vendredi 19 juillet 2019

Enseignement explicite : du simple vers le complexe et de l'importance du contexte

La manière dont l’enseignement explicite aborde les premières étapes du processus d’apprentissage en est une caractéristique fondamentale. Nous présentons l’information en petites unités, dans une séquence graduée, étape par étape, en allant du plus simple au plus complexe, en respectant la charge cognitive des élèves.

(photographie : Anne Desplantez)


À ce sujet, un double reproche est parfois énoncé à l’encontre de l’enseignement explicite. En voici un exemple emprunté à Philippe Jamotte (2007), qui écrit à son propos :

L’enseignement explicite s’appuie sur un découpage de l’apprentissage en petites unités de difficulté croissante. Or de nombreuses recherches montrent que le morcellement en petites unités dont l’apprenant ne perçoit pas toujours le sens est un des facteurs qui peut compromettre l’apprentissage… … le seul fait qu’un élève soit capable de redire les informations « toutes faites » qu’il a apprises sur le système digestif ne garantit pas qu’il ait modifié profondément ses représentations, sa manière de s’alimenter… des élèves dûment entraînés à répondre correctement à des exercices de grammaire se révèlent être de piètres orthographieurs lorsqu’ils sont amenés à écrire spontanément

 

La volonté de donner du sens aux apprentissages, qui m’apparait comme légitime, s’appuie, entre autres, sur la contextualisation des apprentissages et sur la prise en compte des représentations de l’apprenant. Même si tout n’est pas parfait, de nombreux enseignants proposent des situations de découverte efficaces et économiques en temps et en moyens sur base desquelles ils structurent et systématisent les apprentissages.

L’enjeu de cet article est de lever ces incompréhensions.



Présentation de l’information nouvelle en petites unités


La présentation de l’information nouvelle en petites unités ou segmentation est une caractéristique fondamentale associée à l’enseignement explicite. 

De là en découlent trois principes distincts liés à un apprentissage efficace. Pour l’enseignant face à une classe, il s’agit de :  
  1. Limiter la quantité de nouvelles connaissances que les élèves se font expliquer à un moment donné pour tenir compte de la charge cognitive qu’elle représente pour leur mémoire de travail.
  2. Organiser et intégrer les contenus du simple vers le complexe, du simple vers le difficile, du concret vers l’abstrait.
  3. Concevoir la planification sur l’année dans une perspective de consolidation, et de la distribuer en optimisant les effets d’espacement, de test et d’entremêlement.
Pour les deux premiers principes, l’objectif d’un découpage de la matière porte principalement sur les phases du modelage et de la pratique guidée. 

Pour le troisième principe, la compréhension étant atteinte, l’apprentissage poursuit son cours avec des visées de consolidation, les élèves étant amenés, après y avoir été préparés, à aborder les tâches complexes visées. Ce dernier principe prend forme dans le cadre d’une pratique autonome distribuée qui inclut des stratégies liées à la pratique de récupération et à l’évaluation formative. Ce processus peut également se poursuivre dans le cadre d’une phase de découverte guidée qui suit l’enseignement explicite une fois que les élèves ont acquis l’essentiel des connaissances visées.

La présentation de l’information en petites unités est à mettre en association avec le troisième des seize éléments de l’enseignement explicite, tels que mis en avant par Anita L. Archer et Charles A. Hughes (2010).

Dans le cadre du modelage et de la pratique guidée, nous allons diviser les habiletés et les stratégies complexes en unités d’enseignement plus petites :
  • L’enseignement se fait par petites étapes, segmentées, mais progressivement intégrées les unes aux autres au fur et à mesure que l’apprentissage a lieu. 
  • La segmentation des habiletés complexes en unités d’enseignement plus petites composées de nouvelles informations répond aux préoccupations concernant les limites de la mémoire de travail et à une volonté d’efficience. 
  • La charge cognitive est prise en compte en fonction des exigences de traitement des nouvelles informations, et ce pour tous les aspects de l’enseignement : conception, attention, vérification de la compréhension, tâches données aux élèves, etc. 
  • Une fois maîtrisées et transférées en mémoire à long terme, les différentes unités sont associées et pratiquées dans leur ensemble, elles échappent aux limites de la mémoire de travail. Les élèves sont peu à peu aptes à gérer des tâches complexes en autonomie sans l’étayage et le soutien de l’enseignant. Celui-ci continue cependant à sonder les apprentissages et à offrir un retour d’information dans une optique d’approfondissement, de transfert et de consolidation.



Limiter la quantité de matière nouvelle que les élèves reçoivent à la fois


Les enseignants efficaces reconnaissent la nécessité de tenir compte des limitations de la mémoire de travail de leurs élèves pour l’apprentissage de nouvelles connaissances. Une fois consolidées en mémoire à long terme, ces connaissances sont pleinement exploitables dans le cadre des schémas cognitifs (voir article).

Pour ce faire :
  • Les enseignants efficaces découpent les concepts et les procédures en petites étapes. Ils s’assurent dans leur planification que les élèves auront l’opportunité de pratiquer chacune d’entre elles. Ce découpage demande une bonne expertise de la matière considérée et nécessite d’investir du temps dans l’analyse du programme du cours.
  • Le modelage, de même que l’apport et le retrait progressif de l’étayage sont conçus comme un processus global. Celui-ci englobe étape par étape, les explications, un support initial en pratique guidée et son retrait ultérieur en vue d’aboutir à la pratique autonome.



Organiser et intégrer les contenus du simple au complexe


Si le modelage se conçoit au niveau de l’étape, au fur et à mesure que les schémas cognitifs des élèves s’élaborent, au plus ces derniers deviennent autonomes et prêts à aborder la réalisation de tâches complexes.  

L’idée n’est pas de constituer des unités indépendantes et isolées de matière. Le principe est qu’au fur et à mesure les nouvelles unités incluent en leur sein une dépendance avec le contenu des petites unités précédemment apprises. Il y a un emboitement, chaque nouvelle étape comprend les précédentes.

Comme les unités précédentes ont permis un stockage de l’information en mémoire à long terme (même si la consolidation est encore en cours), elles n’impactent que peu sur les ressources en mémoire de travail. Cela permet le passage progressif, avec une certaine aisance, du simple vers le complexe.  



Concevoir la planification sur l’année


Penser la planification en fonction des apprentissages à maîtriser


Ce troisième point reflète bien toute la complexité de la consolidation. Si au terme d’une heure de cours, l’enseignant a permis aux élèves de comprendre une procédure complexe, le stockage de cette compétence en mémoire à long terme reste fragile. 

Tout un jeu entre récupération et consolidation doit à ce moment-là se mettre en place pour permettre des apprentissages durables. Il y a un risque si l’enseignant ne revient pas régulièrement sur ce qui a été modelé et pratiqué, que ce soit par des devoirs, des évaluations formatives, des pratiques d’espacement et d’entremêlement. Le bénéfice d’un modelage et d’une pratique guidée morcelée va se désagréger pour une bonne part et nécessiter une phase de réenseignement. 

Les temps d’enseignement et d’apprentissage ultérieurs doivent donc continuer à activer et maintenir des liens avec les apprentissages antérieurs. La mobilisation de ces liens doit donc être planifiée également. 


Un enchaînement logique des contenus


L’organisation des contenus est à mettre en association avec le second des seize éléments de l’enseignement explicite, tels que mis en avant par Anita L. Archer et Charles A. Hughes (2010). Il s’agit de l’enchaînement logique des compétences où il faut tenir compte des différentes variables du programme d’études. Cela consiste à : 
  • S’assurer de la maîtrise des connaissances préalables à une compétence spécifique avant de l’enseigner.
  • Enseigner  les compétences spécifiques les plus faciles avant les plus difficiles.
  • Enseigner les compétences spécifiques les plus fréquentes d’utilisation avant les moins fréquentes.
  • Séparer et espacer dans le temps l’enseignement des concepts et des procédures qui se ressemblent mais sont distinctes car les présenter conjointement peut se révéler déroutant pour les élèves et être source d’erreurs.


Principes de découpage des contenus


Il existe beaucoup de façons de découper un contenu complexe en parties, mais elles ont intérêt à refléter les liens à créer dans les schémas cognitifs en devenir :
  • Les connaissances déclaratives doivent bien mettre en scène les différents liens, catégories et hiérarchies entre les différents concepts 
  • Les connaissances procédurales, qui sont celles des habiletés doivent mettre en évidence verbalement les différentes étapes, les opérations qu’elles contiennent, leur sens et les règles à respecter. 

Un outil très intéressant dans ces démarches est l’organisateur graphique (voir article). 

Une analogie intéressante est celle que nous pouvons faire avec l’acquisition d’un geste sportif complexe (danse, gymnastique…). Pour l’acquérir, il est nécessaire d’y aller progressivement. Une idée sous-jacente ou une étape doit être complètement maîtrisée avant d’en ajouter une deuxième. Nous attendons que les deux soient associées ensemble avant d’en ajouter une troisième et que leur usage se fluidifie.

En mathématiques et en sciences par exemple, de nombreuses procédures répètent et exigent les mêmes étapes. Ces procédures bénéficient dès lors d’un apprentissage en profondeur avec automatisation tel que le propose l’enseignement explicite. L’enseignant a alors avantage à transformer sa verbalisation des étapes en une suite d’instructions formelles qui indique quoi faire à quel moment et pourquoi. Le fait de pouvoir décomposer en étapes claires et verbalisées facilite grandement la compréhension des élèves.

En enseignement explicite, nous avançons ainsi avec toute la classe. La compréhension et l’apprentissage se font dans une sorte de résonance. L’attention est guidée vers les éléments à traiter vers la constitution d’un ensemble cohérent de concepts ou d’une habileté complète.

Si nous combinons complètement modelage et pratique guidée, l’idée est que rapidement après une forme de pratique guidée récapitulative, les élèves soient prêts à s’engager dans une pratique autonome.

Nous pouvons conclure que le principe de l’enseignement explicite n’est donc pas de morceler les savoirs, mais plutôt de faciliter un apprentissage efficace de connaissances et de savoir-faire complexes. 

La question du découpage de la matière pour en optimiser l’apprentissage est un sujet idéal de travail collaboratif entre enseignants, dans le cadre des communautés d’apprentissage professionnelles. Il y a un réel bénéfice à en tirer pour les élèves et pour les enseignants.

Y travailler à plusieurs permet d’échapper plus facilement à ce que la psychologie appelle la malédiction de la connaissance (en anglais : curse of knowledge). Il s’agit d’un biais cognitif. Celui-ci survient lorsqu’un enseignant a de la difficulté à enseigner l’un ou l’autre point de matière à ses élèves. Tout lui semble tellement évident qu’il peut avoir du mal à se mettre à leur place et comprendre leurs difficultés.

En tant qu’enseignants, nous n’avons pas toujours conscience de tout ce que nous connaissons et de tout ce que nous avons dû apprendre au départ en y mettant le temps et les efforts nécessaires. La démarche de verbaliser les points concernés n’apparait pas toujours de manière évidente et peut nous demander des efforts et une préparation stratégique.



Comprendre le rôle du contexte authentique en enseignement explicite


L’enseignement explicite exclut le démarrage par une mise en scène de type « situation problème » qui met les élèves en situation concrète de découverte face à un apprentissage complexe.

Est-ce que cela signifie pour autant que l’enseignement explicite est une démarche décontextualisée qui démarrerait d’emblée par de l’abstraction ? Ce n’est pas le cas. 

Chaque concept et chaque étape en enseignement explicite sont accompagnés, lors du modelage, de multiples exemples et contre-exemples qui sont naturellement contextualisés dans des situations variées. 

Nous insisterons sur la nécessité d’utiliser de multiples exemples inscrits spécifiquement dans des contextes dissemblables, pour mettre en évidence l’élément abstrait commun et permettre une compréhension dans toute la profondeur du sens (voir article). De même, les contre-exemples indiquent les limites d’application des nouvelles connaissances.

Les tâches complexes et complètement contextualisées sont une finalité dans une démarche d’enseignement explicite. Par respect envers le fonctionnement cognitif, elles ne seront abordées dans toutes leurs richesses que lors la dernière partie des enseignements. À ce moment-là, les élèves ont la compréhension et les schémas cognitifs nécessaires pour s’engager pleinement à les résoudre et transférer efficacement leurs savoirs dans des contextes proches.



Privilégier le sens en variant l'angle d'observation lors du modelage


Le véritable danger lier au fait d’avancer concept par concept ou étape par étape pour l’enseignant est d’avoir la tête dans le guidon. Nous pouvons nous retrouver à privilégier certaines associations entre concepts, qui vont correspondre à l’ordre dans lequel ils ont été enseignés. Ce fonctionnement risque d’être défavorable à l’établissement de liens entre concepts distants dans un cours donné.

Le même problème peut se poser dans l’établissement d’une procédure ou d’une habileté. Des étapes intermédiaires risquent de n’être considérées que comme récupérant des données de l’étape précédente pour les délivrer à l’étape suivante en n’ayant aucune signification propre. Ce risque est d’autant plus grand que la mémoire procédurale, en s’automatisant, perd l’accès à la verbalisation.

Il est donc intéressant, à de multiples moments, durant le processus de modelage et particulièrement au moment de la vérification de la compréhension, de changer le focus de l’attention à de multiples reprises :
  • Nous pouvons considérer dans un focus étroit, comment une étape ou un concept viennent s’intègrent aux précédents, ce qu’ils apportent et leurs conditions d’application.
  • Ensuite, nous prenons un focus plus large et nous observons leur place, leur rôle et leur signification dans la globalité des connaissances complexes abordées. 
  • Nos questions gagnent à faire naviguer la réflexion de nos élèves d’un focus étroit à un focus large et inversement. Nous amenons les élèves à interpréter ce qui se passe du niveau de la réalisation de l’étape à son interprétation à l’échelle de la globalité. De cette manière, nous allons favoriser la structuration, l’intégration et l’accessibilité des connaissances des élèves. Tout le processus va avoir un effet bénéfique sur la durabilité et la complexité de schémas cognitifs élaborés par les élèves.
Une autre manière d’aborder ces enjeux est de faire passer les élèves d’un niveau de lecture à un autre, d’un mode graphique à un mode calculatoire, en mathématiques et en sciences. En biologie, il s’agit de passer du niveau moléculaire au niveau cellulaire, de tissu à l’organe, du système d’organes à l’organisme, etc. En histoire ou en géographie, c’est par exemple changer d’échelle de temps pour des évènements historiques, ou les replacer dans un espace géographique plus grand ou plus réduit, etc.




Mis à jour le 10/08/2023

Bibliographie


Tom Sherrington, Rosenshine’s principles in action, pp 15—17, John Catt, 2019

Jamotte, Philippe. Quelle pédagogie au service de la réussite de tous les élèves ? Un regard de praticien sur l’intervention de C. Gauthier In : Un enseignement démocratique de masse : Une réalité qui reste à inventer [online]. Louvain-la-Neuve : Presses universitaires de Louvain, 2007 (generated 18 juillet 2019). http://books.openedition.org/pucl/1745

Anita L. Archer and Charles A. Hughes, Explicit Instruction: Effective and Efficient Teaching, 2010, Guilford Press

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