mercredi 16 septembre 2020

Des douze vertus d’un bon maitre à la gestion de classe au XXIe siècle

Steve Bissonnette et ses collègues (2017), plus particulièrement Clermont Gauthier (2015, 2016, 2019), se sont penchés longuement sur un vieux livre. Celui-ci, à première vue, pourrait sembler anecdotique et anachronique pour des chercheurs engagés avant tout sur le principe d’une éducation fondée sur des données probantes. Voici une synthèse sur le sujet.

(Photographie : Miguel Marquez)



Les douze vertus d’un bon maitre du Frère Agathon (1785)


Dans son propre parcours, Clermont Gauthier le revendique comme d’une redécouverte marquante sur la thématique historique de la gestion de classe. L’ouvrage « Les douze vertus d’un bon maitre » d’Agathon, frère des écoles chrétiennes a en effet été initialement publié en 1785. Voici une synthèse personnelle de l’analyse qu’ils en font.

Son auteur, né Joseph Goullieux (ou Gonlieu), mais identifié par sa religion en Frère Agathon, 5e supérieur général des Frères des Écoles chrétiennes, est né en 1731 à Longueval (Oise) et est mort à Tours en 1797.

L’Institut des Frères des écoles chrétiennes a été fondé à Reims en 1680 par Jean-Baptiste de La Salle. Il est voué à l’enseignement et à la formation des jeunes, en particulier des plus défavorisés. L’Institut des Frères des écoles chrétiennes est une congrégation laïque masculine. Les frères ne sont pas prêtres. 

Dans cet ouvrage, Frère Agathon explique et commente les douze vertus que Jean-Baptiste de la Salle avait simplement énumérées dans son ouvrage classique antérieur et fondateur, « La conduite des écoles chrétiennes », en 1706. 

Jean-Baptiste de la Salle y déclinait les vertus (qualités ou talents) qui caractérisaient selon lui un bon enseignant. Il s’agit de la gravité, du silence, de l’humilité, de la prudence, de la sagesse, de la patience, de la retenue, de la douceur, du zèle, de la vigilance, de la piété et de la générosité.

Dans son livre, Frère Agathon s’est employé à mettre en scène des techniques pratiques en lien avec ces vertus . Il décrit précisément comment, dans l’action, elles peuvent se matérialiser. Il énumère et place en contexte, de façon opérationnelle, en fonction de chaque vertu, des comportements qui manifestent l’expression de ces qualités et que le maitre doit adopter. Il illustre également d’autres comportements qui sont en contradiction et donc à éviter.

En ce sens, la démarche de ce livre est radicalement différente de ce qu’a pu écrire à la même époque, un autre auteur en pédagogie, Jean-Jacques Rousseau, avec « Émile ou De l’éducation » (1762). Chez ce dernier, l’approche était plus philosophique et abstraite et ne rendait pas compte de la nature concrète de l’action quotidienne de l’enseignant en classe. Frère Agathon décrit au contraire des gestes que le maitre devrait poser ou éviter, il fournit de multiples justifications et indications techniques.



L’intérêt actuel du discours de Frère Agathon 


L’intérêt est que Frère Agathon décline l’ensemble des comportements de l’enseignant en lien avec les vertus, c’est-à-dire avec les qualités, les talents et quelque part les attitudes manifestées. L’avantage est d’ancrer la description de la vertu dans les comportements et les attitudes des enseignants qui assurent une bonne gestion de classe. Frère Agathon échappe ainsi à des propos philosophiques et abstraits sans rapport avec la réalité du terrain.

Il explore le lien entre deux dimensions :
  • D’un côté, il s’agit de la technique, du concret et les pratiques, de l'agir de l'enseignant.
  • De l’autre côté, il s’agit des attitudes professionnelles qui doivent les accompagner, de la manière d'être de l'enseignant.

Ce faisant, il éclaire le lien entre des comportements et une dimension plus intérieure.

Ce que décrit Frère Agathon n’est pas sa pure invention, mais la synthèse d’une expertise collective et partagée au sein des écoles des frères sur ce qui marche dans le cadre de leur projet éducatif. Comme le souligne Clermont Gauthier, de multiples stratégies et de nombreux comportements décrits par Frère Agathon restent en phase avec le temps présent. Ils correspondent avec ce que défendent des analyses ou des ouvrages contemporains sur la gestion de la classe s’appuyant sur des données probantes.

La forme scolaire actuelle trouve son origine vers le XVIIe siècle et dans ses grandes lignes, elle a peu changé. Frère Agathon décrit une classe qui correspond encore souvent à celle d’aujourd’hui. Il n’est donc pas étonnant qu’un certain nombre de principes fonctionnent encore aujourd’hui, l'humain restant l'humain, comme l’importance de la vigilance ou de la prévention ou les limites liées à l’usage de la punition.  

Frère Agathon ne se contente pas d’édicter une règle. Il la détaille à l’aide d’exemples et de contre-exemples, ce qui offre nuances et interprétations. Il existe un continuum dans les interventions d’un enseignant dans sa vision. 

Les vertus ne sont pas abstraites, mais connectées aux attitudes qui lorsqu’elles accompagnent les pratiques enseignantes seraient dans une vision plus moderne une caractéristique de l’expertise professionnelle.

Connaitre une technique ne suffit pas. Au-delà de la méthode, la manière de faire est importante. Cette manière de faire implique du tact, de la finesse, du doigté. Dans la profession d’enseignant cohabitent toujours ces deux dimensions de la méthode et de la manière. L’une ne peut s’exercer sans l’autre.



Les limites actuelles du discours de Frère Agathon 


Si la forme scolaire a peu évolué, le contexte, lui a considérablement changé. La lecture actuelle du discours de Frère Agathon présente néanmoins quelques difficultés.

La notion de vertu n’est plus d’une utilisation simple et naturelle 

  • Elle possède souvent une connotation spirituelle, morale et religieuse. Voici la définition qu’en donne le CNTRL.fr : « Disposition habituelle, comportement permanent, force avec lesquels l’individu se porte volontairement vers le bien, vers son devoir, se conforment à un idéal moral, religieux, en dépit des obstacles qu’il rencontre ». 
  • Le discours de Frère Agathon s’inscrit dans la perspective d’un ordre religieux qui vise à former Jésus-Christ dans le cœur des élèves. Nombre de vertus qu’il promulguait ont une connotation catholique forte : zèle, piété, sagesse ou humilité. Ce discours ne convient pas dans une perspective laïque actuelle. 
  • Dans le contexte contemporain, un concept plus adéquat que celui de vertu est l’attitude professionnelle. Elle renvoie à une autre vision d’enseignement fondé sur des composantes empiriques. 



Les références chrétiennes et les réflexions théologiques sont systématiques dans les écrits de Frère Agathon

  • L’enseignant contemporain sauf à de rares exceptions n’est pas un religieux. 
  • À la définition du choix de métier d’enseignant comme d’une vocation correspond actuellement l’idée d’une profession. 
  • À l’idée de se consacrer corps et âme au salut de la jeunesse, correspond actuellement le concept d’éthique professionnelle. 
  • L’enseignant est un expert, qui offre un service. Il instruit et éduque les élèves. Il respecte une éthique professionnelle et s’inscrit dans un projet défini, avec certaines attentes de qualité et d’efficacité. 


Le discours de Frère Agathon n’est pas scientifique

  • Ses écrits sont essentiellement un travail de synthèse sur l’expérience des frères enseignants au sein de sa congrégation laïque. À de multiples occasions se sont réunis et ont discuté. Ils ont identifié à partir de leur savoir d’expérience les meilleures pratiques à privilégier dans leurs écoles. Ils ont par ailleurs cherché une légitimation dans la Bible. 
  • Le discours contemporain en gestion de classe est différent parce que la justification des stratégies exemplaires est basée davantage sur une vérification empirique et systématique des effets de ces stratégies sur le comportement des élèves. 



Frère Agathon s’inscrit dans l’idée d’une soumission propre à une communauté religieuse

  • Au sein d’une communauté religieuse, il est convenu de suivre la ligne de l’autorité verticale. Cette autorité part de Dieu, Jean-Baptiste de La Salle dont il est l’héritier. Elle arrive à lui-même comme frère supérieur de l’Institut, puis se poursuit vers les frères de qui il veut la soumission, pour aboutir à leurs élèves. 
  • Selon cette conception, le frère doit être humble, ne pas faire à sa tête et suivre les consignes édictées par son ordre. 
  • Nous sommes loin des concepts actuels de liberté pédagogique et de responsabilité professionnelle.  


Certaines approches sont novatrices pour l’époque, mais dépassées actuellement

  • L’approche de Frère Agathon est novatrice pour son époque dans la mesure où il remet en question l’utilité des châtiments corporels, en encadrant de manière très précise l’usage de la punition. 
  • Il reste que le remplacement qu’il propose est lui-même dépassé. La honte et l’humiliation sont fondamentalement rejetées dans le contexte contemporain. 


Du discours sur les vertus de Frère Agathon à celui des attitudes professionnelles modernes


Le discours de Frère Agathon est déphasé face au discours contemporain sur la nécessité et le rôle central d’une expertise professionnelle. Un travail d’inventaire s’impose. Qu’est-ce qui demeure pertinent dans le discours de Frère Agathon ? 

Il s’impose de poser un regard d’inventaire et conserver ce qui caractérise la situation pédagogique et les exigences du métier d’enseignant pour éduquer les élèves. Il est possible de tirer profit de ces vertus en les réactualisant et en les adaptant au contexte contemporain comme l’a fait très clairement Clermont Gauthier, dont voici une synthèse personnelle de son travail.

Il faut effectuer un décalage des vertus vers des attitudes professionnelles. Ces dernières sont toujours caractéristiques nécessaires à l’enseignant d’aujourd’hui dans l’exercice de ses fonctions. Elles fournissent des balises pour s’orienter dans l’action, soulignent ce que l’enseignant doit faire ou éviter.

La réflexion sur les vertus (ou attitudes professionnelles) fait apparaître, rend visible quelque chose d’autre qui fait que l’on ne peut réduire la gestion de la classe à cette seule dimension technique. 

Il aide à entrevoir l’importance pour l’enseignant d’afficher une certaine posture, d’être un exemple pour ses élèves, sans hauteur affectée ni copinage de cour de récréation. 


De la gravité


Il est important de maintenir une distance raisonnable et appropriée avec ses élèves entre les extrêmes que sont la froideur et la fusion relationnelle. L’enseignant ne doit pas être dans une relation de type copain-copain avec eux. 

L’enseignant aime ses élèves un peu comme un parent, mais sans qu’il le soit véritablement. Il garde une certaine tenue (et retenue) dans ses gestes, dans son langage, dans son habillement, car son apparence exprime à la fois son statut et sa fonction.

Toutefois, il est indispensable que l’enseignant établisse une relation positive avec ses élèves sans quoi son travail d’éducation et d’instruction serait impossible. 

Il s’agit de développer une certaine empathie, une attitude d’accueil envers l’autre, une chaleureuse neutralité, de l’affabilité, des expressions qui renvoient à l’acceptation de l’autre sans s’engloutir dans la fusion relationnelle. 

Lorsque l’enseignant n’exprime que froideur et distance, il ne peut établir une relation constructive avec ses élèves.

Lorsque l’enseignant est trop proche de ses élèves, il ne peut plus jouer son rôle d’éducateur. 



Du silence


L’enseignant doit faire un usage judicieux de la parole. Il doit faire attention, savoir quand parler, quand se taire et comment dire ce qu’il a à dire. 

L’enseignement est un métier où la communication et la relation sont importantes. La manière de dire importe également afin de ne pas endommager la relation. 

Lorsque l’enseignant parle trop, sa voix devient monotone comme un bruit de fond. 

Lorsqu’il ne parle pas et qu’il le devrait, son silence est interprété comme une permission. 

L’attitude à privilégier se situe quelque part entre la taciturnité et la loquacité


De la prudence


Il est nécessaire de délibérer avant, pendant et après l’action. L’enseignant se positionne adéquatement entre l’inaction et l’interventionnisme intempestif.

L’excès de prudence conduit à l’inaction. Si une gestion efficace du comportement impose une planification et de la prévention, il faut également être prêt à intervenir lorsque nécessaire. Le manque de réactivité entraîne inévitablement la dégradation d’une situation. 

L’absence de prudence est tout aussi périlleuse. En improvisant ou en agissant émotionnellement, l’enseignant risque de commettre de faux pas dans ses interventions. 


De la patience


Les élèves ont besoin d’étayage dans leurs apprentissages. Il s’agit de trouver l’équilibre entre soutien, orientation et autonomie. L’enseignant offre un support aux élèves face aux difficultés de la tâche pour atteindre les objectifs d’instruction et d’éducation. 

La patience encourage les élèves. Son absence favorise leur découragement. Le travail de l’enseignant exige de la patience pour amener les élèves à une maitrise flexible et fluide des apprentissages. 

Toutefois, la patience a ses limites. L’enseignant ne peut pas tout accepter, ce qui reviendrait à une démission de sa part.

À l’opposé, l’agir compulsif, la recherche excessive de perfection peut conduire à une sévérité contre-productive qui ne laisse rien passer, même des écarts de conduite sans conséquence. 

La patience participe directement à l’expression d’attentes élevées. 


De la retenue


Il est important pour l’enseignant d’être en contrôle de ses émotions dans la relation avec les élèves. 

La retenue commande d’éviter les débordements, la démesure, de se modérer dans son langage et dans ses gestes.

Toutefois, il ne s’agit pas d’adopter une attitude passive. L’établissement de la relation, le renforcement positif nécessite l’expression d’une certaine chaleur.


De la vigilance


Il s’agit de prévenir les écarts de conduite. 

La vigilance de l’enseignant est une attitude dont l’importance a été largement soulignée par les chercheurs en gestion de classe. 

Trop de vigilance conduit à créer un climat de suspicion. Un manque de vigilance ouvre la porte à une augmentation du nombre de perturbations des élèves en classe. 


Du zèle


Le zèle relève de l’importance d’être diligent par opposition à négligent. La diligence s’apparente à la conscience professionnelle, à l’engagement et à l’implication dans l’acte d’éduquer. 

L’enseignant doit mettre en œuvre les meilleurs moyens pour instruire et éduquer les élèves. 

La diligence est une forme d’empressement à bien faire pour soutenir les élèves. Un manque de diligence correspond à de l’indifférence. L’enseignement exige de l’engagement, un suivi, de la continuité de la part de l’enseignant. 

Trop d’empressement peut conduire à de la frustration et à un épuisement professionnel. La diligence se fonde sur le postulat d’éducabilité de l’élève et sur un devoir de moyens.

L’enseignant ne peut s’investir dans son travail s’il ne croit pas dans la possibilité de réussir à faire progresser l’élève. L’enseignant n’est pas indifférent aux difficultés de l’élève et il ne le stigmatise pas en considérant qu’il n’est pas éducable, il respecte ses particularités.


De la générosité


La générosité chez l’enseignant impose une forme de désintéressement. L’enseignement est rémunéré, ses tâches et responsabilités sont définies. Toutefois, il n’y a pas de délimitation claire du temps de travail de l’enseignant et de ses horaires, ce qui fait que la limite n’est pas toujours claire et établie, mais plutôt fluctuante. 

Il y a donc par moments une forme d’abnégation dans le travail de l’enseignant, de don de soi. L’enseignant choisit généralement sa profession par intérêt, parce qu’il aime le contact avec les jeunes.

La générosité implique un certain désintéressement et se situe entre les extrêmes que sont l’égoïsme et la négation de soi.


De l’humilité


L’humilité pour l’enseignant est de deux ordres :
  • Accepter l’autre tel qu’il est malgré ses défauts. 
    • Les classes sont des mosaïques hétérogènes d’individus. 
    • L’enseignent a affaire à des élèves de toutes les conditions, de toutes les classes sociales, aux ethnies, religions et habiletés différentes. Il les accueille tous en n’étant pas complaisant aux caprices de chacun pour autant.
  • Agir en professionnel, c’est-à-dire tenir compte du savoir-faire et des approches validés par la profession, tout en tenant compte de son contexte spécifique. 
    • Cela consiste à adopter une autonomie professionnelle qui n’est ni centrée sur l’égo ni assujettie. L’enseignant n’est ni un exécutant ni ne possède une liberté pédagogique sans limites. 
    • Une profession implique la formalisation des savoirs et savoir-faire. La recherche permet d’identifier les bonnes pratiques qui seront ensuite partagées par tous les membres de ce corps professionnel. 
    • Un professionnel ne fait donc pas ce qu’il veut, il n’agit pas à sa guise, il doit travailler selon les codes et procédures établies par sa profession. 
    • L’autonomie du professionnel est d’une certaine manière une diminution de sa liberté et une augmentation de son expertise. Le professionnel est appelé à exercer son sens critique. 


De la douceur


La douceur correspond à l’importance d’agir avec une bienveillance teintée d’une certaine fermeté à l’égard des élèves. 

L’enseignant ne peut exercer adéquatement son travail sans établir de bonnes relations avec ses élèves. Ce contact qu’il établit avec eux lui permet de prévenir l’apparition de comportements inappropriés. 

Il ne peut cependant pas s’empêcher d’intervenir pour corriger un comportement inadéquat quand cela s’avère nécessaire. 

La douceur n’est donc pas assimilable au laisser-faire. 

L’intervention corrective se fait cependant sans haine, sans emportement, en plein contrôle de soi. La douceur se situe donc quelque part entre le laxisme et la dureté. 


De la sagesse et de la piété


L’enseignant se doit d’être un modèle pour ses élèves. Un attribut important de la situation pédagogique est celui de la visibilité. L’enseignant est constamment vu par ses élèves. Son comportement, ses attitudes, son langage, sa tenue sont interprétés, analysés, jugés par ses élèves et s’inscrivent dans une historicité. 

L’enseignant ne peut donc dire n’importe quoi ni se comporter n’importe comment. Il est en situation d’autorité, car mandaté par la société pour éduquer les enfants qui sont sous sa responsabilité. Il doit afficher une certaine posture, une exemplarité, qui témoigne de sa fonction d’éducateur, sans affectation ni hypocrisie. 

La manière cherche le moment favorable, l’intensité nécessaire, le geste approprié, la parole adéquate, l’agir raisonnable. La manière, non codifiable, jamais assurée, car on ne sait pas avec certitude ce qu’est le favorable, le nécessaire, l’approprié, l’adéquat, le raisonnable. La manière résiste à l’algorithme et à la procéduralisation. À travers la méthode (technique), il y a donc aussi une manière de pratiquer chacune des attitudes professionnelles (vertus). Cette manière est un sentiment délicat des nuances, fait de tact, de doigté, de finesse, de subtilité absolument, attitude fondamentale en enseignement. 



L'importance du tact pédagogique dans le cadre de l'expertise professionnelle


Le travail enseignant implique une composante relationnelle. Pour réussir sa mission d’instruction et d’éducation, l’enseignant doit non seulement entrer en relation avec ses élèves, mais aussi réussir à maintenir cette relation. Cela quoiqu’il advienne dans la complexité du réel, quand des décisions d’action doivent être prises urgemment.

Le tact pédagogique est un concept élaboré par Johann Friedrich Herbart (1776 - 1841). Une conviction de Herbart est que l’éducation et l’instruction ne peuvent être conçues séparément. De même, d’après Herbart, l’éducateur doit éviter d’avoir recours à la manipulation des sentiments de l’enfant. 

D’après Herbart, le tact pédagogique se situe précisément entre la théorie et la pratique :
  • Il n’est pas possible de déduire de la théorie ce qui doit être fait dans tel cas précis de la pratique. 
  • Nous ne pouvons nous fier davantage à l’expérience, car elle est forcément limitée aux cas rencontrés par un enseignant dans son contexte. L’expérience seule engendre forcément la routine au sens où elle est la répétition d’un éventail limité de solutions d’un même individu en réponse aux problèmes rencontrés dans sa situation. La pratique seule ne donne qu’une expérience extrêmement bornée.
  • Il faut s’appuyer sur autre chose, sur une sorte de moyen terme entre la théorie et la pratique. Le tact serait une faculté rapide de jugement et de décision qui constitue en quelque sorte le régulateur direct de la pratique. 
  • Le tact n’est pas infaillible. En tant que faculté rapide de jugement et de décision, il ne mobilise pas un processus délibératif qui nécessite d’analyser en profondeur le contexte. Ce processus de délibération exige trop de temps dans une situation où la décision doit être rapide. Le tact pédagogique permet de calibrer finement en temps réel l’action entre l’excès et le défaut, entre le trop et le trop peu.

Selon Herbert, le tact se forme par la pratique au sens où ce que nous apprenons dans l’action exerce une pression sur nos dispositions pour agir. L’apprentissage du tact se forme donc par pratique délibérée dans la mesure où elle est le mode d’apprentissage privilégié de l’expert.

L’expertise de l’enseignant lui permet de sentir les nuances d’une situation appartenant aux contextes qui lui sont familiers. Il doit être capable d’intervenir avec finesse tout en maintenant la relation avec les élèves afin que leur instruction et leur éducation puissent advenir. 

L’expertise professionnelle chez l’enseignant se construit à travers une connaissance approfondie de la matière qu’il enseigne et de la façon dont ses élèves apprennent et se comportent. Elle se développe à travers l’acquisition d’une palette de pratiques efficaces qu’il maitrise dans son contexte. Il acquiert pour ces pratiques une compréhension fine des différents paramètres, car il a eu l’occasion de les expérimenter auprès de différents groupes d’élèves à travers le temps.

L’enseignant construit à partir de cette base de connaissances, des dispositifs d’enseignement flexibles et adaptatifs. Lorsqu’il donne cours, il est attentif à différents signes qu’il récolte en vérifiant la compréhension où en étant vigilant face au comportement de ses élèves. Ces différentes sources d’information lui permettent d’anticiper et de piloter proactivement ses activités d’enseignement afin de les optimiser.  

Enseigner est une profession qui a une composante technique, identifiable à des pratiques pilotées et maitrisées pour atteindre une finalité. Nous ne nous improvisons pas enseignants.

À côté du développement d’une expertise pratique et théorique dans la gestion de son enseignement en classe, également liée à la profession d’enseignant, existe une autre dimension elle-même fondamentale. Elle correspond aux attitudes et aux valeurs qui animent les actions de l’enseignant et à travers lesquelles elles se traduisent. 

Attitudes et valeurs se manifestent dans les relations et la manière d’être dans les interactions. Elles se traduisent dans la gestion des émotions, dans le non verbal et dans le choix des mots. Elles se retrouvent dans la prise de responsabilité et dans le sens de l’éthique qu’exprime l’enseignant. Elles sont susceptibles d’avoir un impact important sur les élèves, mais également sur leur attitude en classe. 



Mis à jour le 27/12/2022

Bibliographie


Clermont Gauthier, Le Frère Agathon et la gestion de la classe, CRIFPE, 2015, https://youtu.be/uDcKb0wtG44

Bissonnette, S., Gauthier, C., & Castonguay, M. (2017). L’enseignement explicite des comportements. Pour une gestion efficace des élèves en classe et dans l’école. Montréal : Chenelière Éducation.

Gauthier, C. (2019). Le tact pédagogique. Formation et profession. 27 (3), 121-124.http://dx.doi.org/10.18162/fp.2019.a187. 

Gauthier, C. (2016). De la méthode et de la manière : les attitudes professionnelles à privilégier en enseignement. Revista Educação & formação, 1(2)

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