lundi 13 avril 2020

Cinq structures et fonctions à la base de la théorie de la charge cognitive

La théorie de la charge cognitive s’intéresse principalement aux informations biologiquement secondaires et à la façon dont elles sont acquises. Celles-ci ne peuvent bénéficier d’un apprentissage adaptatif, mais nécessitent avant tout un apprentissage scolaire éventuellement accompagné d’une pratique délibérée au fur et à mesure que l’expertise s’installe.


(Photographie : Chris Fagerlund)



Ces informations biologiquement secondaires sont traitées, stockées et utilisées selon une architecture cognitive spécifique.

John Sweller (2019, 2021) la décrit par cinq structures et fonctions de base qui offrent une vision d’ensemble des fondements de la théorie de la charge cognitive. 

En voici une synthèse :



1) Génération d’informations nouvelles pendant la résolution de problèmes


Elle correspond au principe du hasard comme fonction de genèse. 

La méthode la plus efficace pour obtenir des informations est de le faire, soit directement de la part d’autres personnes, soit par des médias (livre ou document multimédia).

Cependant, il arrive que ces informations ne soient pas disponibles :
  • Soit parce qu’elles ne sont pas accessibles
  • Soit parce qu’elles n’ont pas encore été inventées.
Dans ces circonstances, la résolution de problèmes peut constituer une voie alternative. Ce principe explique comment l’information est d’abord générée. Nous devons utiliser nos connaissances préalables pour générer nous-mêmes des informations pendant la résolution des problèmes.

Toutes les stratégies de résolution de problèmes consistent en un amalgame de deux éléments :
  • Des connaissances préalables que nous utilisons autant que possible pour résoudre les problèmes
  • La génération aléatoire et sa vérification :
    • Nous devons générer au hasard des tentatives de résolution de problèmes et en tester l’efficacité. 
    • Nous la mobilisons si les connaissances ne peuvent pas être utilisées pour générer une action de résolution de problèmes. 
    • Nous n’avons pas d’autre choix que de générer une action au hasard et de la tester pour en vérifier l’efficacité.
Il n’est pas nécessaire de nous enseigner formellement cette procédure, car elle est biologiquement primaire. Nous avons évolué pour utiliser de telles stratégies générales de résolution de problèmes.

La génération aléatoire et la vérification peuvent fonctionner, mais ils sont lents et inefficaces par rapport à l’obtention d’informations pertinentes auprès d’une autre personne.

Dans les contextes d’enseignement, cette fonction ne doit pas être utilisée comme substitut à la fourniture explicite et directe d’informations aux apprenants. Elle réduit l’apprentissage lorsqu’elle est utilisée pendant l’apprentissage par la découverte.

Le fait que le caractère aléatoire comme principe de genèse soit utilisé dans des activités importantes telles que la recherche scientifique ne justifie pas son utilisation lorsque l’information peut être facilement empruntée à d’autres.

La résolution de problèmes n’est utile que lorsque nous n’avons pas d’autre accès à des solutions de problèmes.



2) Obtenir des informations nouvelles auprès d’autres personnes


Il s’agit du principe d’emprunt et de réorganisation. 

C’est une méthode beaucoup plus efficace que la résolution de problèmes pour obtenir de nouvelles informations.

Il explique comment les connaissances sont acquises de manière optimale par des apprenants.

Les êtres humains ont évolué pour acquérir des connaissances, y compris des connaissances biologiquement secondaires, auprès d’autres êtres humains. Il s’agit d’une compétence biologiquement primaire. Il n’est pas nécessaire d’enseigner l’emprunt et la réorganisation des connaissances des autres, car ces compétences sont biologiquement primaires.

La plupart des informations acquises et stockées dans la mémoire à long terme sont empruntées à la mémoire à long terme d’autres personnes :
  • Nous imitons les autres, nous écoutons ce qu’ils disent et nous lisons ce qu’ils écrivent. 
  • Une fois que l’information est acquise auprès d’autres personnes, nous la réorganisons en utilisant des informations précédemment stockées dans notre mémoire à long terme. 
Nous sommes l’une des rares espèces à avoir évolué pour à la fois :
  • Présenter des informations aux autres individus de notre espèce
  • Acquérir des informations auprès d’eux.
En tant qu’espèce, nous sommes meilleurs que quiconque pour obtenir des informations les uns des autres. Notre capacité inégalée à obtenir des informations les uns des autres est probablement l’une des principales raisons de notre succès en tant qu’espèce. 

C’est le moyen le plus efficace d’obtenir de nouvelles informations et il devrait être privilégié dans les contextes éducatifs. L’enseignement devrait faciliter ce processus par une organisation appropriée des connaissances, par voie écrite, orale ou visuelle.

Le processus est supposé être constructif, avec de nouvelles informations schématiques réorganisées par l’apprenant sur la base des informations présentées. 

La théorie de la charge cognitive a été conçue pour favoriser la réalisation de cet objectif de transfert de connaissances efficace et efficient entre des personnes.



3) La mémoire de travail lors du traitement d’informations nouvelles


Il s’agit du principe des limites étroites du changement.

Une fois obtenue de l’environnement externe, l’information nouvelle est traitée par une mémoire de travail dont la capacité et la durée sont très limitées. Nous avons besoin d’une structure qui limite le nombre d’éléments d’information que nous pouvons considérer en même temps. Après leur perception, les informations nouvelles obtenues de l’environnement extérieur sont d’abord traitées par la mémoire de travail.

Le principe des limites étroites du changement indique que le problème d’un nombre excessif de possibilités générées de manière combinatoire est géré par notre système nerveux par une limitation. Il est évité par une mémoire de travail qui est limitée à la fois en capacité et en durée lorsqu’elle traite des informations nouvelles.

Les informations peuvent être obtenues :
  • Soit auprès d’autres personnes par la fonction d’emprunt et de réorganisation 
  • Soit pendant la résolution de problèmes par la fonction de génération aléatoire et de vérification.
Une fois traitées, si elles sont potentiellement utiles par la suite, elles peuvent être stockées dans la mémoire à long terme.

Lorsqu’il s’agit d’informations nouvelles, cette structure se caractérise par sa capacité et sa durée très limitées. La mémoire de travail ne peut pas traiter plus de 3 ou 4 informations à la fois et ne peut pas être conservée sans répétition pendant plus de 20 secondes environ.

Il convient de noter que ces limites ne s’appliquent qu’aux informations nouvelles et non aux informations familières extraites de la mémoire à long terme,

La mémoire de travail est au cœur de la théorie de la charge cognitive.

Les limites de la mémoire de travail expliquent pourquoi il est si difficile de générer de nouvelles informations par la résolution de problèmes et pourquoi l’efficacité est si grande lorsque nous obtenons des informations d’autres personnes. Les procédures d’enseignement qui ignorent cette structure sont susceptibles d’être inefficaces.



4) Stockage des informations nouvelles dans la mémoire à long terme


Il s’agit du principe du stockage de l’information. 

Les informations qui ont été traitées par la mémoire de travail peuvent être transférées pour être stockées de façon permanente dans la mémoire à long terme en vue d’une utilisation ultérieure. La mémoire à long terme n’a aucune limite connue de capacité ou de durée.

Pour fonctionner, les systèmes de traitement naturel de l’information ont besoin d’un énorme stock d’informations. La mémoire à long terme fournit ce stockage pour les connaissances primaires et secondaires dans le cas de la cognition humaine.

La capacité de stocker des informations dans la mémoire à long terme est une compétence biologique primaire qui n’a pas besoin d’être enseignée. Une conséquence immédiate est que nous n’avons pas besoin d’apprendre à apprendre, mais d’acquérir des stratégies spécifiques.

Savoirs et savoir-faire sont stockés sous forme de schémas cognitifs au sein de la mémoire à long terme.

La connaissance est le moteur de la performance intellectuelle. Par conséquent, l’acquisition de connaissances a un rôle central dans notre capacité à résoudre des problèmes :
  • Les échecs sont un jeu de résolution de problèmes.
  • Dans le cadre de la recherche sur les experts dans le jeu d’échecs, la seule différence évidente entre les joueurs plus habiles et les moins habiles était leur connaissance d’un grand nombre de configurations d’échiquiers. 
  • Un bon joueur d’échecs a appris à reconnaître les configurations de l’échiquier et les meilleurs coups qui y sont associés.  
L’aptitude à résoudre des problèmes peut être entièrement expliquée par des connaissances biologiquement secondaires, spécifiques à un domaine, et conservées dans la mémoire à long terme.

Les procédures d’enseignement doivent mettre l’accent sur l’acquisition de connaissances.

Une performance habile dans n’importe quel domaine complexe nécessite la mémorisation de dizaines de milliers d’états problématiques et des meilleurs mouvements pour chaque état.

La taille énorme de la mémoire à long terme compense les limites de la mémoire de travail. Les différences d’expertise dans un domaine donné sont dues à des différences dans le contenu de la mémoire à long terme. Le but ultime de l’éducation est d’augmenter le contenu de la mémoire à long terme.



5) Transférer des informations familières de la mémoire à long terme à la mémoire de travail pour régir une action appropriée


Il s’agit du principe d’organisation et de liaison de l’environnement.

La mémoire de travail ne traite pas seulement les nouvelles informations obtenues par les sens, elle traite également les informations familières qui ont été stockées dans la mémoire à long terme.

Les signaux provenant de l’environnement déclenchent le transfert d’informations appropriées de la mémoire à long terme vers la mémoire de travail. Ces informations peuvent ensuite être utilisées pour générer une action appropriée à l’environnement.

Alors que la mémoire de travail est limitée lorsqu’il s’agit d’informations nouvelles en raison des processus aléatoires associés au traitement de nouvelles informations. Il n’est pas nécessaire de la limiter lorsqu’il s’agit d’informations précédemment organisées provenant de la mémoire à long terme. Il n’y a pas de limites connues lorsque la mémoire de travail traite des informations organisées et familières transférées depuis la mémoire à long terme.

Lorsqu’elle est activée par des signaux environnementaux appropriés, la mémoire de travail peut :
  • Transférer de grandes quantités d’informations automatisées à partir de la mémoire à long terme à la mémoire de travail sans surcharger cette dernière.
  • Maintenir ces informations actives dans la mémoire de travail pendant des périodes indéfinies
  • Permettre ainsi la génération d’actions appropriées à cet environnement. 
Cette fonction de la mémoire de travail lors du traitement d’informations familières stockées dans la mémoire à long terme fournit la justification ultime du système cognitif et explique l’importance de l’éducation. Par conséquent, l’un des principaux objectifs de l’enseignement est d’aider les apprenants à accumuler les grandes quantités de connaissances et de compétences secondaires dans la mémoire à long terme pour les utiliser ultérieurement.

Nous sommes transformés par notre capacité à rassembler de grandes quantités d’informations transférées de la mémoire à long terme à la mémoire de travail. Ces grandes quantités d’informations provenant de la mémoire à long terme peuvent être conservées indéfiniment dans la mémoire de travail, ce qui nous donne la possibilité de mener des actions que nous ne pourrions pas envisager autrement. Notre capacité à accéder et à traiter sans effort et de manière appropriée d’énormes quantités d’informations automatisées et biologiquement secondaires explique les effets transformateurs de l’éducation.

Cette double nature de la mémoire de travail est au cœur de la théorie de la charge cognitive. Elle est très limitée lorsqu’il s’agit d’informations nouvelles provenant de l’environnement. Elle est illimitée lorsqu’il s’agit d’informations organisées provenant de la mémoire à long terme. Elle suggère que les informations, en particulier les informations complexes, doivent être présentées aux apprenants de manière à minimiser la charge de la mémoire de travail. Elles doivent maximiser le stockage dans la mémoire à long terme en vue d’une utilisation ultérieure, car la mémoire de travail peut traiter beaucoup plus d’informations provenant de la mémoire à long terme que du monde extérieur.

Nous traitons les schémas en mémoire à long terme :
  • Soit de manière contrôlée :
    • Le traitement contrôlé des schémas consomme la capacité de la mémoire de travail.
  • Soit de manière automatique :
    • Les schémas automatisés ne sont pas traités en mémoire de travail et ce n’est qu’après la pratique que l’automatisation peut avoir lieu. 
L’automatisation des schémas a pour effet de réduire la charge de la mémoire de travail. L’acquisition et l’automatisation des schémas sont toutes deux nécessaires à un apprentissage efficace. 



Implications pédagogiques de l’architecture cognitive humaine 


Ces cinq fonctions et structures de l’architecture cognitive constituent la base des procédures de conception pédagogique utilisées par la théorie de la charge cognitive.

La fonction principale de l’instruction est de modifier le contenu de la mémoire à long terme.

Une fois modifiée, cette information peut être transférée à la mémoire de travail, transformant la capacité des apprenants à fonctionner dans un environnement particulier.

Elle nous rend capables de tirer un sens d’un texte imprimé, de résoudre sans effort des problèmes mathématiques, de rouler à vélo ou en voiture sans y penser.

Avant d’atteindre cet état, des informations nouvelles, biologiquement secondaires, doivent être transférées de l’environnement à la mémoire à long terme par une mémoire de travail très limitée.

Faciliter ce processus est la fonction principale de la théorie de la charge cognitive.





Mis à jour le 11/09/2024

Bibliographie


Sharon Tindall-Ford, Shirley Agostinho, John Sweller, Advances in Cognitive Load Theory: Rethinking Teaching, pp3-5, 2019, Routledge

Kirschner, P. A., Sweller, J., Kirschner, F. et al. From Cognitive Load Theory to Collaborative Cognitive Load Theory. Intern. J. Comput.-Support. Collab. Learn 13, 213–233 (2018). https://doi.org/10.1007/s11412-018-9277-y

John Sweller, Why Inquiry-based Approaches Harm Students’ Learning, Analysis Paper 24 August 2021, Centre for Independent Studies

Leahy and Sweller (2011). Cognitive load theory, modality of presentation and the transient information effect. Applied Cognitive Psychology, 25, 943–951. 

Wayne Leahy; John Sweller. (2008). The imagination effect increases with an increased intrinsic cognitive load. , 22(2), 273–283. doi:10.1002/acp.1373

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