jeudi 17 octobre 2019

Un continuum pour les interventions correctives en gestion du comportement

En gestion de classe, il existe de nombreuses approches et gammes d’interventions permettant aux enseignants d’intervenir auprès d’élèves qui se comportent mal. Celles-ci rencontrent des succès divergents.


(Photographie : Alina Trifan)




L’utilité d’un continuum dans les interventions en gestion du comportement


Au-delà de cette diversité, même si une uniformité des pratiques est payante et efficace (comme le montre l’approche SCP), tous les enseignants ne vont pas non plus réagir avec la même sensibilité face à des situations similaires :
  • Ils ne vont pas obtenir forcément le même résultat dans leurs interventions.
  • De même, d’un profil d’élève à l’autre, un enseignant donné ne va pas forcément rencontrer le même succès avec une intervention donnée.

Par conséquent, il est utile de définir pour les enseignants un continuum d’intervention qui serve de référence procédurale et pose des jalons pour uniformiser les pratiques en la matière

Les différentes interventions qu’un enseignant peut exercer en classe progressent le long d’un continuum allant d’une utilisation minimale à une utilisation maximale de son pouvoir d’influence.

À partir du moment où l’enseignant intervient, quatre grandes catégories d’interventions lui sont disponibles.

L’enseignant efficace en gestion de classe possède une palette d’interventions qu’il a automatisées et testées. Elles font partie de ses habitudes. Il connait des techniques qu’il a confirmées comme pouvant être efficaces dans certaines catégories de situations. Pour généraliser cette efficacité à l’échelle de l’école, un équilibre doit être trouvé entre les catégories d’interventions, de manière à correspondre à la culture de l’école et aux caractéristiques des élèves.

Un continuum reflète le niveau d’autonomie et de contrôle accordé à l’élève pour changer son propre comportement. L’autonomie de l’élève croît dans le sens inverse de celui du pouvoir de l’enseignant. Au plus l’enseignant exerce son pouvoir, au moins l’élève peut faire preuve d’autonomie. Ce continuum est typique de l’approche du soutien au comportement positif.




1. La perspective de l’écoute relationnelle


Dans cette optique, la gestion de classe est centrée sur la personne. Elle est très largement inspirée des travaux de Carl Rogers, psychologue humaniste américain (1902-1987).

L’écoute relationnelle implique l’utilisation d’un pouvoir minimum. L’enseignant entame une conversation avec l’élève fautif dans le but de faire évoluer son comportement. Il lui fait prendre conscience de la perturbation qu’il occasionne.

L’enseignant considère que l’élève a la capacité de changer son propre comportement. S’il se comporte mal, c’est en raison de troubles émotionnels intérieurs. Le résultat recherché par l’enseignant sera de signaler ou de sensibiliser l’élève aux conséquences de ses actions et l’amener à exprimer ses préoccupations émotionnelles.

Cette discussion avec l’élève pourrait l’amener à une meilleure autorégulation de son comportement. La mauvaise conduite s’arrêterait.

Dans cette optique, les besoins émotionnels de chaque élève devraient être pris en considération, plutôt que de passer par l’imposition des règles communes rigides et préétablies pour tous.

En début d’année scolaire, une telle démarche reviendrait à permettre aux élèves de tester leur capacité à s’entendre en tant que nouveau groupe. Dans cette perspective, il ne faudrait pas établir de règles prédéterminées jusqu’à ce qu’ils sentent que ces règles sont nécessaires.

Ce n’est pas une perspective privilégiée par défaut dans le cadre du soutien au comportement positif.



2. La confrontation et le contrat


L’enseignant prend une position d’adulte, il reconnait les comportements répréhensibles quand il les voit. Il se confronte à l’élève pour qu’il mette fin à ce comportement.

L’enseignant encourage et établit un contrat tacite avec l’élève en vue d’un changement de comportement. Cette position implique principalement l’utilisation des techniques de questionnement.

L’élève garde le pouvoir de décider comment il va changer.

Un exemple classique de cette approche est la théorie du choix développée par Francine Bélair et inspirée des travaux de William Glasser.

Dans un certain nombre de situations, cette approche peut être adéquate et suffisante. L’élève, sans stress induit, en gardant son autonomie, réalise ce qu’elle doit faire pour se conformer. Il réagit dans le bon sens et l’incident disciplinaire se retrouve terminé.

Dans cette logique, des groupes d’élèves peuvent décider, lors d’une réunion de classe avec l’enseignant, d’établir des règles de fonctionnement au sein de la classe.

Ce n’est pas une perspective privilégiée par défaut dans le cadre du soutien au comportement positif.



3. Les attentes, les règles et les conséquences


L’enseignant communique les attentes, les règles et les conséquences. Il assure un enseignement explicite des comportements attendus (routines de classe) et s’assure de leur application. Il renforce les nouveaux comportements positifs acquis par l’élève.

L’enseignant appuie son niveau de pouvoir en tant que garant d’un ordre prédéfini et explicité sous forme de règles et de routines comportementales. L’école fournit un cadre commun pour tous ses intervenants, fondé sur ses valeurs et ses missions éducatives.

L’enseignant exerce un processus de contrôle des règles et enclenche les conséquences à la clé en cas de non-respect.

Cette approche correspond à celle développée dans le cadre du soutien au comportement positif (SCP) par Steve Bissonnette et ses collègues. Elle met l’accent sur la prévention et l’enseignement explicite des comportements.

Elle a le double avantage de s’inscrire dans un programme complet qui :
  • S’appuie sur un vaste champ de recherches en gestion de classe et en psychologie
  • .
  • Bénéficie de données probantes qui montrent son efficacité en conditions réelles.



4. L’approche punitive et l’exclusion


Selon le principe de l’approche punitive, un comportement inadéquat d’élève entraine par défaut une sanction. 

L’approche de l’exclusion n’est utilisée que pour traiter les situations les plus problématiques, qui empêchent un bon fonctionnement de la classe.

C’est le cas extrême de l’exécution du pouvoir de l’enseignant, qui se traduit :
  • Par le fait de punir le comportement inadéquat pour l’arrêter
  • Par un renvoi de l’élève hors de la classe à la suite de la perturbation plus importante dont il est l’auteur.

En cas de punition, celle-ci devra être exécutée ultérieurement par l’élève. En cas d’exclusion, l’élève est alors placé temporairement sous la responsabilité d’autres adultes.

Si ces approches peuvent se retrouver dans la cadre du soutien au comportement positif, elles ne sont pas activées par défaut (sauf incident grave nécessitant une exclusion). L’optique est plutôt d’accentuer sur la prévention et un nouvel enseignement du comportement attendu avec des pratiques de soutien.



Les degrés d’intervention dans un continuum


À la recherche d’une solution face à une perturbation, en fonction de la gravité de celle-ci, l’enseignant passe d’une utilisation minimale à une utilisation maximale du pouvoir.

Le principe est d’obtenir l’arrêt de la perturbation le plus tôt possible avec le moindre coût dans l’échelle d’intervention. L’enseignant gravit le continuum, modifiant son approche à mesure qu’il reçoit (ou ne reçoit pas) certaines réponses.

Voici une série d’étapes qui illustrent une croissance dans le degré d’intervention face à une perturbation mineure :


Étape 1 : L’effet de proximité


L’enseignant s’approche physiquement de l’élève dont le comportement est problématique. Il s’agit de lui faire réaliser que l’enseignant a pris conscience de ce qui se passe.

Tout en continuant à donner cours, l’enseignant cherche également le regard de l’élève concerné. Il cherche à signaler à l’élève indirectement qu’il est préoccupé par ce qui se passe.

Ce faisant, l’enseignant laisse tout le loisir à l’élève de réagir et cesser son comportement.

Voir article :
Importance de la circulation et des interactions sociales de l’enseignant en classe



Étape 2 : Le rappel à la règle non dirigé


Sans s’adresser directement à l’élève concerné, sans le viser, l’enseignant peut effectuer un rappel à la règle, au comportement attendu et à son intérêt.

Cette règle représente le versant positif du comportement perturbateur que l’enseignant constate.

L’enseignant offre à l’élève la possibilité de prendre conscience de l’inadéquation de son comportement, réagir et le rectifier.



Étape 3 : Le rappel des attentes dirigé


Situé près de l’élève au comportement perturbateur, l’enseignant s’adresse discrètement à lui de façon à ce qu’uniquement lui et ses voisins l’entendent.

Il lui demande ce qu’il devrait commencer à faire (plutôt que de pointer ce qu’il fait ou a fait d’inadéquat).

L’idée est que pour mettre un terme au problème soulevé, l’élève montre qu’il connait ou a compris le comportement attendu et l’exécute dans la foulée. Pour ce faire, l’enseignant utilise un ton apaisé, respectueux et posé.

Le message est positif, il s’agit de faciliter la mise en action voulue pour l’élève.



Étape 4 : L’énoncé directif des règles et un choix


Si les interventions précédentes n’ont pas porté leur fruit, l’enseignant s’adresse de manière plus claire et directe à l’élève, en lui proposant une alternative.

Il a le choix, soit d’obtempérer et de cesser son comportement dérangeant dans la foulée, soit de continuer et de faire face à certaines conséquences explicitées.

Cette intervention provoque une interruption dans le déroulé du cours, car tous les élèves en sont témoins, elle a donc tout intérêt à être rapide.




Étape 5 : Exclusion


En dernier ressort ou en fonction de la gravité des faits, l’enseignant renvoie l’élève hors de la classe afin de poursuivre dans de bonnes conditions l’enseignement.

Dans cette dimension, le problème n’est pas réglé, mais son dénouement est postposé au-delà de l’espace et du temps de classe. 




Faire fi du continuum, une erreur typique d’enseignants débutants


Lorsqu’un élève agit d’une manière inappropriée en classe, l’enseignant se demande en son for intérieur : « Que faire pour arrêter ce comportement ? »

La tendance naturelle, surtout pour un enseignant débutant, est de se précipiter vers l’élève, d’énoncer d’une manière forte et énergique ce que l’élève ne doit pas faire en premier.

Ensuite si l’élève ne se conforme pas, commence une recherche d’action pour le contraindre à obtempérer grâce à des conséquences.

Cette approche consistant à dire à l’élève ce qu’il ne doit pas faire est généralement inefficace à plusieurs égards qui sont détaillés dans la suite de l’article.



Prendre en compte l’immaturité émotionnelle et la question de l’identité des adolescents


Le début de l’adolescence se caractérise comme une période de confusion entre l’identité personnelle et les rôles attribués.

Les élèves de cet âge semblent être attirés émotionnellement entre deux extrêmes :
  • D’une part, ils veulent être traités comme des adultes
  • D’autre part, ils reviennent facilement à un comportement enfantin.

Ils sont très sensibles à la façon dont ils sont perçus par leurs pairs, en particulier, à la suite de la puberté, en raison de l’intérêt croissant que suscite leur apparence.

Toute confrontation, surtout dans un contexte où les pairs sont des spectateurs, exerce une forte pression sur les élèves de cet âge. Ils veulent sauver la face et éviter de se sentir ridiculisés.

Lorsque leur image de soi semble en danger, ils peuvent être tentés par la riposte et y céder.




Éviter d’amorcer une effervescence émotionnelle


Lorsqu’ils sont placés sous le « projecteur » par l’enseignant qui les prend à parti face au reste de la classe, ils peuvent inondés émotionnellement de sentiments de honte, de culpabilité et d’infériorité.

Leur confusion entre l’identité personnelle et le rôle dans lequel ils se retrouvent fait qu’ils sont facilement submergés par les émotions.

Une effervescence émotionnelle peut les pousser à un comportement impulsif et non raisonné. Ce phénomène peut être facilité et déclenché par une injonction directe, publique et à brûle-pourpoint de l’enseignant.

Cette situation peut obscurcir la pensée logique de l’adolescent sur la façon de répondre à une demande. Les affirmations de types « Tu ne peux pas… » sont susceptibles de générer des sentiments de culpabilité ou d’infériorité qui peuvent déclencher une réponse verbale inappropriée envers l’enseignant.

Avoir un ton trop directif et public pour des adolescents émotionnellement submergés fait que leur pensée régresse vers une forme d’irréversibilité. Ils ne réfléchissent pas à l’enchaînement des actions passées et des conséquences futures. Ils ont simplement l’impression d’être sous les feux de la rampe que tout le monde les regarde, et ils doivent donc montrer qu’ils sont forts, quoi qu’il arrive.



Le potentiel « effet déclencheur » des phrases négatives


Le danger des phrases négatives comme « Ne mets pas les pieds sur la chaise » est que l’élève risque d’entendre et de se focaliser sur le fait de mettre les pieds sur la chaise. Il peut l’utiliser comme une sorte de défiance pour garder la face.

On risque ainsi de suggérer aux élèves de continuer à accomplir les actions mêmes dont on ne veut pas.

Les mots suggèrent une réponse motrice qu’ils doivent inhiber. Lorsque la pensée des adolescents est inondée d’émotions, leur processus de pensée régresse vers la façon dont le jeune enfant réagit et pense.

Il existe un risque lorsque l’enseignant énonce à un élève une phrase négative qui se termine par une action ou une signification motrice, par exemple « Ne pas bavarder ». Il est probable qu’il augmente l’envie d’exécuter ce comportement chez certains élèves.



Privilégier le rappel des comportements attendus à l’accent sur le comportement perturbateur


Il suffit que l’enseignant énonce ce que les élèves doivent faire, plutôt que ce qu’ils ne doivent pas faire. Premièrement, l’élève ne connait peut-être pas précisément le comportement attendu. Deuxièmement, on lui présente une solution directement applicable qu’il visualise et qui la rend de fait plus facile à mettre en œuvre.

L’enseignant procédant de manière positive évite également une confrontation directe avec un élève motivé par le besoin de pouvoir. Si l’énoncé a une valeur équivalente, l’énoncé positif sera vécu comme moins coercitif par l’élève et comme prenant mieux en compte son autonomie.

De plus, le dernier risque des directives négatives et que, si celles-ci sont répétées régulièrement, elles s’accompagnent d’un effet de désensibilisation des élèves. Le principe est donc de conserver les énoncés négatifs que lorsqu’ils sont vraiment nécessaires.



Comprendre la nécessité d’intervenir à moindre coût


En ce qui concerne la gestion d’une perturbation et sa résolution à l’intérieur de la classe, l’enseignant a trois options :
  1. Faire réaliser à l’élève qu’il a conscience de ce qui se passe, qu’il prend en compte sa sensibilité et lui laisser l’autonomie dans la décision de changer son comportement.
  2. Faire un rappel indirect à la règle et à sa justification afin de faire prendre conscience à l’élève du décalage entre son comportement et le comportement souhaité. À la suite de cette prise de conscience, l’enseignant parie sur le fait que l’élève va décider de changer son comportement. Si ce n’est pas le cas, il escalade.
  3. Se référer à la règle et aux conséquences de sa non-application. L’élève possède alors un choix entre agir et se conformer au comportement attendu ou ne pas agir et affronter les conséquences prévues.
Ces trois approches ont des impacts différents sur le vecteur principal de l’enseignement ;
  1. La première est non invasive et tolère la perturbation un certain temps en pariant sur une prise de conscience de l’élève qui peut arriver tardivement ou ne pas arriver du tout. Elle a un coût distractif pour la classe.
  2. La deuxième vise à intervenir de manière efficace et à moindre coût, elle est privilégiée dans le cadre du soutien au comportement positif.
  3. La troisième introduit une rupture dans le vecteur principal du cours. L’élève peut obtempérer ou non, dans ce dernier cas la perturbation du cours s’intensifie pour un temps.


Garder une certaine souplesse en fonction de l’élève et du contexte


Si le soutien au comportement positif propose un continuum, celui-ci n’est pas strict, mais est amené à être utilisé avec une certaine souplesse en fonction du contexte.

L’enseignant, à partir de ses expériences passées avec des élèves et d’une connaissance personnelle de l’élève en question, est amené à prendre rapidement des décisions quant aux options qui s’ouvrent à lui.

En fonction de la situation, il doit sélectionner la technique ou l’approche qui :
  • Sera le plus efficace pour faire cesser la perturbation et permettra un bon apprentissage au sein de la classe.
  • Renforcera les bons comportements de l’élève concerné et diminuera à l’avenir la fréquence des comportements perturbateurs. 
  • Favorisera une autonomie au sein de la classe et l’autorégulation des comportements.
Au plus les élèves sont capables d’exprimer un degré d’autonomie élevé, au moins l’enseignant doit s’investir dans un contrôle direct du comportement.

De même, en fonction de leur personnalité et des caractéristiques des pratiques d’enseignements qu’ils adoptent, de nombreux enseignants d’une même école sont amenés à faire un dosage différent entre ces approches. Toutefois, être capable d’intervenir aux différents niveaux en fonction de la situation et maîtriser toute une panoplie d’interventions potentielles est un atout pour l’enseignant. Le soutien au comportement positif est le seul modèle complet susceptible d’aider l’enseignant à se comporter de manière optimale dans ce type de situation.

Mise à jour le 28/05/2022

Bibliographie


Charles H. Wolfgang, Solving discipline problems: methods and models for today’s teachers, John Wiley & Sons, pp1-12, 1999.

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