mardi 27 juin 2017

Cerveau gauche ou cerveau droit, un neuromythe

Le cerveau est composé de deux hémisphères, le droit et le gauche. Ils sont séparés par la scissure longitudinale. 


(Photographie : Simon Boudvin)


Selon les croyances liées à l’existence de spécificités entre le cerveau gauche et le cerveau droit, il existerait d’importantes différences dans le fonctionnement et le rôle de ces deux parties du cerveau. 

Dès lors, les êtres humains se classeraient en deux groupes selon leur dominance hémisphérique :


  • Les personnes au cerveau gauche dominant seraient plus rationnelles et rigoureuses de nature :
    • Elles prêteraient attention aux détails et seraient régies par la logique.
    • Elles seraient plus performantes dans les tâches mathématiques.
    • Elles auraient tendance à être plus quantitatives et analytiques.
  • Les personnes au cerveau droit dominant seraient plus portées sur les émotions :
    • Elles seraient de nature plus émotive, subjective, intuitive et créative. 
    • Elles privilégieraient une vision d’ensemble et une pensée plus qualitative.

Cette dominance hémisphérique serait en lien avec la personnalité et le style cognitif d’un individu. Elle aurait des implications pour l’apprentissage.



De la théorie de l’asymétrie cérébrale


Comme c’est souvent le cas, avec les neuromythes, cette idée se fonde sur un fond de vérité. 

En 1861, le scientifique Paul Broca fit une découverte majeure qui allait changer à l’époque la perception du cerveau. Il suivait un patient qui avait perdu l’usage de la parole. L’examen post-mortem du cerveau révéla que son hémisphère gauche était lésé. D’autres cas ont confirmé cette relation. La théorie de l’asymétrie cérébrale était née. 

Nos hémisphères cérébraux ne sont pas parfaitement symétriques dans leurs fonctions. Certaines fonctions cérébrales se situent davantage d’un côté du cerveau que de l’autre. Nous le savons en partie grâce à ce qui est perdu lorsqu’un AVC affecte une partie particulière du cerveau. Certaines régions cérébrales latéralisées sous-tendent des fonctions telles que certaines fonctions du langage ou le traitement visuospatial. Certaines zones cérébrales sont activées préférentiellement lors d’une activité mentale spécifique. 

Elles semblent responsables de fonctions spécifiques. La localisation a donc son importance. Certains domaines spécifiques de compétences sont en effet localisés sur l’un ou l’autre hémisphère.  



La dominance hémisphérique


La théorie de la dominance hémisphérique déforme et exagère complètement ces notions de latéralité. Du champ des compétences spécifiques et ciblées, elle l’élargit à des compétences générales floues.

Pour des traits de personnalité plus individuels, tels que la créativité ou une tendance à la rationalité plutôt qu’à l’intuition, il n’existe que peu ou pas de preuves de la localisation d’une zone du cerveau. 

Chacune des fonctions cognitives complexes, comme celles recouvertes par la théorie de la dominance hémisphérique est le résultat de l’engagement d’un réseau de multiples régions, distribuées à travers les deux hémisphères et agissant de façon coordonnée.

La recherche a montré que les aires corticales qui permettraient d’attribuer à un individu certaines de ces capacités générales ne sont pas clairement associées à un hémisphère plutôt qu’à un autre. Elles sont distribuées dans diverses zones et se retrouvent régulièrement dans les deux hémisphères.

Prenons le cas des mathématiques. Selon l’hypothèse de la dominance hémisphérique, ils sont un aspect de la pensée dite du cerveau gauche. Certains aspects des mathématiques, comme le comptage et la récitation des tables de multiplication, semblent en effet plus situés dans l’hémisphère gauche plus que le droit. Cependant, d’autres aspects, comme l’estimation des quantités, semblent plus mobiliser l’hémisphère droit plus que le gauche.



Résultats de la recherche 


La réfutation magistrale de l’hypothèse de la dominance hémisphérique vient de Jared A Nielsen et ses collègues (2013). Ils ont montré qu’il n’existe pas de tendance cérébrale correspondant à l’hypothèse de la dominance hémisphérique. 

Les chercheurs ont analysé des images par résonance magnétique du cerveau de plus de 1 000 personnes âgées de 7 à 29 ans. Ils voulaient savoir si en fonction des individus, certains réseaux neuronaux situés à gauche fonctionnaient plus souvent que ceux de droite, et inversement.

Ils ont montré que tous les individus utilisent les hémisphères de la même façon, quelle que soit leur personnalité. Leurs résultats montrent sans équivoque aucune, que l’hémisphère droit est autant activé que le gauche.

Si certaines fonctions mentales sont localisées dans un seul des hémisphères, les individus ne font pas fonctionner un hémisphère plutôt qu’un autre. Il n’existe pas de preuves claires de l’existence de différences phénotypiques qui correspondrait à une dominance du cerveau gauche ou du cerveau droit. 

S’il existe bien des individus plus logiques ou plus artistiques que d’autres, cela ne signifie pas qu’ils soient plutôt « cerveau droit » ou « cerveau gauche ». 

Le cerveau est asymétrique, mais pas il n’est pas latéralisé dans sa globalité. La latéralisation des connexions cérébrales semble être une propriété locale plutôt que globale des réseaux cérébraux. De légères augmentations de la latéralisation avec l’âge ont été mises en évidence, mais aucune différence n’a été observée en fonction du sexe.



Conclusions


L’idée selon laquelle les gens s’appuient principalement sur un style cognitif rationnel, logique et « cérébral gauche » ou sur un style plus créatif et abstrait, « cérébral droit » n’est pas valide. Chaque fonction cognitive complexe est le résultat de l’engagement d’un réseau de multiples régions, réparties dans les deux hémisphères, agissant de manière coordonnée. 

Nous ne pouvons pas marcher ou courir efficacement en favorisant une jambe plutôt que l’autre. De même, nous ne pouvons pas fonctionner efficacement en favorisant un hémisphère du cerveau plutôt que de les utiliser tous les deux de manière intégrée.

Dès lors, le fait de croire à l’hypothèse d’une dominance hémisphérique est potentiellement néfaste. Elle peut se traduire par une mobilisation d’approches liées à l’enseignement et à l’apprentissage basé sur le cerveau gauche ou le cerveau droit, qui ne sont pas fondées sur des données probantes. 

Le principal risque est d’inciter les enseignants à évaluer ou cataloguer les élèves selon une supposée dominance hémisphérique. Ces évaluations enferment les élèves dans des caractéristiques non fondées. Ils se retrouvent conseillés de privilégier certaines approches plutôt que d’autres, privilégier leurs affinités et ne pas affronter leurs faiblesses.
 
Dans tous les cas, il s’agit d’une mauvaise utilisation de ressources éducatives. L’apprentissage est en réalité plus efficace lorsque les élèves sont aidés à faire face à leurs difficultés plutôt qu’à les contourner. Adapter l’enseignement à un style particulier cerveau gauche ou cerveau droit a toutes les chances de réduire l’apprentissage des élèves. 


Mise à jour le 11/05/21

Bibliographie


Nielsen JA, Zielinski BA, Ferguson MA, Lainhart JE, Anderson JS (2013) An Evaluation of the Left-Brain vs. Right-Brain Hypothesis with Resting State Functional Connectivity Magnetic Resonance Imaging. PLoS ONE 8 (8): e71275. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0071275

Agnès Roux, La fin du mythe des personnes à cerveau « droit » ou « gauche », 2013, https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/medecine-fin-mythe-personnes-cerveau-droit-gauche-48433/

Robert H. Shmerling,, Right brain/left brain, right?, 2019, https://www.health.harvard.edu/blog/right-brainleft-brain-right-2017082512222

Melina Uncapher, , Exploring the Left Brain/Right Brain Myth, 2016, Melina Uncapher
https://www.learningscientists.org/blog/2016/8/2-1

Jean-Luc Berthier, Grégoire Borst, Mickaël Desnos, Frédéric Guilleray, Les neurosciences cognitives dans la classe, p7, ESF Sciences Humaines, 2018

Yana Weinstein, Megan Sumeracki, Understand how we learn, David Fulton, 2019.

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