samedi 23 juin 2018

Pratique autonome en enseignement explicite : le pilotage de l’enseignant

Dans la traduction française des 17 principes d’instruction de Barak Rosenshine (2012), le terme independent practice est traduit sous forme de pratique autonome alors même que le terme autonomous n’est pas utilisé dans le document.

Dans le livre « Enseignement explicite et réussite des élèves » (2013) de Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard, c’est le terme pratique autonome qui est privilégié. Par contre si on retourne à leur livre précédent, « Comment enseigne-t-on dans les écoles efficaces ? » (2006), ils y parlent de pratique autonome ou indépendante, mais dans le cadre de la « direct instruction ».


(Photographie : Wouter Van de Voorde)






Une définition de la pratique autonome


Le Larousse en ligne définit indépendant comme suit :

Qui n’est en aucune façon lié à autre chose, qui est sans rapport avec autre chose. Ces deux phénomènes sont indépendants (l’un de l’autre).

Qui a son autonomie, sa liberté d’action et, en particulier, qui subvient lui-même à ses besoins : il gagne sa vie, il est maintenant indépendant.

Autonome y est défini comme suit :

Se dit de quelqu’un qui a une certaine indépendance, qui est capable d’agir sans avoir recours à autrui : Individu autonome.
 
L’appellation pratique autonome semble donc avoir une signification moins radicale, plus atténuée que pratique indépendante, ce qui ouvre la porte à d’autres approches comme l’apprentissage coopératif, le tutorat ou l’évaluation par les pairs.

Par conséquent, dans les pages de ce blog, le terme de pratique autonome sera considéré comme l’équivalent d’indépendant. Néanmoins, une nuance utile à placer entre les deux est que le terme indépendant laisse sous-entendre que l’élève travaille seul sur sa production, sous la supervision de l’enseignant. Le terme autonome est plus vague et peut recouvrir tout aussi bien l’idée d’une pratique indépendante que celle d’une pratique coopérative. Dans la cadre d’une pratique coopérative, les élèves peuvent également s’engager dans des démarches d’enseignement réciproque ou de tutorat les uns envers les autres.

La pratique autonome représente le prolongement de la pratique guidée. Elle vise à fournir aux élèves suffisamment d’occasions de s’exercer, de façon à consolider leurs apprentissages, à augmenter leur niveau de réussite, par une amélioration de l’automatisation et de la fluidité des connaissances. Les élèves travaillent de manière autonome et pratiquent la nouvelle matière préalablement enseignée.

La pratique autonome est l’étape finale du schéma de base de l’enseignement explicite. Elle permet à l’élève de parfaire sa compréhension dans l’action, jusqu’à l’obtention d’un niveau de maîtrise de l’apprentissage le plus élevé possible.

Deux éléments clés accompagnent cette dernière étape de l’enseignement explicite :
  1. Les démarches liées à l’évaluation formative des apprentissages
  2. Un nombre élevé d’occasions de pratiques, distribuées dans le temps et visant la fluidité et l’automatisation.

C’est le premier point que nous allons explorer dans ce présent article.



Ce qui précède la pratique autonome


Les élèves doivent être pleinement préparés à la pratique autonome, à l’issue du modelage et de la pratique guidée.

Il est nécessaire pour l’enseignant lors de la pratique guidée, d’avoir réalisé, étape par étape, des problèmes et des exercices types avec toute la classe. Ceux-ci recouvrent toute la diversité des situations qu’un élève pourra rencontrer par la suite. L’enseignant doit y avoir entraîné ses élèves et vérifié leur compréhension, avant que ceux-ci ne commencent à les pratiquer de façon autonome.

Au fur et à mesure, l’élève progresse et se rapproche de l’objectif d’exécuter une tâche complexe dans son entièreté de manière indépendante et dans le cadre d’un transfert proche. En parallèle, l’enseignant diminue les mesures de soutien. Nous passons ainsi naturellement de la pratique guidée à la pratique autonome.

La pratique autonome renvoie aux tâches que les élèves réalisent par eux-mêmes, idéalement sans avoir besoin de l’aide systématique ou fréquente de leur enseignant ou de leurs condisciples.

À cette étape, l’enseignant n’a plus à guider parce que les élèves sont censés comprendre ou savoir faire la tâche par eux-mêmes avec un taux de succès suffisant. L’enseignant vérifie et offre une rétroaction ciblée en cas d’erreurs détectées par lui-même ou signalées par un élève.

L’enseignant veille à ne pas avancer trop vite dans le processus de l’enseignement explicite. Il ne doit commencer l’étape de la pratique autonome que s’il a la preuve que les élèves savent faire ou qu’ils comprennent suffisamment. Le passage à la pratique autonome peut être présenté sous forme d’un défi au terme de la pratique guidée lorsque cette dernière atteint les 80 % de réussite. Au moins 80 % des élèves réussissent au moins 80 % des tâches classiques d’une matière donnée. 

Au terme de la pratique autonome, l’objectif est d’atteindre les 95 % de réussite. Cela signifie qu’un apprentissage notable peut encore avoir lieu durant la pratique autonome qui offre des occasions d’augmenter l’homogénéité de la classe. La pratique autonome joue par conséquent un rôle similaire à la différenciation, sans pour autant devoir développer des supports d’apprentissage différents en fonction du niveau des élèves.



Installer des routines en pratique autonome


La pratique autonome a tout intérêt à s’accompagner de routines spécifiques en gestion de classe. Celles-ci vont faciliter l’engagement des élèves et optimiser l’usage du temps disponible.

Par exemple :
  1. Préciser ce que les élèves doivent faire quand ils ont terminé leurs exercices.
  2. Imposer la vérification de la solution d’un ou plusieurs exercices à la fois, que ce soit auprès de l’enseignant, par un correctif mis à leur disposition à un endroit de la classe, ou par un condisciple. Nous ne voulons pas qu’après 30 minutes de travail un élève se rende compte qu’il s’est trompé depuis le début
  3. Préciser le mode de demande d’aide auprès de l’enseignant. Il s’agit d’installer des routines et que les élèves sachent exactement quelle attitude adopter face à une difficulté :
    • En effet, certains élèves ont tendance à s’arrêter net et ne plus progresser jusqu’à ce que l’enseignant arrive. Il faut leur inculquer le réflexe de commencer une autre tâche jusqu’à ce que l’enseignant arrive. 
    • D’autres élèves vont s’acharner à chercher et chercher encore une solution sans demander l’aide de l’enseignant ce qui se traduit également en une perte de temps nette. Il faut leur expliquer qu’au-delà de quelques minutes, s’ils se trouvent dans l’impasse, rien ne sert de continuer. Il faut demander de l’aide.
  4. Définir le rôle de tutorat que peuvent jouer certains élèves plus avancés dans la classe ou le mode de coopération attendu.

Ces routines gagnent à être enseignées en début d’année, surveillées systématiquement et renforcées occasionnellement par la suite. Elles sont importantes, car elles permettent aux élèves de fonctionner quand l’enseignant est occupé à d’autres activités avec d’autres élèves.



Ce qui suit la pratique autonome


Un premier objectif de la pratique autonome est de faire en sorte que les élèves prouvent qu’ils ont compris le contenu. Ils doivent pouvoir mobiliser les nouvelles notions qui leur ont été enseignées sans avoir besoin d’un support ou de notes de cours.

Au terme de la pratique autonome, quand les élèves auront démontré qu’ils sont capables de réaliser les tâches demandées sans soutien et de manière exacte, l’enseignant pourra conclure l’enseignement sur ces objectifs. Ceux-ci deviendront par la suite objets de révisions distribuées par la mise en œuvre d’occasions de pratique de récupération en classe ou lors de devoir.

L’objectif de la pratique guidée est d’obtenir un niveau de performance le plus élevé possible. Nous ne pouvons toutefois pas nous attendre à obtenir un taux de performance de 100 %, car cela serait trop long et empêcherait l’enseignant de couvrir son programme entier. Pour ces raisons, les élèves qui n’ont pas appris au terme de la pratique autonome sont susceptibles de bénéficier de procédures de remédiation à l’intérieur ou en dehors des heures de cours.



Attitudes de l’enseignant durant la pratique autonome


Il a été constaté que les élèves s’impliquent plus au moment des exercices en autonomie lorsque l’enseignant circule aléatoirement dans la classe, surveille activement leur travail et jette un coup d’œil régulièrement sur leurs productions.

Le temps optimal pour ces interventions de rétroaction auprès d’un élève particulier doit être bref, de trente secondes au plus. Donner de longues explications durant la pratique autonome embrouille les élèves. Les classes où l’enseignant doit apporter un grand nombre d’explications pendant le travail autonome sont aussi celles où les élèves commettent le plus d’erreurs.

Des erreurs trop nombreuses sont le signe que la pratique guidée n’a pas suffi. Elle n’a pas permis aux élèves de s’engager de façon profitable dans la pratique indépendante. Un retour temporaire vers la pratique guidée peut dès lors s’imposer.



Maintenir la vigilance face aux erreurs en pratique autonome


Il est important de commencer par donner aux élèves un seul problème ou exercice et de le corriger, puis de continuer en corrigeant les performances au fur et à mesure. Lorsque les réponses correspondent aux attentes, l’enseignant peut ajouter d’autres problèmes ou questions.

Si nous laissons les élèves résoudre une série d’exercices, seuls et sans soutien, avant de vérifier leurs réponses dans un second temps, certains pourraient commettre des erreurs et pratiquer celles-ci.

Une fois commises, répétées et installées, ces erreurs peuvent être difficiles à corriger et ne jamais disparaître de leur mémoire à long terme. Des mécanismes d’inhibition vont dès lors devoir être mis en place pour les contourner et les éviter par la suite. Le processus peut être complexe et coûteux en temps et en énergie.

Il est indispensable de minimiser autant que possible les chances d’installation de telles fausses conceptions.



Concevoir le contenu de la pratique autonome


Les élèves doivent s’exercer sur ce qu’ils savent faire. C’est pourquoi l’enseignant ne donne pas, au stade de la pratique autonome, des exercices d’une nature différente que ceux qui ont déjà été vus dans la pratique guidée. Toutes les tâches doivent également correspondre aux objectifs d’apprentissage.

Il faut s’assurer que l’habileté à pratiquer a été enseignée et que les élèves sont capables d’exécuter la tâche seuls. Il convient dès lors d’élaborer ou choisir des tâches qui correspondent à l’habileté enseignée et qui sont cohérentes avec les objectifs d’apprentissage.

L’enseignant doit se fixer un objectif clair aux tâches, il doit savoir pourquoi il les a choisies : augmenter la fluidité, la justesse, la mémorisation des procédures, entraîner à la discrimination des opérations à effectuer, élaborer, etc.

Il est important de contrôler les autres difficultés associées à la tâche qui pourraient parasiter l’objectif poursuivi et ajouter une charge extrinsèque contre-productive.

Il faut donner des directives claires et concises, estimer et communiquer le temps imparti pour effectuer l’activité. Pour certains apprentissages complexes, il peut être nécessaire de fournir de manière anticipative un soutien ponctuel.

Il est inutile pour l’enseignant de donner des dizaines d’exercices à résoudre lorsqu’il constate que l’élève ne sait pas les faire. Ce constat donne le signal qu’il a mis les élèves en situation de pratique autonome trop tôt. Ce n’est pas au moment de la pratique autonome que les élèves doivent comprendre.

Suivant la matière travaillée, différentes approches peuvent être suivies dans le cadre d’une pratique autonome. Il peut s’agir d’un travail individuel avec consignes précises. L’enseignant peut garder une certaine direction de la pratique et poser des questions directes. Les élèves peuvent travailler en équipe, s’entraidant et coopérant avant de repasser à l’individuel. Ils peuvent également mettre en commun une production individuelle formative dans le cadre d’une évaluation par les pairs.



Ne pas confondre pratique autonome et devoirs


Par définition, le type de tâches donné en devoir devra avoir été travaillé dans la pratique autonome. Les devoirs ne peuvent pas remplacer le besoin de pratique autonome à cause de la problématique des erreurs.

Il est important de souligner que l’automatisation de la résolution que la pratique autonome va mettre en place favorise la motivation et l’engagement des élèves par rapport aux devoirs à faire à la maison.

La meilleure façon de motiver les élèves à faire sérieusement leurs devoirs est de s’assurer au départ qu’ils peuvent réaliser par eux-mêmes les tâches demandées sans erreurs. Cela est rendu possible par une pratique guidée et une pratique autonome préalables parfaitement installées.



Évaluation et rétroaction face aux difficultés


Il est fondamental pour l’enseignant de vérifier régulièrement la compréhension par ses élèves, des tâches qu’il leur attribue, ce qui nécessite d’établir les critères d’évaluation du travail demandé. Ceux-ci doivent correspondre aux objectifs pédagogiques.

L’enseignant communique par une rétroaction orale ou écrite portant sur les productions de l’élève

La pratique autonome permet de repérer parmi les élèves ceux qui auront besoin d’un soutien particulier de la part de l’enseignant. C’est une étape importante, car il ne sert à rien d’aller plus loin tant que les élèves ne démontrent pas qu’ils savent correctement faire une tâche par eux-mêmes.

Un faible niveau de performance chez les élèves pourrait indiquer une faille dans l’application de la démarche d’enseignement explicite dans les étapes préalables.

L’évaluation en continu du niveau de performance moyen obtenu en pratique autonome permet de poser un regard quant à la progression de l’aisance et de la fluidité manifestées par les élèves. L’enseignant peut contrôler ainsi en contenu la progression des apprentissages.





Mis à jour le 25/04/2022

Bibliographie


Steve Bissonnette, Mario Richard & Clermont Gauthier, « Comment enseigne-t-on dans les écoles efficaces ? » PUL (2006)

Clermont Gauthier, Steve Bissonnette, Mario Richard, « Enseignement explicite et réussite des élèves », De Boeck (2013)

Rosenshine, Barak, Principles of Instruction: Research-Based Strategies That All Teachers Should Know, American Educator, v36 n1 p12-19, 39 (2012)

Rosenshine, Barak, Principles of Instruction, Educational Practices Series-21 (2010)

Tom Sherrington, Rosenshine’s principles in action, John Catt, 2019

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