(photographie : Olga Petroff)
La mémoire sensorielle
Caractéristiques
La formation d’une trace en mémoire sensorielle ne dépend que faiblement de l’attention portée au stimulus. La capacité et la durée de la mémoire sensorielle ne lui permettent pas d’être influencée par un contrôle conscient. Une personne ne peut pas penser ou choisir quelles informations seront stockées dans sa mémoire sensorielle. Elle ne peut pas non plus décider combien de temps elles y seront stockées.
Les informations représentées dans la mémoire sensorielle sont des données brutes qui fournissent un instantané de l’expérience sensorielle globale d’une personne. Chaque registre (sensoriel) de la mémoire sensorielle représente une immense quantité de détails, ce qui permet d’obtenir au départ une haute résolution de l’information.
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Rôles
Le rôle de la mémoire sensorielle est de prolonger un stimulus temporaire, afin de le rendre disponible pour un traitement ultérieur dans la mémoire de travail. Cela nous permet de sélectionner les éléments pertinents parmi le flot continu d’informations sensorielles.
Une fois que la trace en mémoire sensorielle s’est décomposée ou est remplacée par une nouvelle mémoire, les informations stockées ne sont plus accessibles et sont définitivement perdues.
Étant donné le nombre vertigineux d’informations transmises par nos sens, la mémoire sensorielle doit se renouveler très rapidement. Autrement, elle serait très vite submergée d’informations et deviendrait inefficace.
Filtrage et perception de l’information au niveau de la mémoire sensorielle
Le filtrage consiste en un tri de l’information piloté par l’attention :
- Si le sujet ne rattache pas la stimulation à une connaissance ou qu’elle n’a pas de signification pour lui, l’information sensorielle est oubliée.
- Si le sujet a relié l’information dans le registre sensoriel à une connaissance, celle-ci est transférée en mémoire de travail.
- La première phase est le traitement de l’information sensorielle qui permet, entre autres, de procéder à la reconnaissance des formes. Nous pouvons identifier un élément en nous basant sur les informations emmagasinées en mémoire à long terme. Concrètement, cela consiste, par exemple, à reconnaître un visage connu parmi une foule de personnes.
- Ensuite, la construction perceptive, pilotée par l’administrateur central (dans le modèle de Baddeley et Hitch de la mémoire de travail) va consister à opérer des traitements afin d’extraire le sens des informations qui parviennent au sujet. La perception est complexe dans le sens où elle est une construction en soi et peut se révéler erronée.
Registres
Chaque sens serait associé à un sous-système (ou registre) de la mémoire sensorielle. La mémoire sensorielle serait composée d’un registre auditif, d’un registre visuel, d’un registre olfactif, d’un registre gustatif et d’un registre tactile.
Les informations stockées en mémoire sensorielle sont spécifiques à la modalité concernée. Les chercheurs ont spéculé que chaque système sensoriel possèderait un magasin de mémoire dédié qui préserve certaines informations spécifiques des caractéristiques physiques des stimuli environnementaux.
Selon le registre considéré, l’information sera conservée plus ou moins longtemps.
La mémoire iconique
Lorsque le registre est visuel, nous parlons de mémoire iconique.
Lorsque nous nous arrêtons de regarder une image, nous avons l’impression de pouvoir encore voir l’image entière durant environ 250 millisecondes. Cette image supplémentaire est fournie par notre mémoire iconique.
Les représentations mentales des stimuli visuels sont appelées icônes (images fugaces). Certaines recherches ont montré que la mémoire iconique consiste en des traces de mémoire à grain grossier et à grain fin. Toutes n’ont pas la même précision.
Cette mémoire iconique provient (au moins en grande partie) de la fameuse persistance rétinienne. Elle permet de maintenir temporairement une image sur la rétine durant un temps limité. La raison est que les cellules de la rétine mettent un certain temps avant de réagir à un changement de luminosité. Ce temps de réaction des cellules de la rétine fait que l’image perçue sur la rétine va rester durant quelque temps imprimée et accessible au cerveau.
Les cellules de la rétine vont mettre un certain temps avant de détecter des tons plus sombres, alors qu’une augmentation soudaine de la luminosité est prise en compte plus vite.
Cette mémoire sensorielle est mise en œuvre dans les tâches de surveillance de radar, des situations de conduite rapide ou de contrôle qualité. Chaque fois, la durée de présentation des stimuli est courte et ne permet ni un traitement complet de l’information pendant sa présentation ni une autorépétition.
Cette mémoire iconique n’est pas la mémoire visuelle que certaines personnes pensent avoir. Le terme technique pour cette mémoire visuelle est l’imagerie eidétique. Les enfants qui en sont dotés sont capables de se souvenir des détails d’une image, pour une période très supérieure à la mémoire iconique, comme s’ils étaient encore en train de la regarder. 8 % des enfants avant l’adolescence possèderaient cette capacité, mais pratiquement plus aucun adulte.
La mémoire échoïque
Lorsque le registre est auditif, nous parlons de mémoire échoïque. La mémoire échoïque est dédiée aux sons.
Si jamais un mot familier (notre prénom, par exemple) est prononcé en arrière-plan, mais que nous ne l’écoutons pas spécifiquement, nous sommes capables de la repérer et de focaliser par la suite notre attention sur la source.
Sa durée est nettement plus importante que pour la mémoire iconique. La durée de rétention varie suivant l’âge. Elle augmente lors de l’enfance, et finit par se stabiliser assez rapidement vers six ans. La mémoire échoïque maintient les informations pendant 2 à 3 secondes pour permettre d’en effectuer un traitement correct. C’est sur elle que nous nous fondons par exemple lors de la prise de notes.
La mémoire haptique
La mémoire haptique représente la mémoire sensorielle pour le sens tactile, celui du toucher. Des récepteurs sensoriels dédiés, présents dans tout le corps détectent des sensations telles que la pression, les démangeaisons et la douleur.
L’haptique est un terme générique qui désigne plus spécifiquement la combinaison du sens du toucher par la peau et du mouvement de nos articulations et de nos membres — le plus souvent, nos doigts et nos mains.
Influence de la nature du support de lecture sur la mémoire haptique
Un évènement qui met en scène la mémoire haptique dans un contexte éducatif est notre rapport aux textes. L’haptique fait dans ce cadre référence à la façon dont nous utilisons nos doigts et nos mains pour tenir le texte ou l’appareil sur lequel le texte est affiché. Il correspond à la façon dont nous tournons les pages d’avant en arrière, utilisons notre index pour guider et aiguiser notre regard visuel, et utilisons nos doigts et nos mains comme supports.
Pendant longtemps, en raison de la prédominance du livre imprimé, les aspects incarnés de la lecture n’ont pas fait l’objet d’une grande attention. De plus en plus, la lecture implique un contact avec un écran numérique plutôt qu’avec des documents imprimés sur du papier. De fait, une grande partie de notre lecture étant désormais effectuée sur un écran plutôt que sur du papier, l’incarnation — en particulier l’haptique — de la lecture revêt une nouvelle urgence.
Comme l’explique Anne Mangen (2020), notre rapport au texte change lorsque nous passons d’un format papier à un écran. La lecture est une fonction multisensorielle et incarnée, impliquant en particulier nos doigts et nos mains dans l’engagement manuel avec un texte.
Que ce soit pour l’étude, le plaisir ou l’information, nous lisons généralement en tenant le texte dans nos mains. La lecture a toujours été incarnée, invitant et nécessitant certaines postures et certains mouvements d’adresse pour accéder aux textes et les traiter. Le rôle du corps dans l’incarnation de la lecture est fondamental.
Dès lors, lire sur le papier n’est pas équivalent à lire sur un écran. Les ordinateurs portables, les tablettes et les smartphones reprennent le travail et la fonction de supports de lecture plus anciens tels que les livres imprimés et les journaux. Mais ils sont également polyvalents. Nous nous divertissons avec des films, des séries ou des documentaires. Nous discutons avec nos amis et notre famille. Nous effectuons des achats et payons nos factures grâce à eux. Cela crée des distractions potentielles.
Toutefois, il est inutile d’essayer de donner une réponse simple et générale à la question de savoir si nous lisons mieux ou moins bien en fonction du support. Le lieu physique et le contexte social, qu’un lecteur soit, par exemple, seul ou en compagnie d’autres personnes, peuvent eux-mêmes affecter certains aspects de la lecture. Ils influent sur le sentiment d’immersion ou l’inhibition de pensées internes. Ils déterminent la profondeur de l’engagement dans la lecture et la résistance à la distraction.
Écrans et pages de papier fournissent un retour tactile différent à vos doigts et à vos mains, ce qui fait que notre corps et notre cerveau s’engagent différemment. La question st de savoir comment et dans quelle mesure ces différences ont un effet sur notre façon de lire est intrigante. Les résultats des recherches empiriques sur la lecture à l’écran indiquent que la lecture ne se limite pas à ce qui est visible à l’œil nu. Plus précisément, la nature physique du support papier peut contribuer à certains aspects cognitifs et émotionnels de la lecture.
Une méta-analyse de Pablo Delgado et ses collègues (2018) a montré que pour la lecture de textes informatifs, il existe une infériorité d’écran en matière de compréhension de la lecture. En d’autres termes, les gens ont tendance à mieux comprendre un texte lorsqu’ils le lisent sur papier que lorsqu’ils le lisent sur un écran. En outre, il semble que le décalage de la différence de compréhension de la lecture en faveur du papier a augmenté plutôt que diminué au cours des deux dernières décennies.
Les raisons invoquées pour expliquer ces différences sont liées à ce que nous appelons l’hypothèse de l’infériorité des écrans. Étant donné que nos modes d’interaction les plus courants avec les textes se font en ligne, nous prenons l’habitude de lire rapidement une énorme quantité de textes et d’informations. Nous nous arrêtons rarement pour nous intéresser à l’un d’entre eux de manière plus approfondie et consciencieuse. Ces habitudes basées sur l’écran contaminent ensuite notre mode de lecture sur papier. Notre concentration commence à dériver plus facilement après quelques pages. Nous devons faire plus d’efforts pour rester concentrés.
Les contingences sensorimotrices font référence aux ensembles de lois structurées prescrivant les changements sensoriels provoqués par le mouvement ou la manipulation d’objets. Elles sont fonction de la manière dont nous manipulons et déplaçons les objets dans nos mains.
Les contingences sensorimotrices du livre diffèrent de celles d’un écran :
- Un texte peut sembler identique lorsqu’il est imprimé sur une page et affiché sur un écran de tablette, mais les deux textes diffèrent en ce qui concerne la rétroaction kinesthésique qu’ils fournissent.
- Lorsque nous lisons un livre imprimé, nous pouvons aussi bien voir que sentir la progression page par page du texte. La nature physique du papier donne une impression de volume au support, qui reflète sa longueur.
- Lorsque nous lisons sur un écran, il n’y a pas de correspondance entre la nature physique du support et la longueur et l’extension du texte qui y est intégré. Nous pouvons voir notre progression sur l’écran, mais ce retour d’information exclusivement visuel n’est pas soutenu par les signaux sensorimoteurs associés.
Cette intangibilité du texte numérique peut avoir des implications sur les aspects cognitifs et émotionnels de la lecture. Mizrachi et ses collègues (2018) ont montré que les gens — jeunes et vieux — préfèrent toujours le papier à l’écran, surtout lorsqu’ils lisent des textes longs. Les raisons invoquées pour justifier la préférence pour le papier ont souvent trait à la tangibilité et à la qualité tactile. Les gens disent que la sensation du papier les aide à se concentrer et à se concentrer, et qu’il manque quelque chose lorsqu’ils lisent sur un écran.
Mis à jour le 15/03/2023
Bibliographie
Gerrig & Zimbardo. Psychologie 18e édition. Pearson. 2013
Rossi, Jean-Pierre, Neuropsychologie de la mémoire. De Boeck. 2018
Mémoire/Le modèle modal d’Attinson et Schiffrin, https://fr.wikibooks.org/w/index.php?title=M%C3%A9moire/Le_mod%C3%A8le_modal_d%27Attinson_et_Schiffrin&oldid=599381 (accédé le mars 24, 2019).
Mangen, Anne. (2020). Digitization, Reading, and the Body: Handling Texts on Paper and Screens. In Nancy Dess (ed.) (2020), A Multidisciplinary Approach to Embodiment: Understanding Human Being. London & New York: Routledge.
Pablo Delgado, Cristina Vargas, Rakefet Ackerman, Ladislao Salmerón. Don’t throw away your printed books: A meta-analysis on the effects of reading media on reading comprehension, Educational Research Review, Volume 25, 2018
Mizrachi, Diane & Salaz, Alicia & Kurbanoglu, Serap & Boustany, Joumana. (2018). Academic reading format preferences and behaviors among university students worldwide: A comparative survey analysis. PLOS ONE. 13. e0197444. 10.1371/journal.pone.0197444.
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