mardi 6 août 2019

La complexité et la diversité des réactions d'élèves face à la punition

Compte-rendu personnel d’un des thèmes abordés par Franck Ramus, « De la perturbation à l’implication : comment faire adhérer les élèves ? » associé à une synthèse de différentes lectures sur la régulation émotionnelle.

(Photographie : Jacky Hawkeswood)


L’usage de punitions, un pari toujours hasardeux et à encadrer


La discipline à l’école est essentiellement régulée par des punitions et des menaces de punitions, les règlements intérieurs des établissements sont révélateurs à ce sujet. 

Des approches fondées sur des données probantes, comme celles incluses dans le soutien au comportement positif, qui permettent de limiter la nécessité d’utiliser une punition et d’encadrer son processus sont intéressantes.

Si elles restent nécessaires et inévitables dans certains contextes, les punitions sont susceptibles de générer des conséquences néfastes dans divers cas de figure. Nous devons par conséquent essayer de minimiser leur usage. Elles peuvent avoir un effet positif sur certains élèves et négatif sur leur comportement d’autres élèves. Les différences se situent dans la personnalité de l’élève, ses expériences antérieures, sa maturité et sa capacité à gérer ses émotions et à réfléchir à sa situation.

Cette double nature hasardeuse et nécessaire des punitions dans un système de gestion des comportements à l’échelle d’une classe ou d’une école fait qu’elles doivent être sérieusement réfléchies.

Comme l’expliquent Baye et ses collaborateurs (2022), les enseignants qui ont des problèmes avec la gestion des comportements attendus en classe, délivrent généralement peu de renforcement positif. Ils punissent souvent (réprimande, punition, exclusion temporaire du cours) les élèves qui adoptent un comportement inadéquat. 

Le risque est que dans ce cas de figure, le fait de donner une punition peut également répondre à un besoin d’attention pour certains élèves. Paradoxalement, le fait de donner de l’attention dans le cadre de la punition a un effet de renforcement des comportements inappropriés chez ces élèves.

Autre difficulté, la distribution de punitions peut accompagner un manque de cohérence d’un enseignant à l’autre. En effet, lorsque les enseignants d’une même école emploient des approches différentes ou mettent en avant des règles différentes, les élèves sont perdus. Ils ne savent plus toujours ce qui est attendu d’eux dans les différentes classes et dans les différents lieux de l’école. Ils sont susceptibles de tirer profit ou d’être victimes de ces divergences. 



La punition comme souffrance psychologique


Les punitions ont des effets pervers bien connus. Elles sont décrites comme des stimuli aversifs. Elles sont des sources de souffrances immédiates d’ordre psychologique. Cela se traduit chez les élèves par des émotions négatives comme la tristesse ou la colère. Cette souffrance peut se manifester par des pleurs, des tremblements, des rougissements et des comportements inadaptés. 

L’école devrait être un lieu d’épanouissement et d’émotions positives pour tous les élèves. Malheureusement, ce n’est pas facile à atteindre.

Nous savons que les émotions négatives ont une influence néfaste sur les apprentissages. Les émotions négatives ne peuvent pas toujours être évitées pour tous les élèves, mais quand même, tous les efforts devraient être faits pour les minimiser. 

À cause des émotions négatives, les punitions engendrent des comportements indésirables ou des réactions d’évitement.




L’anticipation de la punition comme source de stress


En tant que facteur de stress, les punitions sont susceptibles de susciter anticipativement de l’appréhension, de la peur ou de l’anxiété.

Pour l’élève sanctionné, la punition est un stimulus soudain même s’il peut dans un certain nombre de cas être anticipé ou relativement prévisible. La punition possède un statut de stimulus aversif. De ce fait, elle est susceptible de déclencher le stade d’alarme propre au stress.

Les processus de réaction face à un facteur de stress tel qu’une punition peuvent être conscients ou inconscients, automatiques ou volontaires. Dans le cadre de la gestion de la discipline, nous souhaitons qu’ils soient conscients et volontaires de manière à pouvoir amorcer un processus d’apprentissage qui amènera le changement.

Face à un stress, il y a deux possibilités, la seconde pouvant rapidement succéder à la première ou se déclencher prioritairement :
  • Soit laisser libre cours à nos émotions, c’est-à-dire suivre la voie réflexe propre aux automatismes et à l’inconscient. Cela se traduit par la fuite, la lutte ou une forme de paralysie (« faire le mort » ou dans ce cas ci, se taire et ne pas broncher).
  • Soit, il y a mobilisation de processus conscients de réflexion et nous entamons une régulation de nos émotions. Dans ce cas, il y a besoin d’inhiber les réponses réflexes.


La punition comme détonateur émotionnel


Les punitions peuvent dans ce cas engendrer elles-mêmes des comportements indésirables.

Des comportements tels que ceux-ci décrits ci-dessous sont susceptibles de se manifester :
  1. L’élève peut se tétaniser, être pris de stupeur ou éventuellement éclater en sanglots. Le but inconscient est de tenter de se faire discret, de faire pitié ou de manifester que la situation nous dépasse complètement, pour échapper aux conséquences de la menace. 
  2. Dans une tentative d’évitement, l’élève peut s’emporter, enchaîner sur une crise de colère, partir en claquant la porte, contester vivement. De cette manière, il s’exclut lui-même du cours et évite de devoir y assister et d’y participer dans la foulée. Dans ce cas, l’élève repousse la nécessité de recoller les bouts. 
  3. De même dans une tentative d’évitement alternative, l’élève peut s’excuser vivement, tenter de récupérer la situation, faire preuve de regrets hypocritement dans le but à nouveau d’atténuer les conséquences.
  4. La punition est également susceptible de générer des comportements d’agression avec des conséquences aggravées.

Des comportements répétés de ce type sont susceptibles d’entraîner la mise en place de cycles de coercition si nous n’y prenons pas garde. Le danger le plus important est que lorsque l’enseignant se sentent eux-mêmes stressé, les deux phénomènes pouvant s’alimenter mutuellement.

Ces phénomènes émotionnels peuvent aussi ne s’embrayer que temporairement. L’élève glisse alors vers une régulation de ses propres émotions.

L’enseignant a tout intérêt à favoriser l’abandon d’une punition à l’issue incertaine, pour privilégier un processus plus réfléchi qui est également plus susceptible d’aboutir à un apprentissage social.



Régulation des émotions au cours de la vie


La régulation des émotions est définie au sens large comme la capacité de gérer ses propres réactions émotionnelles. Elle comprend des stratégies pour augmenter, maintenir ou diminuer l’intensité, la durée et la trajectoire des émotions positives et négatives.

Nous visons non seulement à réduire l’intensité ou la fréquence des états émotionnels, mais aussi à avoir la capacité d’en générer et d’en soutenir d’autres.

La régulation des émotions implique des processus intrinsèques et extrinsèques en vue de l’atteinte des objectifs. Elle comprend des compétences et des stratégies pour surveiller, évaluer et modifier ses réactions émotionnelles.
  • La nature intrinsèque mesure la propension naturelle de l’élève à s’engager dans la régulation de ses émotions. 
  • La nature extrinsèque indique en quoi le contexte et l’enseignant avec les stratégies qu’il propose peuvent eux-mêmes favoriser l’adoption d’une régulation par l’élève.
La régulation des émotions a été liée à une grande variété de domaines de fonctionnement, y compris le fonctionnement social, le bien-être psychologique et physique et le rendement scolaire.

La recherche dans le domaine de la régulation des émotions montre des augmentations et des diminutions selon l’âge dans de nombreuses stratégies de régulation des émotions. Elle montre aussi avec l’âge une tendance générale à l’augmentation de la régulation adaptative des émotions.

Dans la petite enfance, les émotions sont souvent exprimées. Un soutien externe est recherché, par exemple auprès d’un parent ou d’un adulte encadrant.

De la petite enfance à l’adolescence, la complexité cognitive et la compréhension des émotions, pertinentes pour le suivi et l’évaluation de ses réactions personnelles, deviennent plus complexes. La régulation des émotions individuelles inclut plus souvent des objectifs à long terme.

Les capacités de régulation des émotions se développent considérablement au cours de l’adolescence :
  • L’adolescence est une période d’âge avec des altérations rapides et fondamentales dans les domaines biologique, cognitif, social et émotionnel. Au cours de cette phase de développement, de nombreux aspects de la vie s’accompagnent d’émotions négatives intenses dans la vie quotidienne et de relations souvent instables entre pairs ou romantiques. Il y a également une diminution du soutien perçu des parents.
  • Une réactivité émotionnelle accrue, une prise de risque accru et des comportements impulsifs sont également caractéristiques de l’adolescence.
  • Les théories actuelles, sur le développement neurobiologique, proposent qu’un contrôle préfrontal accru, sur les régions sous-corticales émotionnellement réactives, renforce les capacités à réguler les émotions négatives (en particulier la peur). Il aide progressivement à gérer les tendances impulsives, tout au long de l’adolescence.
  • Il y a une efficacité limitée des stratégies de régulation interne au début de l’adolescence. Avec l’avancée de l’âge, l’adolescent s’oriente peu à peu vers un recours accru aux stratégies d’adaptation et un recours moindre aux stratégies inadaptées avec l’âge.
    • Il y a un changement significatif dans la nature et la fréquence de l’utilisation de différentes stratégies de régulation des émotions pendant la période du début à la mi-adolescence (vers 14-16 ans).
    • Il a été montré que l’adolescence moyenne (15 à 17 ans) présente le plus petit répertoire de stratégies de régulation des émotions avec des différences selon le sexe également.
De l’adolescence à l’âge adulte, la régulation des émotions devient potentiellement plus souple avec une plus grande cohérence dans la reconnaissance et la compréhension de ses propres sentiments et de ceux des autres. De même s’installent une meilleure compréhension de la sélectivité possible de ses propres perceptions et évaluations, et une meilleure compréhension des comportements liés à ses émotions.

Avec le temps, avec l’âge et l’expérience grandissante des coûts et des avantages de l’utilisation de différentes stratégies d’intervention d’urgence, les individus apprennent à réguler leurs émotions de façon plus saine. Les expériences émotionnelles sont gérées de plus en plus efficacement par des stratégies de réglementation interne.




Réguler ses émotions en cas de punition


Nous pouvons supposer que dans le cas de la punition, les processus sont déclenchés de manière extrinsèque, car le stimulus aversif que constitue la punition sert de facteur de démarrage. L’enseignant recherche une diminution marquée de la fréquence, voire une extinction rapide du comportement dont la punition est la conséquence.

Rien n’est moins certain que le fait que la punition y parvienne, car l’élève peut suivre deux directions. Les stratégies d’intervention de régulation des émotions ont été différenciées selon qu’elles étaient axées :
  • Sur les antécédents : nous parlons de réévaluation cognitive
  • Sur les conséquences : nous parlons plutôt de suppression de l’expression
. L’usage d’un type de stratégie à l’autre varie selon la personne. Ces différences sont liées de façon prévisible au fonctionnement psychologique. L’utilisation de ces stratégies dépend de l’intensité de l’émotion ressentie et de l’adéquation de la capacité régulatrice de l’individu à la situation donnée.




La suppression de l’expression


Elle consiste à inhiber l’expression des émotions de sorte à ne pas communiquer à autrui d’informations à propos de ses états émotionnels.

Il s’agit de modifier la réponse émotionnelle elle-même après qu’elle ait été engendrée. Elle intervient relativement tardivement dans la séquence émotionnelle et modifie en premier lieu les aspects comportementaux de la tendance d’action émotionnelle.

La suppression expressive aurait ainsi pour effet de diminuer l’expression comportementale des émotions, mais pour autant, le ressenti émotionnel face à la situation ne serait pas amoindri.

Cela aurait, en effet, pour conséquence de diminuer le bien-être psychologique des personnes qui en ont le plus recours. Elle est associée à un coût psychologique considérable. Elle ne réduit pas l’anxiété. De plus, alors qu’il a été démontré que la suppression des émotions négatives laisse intacte l’expérience des émotions négatives, la suppression des émotions positives diminue l’expérience des émotions positives.

Le recours à cette forme de suppression est plus courant chez les enfants et semblerait diminuer avec l’âge au fil du temps. Ce type de comportement semblerait également plus courant avec les garçons.

Dans le cadre de la punition, il s’agit de l’élève qui obtempère lorsqu’il reçoit la punition, qui inhibe son comportement, mais ne change en rien ses conceptions et sa manière de voir les choses. Dans ce cas, il sera susceptible de répéter le comportement par la suite. La punition devra donc se répéter afin de mettre en place un conditionnement opérant. D’une certaine manière, il se soumet à la contrainte, mais ne l’accepte pas. Il ne comprend pas son bien-fondé.




La réévaluation cognitive


La réévaluation cognitive désigne le processus cognitif par lequel l’évaluation d’une situation permet d’en atténuer ou d’en accroître le caractère émotionnel.

C’est clairement une stratégie centrée sur les antécédents de la réponse émotionnelle. Elle apparaît et intervient avant que les tendances de réponses aient été générées. Plus précisément, les réévaluateurs sont plus susceptibles de négocier les événements stressants en les interprétant de façon plus optimiste et d’être plus actifs dans leurs tentatives de compenser les humeurs négatives.

Dans la plupart des cas, cette stratégie permettrait de réduire les émotions négatives, d’augmenter les émotions positives et le bien-être psychologique suscités par une situation. 

Les réévaluateurs ressentent et expriment plus souvent des effets positifs et moins négatifs que les personnes qui ont moins souvent recours à cette stratégie. Face aux événements stressants ou aux contraintes chroniques, la réévaluation jouerait un rôle protecteur vis-à-vis de la survenue de symptômes dépressifs et face à l’anxiété. Le réévaluateur a un profil plus sain en ce qui concerne les résultats affectifs, cognitifs et sociaux à court terme comparativement à la suppression.

Dans le cadre d’une punition, l’élève contrôle ses émotions à la réception de la punition en changeant sa façon de voir la situation dans laquelle il est. Ses réflexions sont susceptibles de générer des changements durables. Non seulement il obtempère lors de la punition, mais tâche de comprendre pourquoi il est sanctionné et comment il peut agir positivement par la suite pour éviter de voir l’événement se répéter.

Le réévaluauteur démarre un travail de fond qui permettra de changer plus durablement son attitude. La difficulté est que cette seconde option, qui est une forme de régulation adaptative, demande une motivation intrinsèque, une forme d’apprentissage.

Celui-ci nécessite une forme d’enseignement ou d’accompagnement que n’offre pas une punition en tant que telle. Nous sommes là au-delà du cadre d’un conditionnement opérant. C’est l’issue la plus enviable, mais la moins probable pour une simple punition. La démarche alternative qui consiste à enseigner à nouveau le comportement attendu comme le propose le soutien au comportement positif semble à ce titre très pertinente.


Mis à jour le 11/09/2023

Bibliographie


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Ariane Baye, Valérie Bluge, Caroline Deltour, Aurore Michel et Fabian Pressia, Soutien aux Comportements Positif,  Manuel pour la mise en place du niveau 1, 2022

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