dimanche 2 février 2020

Activer les élèves comme détenteurs de leurs propres apprentissages

Un principe derrière le modèle de l’enseignement explicite est de transférer à travers les étapes du modelage, de la pratique guidée puis de la pratique autonome, la responsabilité des apprentissages de l’enseignant vers ses élèves. C’est le « I do, we do, you do ». Cette nécessaire prise d’autonomie est de même favorisée à travers les démarches de l’évaluation formative.

(Photographie : Alexander Gronsky)



L’impuissance apprise de l’enseignant face aux commentaires accompagnant une évaluation corrigée


Les élèves réalisent des devoirs et d'autres productions individuellement.  Ils s'engagent dans des évaluations formatives et sommatives.

De l'autre côté, l'enseignant les récupère et leur attribue généralement une note chiffrée agrémentée de l'un ou l'autre commentaire individuel, justifiant la résultat, soulignant des manquements et offrant quelques pistes, dans la mesure du possible. Souvent l'enseignant va également se consacrer à un temps de correction en classe avec ses élèves.

Ce travail de correction demande un investissement en temps conséquent pour l'enseignant. Il répond à des obligations administratives explicite ou implicites. La difficulté est que le retour sur investissement est aléatoire.

À travers ce processus, les enseignants espèrent alors que leurs élèves s’amélioreront d’une manière ou d’une autre, d’ici à ce que leur prochaine évaluation ou production arrive, généralement une, deux, trois ou quatre semaines plus tard, suivant le volume horaire.

Régulièrement, le bénéfice escompté ne se traduit que peu. Les enseignants réprimandent alors l’élève qui récidive avec le même style d’erreur ou de manquement avec tout de même généralement une certaine amélioration aléatoire. 

D’une manière générale, l’enseignant est susceptible de passer plus de temps sur l’observation du travail de l’élève que celui-ci n’en passera lui-même par la suite. Il prend ses responsabilités mais ses élèves ne lui rendent pas systématiquement la pareille. Parfois même lorsque l'évaluation est formative leur efforts sont limités.

L’idée derrière le principe "d’activation des élèves comme détenteurs de leurs propres apprentissages" issu du modèle de l'évaluation formative de Dylan Wiliam, est d’échapper à ce type d’impasse.

La principale faille du système prend naissance dans Le fatalisme dont l’enseignant peut fait preuve dans ce genre de situation. Le manque de réactivité d’une part non négligeable de ses élèves, même si cela l’incommode, lui semble inéluctable. Il y a chez l'enseignant une forme de résignation, d'impuissance, apprise ou acquise. 

Elle correspond à une perte de confiance en ses capacités à réussir en mobilisant ses efforts à la suite d’échecs répétés ou à une absence de retour sur investissement. Souvent les enseignants font moins d'évaluations formative ou moins de commentaires et se limitent au strict minimum. Le résultat est que le bénéfice de l'évaluation formative disparait encore plus.

L'enseignant semble se résigner à des attentes faibles quant à ce que bon nombre d’élèves sont prêts à faire en réponse au retour qu'il leur offre individuellement sur un travail qui leur est rendu corrigé et commenté.

Un changement de paradigme s'impose, qui implique de passer de la vision d’une rétroaction comme charge de travail pour l’enseignant à celle d’une difficulté désirable pour l’élève.



Dépasser le failles d'une approche classique de l’évaluation associant notes et commentaires


L'approche classique de l'évaluation consiste à déterminer une note pour tous les travaux signifiants de l'élève, agrémentée de commentaires justificatifs succincts qui peuvent encourager l'élève à s'améliorer.

L'enseignant conserve ces notes. Celle-ci sont généralement agglomérées par un processus de moyenne et de pondération. Elles forment un résultat qui peu être assimilé à un travail journalier ou à une note à valeur "formative".

Le problème est que les moyennes obtenues mélangent différents objectifs d'apprentissage sans en faire la distinction. De plus, elle ne tiennent pas compte très bien de la progression de l'élève. Théoriquement, un élève qui fait 2/20 à une première évaluation, 6/20 à une deuxième et 16/20 à la troisième se retrouve en échec à 8/20 de moyenne. Les enseignants peuvent être amenés à jouer artificiellement sur la pondération pour en tenir compte, ce qui accentue le côté artificiel du système.

Cette évaluation en continue est généralement accompagné de notes d'examen qui clôturent des parties de l'année et représente un poids plus important dans l'évaluation de l'élève dans la mesure où elles reprennent un plus grand volume de matière. Face à cela les enseignants peuvent se retrouver face à deux difficultés qui les amène à nouveau à adapter artificiellement leur système :
  • Certains élèves ne vont rien faire durant l'année et se mettre à travailler d'arrache-pied pour les examens et les réussie de justesse même s'ils n'ont pas appris grand-chose de durable.
  • D'autres élèves vont réussir les évaluation intermédiaire mais échouer face à un plus grand volume de matière lors de l'examen. 
L'ennui principal est que la transformation d'une évaluation en une note efface toute information sur les objectifs d'apprentissage visés.

De plus dans ces systèmes, les élèves reçoivent des commentaires qui font des constants sur leurs résultats précédents mais n'offrent que peu de prise sur une possibilité d'amélioration. On parle alors de commentaires post-mortem.

Dès lors, pour dépasser ces failles de l’approche classique de l’évaluation, il conviendrait plutôt se poser la question à l’envers :
  • Comment une note chiffrée pourrait permettre de générer des informations détaillée des caractéristiques réussies ou erronées d’une production en lien avec les objectifs d'apprentissage ? 
  • Dans quelle mesure est-il possible d’offrir des pistes ou propositions claires aux élèves pour améliorer leurs résultats et faciliter leur engagement dans le type de tâches qui leur permettront de progresser ?
Un élève peut n’avoir pas réussi, parce qu’il n’arrive pas à mobiliser tel ou tel connaissance ou savoir-faire, parce qu’il n’arrive pas à démontrer une compétence. Il est probable qu’il ne saura pas de manière évidente, quelles démarches, quels efforts et quelles stratégies précises lui permettront de sortir de l’impasse ! C’est à ce niveau-là que l’expertise de l’enseignant est la plus utile.

Il est probable qu'après avoir pris en compte les conseils de l'enseignant et fourni les efforts nécessaire, il ait alors acquis les apprentissages visés. Comment en rendre compte dans un processus d'évaluation ?

Si l'enseignant se contente d'accumuler des points et de réfléchir sur les raisons passées pour lesquelles un élève a raté ou réussi, la valeur ajoutée est faible. Il joue alors un rôle de médecin légiste. 

Une grande partie des efforts de l’enseignant risque de n’avoir que peu d’impact si elles ne permettent pas une mise en activité autonome de ses élèves ou une adaptation de l'enseignement tant qu'il en est encore temps. 

La valeur ajoutée de l'évaluation se trouve toujours dans le futur : 
  • Quels apprentissages durables mes élèves sont-ils entrain de développer et pourront-ils mobiliser dans le futur ?
  • Quels conseils précis et ciblés donner, quelles adaptations amener dans l'enseignement, pour permettre aux élèves de mieux progresser de d’être plus efficace dans les efforts qu’ils vont mobiliser ?



Le risque de l’impuissance apprise pour l’élève dans le mode traditionnel de l’évaluation continue et de la rétroaction


Un autre écueil important est que des corrections détaillées, régulières et systématiques renvoyées par l’enseignant vers ses élèves sont susceptibles de faire des dégâts. Si l’élève n’en tient pas compte, il va s’y habituer et s’en désensibiliser. Il va considérer comme convenu que l’enseignant pointe ses erreurs de manière répétée. Il peut lui-même en venir à se conforter dans un certain fatalisme et se concevoir comme faible en orthographe, faible en mathématiques, en sciences ou en langues.

Ce phénomène peut d’autant plus se produire que :
  • La rétroaction de l’enseignant est donnée avec trop de fréquence.
  • Elle n’implique pas des démarches concrètes de la part des élèves qui se traduiraient automatiquement par de nouveaux apprentissages. 

Il y a un risque à assister trop ses élèves et à trouver leurs erreurs à leur place plutôt que de leur apprendre à devenir autonomes face à leurs propres apprentissages. Les enseignants tendent à les rendre trop dépendants de leur rétroaction et de leur évaluation.

Lorsque l’enseignant corrige trop systématiquement ses élèves, il peut les conduire à en dépendre de manière excessive comme d’une aide constante à la pratique, comme d’un étayage qu’il oublie de leur retirer. Le plus grand obstacle sera que lors des évaluations sommatives finales ou certificatives de l’apprentissage ce support d’aide artificiel fourni par l’enseignant se retrouve supprimé.



L'effet de la rétroaction sur l'apprentissage peut être nul ou négatif


Quand la rétroaction peut ne pas être prise en compte


Dans le cadre traditionnel de la rétroaction, un enseignant va corriger toutes les évaluation ou les production de chaque élève en pointant les erreurs et en donnant les bonnes réponses.

Il établit une note qu'il justifie à l'aide de quelques commentaires exprimant ses impressions positives et négative. Il complète son message de l'un ou l'autre conseil de manière concise. 

Une rétroaction détaillée est impossible à délivrer vu le nombre de copies à traiter. Un suivi de la prise en compte de ses commentaires pas les élèves de même hors de portée. 

Si l'enseignant pouvait rédiger des commentaires détaillés et précis pour chaque élève l'impact ne serait pas forcément meilleur. Idéalement, tous les élèves devraient être demandeurs de rétroaction et seraient animés d’un désir d’amélioration. Ils disposeraient des ressources et des capacités pour le faire. Cependant, nous ne pouvons faire boire un âne s’il n’a pas soif.

Dans ces situations les élèves ont le choix de ne pas exploiter la rétroaction.


Quand la rétroaction peut être prise contreproductive


Si la rétroaction sur l’évaluation se veut efficace par ses recommandations et si elle est générée toujours dans cette perspective par un enseignant, il existe également de nombreuses situations où elle est susceptible d’avoir des effets négatifs.

Si un élève pense à sa lecture qu’il n’a pas les ressources et les capacités pour s’améliorer, tout ce qu’il peut vouloir savoir face à la rétroaction, c’est s’il est suffisamment bon dans ce domaine. Une rétroaction qui lui montre qu’il n’est pas aussi bon qu’il le pense n’est pas bienvenue. Il pourrait être tenté de l’ignorer ou de la minimiser.

Par exemple, un élève peut avoir décidé que le cours de mathématiques n’est définitivement pas pour lui. Il pense qu’il n’est tout simplement pas bon dans cette matière. Dès lors, il n’a certainement pas spontanément envie d’en entendre davantage de la part de son enseignant ni d’y réfléchir plus en profondeur. Il est donc peu probable qu’il y consacre un travail de fond qu’il suspecte de toute manière de n’être in fine que peu productif. Il pourrait même se dire qu’à force d’être corrigé par l’enseignant, il finira par ne plus faire certains types de fautes, sans que cela nécessite d’efforts indépendants de sa part.

Si nous laissons à l’élève l’opportunité de s’approprier ou non la rétroaction, elle risque d’avoir un effet négatif chez ceux qui vont la rejeter. Ces derniers sont probablement également ceux qui en auraient le plus besoin. 

En dehors de ce situations, rares seront les élèves qui l'exploiteront pleinement. La réception et la prise en compte des remarques de l’enseignant dépendent fondamentalement du contexte de l’élève. Elles seront d’autant plus fortes que :
  • L’élève est motivé.
  • Il a un bon sentiment d’efficacité personnelle (ou perception de compétence) dans la matière concernée.
  • Il a déjà de bonnes connaissances préalables.
Grâce à ces facteurs, il peut facilement identifier, envisager et planifier la démarche à suivre.

La réception et la prise en compte des remarques de l’enseignant seront d’autant plus faibles que :
  • L’élève est peu motivé.
  • Il a un faible sentiment d’efficacité personnelle (ou perception de compétence) dans la matière concernée.
  • Il présente des lacunes importantes en ce qui concerne les connaissances préalables.
  • Au départ des remarques de l’enseignant, il éprouvera d’autant plus de difficultés à identifier, envisager et planifier la démarche à suivre. 
Dès lors, la rétroaction ne devrait pas être laissée complètement à l'initiative de l'élève car de multiples facteurs peuvent en atténuer ou inverser les effets positifs.



Élaborer une rétroaction stratégique associée à une évaluation formative


L’idée est de remplacer une part de l’évaluation sommative par de l’évaluation formative sous différentes formes. Elle est de passer d’une évaluation sommative continue à enjeux élevée, centrée sur des points qui s’accumulent à une évaluation formative distribuée à enjeux faibles, centrée sur une rétroaction stratégique qui souligne l’acquisition progressive des apprentissages. 

L’évaluation formative ne s’accompagne plus de points et l’enjeu est déplacé vers la rétroaction dans le but que les élèves y accordent du crédit. L’évaluation sommative n’est pas éliminée, mais elle est plus éparse. Elle vient à certains moments clés confirmer et valider des apprentissages précédemment mis en évidence par une évaluation formative. 

Le point de départ d’une rétroaction efficace est que les élèves souhaitent s’améliorer dans un domaine et considèrent que le retour d’information les aide à orienter leur amélioration. Les élèves s’approprient réellement le retour d’information lorsqu’ils veulent s’améliorer. 

Si les élèves disposent d’une motivation intrinsèque pour le faire tout va très bien, ils en tiendront compte. Mais ce n’est pas toujours le cas. Pour les élèves qui n’ont pas encore développé cette composante, il est utile que la rétroaction soit stratégique dans le sens où elle est appuyée par une motivation extrinsèque. D’une manière ou d’une autre, l’enseignant doit établir un système qui fait que l’élève n’a pas d’autre choix que de s’impliquer sérieusement dans la prise en compte de la rétroaction stratégique. L’enseignant s’assure que ses élèves vont s’investir dans les activités qui vont pouvoir suppléer à ses apprentissages en fonction de leurs besoins.

Pour cela, nous devons éviter de donner des commentaires sur des aspects que les élèves ne peuvent pas améliorer, qu’ils ne souhaitent pas spontanément améliorer, ou pensent qu’ils ne peuvent pas vraiment y arriver. C’est pourquoi ces commentaires sont malvenus.

La rétroaction doit donc être pensée comme stratégique ;
  • Motiver pour motiver, de manière déconnectée, ne pourrait n’avoir que peu d’effet. 
    • Cela passe au contraire par la définition d’objectifs pédagogiques accessibles en tant que défis et par la définition de tâches et de démarches à suivre identifiables aisément pour chaque élève. 
    • La rétroaction doit formuler des pistes aisées, identifiables et applicables immédiatement pour sortir de l’impasse. 
  • Les élèves n’agiront sur le retour d’information que s’ils pensent pouvoir s’améliorer. 
    • Nous devons motiver les élèves à croire en leur amélioration, et leur en apporter la preuve. 
    • L’élève doit pouvoir ressentir des expériences de succès, pour s’y investir par la suite de manière plus autonome et spontanée.  
  • Nous devons nous assurer que les élèves comprennent pourquoi ces commentaires sont donnés. 
    • Par exemple, un enseignant pourrait dire : « Je te fais ces commentaires parce que je pense que tu pourras t’améliorer dans ce domaine en faisant ceci ». 
    • En travaillant de la sorte, un enseignant peut montrer qu’il croit en ses élèves et développe à leur égard des attentes élevées. 
  • La prise en compte de la rétroaction peut également s’accompagner de contingences et de renforcement positif.  
    • Nous pouvons soutenir les élèves qui acceptent de s’y engager et leur donner des avantages pour les aider à développer de nouvelles habitudes d’apprentissage saines (dispenses ou secondes chances). 
    • Une fois qu’ils auront compris l’avantage de ce genre de démarches et les auront internalisées, ce renforcement positif deviendra obsolète.
L’enseignant doit concevoir la rétroaction comme faisant partie d’un système d’amélioration continue. Il s’appuie dessus en montrant aux élèves et en leur faisant éprouver comment les actions qu’il leur recommande entraîneront une amélioration tangible.

Les élèves peuvent se rendre compte que lorsqu’ils reçoivent une rétroaction et qu’ils agissent en conséquence, ils s’améliorent. Ils en viennent à croire qu’une meilleure prise en compte de la rétroaction de leurs enseignants peut se traduire à une amélioration encore plus grande de leurs résultats et de leurs apprentissages.





Mise à jour le 14/05/2024

Bibliographie


Carl Hendrick and Robin MacPherson, pp23-32, What does this look like in the classroom, John Catt, 2017.

0 comments:

Enregistrer un commentaire