des manifestations de son évolution. Cela permet, le cas échéant, d’intervenir à temps par des conseils appropriés.

Pour Jean-Baptiste de La Salle (1706), la vigilance se veut calme, apaisée et rigoureuse. Elle ne doit pas être inquiète, défiante, embarrassée, sinon elle deviendrait négative pour la relation et désagréable pour l’enseignant. L’enseignant agit paisiblement, sans trouble, sans contrainte et sans affectation.

La vigilance est associée à l’exercice de la tâche éducative. C’est un engagement lucide et responsable dans la relation éducative. La vigilance contribue à assurer l’ordre dans la classe, mais pas seulement. Exercée à bon escient, la vigilance prévient les désordres dans la classe, de même que les difficultés dans les apprentissages. Elle permet souvent d’éviter le recours aux sanctions. En ce sens, elle représente avant tout une pratique de prévention.

Cette prévention ne concerne pas seulement, le comportement personnel des élèves, mais aussi le déroulement de leur travail scolaire. Dans la vision de Jean-Baptiste de La Salle, la vigilance revêt à la fois de la gestion des apprentissages et de celle du comportement.

Dans sa dimension pédagogique, la vigilance vise avant tout à :
  • À assurer la qualité et la solidité des acquisitions
  • À soutenir ou éveiller l’attention
  • À créer une ambiance de silence propice au travail de tous
  • À mettre en œuvre une pédagogie adaptée aux élèves

À travers ces processus, pour Jean-Baptiste de La Salle, la vigilance contribue également à guider les élèves dans leurs progrès personnels.



Trois dimensions de la vigilance dans la perspective écologique de la gestion de classe


La vigilance, également appelée supervision active, est associée à la prévention du cadre dans la mesure où elle permet à l'enseignant de remarquer les premiers signes de comportements perturbateurs. Elle est également de nature proactive dans la mesure où elle peut venir renforcer les comportements attendus et l'engagement des élèves dans les activités d'apprentissage et face à l'enseignement. Dans cette perspective, elle s’associe à la gestion des activités scolaires par l'enseignant à l’échelle du groupe classe. 

Selon la perspective écologique de la gestion de classe, la vigilance que les enseignants exercent en classe, comprend au moins trois dimensions :
  1. Les enseignants exercent leur vigilance l'échelle d'un groupe d'élèves :
    • Ils s’intéressent à ce qui se passe dans toute la classe et à la qualité du système d’activité global. Comment la classe se comporte-t-elle actuellement ? Assurer la vigilance correspond alors à une prise de température en temps réel par l’enseignant.
    • La focalisation à l'échelle d'un groupe d’élèves dans son ensemble n’exclut pas l’attention portée individuellement à des élèves particuliers. Cependant, l’attention portée à un élève donné est toujours imbriquée dans le cadre plus large de l’activité de groupe. L’élève est toujours perçu comme appartenant à un groupe inscrit dans un contexte.
  2. Les enseignants repèrent et entrent en action face aux comportements perturbateurs des élèves :
    • Ils portent une attention particulière aux écarts par rapport au programme d’action prévu pour le segment de cours considéré. Ils sont attentifs à toute occurrence de comportement qui ne correspond pas à la norme à un moment donné.
    • Les enseignants vigilants remarquent rapidement les écarts de comportement, avant qu’ils ne puissent se répandre à d’autres élèves au sein de la classe.
    • Les enseignants vigilants interviennent selon un continuum d’interventions auprès de l’auteur de l’écart de comportement. Ils ne ciblent pas un spectateur innocent ou un élève qui s’est joint à l’événement après son début. L’initiateur est ciblé avant qu’il ne puisse être imité par des suiveurs.
  3. Les enseignants sont attentifs à la dynamique, à la gestion et la durée des événements en classe  :
    • Les enseignants efficaces façonnent les événements en classe en assurant le rythme et la cadence pour faire progresser les activités tout en maintenant l’engagement des élèves.
    • La régularité de leurs interventions et l’élan comportemental qu’ils impriment à leurs classes sont intimement associés au succès de leur gestion de classe et à la réussite de leurs élèves.
    • Les enseignants efficaces évitent tout temps mort ou toute approximation dans le déroulement des activités et dans leurs propres actions. Ils sont conscients que de tellees occurrences favorisent le comportement hors tâche des élèves. 



Communiquer et rendre perceptible la vigilance en classe


Les enseignants doivent également communiquer et rendre visible l’exercice de sa vigilance. Les élèves doivent être convaincus que leur enseignant va rapidement prendre conscience de ce qui se passe et avoir la certitude qu’il interviendra dans la foulée.

Comment procéder ?

Les enseignants vigilants ne disposent pas de capacités surhumaines. Ils agissent tactiquement et préventivement en s’appuyant sur leur expertise et leur connaissance des élèves. Ils savent à quoi être attentifs. Pour y arriver, l’enseignant efficace va faire usage du sens de l’opportunité et de précision dans ses interventions.

Dès que des signes de perturbation apparaissent, il s’agit de prévenir ou de prendre sur le fait l’initiateur le plus tôt possible. L’enjeu est que les élèves apprennent tôt que l’enseignant est conscient de ce qui se passe dans la classe et agit discrètement et sans attendre. Ils hésiteront d’autant plus à outrepasser les limites par la suite.

Ainsi, ce n’est pas tant le fait de prendre l’élève fautif sur le fait pour un motif x ou y, que démontrer cette capacité d’action qui compte. Nous mettons en scène et manifestons notre conscience de ce qui se passe dans la classe. Cette quasi-omniscience de l’enseignant telle que perçue par les élèves va empêcher l’initiation et la propagation de comportements perturbateurs.

En fin de compte, l’enseignant qui est capable de réagir au quart de tour, de façon discrète et mesurée à la première perturbation mineure se retrouvera finalement à distribuer moins de conséquences. Il bénéficiera d’un climat de classe également nettement plus apaisé. Un collègue moins vigilant qui réagit systématiquement avec une guerre de retard manquant souvent les initiateurs des perturbations devra réagir plus souvent. Il distribuera plus de conséquences avec un effet négatif sur l’atmosphère générale de la classe et un sentiment d’injustice auprès de certains élèves.

Concrètement, les enseignants efficaces se retrouvent ainsi à régulièrement intervenir de manière discrète et non verbale et faire des commentaires précis, ciblés et pertinents sur le comportement des élèves face aux attentes, qu’ils expriment. De même, ils commentent positivement sur les événements en classe pour manifester leur conscience et influencer le cours des choses. Ils savent où en sont leurs élèves et connaissent les enjeux de chacun d’entre eux.



Le rôle de la vigilance dans le soutien aux apprentissages en classe


Le groupe classe auquel fait face l’enseignant fonctionne comme à un système social complexe pour lequel des objectifs d’apprentissages sont prédéfinis.

L’enseignant ne peut pas avancer à l’aveugle, il doit multiplier les interactions. Quand il modèle les contenus et guide la pratique, il fait face au groupe classe dans son ensemble.

Les multiples élèves avec lesquels il interagit pour vérifier leur compréhension et entretenir leur engagement disposent de capacités différentes. Ils fournissent en retour un système de signaux discontinus que l’enseignant traite.

L’enseignant leur délivre de même un retour d’information précis et approprié, visant chaque élève, en évaluant leurs réponses et leurs comportements.

Ainsi, l’exercice de la vigilance, les interactions et la rétroaction guident l’enseignant dans ses choix stratégiques, dans la perspective d’un enseignement adaptatif pour le déroulement des événements et des activités en classe.

L’enseignant suit l’évolution des performances d’apprentissage de ses élèves, selon un schéma prédéfini dont le déroulement exact sera en partie imprévisible. Pour ce faire, il utilise différentes techniques d’observation et approches telles que la vérification de la compréhension, l’évaluation formative ou l’observation de la pratique autonome en classe.



Le questionnement aléatoire comme manifestation de la vigilance en classe


L’enseignant vigilant va circuler en classe de manière aléatoire et interroger les élèves au hasard.

L’enseignant moins vigilant va circuler en classe en utilisant toujours le même trajet. Il va interroger les élèves dans un ordre préétabli ou prévisible. Les conséquences sont que sa démarche est moins efficace, car :
  1. Il informe les élèves sur les moments où ils peuvent relâcher leur attention, leur engagement et leur propre vigilance.
  2. Les élèves peuvent ne s’impliquer en profondeur dans le travail et ne fournir des efforts que lorsque l’imminence de leur participation s’approche.
  3. Un ordre préétabli conduit à une progression plus lente des élèves, à plus d’interruptions et d’erreurs avec un impact général sur l’attention et la confusion face aux contenus.
Il y a un enjeu supplémentaire à faire appel au hasard. L’enseignant vigilant doit veiller à stimuler les élèves réticents à participer, il leur envoie des signaux d’alerte réguliers, mais de manière non prévisible. À l’échelle du groupe, l’enseignant vigilant entend développer une responsabilisation générale du groupe.

Certains enseignants peuvent être réticents à interroger au hasard, car ils ont beaucoup d’élèves qui participent spontanément et ne veulent pas casser ce dynamisme. Ils peuvent aussi faire face à des groupes plus faibles où obliger les élèves à participer peut-être mal vécu par eux.

Dans les deux cas, l’interprétation peut être erronée :
  • Le fait qu’une classe est motivée à participer n’est pas en soi un facteur d’ordre. L’ordre doit être installé dans une classe, il n’est pas naturel. 
  • À l’opposé, l’exubérance peut être source de désordre. Lorsque beaucoup d’élèves veulent participer, attribuer le droit d’intervenir à l’un d’eux devient délicat. Il est difficile à distribuer de manière neutre.
  • Cela peut amener les élèves à utiliser diverses stratégies pour augmenter leur probabilité de pouvoir donner leur réponse. Ils peuvent presque crier, agiter le bras, se soulever en partie de leurs chaises et solliciter verbalement la reconnaissance de l’enseignant en répétant leur demande de participation jusqu’à l’obtenir.
  • En choisissant le plus offrant, l’enseignant renforce et amplifie progressivement ces comportements perturbateurs.
  • La situation dans les groupes moins enclins à participer n’est pas meilleure. Les élèves y ont généralement une plus faible capacité. Ils sont en général plus susceptibles de faire des commentaires sans rapport avec les activités en cours de manière à échapper aux questions. 
  • Si le hasard n’est pas institué, ils vont tout faire pour échapper au devoir de répondre. 
  • Aller chercher leur participation spontanée va demander un surcroit d’énergie à l’enseignant. De même, ce dernier va devoir faire preuve d’une plus grande vigilance face aux comportements hors tâches plus nombreux, qui en découlent.
Le grand avantage du questionnement aléatoire est non seulement d’informer de manière plus représentative sur les apprentissages des élèves, mais de maintenir le groupe en alerte. Cela permet de maintenir un meilleur flux de contenu, une meilleure attention et un meilleur apprentissage, tout en assurant une meilleure vigilance de l’enseignant.




Mis à jour le 11/12/2022

Bibliographie


Lauraire, Léon. La Conduite des écoles chrétiennes. Rome. Frères des Écoles Chrétiennes. Cahiers MEL 12. 2004.

Doyle, W. (2006). Ecological Approaches to Classroom Management. In C. M. Evertson & C. S. Weinstein (Eds.), Handbook of classroom management: Research, practice, and contemporary issues (pp. 97–125). Lawrence Erlbaum Associates Publishers.

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