mercredi 25 décembre 2019

Prémisses et principes de la psychologie évolutionniste de l’éducation

Les hypothèses des travaux de David C. Geary (2008) dans le domaine de la psychologie évolutionniste de l’éducation sont intéressantes. Elles apportent souvent un éclairage précieux sur la nature de l’apprentissage scolaire, sur l’enseignement et sur l’origine de la motivation des élèves. Elles offrent une grille de lecture qui souvent fait sens et contribuent en association avec la théorie de la charge cognitive à offrir une assise générale et globale à un enseignement explicite.

(Photographie : Adam Marshall)



La psychologie évolutionniste de l’éducation s’intéresse à l’étude de la relation entre divers biais et nos connaissances secondaires (adapatives ou scolaires) et primaires (implicites ou intuitives) :
  • Ces connaissances primaires correspondent à nos conceptions naïves en psychologie, physique et biologie parfois complexes à dépasser et vaincre dans un cadre scolaire. 
  • Nos biais sont de nature déductive, attributive et motivationnelle. Ils influencent l’apprentissage dans des contextes culturels évolutifs nouveaux, en particulier scolaire.

Voici une synthèse des quatre prémisses et cinq principes de la psychologie évolutionniste de l’éducation avancés par David C. Geary (2008) :


(a) Saillance des stimuli


a) L’évolution a rendu particulièrement saillantes pour l’attention certaines ressources :
  • Présentes dans notre environnement naturel
  • Critiques en matière de sélection naturelle.

b) Ces ressources se répartissent en trois grandes catégories de connaissances  :
  • Sociales : 
    • liées aux échanges, relations et rapports avec d’autres êtres humains
  • Biologiques : 
    • liées aux autres êtres vivants (animaux et végétaux) qui représentent des ressources ou des dangers dans notre environnement direct
  • Physique : 
    • liées aux caractéristiques physiques de notre environnement matériel comme le mouvement, le feu, les objets, outils, etc.

c. Ces trois catégories correspondent aux domaines de la psychologie, de la biologie et de la physique populaires (naïves) :





d) Les caractéristiques de l’esprit et du cerveau humain ont évolué pour attirer spontanément notre attention et faciliter le traitement des informations qui appartiennent à ces domaines populaires. L’acquisition rapide de ces connaissances était favorable à la survie durant la préhistoire et à l’évolution de notre espèce. Il était du point de vue de la sélection naturelle hautement utile d’y être très attentifs.


(b) Ressources mentales


a) Les systèmes attentionnels, perceptuels et cognitifs, y compris les biais attributifs, ont évolué pour traiter l’information dans ces domaines populaires et pour guider les stratégies qui facilitent les accès à ces ressources.

b) Ces systèmes sont en grande partie modulaires en ce sens qu’ils traitent avec aisance des catégories restreintes d’information. Par exemple pour un enfant, il est rapidement aisé de catégoriser des animaux ou des végétaux familiers.

c) Ces capacités primaires sont modifiables, mais seulement dans les limites des contraintes inhérentes à notre environnement. L’être humain ayant une large valence écologique, ses capacités primaires présentent une certaine flexibilité. Un individu sous un climat tropical ne va pas rencontrer le même environnement qu’un individu dans un climat tempéré. Pourtant tous deux vont très vite s’adapter aux caractéristiques biologiques et physiques particulières de leur environnement. Les capacités primaires à connaitre notre environnement s’y adaptent.


(c) Motivation


a) Les enfants sont intrinsèquement motivés à apprendre dans les domaines populaires (naïfs), avec les préjugés attentionnels et comportementaux qui en découlent.

b) Cette motivation aboutit à des expériences qui enrichissent automatiquement et implicitement ces systèmes et les adaptent aux conditions locales.

c) Les enfants sont biologiquement biaisés pour s’engager dans des activités qui recréent les écologies de l’évolution humaine. Celles-ci se manifestent par le jeu social et l’exploration de l’environnement, des objets et des outils. Les enfants aiment les animaux ou jouer avec des matériaux puisés dans leur environnement. De même, ils recherchent naturellement des contextes sociaux (comme le fait de bavarder ensemble).

d) Les expériences qui accompagnent ces activités privilégiées interagissent avec les systèmes populaires. Ils les étoffent et les enrichissent pour qu’ils soient adaptés au groupe social considéré et à l’écologie de l’environnement local.



(d) Raisonnement


a) Les mécanismes cognitifs et attentionnels de soutien à ces apprentissages sont connus sous le nom d’intelligence fluide générale et de raisonnement de base. Il existe des aspects évolués de l’esprit et du cerveau dont la fonction est de permettre aux individus à faire face aux variations des conditions sociales et écologiques.

b) Pour faire face aux variations potentielles de ces conditions sociales et écologiques, ces mécanismes fonctionnent en donnant la capacité aux individus de générer des représentations mentales des conditions futures potentielles. Elles permettent de répéter ensuite les comportements pour faire face aux variations potentielles de ces conditions.




Cinq principes de la psychologie évolutionniste de l’éducation


Geary (2008) énonce cinq principes pour la psychologie évolutinniste de l'éducation :

1. La culture se construit au départ des systèmes cognitifs et motivationnels qui soutiennent les domaines populaires. Elle se développe sous forme d'innovations culturelles (p. ex., la méthode scientifique) qui sont par la suite conservées d’une génération à l’autre au moyen d’artefacts (p. ex., les livres) et de traditions (p. ex., l’apprentissage). Ces progrès entraînent un écart croissant entre le savoir populaire, et les théories et connaissances à la base des sciences et des autres disciplines connexes.

2. Les écoles font partie des innovations culturelles. Elles sont apparues dans des sociétés chaque fois où les progrès scientifiques et culturels ont créé un fossé entre :
  • Le savoir populaire, c’est-à-dire les connaissances naïves, adaptatives ou biologiquement primaires.
  • Les compétences nécessaires pour vivre dans la société moderne et culturelle qui correspondent à des connaissances scolaires ou biologiquement secondaires.
3. Les écoles vont organiser les activités d'apprentissage des élèves de manière à ce qu’ils puissent acquérir les compétences biologiques secondaires de manière à combler l’écart entre les connaissances populaires et les exigences de la société moderne et culturelle.

4. Les compétences biologiquement secondaires sont construites à partir des systèmes populaires primaires et des composantes de l’intelligence fluide. Ces dernières ont évolué pour permettre aux individus de faire face aux variations et à la nouveauté susceptibles d’être présentes dans l’environnement naturel.

5. Il existe un parti pris motivationnel inhérent chez les enfants à s’engager dans des activités qui adapteront les connaissances populaires aux conditions environnementales locales. Ces phénomènes  entreront régulièrement en conflit avec la nécessité de s’engager dans des activités qui aboutiront à un apprentissage biologiquement secondaire. C’est pour cette raison que des élèves sont souvent plus intéressés par des discussions sociales entre pairs que par ce qu'explique un enseignant.




Implications scolaires de la psychologie évolutionniste de l’éducation


Un biais et un potentiel pour apprendre


L’école est récente dans l’histoire humaine, de même que l’accumulation de connaissances. Elles sont deux conséquences à l’invention et à la diffusion de l’écriture. 

Même si l’évolution naturelle ne nous a pas façonnés à cette fin, nous pouvons apprendre à l’école, car elle nous a toutefois rendus aptes à nous adapter à des environnements naturels changeants.

Dès lors, nous avons, en tant qu’individus appartenant à l’espèce humaine, un potentiel d’apprentissage pour des informations nouvelles dans notre évolution. Nous possédons un biais associé à ce potentiel, qui alimente notre curiosité, pour rechercher la nouveauté pendant notre développement et par la suite, tout au long de notre vie. 


L’école comme vecteur de transmission de connaissances


L’ampleur et la complexité des connaissances biologiques secondaires développées, disponibles et nécessaires à acquérir dans les sociétés modernes dépassent très largement les biais favorisant ces apprentissages dans tous les nouveaux domaines de l’évolution humaine. Ces domaines sont, par exemple, la lecture, l’écriture, les sciences ou les mathématiques. De larges volumes de connaissances biologiques secondaires sont nécessaires à l’intégration et au plein développement des individus au sein des sociétés humaines. C’est pour cette raison que toutes les sociétés qui ont inventé l’écriture ont également inventé les écoles.

Les écoles fournissent un moyen de diffuser cette information et d’assurer l’acquisition d’un ensemble de compétences et de connaissances communes à tous les membres de la société. Elles sont un lieu dédié à l’enseignement et à l’apprentissage de ces compétences et de ces connaissances communes à une grande échelle. Sans elles, cette diffusion et cette transmission des connaissances au sein des sociétés ne seraient pas possibles.


Les apports de la psychologie évolutionniste de l’éducation


La psychologie évolutionniste de l’éducation s’intéresse à la manière dont les biais inhérents aux systèmes d’apprentissage et de motivation humains agissent sur le développement des enfants et adolescents. Ces biais influencent leur capacité et leur motivation à apprendre à l’école de nouvelles aptitudes et connaissances scolaires.

Cette science de l’éducation, qu’est la psychologie évolutionniste de l’éducation, est éclairée par la prise en compte de l’évolution humaine. 

Elle a le potentiel de répondre à différentes questions clés concernant l’enseignement et l’apprentissage tel qu’il a lieu dans les écoles :
  • Elle justifie pourquoi, de nombreux enfants bénéficient très largement d’un enseignement explicite pour apprendre le décodage des mots et la compréhension des textes. Il s’agit de connaissances biologiques secondaires et nous n’avons pas évolué pour les apprendre naturellement. En effet, nos capacités d’apprentissage, pour ce type de connaissances, sont un réel goulet d’étranglement à prendre en considération comme le souligne la théorie de la charge cognitive.
  • Elle explique pourquoi un enseignement explicite n’est pas nécessaire aux enfants pour apprendre à parler et à comprendre leur langage maternel, car il s’agit de compétences biologiques primaires. Nous avons évolué pour les apprendre naturellement, sans enseignement. 
  • Elle explique également pourquoi de nombreux enfants accordent naturellement plus de valeur aux relations entre pairs qu’à leurs apprentissages scolaires.

Mise à jour le 03/03/2024


Bibliographie


Geary, D. C. (2008). An evolutionarily informed education science. Educational Psychologist, 43, 179–195.

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