(Photographie : Yoshinori Mizutani)
Recyclage neuronal et contraintes du cerveau humain
Un cerveau précâblé
Le cerveau humain est soumis à des contraintes anatomiques très fortes, héritées de l’évolution de notre espèce soumise à la sélection naturelle. Des circuits neuronaux structurés à l’échelle de notre cerveau en sont les héritiers et sont présents dès le plus jeune âge.
Notre cerveau nous est fourni avec des notions de base qui sont notre fenêtre sur le monde. Ils rendent possibles notre interprétation sensorielle et notre expérience environnementale. Le cerveau est capable, dès la naissance, de réaliser certaines tâches, avant même d’y avoir été confronté.
Le cerveau met ainsi en place des circuits, en interaction avec l’environnement, jusqu’à l’âge de deux ans selon un programme génétique préétabli. Ce processus prépare le cerveau à accomplir certaines tâches comme marcher, courir, parler, jouer, ou interagir socialement et avec l’environnement.
Ces circuits neuronaux biaisent les apprentissages en leur donnant une nature et une dimension humaine. On peut parler d’un cerveau précâblé. C’est ensuite l’expérience d’un individu et les apprentissages scolaires qui façonneront progressivement cette base neuronale innée initiale en s’appuyant dessus.
Bien avant le développement du langage ou l’apprentissage des mathématiques à l’école, les êtres humains possèdent un système cérébral qui leur permet le traitement du langage oral, l’estimation de quantités ou la combinaison de grandeurs numériques.
Un recyclage neuronal
La plasticité ne peut pas modifier complètement l’organisation cérébrale. Elle est réelle, mais elle est restreinte dans le temps, dans l’espace, contrainte par ses circuits et limitée par ses mécanismes.
L’éducation va intervenir en tirant profit des périodes et des potentialités de la plasticité.
Selon l’hypothèse du recyclage neuronal avancée par Stanislas Dehaene (2015), les acquisitions culturelles nouvelles (comme la lecture ou le calcul) ne sont possibles que dans la mesure où elles sont compatibles avec les architectures neurales préexistantes. Elles les recyclent en partie.
Chaque objet culturel doit donc trouver sa niche neuronale dans le cerveau, c’est-à-dire un circuit dont le rôle initial est assez proche. Il présente une flexibilité suffisante pour être reconvertie, pour être réorientée vers ce nouvel usage.
Ainsi à travers notre propre éducation, nous avons été confrontés dans le cadre d’enseignements à un certain nombre d’objets conceptuels abstraits et neufs comme les chiffres arabes, l’alphabet ou les notes de musique, etc. Ceux-ci vont venir s’ancrer dans des niches neuronales en détournant des circuits neuronaux préexistants de leurs usages initiaux. Ceux-ci sont suffisamment plastiques pour pouvoir être recyclées.
Chaque circuit possède des propriétés intrinsèques, que la plasticité ne peut bouleverser et qui le rendent plus ou moins approprié à son nouvel usage. Nos capacités d’apprentissage potentielles dépendent de la présence et de la disponibilité de ces circuits.
Le concept de recyclage neuronal proposé par Stanislas Dehaene ressemble à celui de l’exaptation (de S.J. Gould). Ce dernier exprime l’observation que l’évolution fait souvent du neuf avec du vieux, qu’un dispositif biologique qui a pu évoluer dans un certain contexte va être réorienté pour servir dans un nouveau contexte. D’un point de vue évolutif, nos mains ont été conçues au départ pour grimper aux arbres, nos bras étaient à l’origine des pattes, nos membres étaient à l’origine des nageoires, etc.
De même, le concept de recyclage neuronal de Stanislas Dehaene est à mettre en parallèle avec les notions de connaissances biologiques primaires et secondaires de David C. Geary. Les connaissances biologiques primaires correspondaient aux circuits originaux installés à travers l’évolution et la sélection naturelle. Les connaissances biologiques secondaires correspondaient aux circuits neuronaux recyclés, car ils correspondent à des champs culturels nouveaux pour l’humanité, sur lesquels l’évolution n’a pas eu le temps d’agir.
Stanislas Dehaene propose de réserver le terme de recyclage neuronal au cas où une compétence nouvelle se met en place dans le cerveau en quelques semaines ou mois, souvent au cours du développement. Celle-ci a lieu sans changement de notre patrimoine génétique, en s’appuyant uniquement sur la plasticité́ cérébrale. C’est là-dessus que se fonde l’éducation.
Il existe un recyclage neuronal dans le domaine des mathématiques.
L’éducation va intervenir en tirant profit des périodes et des potentialités de la plasticité.
Selon l’hypothèse du recyclage neuronal avancée par Stanislas Dehaene (2015), les acquisitions culturelles nouvelles (comme la lecture ou le calcul) ne sont possibles que dans la mesure où elles sont compatibles avec les architectures neurales préexistantes. Elles les recyclent en partie.
Chaque objet culturel doit donc trouver sa niche neuronale dans le cerveau, c’est-à-dire un circuit dont le rôle initial est assez proche. Il présente une flexibilité suffisante pour être reconvertie, pour être réorientée vers ce nouvel usage.
Ainsi à travers notre propre éducation, nous avons été confrontés dans le cadre d’enseignements à un certain nombre d’objets conceptuels abstraits et neufs comme les chiffres arabes, l’alphabet ou les notes de musique, etc. Ceux-ci vont venir s’ancrer dans des niches neuronales en détournant des circuits neuronaux préexistants de leurs usages initiaux. Ceux-ci sont suffisamment plastiques pour pouvoir être recyclées.
Chaque circuit possède des propriétés intrinsèques, que la plasticité ne peut bouleverser et qui le rendent plus ou moins approprié à son nouvel usage. Nos capacités d’apprentissage potentielles dépendent de la présence et de la disponibilité de ces circuits.
Recyclage neuronal, exaptation et connaissances biologiques
Le concept de recyclage neuronal proposé par Stanislas Dehaene ressemble à celui de l’exaptation (de S.J. Gould). Ce dernier exprime l’observation que l’évolution fait souvent du neuf avec du vieux, qu’un dispositif biologique qui a pu évoluer dans un certain contexte va être réorienté pour servir dans un nouveau contexte. D’un point de vue évolutif, nos mains ont été conçues au départ pour grimper aux arbres, nos bras étaient à l’origine des pattes, nos membres étaient à l’origine des nageoires, etc.
De même, le concept de recyclage neuronal de Stanislas Dehaene est à mettre en parallèle avec les notions de connaissances biologiques primaires et secondaires de David C. Geary. Les connaissances biologiques primaires correspondaient aux circuits originaux installés à travers l’évolution et la sélection naturelle. Les connaissances biologiques secondaires correspondaient aux circuits neuronaux recyclés, car ils correspondent à des champs culturels nouveaux pour l’humanité, sur lesquels l’évolution n’a pas eu le temps d’agir.
Stanislas Dehaene propose de réserver le terme de recyclage neuronal au cas où une compétence nouvelle se met en place dans le cerveau en quelques semaines ou mois, souvent au cours du développement. Celle-ci a lieu sans changement de notre patrimoine génétique, en s’appuyant uniquement sur la plasticité́ cérébrale. C’est là-dessus que se fonde l’éducation.
Cas des mathématiques
Il existe un recyclage neuronal dans le domaine des mathématiques.
En 1992, une étude de l'université de l'Arizona démontre que des bébés de 5 mois sont capables de distinguer si le résultat d'une opération simple (1 poupée + 1 poupée = 2 poupées) est correct ou non. Dans les années 2000, avec l'apport de l'imagerie cérébrale, plusieurs études mettent en évidence que un sens du nombre est associé à l'activation, chez l'homme et l'animal, d'une même zone du sillon intrapariétal.
Une étude de l'université Yale publiée en 2004 a montré que des enfants âgés de 9 mois peuvent même traiter des valeurs bien plus grandes (jusqu'à 10) et les manipuler pour effectuer des additions et des soustractions, sans avoir bénéficié du moindre apprentissage
Nous héritons de notre évolution une représentation approximative du nombre. Celle-ci sert de fondation à l’apprentissage ultérieur de l’arithmétique exacte. La même zone est utilisée pour faire des mathématiques avec des symboles.
Lorsque nous apprenons les chiffres arabes, nous apprenons une correspondance entre ces chiffres arabes et les quantités correspondantes. Nous recyclons un système préexistant. C’est aussi le cas pour la géométrie.
L’enfant dispose d’intuitions précoces du nombre et de la géométrie. L’enseignant peut et doit s’appuyer sur ces circuits pour promouvoir un apprentissage plus facile de ces concepts.
Un autre exemple est celui de l’aire de la forme visuelle des mots, le circuit de la lecture. Une aire cérébrale bien particulière se met en place lors de l’apprentissage de la lecture chez tout le monde. Cette aire a appris à reconnaître des chaines de lettres comme étant de mots et donc d’envoyer son interprétation vers le circuit du langage.
L’architecture cérébrale impose une autre contrainte sur l’apprentissage de la lecture : le cortex temporo-pariétal, une région associée au traitement des sons du langage, est situé particulièrement près du cortex occipito-temporal.
Cette région associée au traitement des sons du langage constitue certainement une porte d’entrée privilégiée aux réseaux de neurones liés au langage qui contiennent notamment le sens des mots.
Cette proximité physique explique probablement pourquoi les approches graphophonétiques d’enseignement de la lecture s’avèrent souvent efficaces. Il y a activation simultanée des neurones liés à l’identification des lettres et des graphèmes et des neurones liés à l’identification des sons du langage. Cela mène à l’établissement de connexions entre le cortex occipito-temporal gauche et le cortex temporo-pariétal gauche.
Le fait d’enseigner en orientant l’attention des apprenants vers les correspondances entre les graphèmes et les phonèmes ou vers l’image globale du mot peut avoir une incidence dramatique sur le fonctionnement cérébral des élèves. En effet, il importe de porter suffisamment attention aux graphèmes.
Les personnes recevant un enseignement graphophonétique mobilisent davantage leur cortex occipito-temporal gauche (région liée à la reconnaissance des lettres). Celui-ci semble pouvoir se connecter plus aisément aux régions du langage à cause de sa proximité spatiale avec ces dernières.
Les personnes recevant un enseignement portant sur l’image globale du mot mobilisent au contraire davantage leur cortex occipito-temporal droit (une région souvent liée aux difficultés en lecture et qui est relativement éloignée des régions associées au langage).
Nous avons tous la même organisation cérébrale qui contraint les apprentissages culturels. Les propriétés des réseaux neuronaux humains contraignent les formes culturelles et leur confèrent des traits universels.
Différentes inférences peuvent se faire à partir de la théorie du recyclage neuronal vers l’enseignement :
L’enfant dispose d’intuitions précoces du nombre et de la géométrie. L’enseignant peut et doit s’appuyer sur ces circuits pour promouvoir un apprentissage plus facile de ces concepts.
Cas de la lecture
Un autre exemple est celui de l’aire de la forme visuelle des mots, le circuit de la lecture. Une aire cérébrale bien particulière se met en place lors de l’apprentissage de la lecture chez tout le monde. Cette aire a appris à reconnaître des chaines de lettres comme étant de mots et donc d’envoyer son interprétation vers le circuit du langage.
On pense qu’il s’agit d’un recyclage de circuits cérébraux qui permettent la reconnaissance invariante des objets et des visages. C’est un système très plastique qui tout au long de la vie nous permet de reconnaître des objets ou des visages nouveaux et qui est réorienté avec une plasticité maximale vers des formes complètement nouvelles. Cette fonction est dépendante du cortex occipito-temporal.
Pour lire, l’élève doit d’abord apprendre à reconnaître les objets visuels que sont les lettres et les mots. Cependant, puisque les lettres et les mots représentent une nouvelle catégorie d’objets, il faudra tout de même que l’élève modifie ses connexions neuronales pour apprendre à lire.
Pour lire, l’élève doit d’abord apprendre à reconnaître les objets visuels que sont les lettres et les mots. Cependant, puisque les lettres et les mots représentent une nouvelle catégorie d’objets, il faudra tout de même que l’élève modifie ses connexions neuronales pour apprendre à lire.
Il est intéressant de noter une première contrainte à l’apprentissage. Elle dépend de l’architecture cérébrale initiale de l’apprenant. Le cerveau reconnaît naturellement les objets indépendamment de leur orientation. Les visages étant symétriques, la mémoire n’a pas besoin d’en mémoriser les deux moitiés, elle recrée alors l’autre par symétrie. Par conséquent, il s’avère initialement difficile pour les élèves de distinguer les lettres p, q, b et d qui sont traitées spontanément comme un seul objet présenté selon différentes orientations.
L’architecture cérébrale impose une autre contrainte sur l’apprentissage de la lecture : le cortex temporo-pariétal, une région associée au traitement des sons du langage, est situé particulièrement près du cortex occipito-temporal.
Cette région associée au traitement des sons du langage constitue certainement une porte d’entrée privilégiée aux réseaux de neurones liés au langage qui contiennent notamment le sens des mots.
Cette proximité physique explique probablement pourquoi les approches graphophonétiques d’enseignement de la lecture s’avèrent souvent efficaces. Il y a activation simultanée des neurones liés à l’identification des lettres et des graphèmes et des neurones liés à l’identification des sons du langage. Cela mène à l’établissement de connexions entre le cortex occipito-temporal gauche et le cortex temporo-pariétal gauche.
Le fait d’enseigner en orientant l’attention des apprenants vers les correspondances entre les graphèmes et les phonèmes ou vers l’image globale du mot peut avoir une incidence dramatique sur le fonctionnement cérébral des élèves. En effet, il importe de porter suffisamment attention aux graphèmes.
Les personnes recevant un enseignement graphophonétique mobilisent davantage leur cortex occipito-temporal gauche (région liée à la reconnaissance des lettres). Celui-ci semble pouvoir se connecter plus aisément aux régions du langage à cause de sa proximité spatiale avec ces dernières.
Les personnes recevant un enseignement portant sur l’image globale du mot mobilisent au contraire davantage leur cortex occipito-temporal droit (une région souvent liée aux difficultés en lecture et qui est relativement éloignée des régions associées au langage).
Implications du recyclage neuronal pour l’éducation
Nous avons tous la même organisation cérébrale qui contraint les apprentissages culturels. Les propriétés des réseaux neuronaux humains contraignent les formes culturelles et leur confèrent des traits universels.
Différentes inférences peuvent se faire à partir de la théorie du recyclage neuronal vers l’enseignement :
- Le recyclage neuronal suppose l’existence de précurseurs cérébraux avant l’apprentissage, avant l’école, pour chaque activité culturelle :
- Si nous étudions l’organisation du cerveau de l’enfant, nous devons pouvoir retrouver ces précurseurs cérébraux dans les circuits qui vont ensuite se réorienter vers une nouvelle activité.
- Il est essentiel de comprendre comment ces circuits sont organisés dans la petite enfance. Ils se transforment dans la suite de l’enfance et de l’adolescence sous l’effet de l’éducation, qui en favorise le fonctionnement.
- Les circuits neuronaux associés à chaque activité culturelle ont une reproductibilité chez l’homme :
- Ce sont les mêmes circuits neuronaux par exemple qui sont responsables de l’apprentissage de la lecture dans les différents pays du monde.
- Nous apprenons tous à lire ou à calculer en faisant appel aux mêmes circuits cérébraux.
- Les cultures partagent de nombreux traits qui trouvent souvent leur origine au niveau neuronal :
- Tout n’est pas possible dans le domaine culturel et donc dans l’enseignement :
- Dès lors, certaines inventions éducatives sont possibles, car la plasticité cérébrale les permet.
- D’autres inventions éducatives ne vont pas être possibles, vont être inefficaces ou ne vont pas être faciles à apprendre par le cerveau. Les circuits correspondants ne sont pas suffisamment plastiques ou ne répondent pas efficacement au type d’éducation proposée.
- La vitesse et la facilité d’apprentissage doivent varier avec la complexité du recyclage neuronal requis.
- Au plus un apprentissage est complexe, au mieux il doit être accompagné, étayé.
- L’éducation conduit principalement à des gains de fonction (efficacité, généralisation), mais peut aussi entraîner des pertes (compétition corticale).
- Certaines fonctions anciennes de l’évolution vont être remplacées en partie au moins par des apprentissages nouveaux culturels.
Mis à jour le 24/03/2022
Bibliographie
Dortier, Jean-François, La plasticité, une adaptation permanente, Sciences humaines, Hors-série n° 4, décembre 2011 : https://www.scienceshumaines.com/la-plasticite-une-adaptation-permanente_fr_27967.html
Pasquinelli, Elena, Le cerveau se modifie : maturation, développement, plasticité et apprentissage, 2016, https://www.fondation-lamap.org/fr/page/34321/le-cerveau-se-modifie-maturation-developpement-plasticite-et-apprentissage
Campbell, Neil & Reece, Jane, Biologie 9e édition, Pearson, 2012
La Plasticité des réseaux de neurones http://lecerveau.mcgill.ca
Gerrig, Richard & Zimbardo, Philip, Psychologie, 18e édition, Pearson, 2013
Stanislas Dehaene « Éducation, plasticité cérébrale et recyclage neuronal » Collège de France
06 janvier 2015 09:30 11:00 https://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/course-2015-01-06-09h30.htm
Steve Masson, Cerveau, apprentissage et enseignement, 2014, https://www.edcan.ca/articles/cerveau-apprentissage-et-enseignement/?lang=fr
Élagage synaptique. (2018, mai 11). Wikipédia, l’encyclopédie libre. Page consultée le 21:46, mai 11, 2018 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php title=%C3%89lagage_synaptique&oldid=148359259
Bocquet, Pierre-Yves, 2020, Le cerveau est-il "précâblé" pour apprendre certaines notions ?, https://www.science-et-vie.com/questions-reponses/le-cerveau-est-il-precable-pour-apprendre-certaines-notions-2991.html
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