mardi 16 juin 2020

Du bon usage de l’analogie et des exemples en pédagogie

Le pouvoir de l’analogie provient de nos capacités de déduction. Elles nous permettent de trouver la similitude sous-jacente et plus abstraite entre divers instances, situations ou exemples concrets.

(Photographie : Pavel P.)



Trois avantages des analogies


Proposer des tâches où les élèves trouvent l’analogie entre plusieurs exemples présente divers avantages :
  1. Au niveau de l’apprentissage, elle améliore la compréhension et la mémorisation du concept ou du principe sous-jacent. 
  2. Au niveau du transfert et de la discrimination : elle augmente les chances que les élèves utilisent spontanément ce principe dans une situation nouvelle. 
  3. Au niveau des stratégies d’apprentissage : les élèves apprennent à utiliser un raisonnement analogique pour apprendre des concepts complexes à partir d’exemples.



Principe de fonctionnement des analogies


Chaque exemple possède des caractéristiques superficielles qui lui sont propres. Celles-ci font référence aux propriétés facilement perceptibles et immédiatement accessibles.

Par contre, les différents exemples dans le cadre d’une analogie possèdent la même structure profonde. La structure profonde fait référence aux relations entre les éléments. Elle possède une nature plus abstraite et échappe aux élèves dans un premier temps.

C’est la clé de l’utilisation des analogies pour apprendre : trouver le principe commun sous-jacent au-delà des différences superficielles qui nous sont directement perceptibles. C’est de là que provient le sens de l’expression : deux exemples valent mieux qu’un.



Procéder à des analogies à partir des connaissances préalables des élèves


Un premier type d’usage de l’analogie consiste à faire le lien avec des connaissances préalables qui peuvent appartenir à un autre registre, mais présentent certaines similitudes.

L’enseignant explique une idée nouvelle en faisant une analogie avec une idée plus familière. Cette forme d’analogie est particulièrement fréquence en sciences ou en mathématiques, chaque fois que l’on doit accéder à de nouvelles conceptions abstraites :
  • Par exemple pour faire comprendre la notion de réaction chimique, de molécule ou de mole en chimie, l’analogie est la voie adéquate. L’enseignant ni les élèves n’ont accès aux objets eux-mêmes que sont les atomes et les molécules. 
  • La même approche par analogie peut aider à aborder les notions de calcul d’aire par calcul intégral intégrale et de dérivée en mathématiques à partir des limites.
  • En géographie, une explication du fait que les couches de la terre sont comme les couches d’une pêche. 
  • En biologie, une analogie peut se faire entre la circulation sanguine et lymphatique et celle de la circulation automobile sur un réseau. 
  • En physique, une analogie évidente est celle entre la circulation du courant dans un circuit électrique avec le fonctionnement d’un chauffage central ou la circulation d’élèves dans les couloirs encombrés d’une école.

Au-delà d’être des outils pour favoriser les apprentissages, les analogies entre un élément familier et un élément nouveau, sont souvent le moteur de découvertes en sciences.

Découvrir spontanément une bonne analogie pour un concept que nous ne comprenons pas en profondeur peut être assez difficile. L’enjeu pour les enseignants est de fournir de bonnes analogies pour que les élèves puissent élaborer de nouvelles connaissances à partir de ce qu’ils connaissent déjà.



Déduire un concept abstrait de plusieurs exemples concrets par analogie


La deuxième façon d’utiliser les analogies est de fournir aux élèves deux exemples (ou plus) et de leur demander d’induire la structure sous-jacente. Cela s’avère extrêmement puissant pour l’apprentissage.


Il est plus utile que les élèves trouvent la structure analogue à partir de plusieurs exemples. Plutôt que de leur donner un seul exemple et de leur expliquer directement la structure. La première démarche assure un traitement cognitif signifiant et favorise l’établissement de connexions avec les connaissances antérieures.

Nous pourrions rétorquer en tant qu’enseignants qu’expliquer un principe à travers un modelage basé sur un seul exemple peut être un bon moyen d’aider les gens à saisir un concept.

Le problème est que saisir un concept ne signifie pas que les élèves savent quand l’utiliser ni que les connexions adéquates soient établies.

Une analogie unique suivie de l’exposé du principe peut ne pas très bien fonctionner. La raison est que les élèves n’ont pas appris l’éventail des variations qui pourraient apparaître pour ce principe particulier et risquent de n’en développer qu’une compréhension superficielle.

En voyant deux ou plusieurs exemples, l’élève comprend mieux que l’idée peut s’appliquer à de nombreuses situations. La variabilité des caractéristiques de surface est importante.



Le danger d'un transfert négatif lié aux analogies


Les analogies aident les élèves à distinguer la pertinence de la structure profonde face à la superficialité des éléments de contexte qui vont varier d’un exemple à l’autre. Souvent, les élèves se fient trop aux éléments de surface et peuvent passer à côté de la structure profonde.

Prenons un exemple un résultat d’une recherche qui a été menée par Brian H. Ross en 1984 :

Des étudiants ont appris des formules de probabilité, par exemple pour calculer des combinaisons et des permutations :
  • Les formules de combinaison ont été présentées de manière abstraite avec un exemple utilisant des voitures.
  • Les formules de permutation ont été présentées de manière abstraite avec un exemple utilisant des dés.

Les étudiants ont été soumis par la suite à un test comportant plusieurs problèmes classés en trois types :
  • Approprié : les problèmes utilisaient des contextes similaires à ceux des exemples antérieurs. Par exemple, les problèmes de combinaisons parlaient de voiture et ceux de permutation de dés.
  • Sans rapport : les problèmes présentaient des contextes différents de tous ceux rencontrés dans les exemples. Par exemple, cela pourrait être des problèmes sur des cartes, sur des mots ou des équipes sportives.
  • Inapproprié : les problèmes utilisaient des contextes similaires à deux des exemples, mais inversés. Par exemple, les problèmes de combinaisons parlaient de dés et ceux de permutation de voitures.

Les résultats obtenus ont été relativement prévisibles. Les réponses les plus correctes lorsque les rappels sont appropriés et les réponses les moins correctes lorsqu’ils sont inappropriés. Les questions sans rapport obtiennent un résultat intermédiaire.

Il n’est guère surprenant que l’utilisation de contextes proches des exemples favorise une utilisation appropriée du concept abstrait. Malheureusement, ils correspondent surtout à un apprentissage superficiel.

Une explication est que les élèves n’ont pas appris la structure profonde des combinaisons et des permutations. Lorsqu’ils ont dû trouver la formule à utiliser pour un problème, ils se sont appuyés sur l’objet du problème (les dés) comme repère.

Ils ont pensé à tort que les dés signifient qu’il s’agit d’une permutation. Dès qu’ils voient des dés mentionnés, ils optent pour une permutation.

Ce type d’erreur est appelé transfert négatif. Les élèves utilisent alors quelque chose qu’ils ont mémorisé, mais dans une mauvaise situation. Cela se produit souvent parce que les élèves n’ont pas appris à reconnaître la structure profonde du contexte du problème. Ils utilisent plutôt les caractéristiques de surface évidentes comme indice pour déterminer la stratégie à appliquer.

Ce sont plus les questions sans rapport qui manifestent un apprentissage réel. Les questions appropriées trichent en montrant la voie à suivre. Les questions inappropriées induisent volontairement en erreur.

Les résultats de l’expérience de Brian H. Ross (1984) montrent que la probabilité de répondre correctement à ce problème de test est variable. Elle est environ deux fois plus élevée lorsque le contenu du test est nouveau que lorsque le contenu du test a été utilisé comme exemple d’apprentissage pour un principe différent.

Il est difficile de voir comment un tel résultat pourrait se produire, à moins que les sujets n’utilisent l’exemple d’apprentissage précédent pour aider à décider comment résoudre le problème du test actuel.

Cette expérience démontre clairement que le contenu des exemples a influencé les réponses données par le sujet. Une implication est que confronter des élèves à des tâches qui en surface ressemblent identiquement à celles du cours, augmente artificiellement leur niveau de réussite sans pour autant constituer un indicateur fiable de leur apprentissage réel.



Favoriser le transfert positif par des analogies


Les analogies peuvent aider les élèves à effectuer un transfert positif.

Une conclusion certaine de l’étude de Brian H. Ross (1984) est qu’il est utile de varier le contexte des exemples et de ne pas arbitrairement relier sans raison spécifique certains contextes à certains concepts.

Dans le cadre de l’exemple ci-dessus, il aurait été plus judicieux d’utiliser le contexte des voitures et des dés à la fois pour la permutation et la combinaison. En procédant ainsi, on annule le risque de faire de fausses associations pour les élèves.

La logique de l’analogie aurait ainsi voulu que l’on donne à ces étudiants en statistiques des exemples de permutations en utilisant à la fois des dés et des voitures. L’enseignant leur aurait attiré leur attention sur ce que ces exemples ont en commun. Idem pour les combinaisons. Ensuite, l’enseignant aurait expliqué aux élèves les principes et les formules.

Il s’agit de vérifier si les élèves procèdent à un transfert positif favorisé par l’usage d’analogies. Pour cela, l’enseignant fournit aux élèves une tâche de transfert qui a la même structure profonde que les analogies, mais qui diffère en surface, mais sans leur dire de quelle application il s’agit. S’ils utilisent spontanément ce qui a été couvert dans les analogies, il est établi qu’ils ont compris et appris la structure profonde.

Le principal résultat de l’apprentissage par analogie est la capacité à transférer le concept clé à une nouvelle situation.

En ce sens, l’usage d’analogie contribue positivement au développement de facultés de discrimination essentielles à la résolution de problèmes.



Limites à l'usage des analogies


Il y a deux risques d’analogies :
  1. Les élèves peuvent ne pas être capables de faire l’analogie pour trouver la structure profonde, ou ils peuvent trouver une structure profonde qui n’était pas prévue par la sélection originale des exemples. Ce n’est pas un problème insurmontable. Même si les élèves ne saisissent pas l’analogie directement, une recherche guidée de la structure profonde peut les préparer à comprendre plus profondément le principe lorsqu’il leur sera modélisé explicitement par la suite.
  2. On peut avoir une mauvaise analogie. Les analogies peuvent ne pas être alignées avec précision. Elles peuvent introduire des idées fausses. 

Demander aux élèves de trouver leurs propres analogies peut sembler être une bonne idée à première vue. Le problème est que les élèves auront tendance à faire des analogies avec ce qu’ils savent déjà au lieu d’apprendre de nouveaux aspects de la structure profonde. L’analogie est un outil trop précieux pour l’apprentissage. Le rôle de l’enseignant est d’amener les meilleures analogies à tous pour optimiser leur apprentissage.

La compréhension du principe sous-jacent par les élèves, enchâssé dans de multiples exemples dissemblables, augmente de manière manifeste la probabilité que les élèves transfèrent spontanément ce principe à une nouvelle situation. Il s’agit là d’un objectif prioritaire de l’éducation : permettre aux élèves de prendre ce qu’ils apprennent à l’école et de l’utiliser en dehors de l’école.



Place des analogies dans un enseignement efficace


L’usage d’analogie au départ d’exemples dissemblables est un facteur clé d’efficacité de l’enseignement. Il facilite une compréhension profonde et abstraite des concepts abordés et la capacité de l’élève à les mobiliser dans une grande variété de contextes.

Présenter un seul exemple et énoncer d’emblée le concept abstrait auprès d’élèves risque d’être inefficace. Leur demander de générer leurs propres analogies l’est de même. Ces démarches sont susceptibles d’établir des connaissances superficielles, inadéquates ou peu transférables en dehors du contexte initial.

L’établissement d’analogies permet aux élèves de donner un sens à un nouveau concept en s’appuyant sur un concept familier, en tirant parti de leurs connaissances préalables. Parallèlement, l’enseignant vérifie la qualité de leurs nouvelles représentations et leur capacité de mobilisation dans le cadre d’exercices.

L’enseignant est un expert, il accède aisément à la nature abstraite des concepts de son domaine. Ce n’est pas le cas de ses élèves qui ont besoin de l’étayage fourni par des exemples et des analogies pour pouvoir les comprendre.

On ne peut travailler sans exemples, une définition abstraite, énoncée à l’aide d’un vocabulaire technique et académique, constitue une référence désirable. Bien que pointue, elle peut embrouiller la compréhension de certains élèves et leur empêcher de saisir le sens profond d’un concept.

L’utilisation d’exemples pour expliquer les concepts permet aux élèves de faire activement des déductions sur les points communs entre les exemples et, par déduction et extrapolation, d’avancer vers des appréciations nuancées et riches.

De même, les contre-exemples se révèlent incroyablement puissants pour promouvoir une réflexion approfondie et montrer les conditions limites dans lesquelles un concept est vrai.

L’utilisation d’exemples est très efficace pour les élèves et oblige les enseignants à apprécier avec humilité la nature des concepts, qu’ils doivent enseigner et la façon dont ils sont le mieux résumés et compris.



Mis à jour le 10/09/2022


Bibliographie


Daniel L Schwartz, Jessica M Tsang and Kristen P Blair, The ABCs of how we learn, 2016, Norton

Geoff Petty in Isabella Wallace and Leah Kirkman, Progress, 2017, Crown House

Ross, Brian. (1984). Reminding and their effects in learning a cognitive skill. Cognitive psychology. 16. 371–416. 10.1016/0010–0285 (84)90014-8.

Adam Boxer (edited by), Explicit & Direct Instruction, 2019, John Catt

2 commentaires:

  1. Avez-vous lu "Analogie" de Douglas Hofstadter ainsi que "Les metaphores" de Lakoff et Johnson.
    Pour finir, un livre qui a totalement changé ma façon de penser "la pertinence " de Sperber et Wilson
    Ne pas publier

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour, les deux premiers sont dans la liste à lire, mais pas encore entamés, et la troisième je ne connaissais pas encore donc, il va les rejoindre. merci.

      Supprimer