dimanche 10 novembre 2019

Le principe de redondance

Le principe de redondance est un apport important de la théorie de la charge cognitive. Nous le retrouvons également au sein de la théorie de l’apprentissage multimédia.

(Photographie : Howardƒ)


Il peut servir de guide pour optimiser les explications à la fois sur les supports d’apprentissage ou lors de l’enseignement en classe. Il a des implications nettes sur la qualité de la conception pédagogique et sur la clarté des explications fournies par l’enseignant.

Le but de cet article est de présenter le principe de redondance et ses implications.



Distinguer le principe de redondance de l’effet d’attention partagée


Un élément essentiel est de ne pas le confondre avec l’effet d’attention partagée (voir article sur l’effet d’attention partagée). Dans le cadre des deux effets, toute combinaison de schémas, diagrammes, d’images, d’animations et d’informations verbales orales ou écrites peut conduire à la génération d’une charge cognitive extrinsèque. Celle-ci est susceptible de limiter l’apprentissage.

Dans le cadre de l’effet d’attention partagée, nous visons à ce que toutes les informations inintelligibles séparément soient intégrées, physiquement ou temporellement, dans un même support d’apprentissage. La distinction propre à l’effet de redondance est que pour ce dernier les différentes sources sont intelligibles séparément.



Comprendre le principe de redondance par l'exemple d'une présentation en biologie


La mise en évidence du principe de redondance remonte à 1991. Dans un article de recherche,
Chandler et Sweller relatent notamment une expérimentation réalisée au sujet de l’apprentissage de circulation du sang dans le cœur, dans les poumons et le reste du corps.

Les élèves concernés (de 13 à 14 ans) avaient été séparés aléatoirement en 3 groupes. Aucun de ceux-ci n’avait été préalablement formé à ces connaissances, elles présentaient dès lors un caractère neuf pour tous :
  • Le premier groupe a reçu un seul diagramme auto-explicatif du cœur, des poumons et du corps. Les divers composants corporels sont légendés et des flèches indiquent le sens d’écoulement du sang. Le diagramme est une source d’information complète.


(source : Chandler et coll., 1991)
  • Le deuxième groupe a reçu des instructions dans un format conventionnel. Une information textuelle étant présentée séparément du diagramme qu’avait reçu le premier groupe. Ces informations textuelles sont situées sous le diagramme. Elles expliquent la circulation du sang dans le cœur, les poumons et le reste du corps. Ce groupe a reçu comme instruction spécifique d’assimiler l’information textuelle en faisant des liens avec le diagramme correspondant.
  • Le troisième groupe a reçu les instructions dans un format modifié et intégré. L’information textuelle expliquant l’écoulement du sang a été placée à proximité des endroits appropriés du diagramme.





















(source : Chandler et coll., 1991)

Les trois groupes d’élèves ont ensuite été testés sur leurs connaissances relatives au contenu.

Le premier groupe a obtenu des résultats significativement meilleurs que les deux autres groupes. Cela malgré le fait que ces élèves avaient passé nettement moins de temps à traiter le matériel didactique.

Ces résultats indiquent qu’une information redondante est susceptible d’entraver l’apprentissage.

Le diagramme du flux sanguin dans le cœur, les poumons et le corps peut être facilement compris isolément sans explications textuelles. Les énoncés ne font que répéter l’information qui ressort clairement du diagramme. Ils ne disent rien d’essentiel. Ils sont redondants et nuisent à l’apprentissage.

Un format intégré dans lequel les énoncés sont intégrés au diagramme est même susceptible d’être moins efficace qu’une présentation ou le texte est clairement séparé du diagramme. En effet dans ce cas l’élève peut consciemment choisir d’ignorer le texte plus aisément. Il est plus difficile d’ignorer le texte lorsqu’il est physiquement intégré au diagramme.



Définir le principe de la redondance


L’effet de redondance s’explique par une augmentation de la charge cognitive extrinsèque entrainée par le traitement d’informations sans valeur ajoutée.

Lorsqu’ils y sont confrontés, les élèves recherchent les liens et les correspondances entre des éléments provenant de différentes sources d’information. Ceux-ci n’apportent rien en matière d’apprentissage, mais entrainent au contraire des contraintes sur la mémoire de travail. Cela peut nuire à leur apprentissage.

La redondance se produit lorsque la même information est présentée selon des modalités différentes (écrit, oral ou graphique) ou lorsqu’elle est présentée plusieurs fois selon la même modalité.

Tenir compte du principe de redondance consiste dès lors à remplacer des sources multiples d’information qui se répètent par une source unique. Cette suppression de redondance peut réduire le temps d’enseignement ou faciliter l’apprentissage.



(source : https://onderzoekonderwijs.files.wordpress.com/)



Facteurs modérateurs de l’effet de redondance


Différents facteurs sont susceptibles d’influencer l’effet de redondance.

1) Niveaux d’interactivité des éléments


Des niveaux suffisamment élevés d’interactivité des éléments d’information sont un facteur modérateur essentiel de l’effet de redondance :
  • Il est peu probable que du matériel didactique ayant un faible niveau d’interactivité et par conséquent une faible charge cognitive intrinsèque, démontre des avantages notables à éliminer les éléments redondants de l’information.
  • En revanche, des niveaux élevés d’interactivité génèrent une lourde charge cognitive intrinsèque. Une charge extrinsèque supplémentaire due au traitement d’informations redondantes peut nuire à l’apprentissage.


2) Rythme et temps des présentations


L’effet de redondance est d’autant plus fort que le temps est un facteur limitant pour l’élève. Lorsque les présentations se déroulent au rythme de l’élève, celui-ci peut réviser les sources didactiques à son propre rythme. Il dispose de plus de temps pour gérer la surcharge de travail potentielle, ce qui réduit les avantages des présentations non redondantes.

Alternativement, plutôt que de forcer l’intégration entre des explications orales et leur équivalent écrit, l’écrit peut être délivré après l’oral. La présentation tardive du texte visuel pourrait effectivement servir de répétition de la présentation, renforçant ainsi les effets positifs de l’oral antérieur.

En séquençant et en étalant sur le temps, nous pouvons éviter l’effet de redondance, mais cette consommation de temps à un prix également en matière de rendement d’apprentissage.


3) La durée des segments d’enseignement


De longues sections d’explication orales, accompagnées d’un support visuel redondant, peuvent dépasser les limites de capacité de la mémoire de travail.

La segmentation de l’enseignement peut éliminer les effets négatifs de la redondance grâce à des pauses intermédiaires. Celles-ci permettent aux élèves de consolider leurs modèles mentaux partiels et peuvent ainsi potentiellement éliminer les effets négatifs de la redondance verbale.



4) Les connaissances préalables de l’élève


La notion de redondance peut dépendre du niveau d’expertise de l’apprenant. L’information essentielle et non redondante pour les novices peut devenir redondante pour les experts. Par conséquent, à mesure que les apprenants acquièrent plus d’expertise dans un domaine, l’information qui était auparavant essentielle et non redondante peut devenir redondante et causer des niveaux accrus de charge cognitive étrangère pour ces apprenants.



Tenir compte du principe de redondance pour les supports d’enseignement


Le principe de redondance va à l’encontre de certaines croyances intuitives présentes chez bon nombre d’enseignants :

Donner de multiples explications similaires, avoir un format d’enseignement dense en informations, fournir beaucoup de détails, multiplier les approches et les modalités peut sembler intuitivement bénéfique pour les élèves. Nous pouvons supposer que de telles démarches sont susceptibles à terme de mener à une meilleure compréhension. 

Malheureusement comme le montre le principe de redondance, elles diminuent l’apprentissage des élèves.

Seules les informations essentielles devraient être présentées aux apprenants afin de maximiser l’utilisation du principe d’emprunt et de réorganisation lors de l’acquisition des informations.

Des explications gagnent à être claires et concises, elles bénéficient à combiner un élément verbal à un élément graphique.

Dans les supports écrits, nous privilégions une source d’information auto-explicative unique et non redondante. Il est préférable d’isoler et d’éliminer les sources d’information redondantes. Nous évitons que les élèves aient à intégrer des sources d’information disparates et redondantes.

Lorsque nous présentons simultanément la même information sous différentes formes, il peut y avoir plus de coûts que d’avantages. Nous avons tendance à disperser les capacités d’attention et de mémoire de travail des élèves, en vue de l’intégration régulièrement inutile de sources différentes. Pendant ce temps, ces ressources sont indisponibles à l’apprentissage.



Tenir compte du principe de redondance pour la clarté des explications


Le principe de redondance en apprentissage multimédia est un sous-ensemble du principe de redondance tel qu’abordé dans la théorie de la charge cognitive.

Le principe de redondance tel qu’il est abordé dans le cadre de la théorie de l’apprentissage multimédia développe plus particulièrement les situations où des informations orales viennent complémenter des informations visuelles.

Dans un apprentissage multimédia, nous gagnons à combiner un aspect oral et un aspect visuel sans redondance. Si les deux sources d’information peuvent être comprises isolément, une seule source, soit la source audio ou la source visuelle, devrait être utilisée.

De manière générale, de multiples résultats de recherches montrent que les élèves apprennent plus profondément des graphiques et de la narration que des graphiques, de la narration et du texte à l’écran. Lorsque les élèves prêtent attention au texte à l’écran, ils ne sont pas en mesure de s’occuper de la visualisation de schémas, animations ou graphiques. Ils peuvent gaspiller leur capacité cognitive en essayant de concilier les deux flux verbaux.

Il y a un apprentissage supérieur à la suite de l’écoute d’un texte à l’oral plutôt que lorsque l’écoute orale est accompagnée du même texte à l’écrit.

La redondance crée un traitement superflu :
  1. Le canal visuel peut être surchargé par le balayage visuel entre les images et le texte à l’écran
  2. Les apprenants font un effort mental pour essayer de comparer et faire des liens entre ce qu’ils écoutent et ce qu’ils lisent.
Dans le cadre de la théorie cognitive de l’apprentissage multimédia, l’apprenant construit activement une représentation mentale qui a un sens pour lui. Le processus de construction des connaissances exige que l’apprenant sélectionne, organise et intègre l’information visuelle et verbale pertinente, sous réserve des limites du traitement visuel et auditif.

Les modes de présentation qui surchargent un canal — comme la présentation d’animations et de mots par le canal visuel — entravent le processus de construction des connaissances.

Lorsque le schéma et le texte à l’écran sont présentés simultanément, moins de ressources cognitives sont disponibles pour établir des liens entre les mots et les images correspondants.

Lorsque le schéma et des explications orales sont présentés, davantage de ressources cognitives sont disponibles pour établir des liens entre les mots et les images correspondants, ce qui augmente les chances d’un apprentissage significatif.



Implications pour l’usage des logiciels de présentation




Mise à jour le 26/12/2023

Bibliographie


Chandler, P. and Sweller, J. (1991) Cognitive Load Theory and the Format of Instruction. Cognition & Instruction, 8, 293-240.

Sweller, J., van Merriënboer, J. and Paas, F. (2019). Cognitive Architecture and Instructional Design: 20 Years Later. Educational Psychology Review.

Sweller John, Ayres Paul, Kalyuga Slava, Cognitive Load Theory, Springer, 2011

Richard E. Mayer, Multimedia Learning, Cambridge University Press, 2009

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