lundi 23 mars 2020

Recopier n’est pas apprendre

Pour certains élèves, étudier consiste pour une part non négligeable à recopier son cours au propre ou à copier et rédiger des synthèses. Lorsque leur temps d’étude se résume à ses approches, leurs résultats risquent de ne pas être au rendez-vous.

(Photographie : Édouard Sepulchre)


Ne pas confondre le fait d’être physiquement actif et d’être cognitivement actif


Une confusion commune chez bon nombre d’élèves est que le fait d’être actif face à un cours suffit pour l’apprendre. Une technique d’étude prisée par bon nombre d’élèves consiste à copier, puis recopier leurs cours, ou de manière plus spécifique les formules, les définitions, les exemples de résolution d’exercices, les démonstrations, etc. Leur idée est de la faire jusqu’à ce que ça rentre.

De même, cette approche est le corollaire d’activités souvent typiques, promues par certains enseignants. Il s’agit que les élèves bougent, manipulent ou passent d’un format d’information à un autre, mais en réalité cette activité se résume parfois à retranscrire des informations échantillonnées, sans réellement les traiter en profondeur.  

Entre les deux, le point commun est la confusion entre être physiquement actif et être cognitivement actif d’une manière pertinente ou générative pour l’apprentissage.

Le fait de manipuler les contenus d’un cours n’implique pas forcément une réflexion de fond et l’activation des mécanismes utiles à la mémorisation. Ce sont deux dimensions différentes. Lors de l’apprentissage, c’est le fait d’être cognitivement actif qui compte. Les manipulations physiques doivent être au service d’un apprentissage génératif.



Deux questions préalables à se poser avant la mise en activité en pratique autonome ou coopérative


Lorsque des élèves sont engagés dans une activité ou dans l’exécution d’une stratégie d’apprentissage, que ce soit de manière autonome ou coopérative, deux questions méritent d’être posées :
  1. Quelles ressources mentales ou physiques sont mobilisées par les élèves ? 
    • Dans quelles actions s’engage l’élève ? 
    • Quels sont les éléments qui constituent le goulot d’étranglement du processus ?
  2. À quel point est-ce que les ressources sont utilisées effectivement pour un traitement cognitif de l’information, un processus génératif susceptible d’aboutir à un apprentissage ? 
    • Y a-t-il une sélection d’informations, un traitement et un processus d’organisation des nouvelles connaissances ?
    • L’élève est-il engagé dans une récupération et une élaboration qui suscitent la création de liens avec leurs connaissances préalables et le développement de schémas cognitifs ?  



L’acte de recopier, une facilité non désirable


Pour certains élèves, quand ils se mettent à étudier pour se préparer à une évaluation, il peut sembler rassurant de recopier ses notes de cours plus proprement, ou des résolutions d’exercices faits précédemment en classe. Cela leur donne l’impression de clarifier les contenus et de mieux visualiser les démarches et les procédures. S’il peut y avoir un certain impact sur la compréhension, il est superficiel. S’il peut y avoir un impact sur l’apprentissage, il est minime et surtout aléatoire. En réalité, il s’agit souvent et avant tout d’une mauvaise utilisation par ces élèves de leur temps disponible.  

Un élève peut recopier une information sans l’organiser ni la transformer en profondeur. Il peut se contenter de la sélectionner et de la transcrire avec une légère remise en forme. Les liens entre les contenus et certaines dimensions implicites essentielles risquent de leur échapper. Cette pratique n’est pas une difficulté désirable, elle ne permet pas d’apprendre véritablement. Elle n’est réellement utile que lorsque nous nous entrainons à écrire dans les premières années du primaire et qu’il reste énormément à apprendre du point de vue de l’orthographe. 

Quand nous recopions, seule la boucle phonologique de sa mémoire de travail est sollicitée. Nous retenons temporairement quelques informations fragmentaires en nous les répétant le temps de les transcrire. Après, elles s’évanouissent. Généralement, il n’y a pas de réels échanges avec des connaissances préalables en mémoire à long terme. Une fois la transcription exécutée, l’information est effacée, aucun lien n’a été créé, rien n’a été stocké.

Le goulot d’étranglement est avant tout physique, notre attention est détournée de l’apprentissage. Elle sera à recopier et à mettre en forme sur le papier les informations ou à les taper sur le clavier de son ordinateur.

Une première preuve est que recopier un cours ou une partie de celui-ci, par exemple sous forme d’une synthèse, est bien plus agréable et n’est pas moins fonctionnelle lorsque nous l’accompagnons d’un fond musical. Cela montre que le goulot d’étranglement ne se situe pas du tout au niveau du traitement cognitif de la mémoire de travail, mais au niveau de l’action physique.

L’utilisation de la boucle phonologique nous donne la capacité de copier mécaniquement sans réfléchir, sans traitement de l’information et sans échange avec la mémoire à long terme. Nous ne nous intéressons que temporairement et superficiellement aux contenus, avant de les oublier rapidement une fois qu’ils sont copiés. La boucle phonologique est une partie de la mémoire de travail qui fonctionne comme un système de répétition. Nous l’utilisons notamment pour nous souvenir d’un numéro de téléphone ou d’un mot de passe le temps de l’encoder. Celle-ci peut répéter et conserver l’information le temps qu’elle soit recopiée ou utilisée, mais n’implique aucun échange de sens, aucune récupération ou élaboration avec la mémoire à long terme.

La conséquence directe et brutale est qu’aucun apprentissage n’aura lieu. 

Une autre preuve est que régulièrement après avoir pris des notes, lorsque nous y revenons quelques jours plus tard et que nous les relisons, nous pouvons ne plus savoir exactement ce à quoi elles se rapportent exactement. Nous pouvons avoir le sentiment de les redécouvrir, preuve qu’aucun réel apprentissage n’a eu lieu.

En effet, tout apprentissage demande un traitement cognitif et des échanges répétés, cycliques et espacés dans le temps, entre mémoire de travail et mémoire à long terme. Celui-ci permet d’activer un processus d’élaboration, de stockage et de récupération autour des nouvelles informations et de création de liens avec des connaissances préalables.



L’ambiguïté entre préparer le terrain et procrastiner dans l’acte de recopier comme stratégie d’apprentissage


Le fait de prendre des notes, de mettre en évidence les liens, de structurer et de reformuler, est une part essentielle de l’organisation des supports destinés à soutenir l’apprentissage.

 En tant que technique, le fait de copier ou de recopier se limite souvent à une prise de note, à la création d’une trace écrite disponible pour une utilisation et un apprentissage futur. La préparation de flashcards ou de résumés Cornell passe par là. 

Le seul intérêt d’une prise de note au niveau de l’apprentissage tient au traitement de l’information que cela peut générer. S’il s’agit d’une simple transcription d’informations déjà disponibles dans un livre, l’intérêt est limité.

En ce sens, copier est bien plus une préparation à l’apprentissage qu’un apprentissage effectif. Nous nous trouvons dans une problématique voisine à celle de la relecture ou du surlignage au marqueur fluorescent. La relecture sert à mieux comprendre plutôt qu’à apprendre. Surligner au marqueur fluorescent est une mise en évidence susceptible de faciliter un apprentissage futur. Mettre un cours en ordre, le compléter, le structurer est une préparation à l’apprentissage, mais ne fait pas partie de l’apprentissage en tant que tel.

Certains élèves passent un temps conséquent à remettre leurs cours en ordre. Ils les recopient ou en soulignent une bonne part de différentes couleurs fluorescentes. Ils rédigent des synthèses ou préparent des flashcards.

Tout cela dans un certain sens pourrait être assimilé à une forme de procrastination. C’est une manière de retarder la phase concrète de l’étude et la récupération espacée qui sont plus exigeantes. C’est une manière de reculer les difficultés tout en se donnant bonne conscience. Ils passent du temps à « étudier », ils font des efforts, mais là où ça coince c’est qu’ils n’utilisent pas les meilleures stratégies pour consolider des apprentissages.

Le simple fait d’être assis à son bureau et de passer du temps sur ses cours à recopier n’est pas une preuve d’apprentissage. Cela peut être une façon pour l’élève de se rassurer, mais c’est aussi une manière de se leurrer.

Prendre note en classe est intéressant pour compléter un cours, cerner les essentiels et surtout pour maintenir l’attention, mais ne garantit à nouveau pas un apprentissage. Si la démarche doit se faire, elle doit se réaliser tôt dans le processus pour laisser une large place à une pratique de récupération distribuée qui, elle, est fondamentale pour l’apprentissage.



Le modèle erroné de l’attractivité dans les pratiques pédagogiques constructivistes


Un mythe pédagogique courant est de croire, que lorsqu’un enseignant met ses élèves en activité et les faire manipuler des contenus, ils apprennent activement. L’apprentissage serait assuré dès que l’enseignant suscite leur intérêt et leur engagement à travers des démarches ludiques, coopératives ou créatives.

En réalité, rien n’est moins sûr. Il s’agit d’un modèle erroné de l’apprentissage. Être engagé dans une activité d’apprentissage ne garantit en rien un traitement cognitif signifiant.

Un premier exemple consiste à donner un dossier de lecture à des élèves avec un questionnaire à la clé. Les élèves lisent les documents à la recherche des réponses. Ils recopient alors certains passages des textes en les reformulant en partie. Souvent, un enseignant propose cette activité sous forme d’un travail de groupe, avec pour résultat que les élèves vont se répartir les questions puis s’échanger leurs réponses qu’ils recopieront.

Si l’activité se limite à cela, il y a peu de chances que cela génère un apprentissage. Les élèves risquent de trianguler. Ils vont lire en diagonale pour repérer des termes clé et à partir de là débroussailler pour déterminer la réponse. Il ne s’agit pas pour eux de lire et comprendre l’ensemble, même s’il s’agit du vœu pieux de l’enseignant. Ils vont essentiellement mettre en œuvre une stratégie moyens-fin afin de trouver des réponses coûte que coûte. Dans cette perspective, il n’y a pas réellement de traitement de l’information.

Ce genre d’activité n’est donc pas à promouvoir et à utiliser pour de nouveaux contenus. Elle est intéressante en fin de phase d’apprentissage, car à ce moment elle va permettre de poser des questions qui vont exiger une lecture attentive et un traitement fouillé des informations. Nous pouvons demander à nos élèves de justifier ou d’argumenter.

S’il s’agit d’une première phase d’enseignement, il vaut mieux que l’enseignant guide et fasse un modelage des nouveaux contenus comme le préconise l’enseignement explicite. S’il accompagne cette démarche d’une vérification de la compréhension fouillée et d’une pratique guidée, le résultat en matière d’apprentissage sera nettement plus élevé.

Un deuxième exemple classique consiste à demander dans le cadre du cours de biologie aux élèves, constitués en groupe, de réaliser une maquette de cellule animale ou végétale en trois dimensions et correspondant à toute une série de consignes.



Intuitivement, la démarche semble intéressante, en réalité les élèves vont surtout être préoccupés par des contraintes techniques et esthétiques. Les contenus conceptuels biologiques vont malheureusement circuler sur le siège passager et constituer une contrainte annexe plutôt que la préoccupation centrale. De plus, la réalisation d’une maquette est plus un objectif artistique que scientifique en fin de compte. Tout le temps passé à réaliser la maquette ne l’est pas à pratiquer, à récupérer et à appliquer les contenus.

Un troisième exemple similaire dans le cours de biologie, consiste à demander à des élèves de représenter et légender un tube digestif à l’aide des marqueurs de différentes couleurs sur un t-shirt blanc.



 De nouveau, l’essentiel du temps sera utilisé pour dessiner et colorier, il y a peu d’apprentissage génératif. Il s’agit essentiellement de retranscrire des informations. Le t-shirt représentant un tube digestif est une bonne idée, mais demander aux élèves de le faire l’est moins. Il pourrait être plus productif en matière d’apprentissage qu’ils disposent d’un t-shirt représentant un tube digestif. Il s’agirait alors de le légender ou de répondre à des questions de réflexion ou de récupération à partir de celui-ci.



Prendre des notes, la première phase d’un traitement cognitif générateur d’apprentissages


Il est important que les enseignants puissent bien analyser et identifier quels types d’activités et quelles stratégies sont susceptibles de générer un apprentissage pour leurs élèves, dans quelles conditions et à quels moments. De cette manière, ils sont bien à même de guider, d’informer et de conseiller leurs élèves. 

L’enjeu est d’éviter le gaspillage des ressources limitées de leurs élèves, en temps et en attention. Nous voulons éviter que les élèves soient dans des situations ou leur activité est surtout occupationnelle ou détournée par différents éléments distracteurs. Ces conditions ne sont pas optimales et ne permettent pas aux élèves d’assurer un engagement cognitif et de générer un traitement de l’information suffisant pour soutenir l’apprentissage.

Recopier directement des informations, que ce soit en classe ou à domicile, peut aider à rester engagé, mais cela n’apportera, en tant que tel, que peu de valeur ajoutée en matière d’apprentissage. Le fait de retranscrire des informations sans les traiter (reformuler, synthétiser, élaborer ou relier) se contente d’activer la boucle phonologique de la mémoire de travail. Une telle démarche n’est pas propice à l’apprentissage. La mémoire à long terme n’est que peu sollicitée, alors qu’elle est centrale pour l’apprentissage.

Nous n’avons pas d’alternative, il nous est impossible d’apprendre efficacement si nous nous trouvons dans un mode de pilotage automatique. Un signe du fait que nous passons en pilotage automatique est d’avoir tendance à être envahi par des pensées contrefactuelles qui font dériver notre attention sur d’autres sujets. Dès lors, si nous pensons régulièrement à des sujets extérieurs aux contenus d’un cours, tout en prenant de notes, il n’y a probablement que peu d’apprentissage effectif en cours. 

Dès qu’un élève pense qu’en recopiant simplement son cours ou des résolutions d’exercices, il pourrait faire entrer l’information en mémoire sans plus d’effort, il fait fausse route. Il est beaucoup plus efficace et utile d’éviter de simplement recopier et de plutôt s’engager activement dans un traitement actif par récupération et par élaboration de la matière elle-même.

Pour apprendre, nous devons toujours privilégier un traitement cognitif actif et approfondi de l’information qui inclut des récupérations en mémoire à long terme. Il est primordial que les élèves reformulent les contenus, restructurent, synthétisent, appliquent, récupèrent, élaborent et fassent des liens avec leurs connaissances préalables. De cette manière, l’impact est plus approfondi et prépare le chemin vers un apprentissage durable et flexible.

Toutefois, il convient de respecter une progressivité dans les apprentissages. Les élèves doivent se familiariser avec le vocabulaire, avec la notation, comprendre les concepts et l’utilisation des procédures. Pour cette phase d’initiation et de compréhension, le fait d’écrire est important, copier et apprendre par cœur certains éléments de base est fondamental. En tant que support de cours, pour un enseignant, fournir aux élèves des notes à compléter, qui structurent d’emblée l’information, représente l’option la plus efficace en classe pour soutenir cette phase. 

De même, nous ne pouvons directement demander aux élèves d’élaborer et de reformuler à propos de nouvelles connaissances. Après la modélisation par l’enseignant, celui-ci débute par des questions de reconnaissance, puis une fois le stockage assuré en mémoire à long terme, il peut passer à des questions de récupération et d’application. Une fois celle-ci bien engagée, le travail de consolidation peut démarrer et celui-ci procède par des questions d’élaboration et de transfert autour des connaissances, dans le cadre d’un dialogue formatif.



Mise à jour le 28/07/2024


Bibliographie


Jonathan Firth, How to Learn: Effective study and revision methods for any course, 2018, Arboretum Books

Tom Sherrington, Rosenshine Masterclass I Intro and Research, 2020, https://youtu.be/uPHDJI17sH4

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