jeudi 21 mai 2020

Aspirations, attentes et réalisation de soi en matière d’éducation et d’orientation scolaire

Les aspirations et les attentes en matière d’éducation reflètent une différence fondamentale entre ce qu’un élève souhaite réaliser et ce qu’il s’attend de façon réaliste à réaliser.



(Photographie : François Bry)

Des chercheurs de l’Université de Bristol (Khattab, 2015) ont suivi 770 étudiants de plus de 640 écoles. Ils ont cherché à voir si leurs aspirations et leurs attentes avaient un impact sur leurs résultats au GCSE* et sur leur choix d’études supérieures.

*Le GCSE est équivalent d’un certificat général de fin d’études secondaires obtenu généralement vers 16 ans dans certains pays anglophones et sanctionnant la fin de l’enseignement général. Pour une bonne part du Royaume-Uni (Angleterre, Pays de Galles et Irlandre du Nord), c’est le niveau d’étude minimum pour pouvoir accéder à l’enseignement supérieur ou pour pouvoir prétendre à un emploi qualifié.



Distinguer les aspirations et les attentes des élèves


Les aspirations


Les aspirations reflètent les espoirs et les rêves des individus. Elles possèdent une dimension culturelle, personnelle ou familiale.

Les aspirations sont des déclarations abstraites ou des valeurs idéalistes et des croyances concernant les projets à long terme des élèves. Quels types d’études souhaitent-ils suivre, quelle carrière professionnelle visent-ils, ou quels types d’emplois souhaitent-ils occuper ?

Il est probable que pour une part les aspirations soient désengagées et en décalage avec la réalité socio-économique et scolaire des élèves. Elles peuvent être non pertinentes pour un élève même si elles lui donnent une direction générale. 

Elles recouvrent des questions d’orientation et sont susceptibles d’avoir une influence sur les attentes. Certaines aspirations peuvent amener à un désengagement des élèves comme d'autres peuvent stimuler son engagement.


Les attentes


Les attentes correspondent à ce que nous nous attendons à obtenir ou à atteindre de manière réaliste. Dès lors, elles sont généralement moins à long terme, plus concrètes et plus pratiques que les aspirations.

Les attentes sont des valeurs concrètes indiquant les réalités empiriques auxquelles les élèves sont confrontés. Elles traitent de la façon dont ils pensent qu’ils vont réussir en réalité, compte tenu de leur milieu socio-économique, de leurs résultats scolaires passés et actuels.

Elles comportent un élément d’évaluation de la probabilité qu’un événement, un comportement ou un résultat se produise. Elles sont déterminées en fonction des opportunités perçues au sein de la société.

Les attentes sont plus susceptibles que les aspirations d’être associées à la situation socio-économique et, à ce titre, constituent un meilleur indicateur de la réussite scolaire.

Dans certains cas et sous certaines conditions, aspirations et attentes peuvent converger avec la réalisation réelle, mais dans de nombreux autres cas, elles sont susceptibles de diverger et d’avoir une relation différente avec la réalisation de soi future.

Dans un contexte scolaire et dans le cadre des cours, les attentes des élèves sont une dimension plus proximale face au cadre scolaire. Un enseignant est susceptible d’avoir une influence concrète sur les attentes de nombreux élèves face à l’apprentissage dans son cours. 



Liens entre la réussite scolaire et des attentes et aspirations réalistes et élevées


Souvent, l’importance pour l’enseignant d’exprimer et de mettre en œuvre des attentes élevées pour ses élèves est mise en évidence. Il peut être également intéressant de prendre en compte le ressenti du point de vue de l’élève.

Les aspirations (à long terme) et les attentes (à court terme) des élèves dans un cadre scolaire sont mises en tension avec les résultats qu’ils obtiennent lors des évaluations successives. Ces résultats sont susceptibles de les influencer dans un sens ou dans l’autre.

Deux élèves peuvent se différencier en fonction de leurs aspirations et de leurs attentes :
  • Elles peuvent être plus ou moins élevées, ambitieuses ou faibles.
  • Elles peuvent être improbables ou réalistes.
Ces attentes et aspirations peuvent se retrouver confirmées ou infirmées, renforcées ou fragilisées par les résultats scolaires obtenus.

Concernant les attentes et les aspirations des élèves de 14-15 ans, l’étude de Khattab (2015) montre que : 
  • Plus de la moitié des élèves (58 %) ont à la fois des aspirations et des attentes considérées comme élevées. Ils parviennent à les convertir pour deux tiers d’entre eux en des résultats scolaires probants, qui les soutiennent.
  • À l’opposé, les élèves dont les aspirations et les attentes sont considérées comme faibles (42 %) obtiennent en général de moins bons résultats scolaires qui en confirment les tendances.
De manière évidente, le meilleur scénario pour un élève est d’avoir des attentes et des aspirations élevées, de les confirmer par ses résultats scolaires et d’avoir l’impression de le faire. 

Concernant les attentes et les aspirations des parents des élèves de 14-15 ans, l’étude de Khattab (2015) montre que : 
  • Il y a un fait intéressant qui concerne les élèves dont les parents s’attendaient à ce qu’ils aillent à l’université quand ils avaient 14-15 ans. Ceux-ci avaient 5 fois plus de chances de le faire que les élèves dont les parents ne s’y attendaient pas et ne démontraient que de faibles attentes pour eux.
  • Dans la plupart des cas, l’impact des attentes des parents (et des enseignants) sur les performances des élèves contribue à les améliorer. Il y a un bémol cependant. Si les attentes sont trop élevées et irréalistes, cela peut entraîner une augmentation du stress et de l’anxiété pour les élèves concernés.
De manière évidente, les parents ont intérêt à combiner des attentes et des aspirations élevées, mais réalistes, combinées à un soutien effectif.

L’étude de Khattab (2015) a observé les situations où sont croisées des attentes faibles avec des aspirations élevées. Ce sont des situations où les élèves ont des aspirations susceptibles de paraitre disproportionnées face à leurs résultats ou leurs attentes actuels :
  • Il n’y a pas d’impact négatif sur le comportement futur des élèves, lorsque les résultats scolaires engrangés sont bons. C’est-à-dire qu’il n’y aurait pas d’impact négatif lorsqu’un élève sous-estime ses résultats avec des attentes faibles, mais a des aspirations élevées et obtient de bons résultats scolaires.
  • Cependant, le fait d’avoir de grandes aspirations et de faibles attentes dans l’immédiat conduit souvent à de faibles résultats. Le fait d’avoir des aspirations élevées, mais de ne pas pouvoir les réaliser semble entraîner le ressentiment, la frustration et un retrait social des élèves.
En conclusion, il apparait par conséquent que les élèves gagnent à avoir des attentes et des aspirations élevées, cohérentes entre elles, mais réalistes. Dans tous les cas, leur concrétisation bénéficie du soutien des parents et des enseignants et de l’expression d’attentes élevées et réalistes de leur part. 



Cibler des interventions pour favoriser des attentes élevées chez les élèves qui manquent de confiance en eux


Dans son étude, Khattab (2015) montre qu’il est important d’avoir et de favoriser des aspirations et des attentes élevées chez les élèves. Celles-ci sont susceptibles d’influencer positivement les résultats, bien que pour autant le lien avec la réussite n’est pas assuré.

Différentes recherches montrent que la majorité des interventions en matière d’aspirations ne contribuent guère à améliorer le niveau de performance des élèves. Les aspirations peuvent sans doute aider les élèves à améliorer leurs résultats, mais elles auront beaucoup plus d’influence si elles s’accompagnent également d’attentes élevées.

Ainsi, les recherches sont beaucoup plus positives sur l’impact et le pouvoir prédictif des attentes élevées si elles sont combinées à des aspirations élevées.

Dans un cadre scolaire les attentes élevées sont une piste à privilégier pour soutenir l'apprentissage et le développement des élèves. 

Pour un élève, le fait d’avoir des attentes élevées envers soi-même aide à avoir la confiance nécessaire pour répondre correctement à un plus grand nombre de questions d’un test par exemple.

Dans ce sens, des recherches suggèrent qu’il est plus bénéfique de développer des attentes élevées au début de l’année scolaire ou au début d’un nouveau projet. Cela leur permet de les aborder sans idées préconçues ou négatives et avec un état d’esprit plus positif et propice.

Des interventions ciblant tous les élèves peuvent s’avérer infructueuses, car beaucoup d’entre eux ont déjà des niveaux élevés d’aspirations et d’attentes.

Les programmes ciblant certains élèves dont les aspirations et les attentes sont faibles donneraient probablement de bien meilleurs résultats pour le temps, l’énergie et le coût qu’ils exigeraient.

Une autre approche consisterait à travailler avec des élèves qui ont déjà des aspirations élevées, mais qui ont des attentes peu élevées.

Stimuler des attentes élevées pourrait correspondre à travailler la question de la motivation et des stratégies d’apprentissage qui permettent aux aspirations élevées de se transformer en meilleures notes. Il s’agit notamment de stratégies telles que la métacognition, l’autorégulation et les stratégies d’apprentissage efficaces comme l’espacement, la pratique de la récupération ou l’élaboration.



Influence du capital social sur les aspirations des élèves


La relation parent-enfant assure une transmission des valeurs et des normes culturelles familiales aux enfants. Elle façonne les aspirations de l’enfant, ses choix de carrière et sa propension à poursuivre ses études.

Le capital social de la famille peut s’avérer être une ressource importante dans l’élévation des aspirations scolaires, confirmant ou non les croyances des élèves dans leur capacité à réaliser leurs aspirations et, finalement, à atteindre leurs objectifs.

Les différentes classes sociales mettent l’accent sur des valeurs différentes, possèdent des niveaux de ressources et de capital humain différents et ont des styles parentaux différents.

Il ne suffit généralement pas d’avoir une bonne relation parent-enfant pour susciter les aspirations des élèves.

Pour que les parents puissent soutenir et aider à réaliser les aspirations élevées de leur enfant, ils doivent lui fournir les ressources et les compétences nécessaires.

Les parents défavorisés (par exemple, la classe ouvrière) ne possèdent pas toujours les connaissances ou les ressources nécessaires pour aider leurs enfants à convertir de hautes aspirations en actions et en réalisations futures.



Influence du capital culturel sur les aspirations et attentes des élèves


Le capital culturel est une ressource familiale par laquelle les classes dominantes tendent à influencer le processus de socialisation de leurs enfants, y compris une certaine éthique du travail et une orientation vers l’éducation et l’emploi.

Les classes ou les groupes qui ont différents niveaux et types de capital culturel façonnent différemment l’éducation des enfants et, par conséquent, facilitent différents niveaux de réussite scolaire.

Alice Sullivan (2007) a suggéré cinq façons différentes de présenter ces différences :
  1. La participation culturelle : 
    • Les parents qui exposent leur enfant à la culture, comme le théâtre ou l’art, l’initient à des idées abstraites. Cette démarche est cruciale pour la reproduction de l’avantage éducatif et professionnel. 
    • Empiriquement, cette démarche n’est pas fortement associée au niveau d’instruction, mais elle influencerait notamment le comportement en matière de lecture. 
  2. Transmission active des compétences et des connaissances : 
    • Les parents enseignent délibérément à leurs enfants, en leur faisant la lecture dans les premières années et, plus tard, en les encadrant dans les matières scolaires. 
    • Tous les parents ne sont pas également conscients du fait que ces formes d’aide sont attendues par l’école. 
    • En outre, la capacité des parents à aider efficacement leurs enfants sera en partie déterminée par leurs propres aptitudes scolaires. De cette manière, les parents transfèrent leurs valeurs concernant l’éducation.
  3. Transmission passive de compétences et de connaissances : 
    • Lorsque les enfants parlent à leurs parents et qu’ils entendent leurs parents se parler entre eux et avec d’autres membres de leur cercle social, ils acquièrent inévitablement des styles de discours et du vocabulaire. Cela les expose à des idées, des informations et des formes d’argumentation. 
    • Ces formes de transmission culturelle passive sont susceptibles d’être cruciales dans le développement du langage et des connaissances culturelles d’un enfant. 
  4. Attitudes, croyances et comportements : 
    • Les parents inculquent des attitudes et une éthique concernant le travail et l’éducation. 
    • Les parents peuvent inculquer à l’enfant un sentiment d’efficacité — en l’encourageant à se considérer comme capable d’apprendre et de réussir à l’école. 
    • Ces apports coïncident avec ce qui est encouragé et attendu par les écoles.
  5. Styles sociaux : 
    • En dehors des aptitudes scolaires, les écoles peuvent également récompenser certains styles et comportements sociaux. 
    • Si les habitudes de travail ont un impact sur la maîtrise des cours testés, elles ont également un impact important et indépendant sur les notes attribuées par les enseignants, indépendamment de la maîtrise des cours. 
    • Ainsi, les habitudes de travail sont récompensées deux fois. 

Les conséquences de cette socialisation différentielle sont que les élèves des classes dominantes possèdent une longueur d’avance. Celle-ci est susceptible de continuer à agir, influencer et orienter tout le long de la scolarité. De fait, ces élèves sont susceptibles d’être très performants et ont des aspirations et des attentes élevées grâce à leur capital culturel.

Les parents aux moyens plus modestes et qui manquent de capital culturel auront plus de mal à aider leurs enfants à développer une trajectoire sociale, économique et professionnelle différente et meilleure que le leur. Dans de nombreux cas, leurs désavantages socio-économiques se répercutent sur leurs enfants. De nombreux élèves issus de milieux socio-économiques défavorisés sont susceptibles de développer un profil dans lequel leurs aspirations, leurs attentes et leurs résultats scolaires réels sont soit mal alignés, soit alignés à l’extrémité inférieure.



Agir pour renforcer les attentes et les aspirations des élèves en contexte scolaire


Les élèves gagnent à avoir des attentes et des aspirations élevées, cohérentes entre elles, mais réalistes. Ils bénéficient de même de l’expression d’attentes élevées et réalistes et de soutiende leur part de leurs enseignants. 

Dès lors, en tant qu’enseignants, il peut être utile de prendre en compte à la fois les aspirations et les attentes de nos élèves lorsque nous examinons leurs performances scolaires.

Lorsque les aspirations et les attentes sont faibles, les résultats scolaires des élèves peuvent s'en retrouver fortement affectés. L'élève qui s'attend à rater et est pessimiste sur son futur augmente sa probabilité d'échec.

À l'opposé, le fait d’avoir des aspirations ou des attentes élevées semble avoir une influence positive sur la réussite scolaire.

Cela signifie que même si une seule des deux constructions (aspirations ou attentes) est élevée, les résultats scolaires peuvent toujours être affectés positivement. Cependant, il semble que les attentes élevées soient un facteur important sur lequel l'enseignant peut avoir un impact à travers l'auto-efficacité.

Pour un élève, le fait de conserver des aspirations et des attentes élevées a l’impact positif le plus important sur les résultats scolaires.

Ce qu’il faut en retenir également c’est qu’uniquement agir au niveau de la promotion des aspirations est insuffisant. En effet, la plupart des études n’ont trouvé aucune preuve solide que le fait d’élever les aspirations à long terme peut conduire à une meilleure réussite scolaire immédiate. C'est particulièrement vrai chez les familles les plus pauvres et les plus défavorisées.

Cette élévation des aspirations ne peut se faire que si on commence par agir au niveau des attentes. Il s’agit dès lors de doter les élèves disposant d’attentes faibles et régulièrement originaires de familles pauvres et défavorisées, des compétences nécessaires. Il s’agit de répondre à leurs besoins d’apprentissage et en améliorant l’information et les opportunités qu’ils reçoivent.

Ces mesures et interventions supplémentaires (au-delà de l’augmentation des aspirations) peuvent conduire à un niveau plus élevé d’attentes et d’auto-efficacité, qui à son tour contribue à améliorer les performances scolaires.


Mise à jour le 28/08/2022

Bibliographie


Busch, Bradley. The Science of Learning (p. 9). Taylor and Francis.

Khattab, Nabil. (2015). Students’ aspirations, expectations and school achievement: What really matters? British Educational Research Journal. 41. 731–748. 10.1002/berj.3171.

Sullivan, A. (2007) Cultural capital, cultural knowledge and ability, Sociological Research Online, 12 (6): article 1. doi:10.5153/sro.1596.

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